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Date : 20061109

Dossier : T-2198-05

Référence : 2006 CF 1348

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

STEPHEN G. HITCHCOCK

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C 1985, ch. F-7, d’une décision en date du 6 octobre 2005 par laquelle le Conseil des pensions militaires (le CPM) a rejeté la demande de réexamen des motifs de retraite que lui avait soumise le demandeur. Le demandeur n’est pas représenté par un avocat.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

i)        Le CPM a-t-il contrevenu aux principes de l’équité procédurale?

ii)       Le CPM a-t-il commis une erreur en décidant de confirmer le motif de la retraite du demandeur?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Né en 1954, le demandeur s’est engagé dans les Forces armées canadiennes en décembre 1973 après avoir travaillé comme manœuvre. Il s’est illustré dans toutes les missions qui lui ont été confiées au sein de l’armée, tant au pays qu’à l’étranger. Il a servi dans la force régulière pendant plus de vingt ans.

 

[5]               Le 17 mai 1994, le demandeur a pris sa retraite de l’armée de son plein gré afin d’accepter un poste de fonctionnaire au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique. Le demandeur a été libéré en vertu de l’alinéa 4a) de l’article 15.1 des Ordonnances et règlements royaux (ORR) (affidavit du demandeur, pièce Y). Sa libération en vue de sa retraite était visée par le paragraphe 19(1) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. 1985, ch. C-17 (LPRFC). Au moment de sa libération, le demandeur ne faisait l’objet d’aucune restriction à l’emploi découlant d’un état médical et son profil médical était le 112225 (1 − acuité visuelle; 1 − vision des couleurs; 2 − acuité auditive; 2 − restrictions géographiques; 2 − restrictions professionnelles; 5 − Aptitude au vol (voir l’affidavit du demandeur, pièce W, pages 11 et 18).

 

[6]               Dès sa libération de la force régulière en mai 1994, le demandeur est devenu membre de la réserve supplémentaire d’attente avant d’être muté, en mars 2000, à la Première réserve, où il sert toujours en sa qualité limitée de réserviste.

 

[7]               Le demandeur souffre d’anxiété, de fatigue de la nuque et de migraines. Il a commencé à consulter des médecins dès les premières manifestations de ses problèmes, en 1986. Le demandeur a continué de se faire soigner par des médecins civils après sa libération de la force régulière.

 

[8]               Le 19 novembre 2002, le profil médical du demandeur en tant que réserviste a été modifié : on lui a attribué le profil G304, ce qui signifie qu’on a reconnu qu’il faisait l’objet de restrictions à l’emploi du fait de son état médical chronique. Le demandeur s’est vu attribuer les restrictions à l’emploi suivantes, qui sont prévues dans la révision administrative - limitations d’emploi médicales (AR/LEM) :

[traduction]

Les restrictions sont les suivantes :

                A besoin d’un suivi médical périodique

               

               Est sujet à des crises pour lesquelles il pourrait avoir besoin des services d’un médecin. Durant une crise, il ne sera pas en mesure d’exécuter ses fonctions

 

                Inapte à travailler dans un contexte opérationnel militaire

 

                Doit porter des lentilles de prescription

 

                Protection auditive maximale requise.

 

(Affidavit du demandeur, pièce W, pages 35 et 36).

 

 

[9]               En août 2003, le service de santé de la formation de la Base des Forces canadiennes Esquimalt de Victoria (Colombie-Britannique) a diagnostiqué chez le demandeur un trouble anxieux directement attribuable à son service militaire au sein de la force régulière.

 

[10]           En août 2004, le demandeur a été avisé par le ministère des Anciens combattants qu’il avait droit à une pension d’invalidité évaluée à 20 %, attribuable à son service au sein des forces canadiennes, laquelle pension d’invalidité a été portée à 35 % (affidavit du demandeur, pièce W, pages 16-17). À l’audience, le demandeur a informé la Cour que sa pension avait récemment été portée à 40 %.

