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Date : 20061108

Dossier : T-231-06

Référence : 2006 CF 1351

Winnipeg (Manitoba), le 8 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

KEITH W. SCHULTZ

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Keith Schultz, le défendeur, estime qu'il a le droit de recevoir des prestations d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Le demandeur affirme pour sa part que M. Schultz n'est pas admissible à des prestations d'invalidité, par application des dispositions du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC).

 

[2]               Le 27 août 2003, M. Schultz a présenté une demande de prestations d'invalidité en vertu du RPC au motif qu'il était devenu incapable de travailler en raison des diverses blessures qu'il avait subies le 14 novembre 1986. (Sa première demande, qui n’est pas pertinente en l'espèce, a été refusée.) Dans une décision datée du 12 janvier 2004, un fonctionnaire agissant comme délégué du ministre du Développement des ressources humaines du Canada (maintenant appelé ministre du Développement social du Canada et ci-après appelé le ministre) a refusé sa demande. Sa demande de révision a également été refusée (décision du 2 avril 2004). M. Schultz a alors interjeté appel devant le tribunal de révision en vertu du paragraphe 82(1) du RPC. Dans une décision datée du 15 février 2005, le tribunal de révision a rejeté l'appel de M. Schultz. Ainsi qu'il en avait le droit en vertu du paragraphe 83(1) du RPC, M. Schultz a alors présenté à la Commission d'appels des pensions (la CAP) une demande d'autorisation d'interjeter appel de cette décision. Dans sa décision du 1er décembre 2005, la CAP a fait droit à la demande d'autorisation. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision accordant au défendeur l'autorisation d'interjeter appel au motif que :

 

  • la CAP a appliqué un critère erroné pour accorder l'autorisation;

 

  • il n'y a pas de cause défendable étant donné que M. Schultz n'a soumis à la CAP aucun élément de preuve susceptible d'établir son droit à des prestations d'invalidité.

 

 

[3]               M. Schultz n'a pas déposé d'observations et il n'a pas participé à la présente instance en contrôle judiciaire. Il a reçu signification des observations du demandeur et il s'est vu offrir la possibilité de participer aux débats par téléphone. Toutes les tentatives qui ont été faites pour entrer en communication avec lui tant avant qu'après le début de l'audience ont échoué. Dans ces conditions, j'ai décidé que l'audience devait se dérouler malgré l'absence de M. Schultz.

 

Questions en litige

 

[4]                Les questions litigieuses que je dois trancher sont les suivantes :

  1. La CAP a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour accorder l'autorisation d'en appeler?

 

  1. Vu l'ensemble de la preuve qui lui avait été soumise, la CAP a-t-elle rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

 

 

Analyse

 

Norme de contrôle

 

[5]               La décision de la CAP d'accorder l'autorisation demandée est une décision éminemment discrétionnaire. Cette décision doit donc être confirmée sauf dans des cas très restreints (voir l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 44 N.R. 354, 137 D.L.R. (3d) 558, et la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)). La Cour ne doit intervenir, selon le cas, que si : a) la CAP a commis une erreur de droit; b) la conclusion de la CAP que le défendeur « peut » avoir une cause défendable était abusive ou a été tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

 

Première question : La CAP a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant un critère erroné pour accorder l'autorisation d'en appeler?

 

[6]               En plus de devoir décider si M. Schultz avait déposé sa demande d'autorisation d'interjeter appel dans le délai prescrit de 90 jours, la CAP devait examiner les observations qui lui étaient soumises. Bien que l'article 83 du RPC ne définisse pas le critère à appliquer pour accorder l'autorisation d'interjeter appel, on peut raisonnablement présumer que l'appelant qui sollicite cette autorisation doit être en mesure d'établir qu'il a des arguments défendables à faire valoir. En d'autres termes, la CAP dispose-t-elle d'éléments de preuve qui permettent de conclure que M. Schultz a le droit de recevoir des prestations d'invalidité en vertu du RPC?

 

[7]               Dans sa décision, la CAP a conclu que M. Schultz [traduction] « peut avoir une cause défendable ». Le demandeur affirme que la CAP a appliqué un critère erroné pour accorder l'autorisation demandée. Suivant le demandeur, il ne s'agit pas de savoir si M. Schultz « peut avoir » une cause défendable, mais bien celui de savoir s'il « a » effectivement une cause défendable