 

[11]           Le 5 décembre 2004 et le 12 janvier 2005, le demandeur a demandé au CPM d’examiner la raison de son départ à la retraite en 1994, conformément à l’article 49 de la LPRFC. Il a demandé au CPM de modifier rétroactivement la raison de sa retraite pour qu’elle corresponde à celle prévue au paragraphe 18(1) de la LPRFC, au lieu du paragraphe 19(1) de la LPRFC, c’est‑à‑dire à une invalidité sur libération qui était le résultat du trouble anxieux dont il souffrait et était attribuable à son service militaire. Le demandeur cherchait essentiellement à faire remplacer la raison de son départ à la retraite, en l’occurrence libération volontaire d’un bien-portant pour un « autre motif », par une libération pour des raisons d’ordre médical.

 

[12]           Le CPM a examiné la demande du demandeur et lui a donné la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve à l’appui de celle‑ci. Après avoir examiné l’affaire, le CPM a rejeté la demande du demandeur le 6 octobre 2005, d’où la présente demande de contrôle judiciaire introduite par le demandeur.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[13]           Voici les passages pertinents de la décision :

[traduction] À l’appui de votre demande, vous avez soumis de nouveaux éléments de preuve consistant en des rapports médicaux et en une confirmation que vous recevez présentement une pension d’invalidité du ministère des Anciens combattants du Canada pour trouble panique. Ces renseignements n’existaient pas et n’étaient pas disponibles au moment de votre libération. Un résumé de carrière a été établi et vous a été transmis en vue d’obtenir vos commentaires.

 

Le CPM a été saisi de votre cas lors de sa réunion du 6 octobre 2005 au cours de laquelle il a examiné votre résumé de carrière et les renseignements que vous aviez fournis. Le Conseil devait ensuite décider si vous auriez été mis obligatoirement à la retraite en 1994 du fait que vous étiez devenu invalide. Le Conseil a examiné votre argument que vous souffriez de migraines et de crises de panique avant votre libération et que vous étiez traité pour ces affections. Vous avez continué d’avoir ces problèmes après votre libération et on a finalement diagnostiqué chez vous un trouble anxieux (panique). Le Conseil a toutefois constaté qu’au moment de votre libération, votre profil médical était le G202 et que les personnes chargées de procéder à l’examen administratif en mars 2004 ont conclu que les limitations d’emploi médicales qui auraient été applicables en 1994 étaient appropriées, compte tenu des normes en vigueur à l’époque. Vous n’auriez pas été libéré pour des raisons d’ordre médical. Le Conseil estime donc qu’étant donné que vous ne souffriez, en 1994, d’aucun problème médical permanent qui vous aurait rendu inapte, sur le plan mental ou physique, à vous acquitter de vos fonctions comme membre des Forces canadiennes, vous n’avez pas été mis obligatoirement à la retraite du fait que vous étiez devenu invalide. Le CPM confirme que votre retraite est attribuable à d’autres motifs, comme le prévoit le paragraphe 19(1).

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

17. (1) A droit immédiatement à une annuité, le contributeur qui remplit les conditions suivantes :

a) il n’a pas atteint l’âge de la retraite;

b) il n’est pas engagé pour une période indéterminée de service;

c) il cesse d’être membre de la force régulière après avoir terminé un engagement de durée intermédiaire;

d) il a servi dans la force régulière pendant au moins vingt ans.

 

 

18. (1) Un contributeur qui est obligatoirement retraité de la force régulière du fait qu’il est devenu invalide, a droit à une prestation déterminée comme suit 

a) s’il a servi dans la force régulière pendant moins de dix ans, il est admissible au plus élevé des deux montants suivants :

(i) un remboursement de contributions,

(ii) une allocation de cessation en espèces;

 

b) s’il a servi dans la force régulière pendant dix ans ou plus, il est admissible à une annuité immédiate.

 

(2) Un contributeur qui, n’ayant pas atteint l’âge de retraite, est obligatoirement retraité de la force régulière par souci d’économie ou d’efficacité, a droit à une prestation déterminée comme suit :

a) s’il a servi dans la force régulière pendant trois ans ou moins, il est admissible à un remboursement de contributions;

b) s’il a servi dans la force régulière pendant plus de trois ans mais moins de dix ans, il est admissible au plus élevé des deux montants suivants :

(i) un remboursement de contributions,

(ii) une allocation de cessation en espèces;

c) s’il a servi dans la force régulière pendant dix ans ou plus mais moins de vingt ans, il est admissible, à son choix :

(i) à un remboursement de contributions,

(ii) à une annuité différée,

(iii) avec le consentement du ministre, à une annuité immédiate réduite, tant qu’il n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, mais non après, de cinq pour cent multiplié par le moindre des nombres d’années entières, n’excédant pas six, obtenus en effectuant les soustractions suivantes :

                (A) vingt ans moins la durée de son service dans la force régulière,

 

 

                (B) l’âge de retraite applicable à son grade moins son âge au moment de sa retraite;

 

 

 

d) s’il a servi dans la force régulière pendant vingt ans ou plus, il est admissible à une annuité immédiate.

(3) et (4) [Abrogés, 1999, ch. 34, art. 130]

 

19. (1) Un contributeur qui, n’ayant pas atteint l’âge de retraite, cesse d’être membre de la force régulière pour un motif autre qu’un motif mentionné au paragraphe 17(1) ou (2) ou 18(1), (2) ou (4) a droit, sauf disposition contraire de l’article 20, à une prestation déterminée comme suit :

[…]

c) s’il a servi dans la force régulière pendant vingt ans ou plus et moins de vingt-cinq ans, il est admissible :

 

(i) s’il s’agit d’un officier, à une annuité immédiate réduite de cinq pour cent multiplié par le nombre d’années entières obtenu en soustrayant son âge au moment de sa retraite de l’âge de retraite applicable à son grade,

(ii) s’il s’agit d’un contributeur autre qu’un officier, à une annuité immédiate réduite de cinq pour cent multiplié par le moindre des nombres d’années entières obtenus en effectuant les soustractions suivantes :

                (A) vingt-cinq ans moins la durée de son service dans la force régulière,

                (B) l’âge de retraite applicable à son grade moins son âge au moment de sa retraite;

 

 

 

[…]

 

17. (1) A contributor who

 

 

(a) has not reached retirement age,

 

(b) is not serving for an indefinite period of service,

(c) ceases to be a member of the regular force after having completed an intermediate engagement, and

(d) has served in the regular force for at least twenty years,

is entitled to an immediate annuity.

 

18. (1) A contributor who is compulsorily retired from the regular force by reason of having become disabled is entitled to a benefit determined as follows 

(a) if he has served in the regular force for less than ten years, he is entitled to

 

(i) a return of contributions, or

 

(ii) a cash termination allowance, whichever is the greater; and

 

(b) if he has served in the regular force for ten or more years, he is entitled to an immediate annuity.

 

2) A contributor who, not having reached retirement age, is compulsorily retired from the regular force to promote economy or efficiency is entitled to a benefit determined as follows :

(a) if he has served in the regular force for three years or less, he is entitled to a return of contributions;

 

(b) if he has served in the regular force for more than three years but less than ten years, he is entitled to

 

(i) a return of contributions, or

 

(ii) a cash termination allowance, whichever is the greater;

(c) if he has served in the regular force for ten or more years but less than twenty years, he is entitled, at his option, to

(i) a return of contributions,

 

(ii) a deferred annuity, or

(iii) with the consent of the Minister, an immediate annuity reduced until such time as he reaches sixty-five years of age but not thereafter, by five per cent for each full year not exceeding six by which

 

 

                (A) the period of his service in the regular force is less than twenty years, or

 

                (B) his age at the time of his retirement is less than the retirement age applicable to his rank, whichever is the lesser; and

 

 

(d) if he has served in the regular force for twenty or more years, he is entitled to an immediate annuity.

(3) and (4) [Repealed, 1999, c. 34, s. 130]

 

19. (1) A contributor who, not having reached retirement age, ceases to be a member of the regular force for any reason other than a reason described in subsection 17(1) or (2) or 18(1), (2) or (4) is, except as provided in section 20, entitled to a benefit determined as follows :

[…]

 

(c) if he has served in the regular force for twenty or more years but less than twenty-five years, he is entitled,

(i) in the case of an officer, to an immediate annuity reduced by five per cent for each full year by which his age at the time of his retirement is less than the retirement age applicable to his rank, or

 

(ii) in the case of a contributor other than an officer, to an immediate annuity reduced by five per cent for each full year by which

 

 

 

                (A) the period of his service in the regular force is less than twenty-five years, or

                (B) his age at the time of his retirement is less than the retirement age applicable to his rank,

 

whichever is the lesser; and

 

[…]

 

 

 

 

[14]           Les attributions du CPM sont énoncées à l’article 49 de la LPRFC :

49. (1) Est constitué le Conseil des pensions militaires, composé de trois membres, dont le président, un représentant des Forces canadiennes et un représentant du ministre, nommés par le ministre.

(2) Le Conseil des pensions militaires a pour mission d’établir, dans le cas de tout contributeur retraité de la force régulière, la raison de sa retraite de la force régulière, et, dès qu’il a ainsi établi cette raison, il la certifie par écrit, telle que l’a déterminée le Conseil.

 

 

(3) Il ne peut être versé aucune annuité ou autre prestation selon la présente loi à un contributeur retraité de la force régulière, sauf sur certification écrite, par le Conseil des pensions militaires, de la raison de cette retraite, ainsi que l’a établie le Conseil, et, sur certification de cette raison, le contributeur est présumé, en l’absence de preuve contraire, avoir été retraité de la force régulière pour cette raison.

 

 

 

(4) Les paragraphes (2) et (3) ne s’appliquent dans aucun des cas ni aucune des catégories de cas spécifiés par le Conseil du Trésor.

49. (1) The Minister shall appoint a board, to be known as the Service Pension Board, consisting of a chairman and two other members, one to represent the Canadian Forces and one to represent the Minister.

(2) It is the duty of the Service Pension Board to determine, in the case of any contributor who is retired from the regular force, the reason for the retirement, and the Board shall, on the making of the determination, certify in writing the reason for that retirement as determined by the Board.

 

(3) No payment shall be made of any annuity or other benefit under this Act to a contributor who is retired from the regular force except on certification in writing by the Service Pension Board of the reason for the retirement as determined by the Board, and on the certification thereof the contributor shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have been retired from the regular force for that reason.

 

4) Subsections (2) and (3) do not apply to any case or class of cases specified by the Treasury Board.

 

ANALYSE

Question préliminaire : Dossier pertinent soumis au tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire

[15]           Le défendeur conteste l’admissibilité de plusieurs des pièces annexées à l’affidavit du demandeur et il affirme qu’exception faite des pièces A, E, V, W, X et Y, les pièces restantes :

i)        font double emploi : pièces D, F, G, I, K;

ii)       ne sont pas pertinentes : pièces B, C (résumé soumis au CPM), H, J, M, N, O, Q, R, S, T, U;

iii)     pourraient être pertinentes en ce qui a trait à l’équité procédurale : lettres d’accompagnement des pièces C (pièces à l’appui du résumé) et L (voir le résumé des observations soumises à l’audience par le défendeur au sujet des documents déposés par le demandeur).

 

[16]           Le défendeur réclame la radiation de toutes les autres pièces, de B à U inclusivement, à l’exception des pièces C (pièces à l’appui du résumé), E et L (lettre du secrétaire au demandeur).

 

[17]           Le demandeur a formulé à l’audience ses observations écrites sur cette question. On trouve ce qui suit au paragraphe 2 :

[traduction] À la demande du défendeur, le demandeur précisera que les points énumérés à la page 33, paragraphes 19 (pièce J), 20 (pièce N), 21 (pièce M) et page 34, paragraphes 25 (pièce S) et 27 (pièce U) du dossier du défendeur sont des documents non pertinents qui ont été versés au dossier certifié, et que la pièce W de l’affidavit du demandeur et les pièces énumérées peuvent être radiées du dossier.

 

[18]           Le défendeur attire l’attention de la Cour sur le paragraphe 4 de la décision de mon collègue le juge Gibson dans l’affaire Lemiecha (Tuteur d’instance) c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 24 Imm. L.R. (2d) 95, [1993] A.C.F. no 1333 (C.F. 1re inst.) (QL) :

Il est bien établi en droit que le contrôle judiciaire d’une décision que rend un office, une commission ou un autre tribunal d’instance fédérale doit être fondé sur les éléments de preuve dont le décisionnaire était saisi. Il est évident que la date du rapport du DNewhouse était postérieure à celle de la décision en question et que ce document est donc un élément de preuve dont le décisionnaire n’était pas saisi. J’ai maintenu cette objection. Le contrôle judiciaire a donc été fondé uniquement sur les éléments de preuve soumis au décisionnaire.

 

 

[19]           J’ai examiné attentivement l’affidavit du demandeur ainsi que toutes les pièces qui y sont jointes, de A à Y. Je conclus que la vaste majorité de ces documents font double emploi et qu’ils se retrouvent dans plusieurs des pièces et même, qu’ils sont répétés plusieurs fois dans la même pièce. Par exemple, dans la pièce B, le demandeur expose tous ses antécédents médicaux au sein de l’armée, ce qui couvre une période de plus d’une vingtaine d’années et comprend toute la période de son service au sein des forces armées. Dans les documents en question, le demandeur fournit des copies de diverses consultations médicales qui n’ont absolument rien à voir avec ses migraines, son anxiété ou sa fatigue de la nuque, les maux qui sont à l’origine de sa demande.

 

[20]           Le demandeur a soumis au CPM un résumé des 33 points médicaux pertinents et je conclus donc que les 189 autres points que l’on trouve dans la pièce B dans son ensemble (tels que la grippe, une verrue au-dessus de l’articulation du petit doigt de la main droite, une blessure à un pied, etc.) ne sont pas pertinents dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Ils sont radiés du dossier soumis à la Cour.

 

[21]           Je sais que le demandeur n’est pas représenté par un avocat, mais je dois néanmoins retenir les objections soulevées par le défendeur.

 

Le CPM a-t-il contrevenu aux principes de l’équité procédurale?

Norme de contrôle

[22]           Dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056; [2006] 3 R.C.F. 392 (C.A.F.) (QL), la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’il y a une distinction entre le contrôle judiciaire découlant d’un manquement aux principes d’équité procédurale et la norme de contrôle qui s’applique dans d’autres types de contrôle sur le fond. L’analyse pragmatique et fonctionnelle prescrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, ne s’applique pas aux questions de procédure, qui sont assimilées à des questions de droit dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Sketchley, aux paragraphes 40 à 85).

 

[23]           L’équité procédurale n’est pas absolue. Ainsi que la juge L’Heureux-Dubé l’a dit dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, les obligations imposées par l’obligation d’équité procédurale dépendent des circonstances de chaque cas. Le tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire doit tenir compte d’une liste non exhaustive de facteurs pour déterminer le degré applicable d’équité procédurale. Voici comment le défendeur résume ces facteurs :

i)        la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, c’est-à-dire « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire »;

ii)       la nature du régime législatif;

iii)     l’importance de la décision pour la personne visée;

iv)     les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

v)      le choix de procédure que l’organisme fait lui‑même.

 

 

i)          Nature de la décision

[24]           C’est à l’article 49 de la LPRFC qu’est précisée la nature du processus suivi par le CPM pour parvenir à sa décision. Le CPM est composé de trois personnes, dont le rôle consiste à recevoir les éléments de preuve des demandeurs qui cherchent à faire réexaminer la raison de leur retraite. Le tribunal examine la preuve et décide si elle constitue une « preuve contraire » au sens du paragraphe 49(3) de la LPRFC en ce qui concerne la raison existante de la retraite du membre concerné.

 

[25]           La procédure suivie par le CPM ne se rapproche nullement du modèle de procédure contradictoire. Il n’y a pas de témoins, pas de plaidoiries et pas d’audience. Chacun des membres qui composent le tribunal examine séparément la preuve soumise et en arrive à sa propre décision. Ce n’est qu’alors que les membres comparent leur décision respective et en discutent pour en arriver à une conclusion commune.

 

[26]           Appliquant ce premier facteur aux faits de la présente affaire, je conclus que le CPM a respecté le caractère discrétionnaire de sa procédure. Ainsi qu’en font foi les lettres d’accompagnement jointes comme pièces E et L, le CPM a donné amplement la possibilité au demandeur de lui soumettre des éléments de preuve (lettre d’accompagnement de la pièce E), en plus de lui permettre de formuler ses observations au sujet d’une copie du Résumé de carrière établi par le directeur de l’Administration et gestion des ressources (carrières militaires) (le DAGRCM). Cette procédure a été adoptée en janvier 2003 pour assurer une plus grande équité procédurale aux personnes qui saisissent le CPM de demandes de réexamen (lettre d’accompagnement, pièce L).

 

ii)         Nature du régime législatif

[27]           La LPRFC ne comporte pas de clause privative. La loi ne prévoit pas non plus de mécanisme d’appel permettant de faire réviser les décisions du CPM. Néanmoins, il n’y a pas de limites au nombre de fois où l’on peut soumettre des éléments de preuve à l’examen du CPM. Le demandeur a d’ailleurs formulé des observations à deux reprises : la première fois, le 5 décembre 2004, et la seconde fois, le 12 janvier 2005, après avoir été invité par le CPM à formuler d’autres observations. De plus, la décision du CPM est susceptible d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Je conviens d’accord avec le défendeur que toutes ces protections laissent entrevoir qu’on a affaire à des protections procédurales plus faibles.

 

iii)        Importance de la décision pour la personne visée

[28]           Il n’y a aucun doute que la décision procurerait des avantages économiques non négligeables au demandeur surtout si, comme il le réclame, on rend rétroactive à 1994 la décision de modifier la raison de sa retraite (en remplaçant « autres motifs » par « invalidité lors de la libération »). Outre le gain inespéré qu’il réaliserait dans un premier temps, le demandeur verrait probablement aussi augmenter le montant de sa pension. Il importe toutefois de souligner que les prestations de pension du demandeur continueront à lui être versées même si la raison de sa retraite n’est pas modifiée. De plus, le demandeur a un emploi rémunéré et il reçoit aussi une pension d’invalidité du ministère des Anciens combattants. Je conviens avec le défendeur que ce troisième facteur conduit à une protection procédurale accrue mais qu’il ne lui permet pas d’atteindre le niveau le plus élevé, contrairement à ce qui serait le cas si la vie ou le gagne-pain de la personne visée étaient en jeu par suite de la décision (Canada (Procureur général) c Fetherston, 2005 CAF 111, [2005] A.C.F. no 544 (C.A.F.) (QL), Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, et McTague c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1559 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

iv)        Attentes légitimes de la personne qui conteste la décision

[29]           Le demandeur a présenté sa demande de réexamen au CPM plus d’une dizaine d’années après sa retraite. Il s’est vu remettre une copie de son résumé de carrière et il a répondu à l’invitation du CPM de soumettre à son examen d’autres observations. Le secrétaire du CPM a examiné les observations en question et a soumis les documents pertinents à l’examen du CPM.

 

[30]           J’estime qu’en examinant les observations du demandeur et en retirant au besoin tous les documents non pertinents, le secrétaire a anéanti les attentes légitimes du demandeur suivant lesquelles le Conseil examinerait au complet ses observations. Dans les cas où une perosnne ou un organisme joue le rôle de gardien, il n’est pas illégitime de s’attendre à une protection plus grande en matière d’équité procédurale.

 

[31]           J’estime toutefois qu’eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, si l’on fait exception de l’omission du résumé des antécédents médicaux du demandeur contenu dans la pièce C de son affidavit, la preuve soumise au CPM par le secrétaire renfermait tous les documents pertinents énumérés dans la copie certifiée qui a été annexée comme pièce C à l’affidavit du demandeur (paragraphe 18, affidavit souscrit le 31 mars 2006 par Gordon Duncan, major des Forces armées canadiennes travaillant aux Services de consultation juridique du ministère de la Défense nationale et secrétaire désigné du Conseil des pensions militaires).

 

v)                  Choix de procédure que l’organisme fait lui‑même

[32]           Une lecture attentive de la loi et, en particulier, de l’article 49 de la LPRFC révèle que le législateur n’a donné au CPM aucun point de repère sur la procédure qu’il doit suivre pour s’acquitter de ses fonctions. Le silence de la loi sur ce point est d’or. Le CPM demeure maître de sa propre procédure et il n’est tenu que d’examiner la preuve et de se demander si elle justifie la modification de la décision qui a été prise au sujet de la raison de la retraite. Or, je crois que c’est précisément ce que le CPM a fait en l’espèce.

 

[33]           Une fois ces cinq facteurs appliqués aux faits de l’espèce, la Cour estime qu’on a affaire à un degré moins élevé d’équité procédurale et que le CPM n’a pas manqué à cette obligation au point de nier au demandeur son droit fondamental à l’équité procédurale.

 

Le CPM a-t-il commis une erreur en décidant de confirmer la raison de la retraite du demandeur?

Norme de contrôle

[34]           Pour déterminer la norme de contrôle applicable à une question de fond dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dr. Q, précité, invite le tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire à appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle en soupesant les quatre facteurs suivants :

 

i)          la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel

[35]           Ainsi que nous l’avons déjà expliqué dans les présents motifs de jugement (au paragraphe 27), la loi ne comporte ni clause privative ni mécanisme d’appel permettant de faire réviser les décisions du CPM. Ce facteur est donc neutre.

 

ii)                  l’expertise du tribunal

[36]           Le LPRFC confère au CPM le pouvoir d’examiner les éléments de preuve soumis par d’anciens membres des forces armées qui cherchent à faire modifier la raison de leur retraite. Les membres du CPM sont désignés par le ministre de la Défense nationale (MDN) et comprennent un président neutre, un représentant du MDN et un représentant des Forces canadiennes (FC). Les membres du CPM se réunissent environ toutes les six ou sept semaines. Les membres se sont rencontrés à sept reprises et ont tranché 432 cas au cours de l’année comprise entre avril 2002 et avril 2003 (affidavit du demandeur, pièce V, pages 3 à 5).

 

[37]           J’accepte l’avis qu’a exprimé le défendeur au paragraphe 105 (mémoire des faits et du droit) et suivant lequel l’expertise du CPM est propre au domaine militaire. Ce facteur commande donc un degré élevé de retenue judiciaire en ce qui concerne les décisions du CPM.

 

iii)                l’objet de la loi et de la disposition particulière

[38]           La LPRFC a pour objet de pourvoir à la pension de retraite des membres des Forces canadiennes (préambule de la LPRFC). Les raisons de la retraite sont tributaires des faits et elles déterminent les prestations payables au membre qui prend sa retraite. Ce facteur commande moins de retenue de la part de la Cour.

 

iv)                la nature de la question

[39]           La véritable question que le CPM était appelé à trancher était celle de savoir si le demandeur aurait dû être obligatoirement mis à la retraite pour cause d’invalidité en 1994. Il s’agit d’une question purement factuelle, de sorte que la Cour est tenue de faire preuve de la plus grande retenue en ce qui concerne la décision contestée du CPM.

 

[40]           Suivant l’analyse pragmatique et fonctionnelle, la Cour adopte la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

 

Le CPM a-t-il commis une erreur dans sa décision?

[41]           Selon la norme de contrôle applicable, la Cour n’interviendra dans la présente décision que si le demandeur démontre que la décision du CPM est manifestement déraisonnable. Or, le demandeur n’a pas fait cette preuve.

 

[42]           Il était raisonnablement loisible au Conseil de conclure, en se fondant sur la preuve dont il disposait, que le profil du demandeur au moment de sa libération était le G202 et que les personnes chargées de procéder à l’examen administratif en mars 2004 avaient conclu que les limitations d’emploi médicales qui auraient été applicables en 1994 étaient appropriées, compte tenu des normes en vigueur à l’époque. Il n’était pas manifestement déraisonnable de la part du CPM de conclure que le demandeur n’aurait pas été libéré pour des raisons d’ordre médical en 1994 parce que le CPM a estimé qu’il ne souffrait en 1994 d’aucun problème médical permanent qui l’aurait rendu inapte, sur le plan mental ou physique, à s’acquitter de ses fonctions comme membre des Forces canadiennes. Le demandeur n’a pas été mis obligatoirement à la retraite du fait qu’il était devenu invalide. Le demandeur a plutôt pris sa retraite pour des raisons d’ordre économique pour poursuivre une carrière au sein de la fonction publique de la Colombie-Britannique. Dans ces conditions, il n’était pas manifestement déraisonnable pour le CPM de confirmer que la retraite du demandeur était « attribuable à d’autres raisons », comme le prévoit le paragraphe 19(1).

 

 

                                                                                                                                               


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                         T-2198-05

 

INTITULÉ :                                                        STEPHEN G. HITCHCOCK

                                                                             c.

                                                                             PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Vancouver (Colombie Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                Le 19 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                       Le 9 novembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen G. Hitchcock                                           POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)                                     

 

Vladena Hola                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stephen G. Hitchcock                                           POUR LE DEMANDEUR

Duncan (Colombie-Britannique)

 

John Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

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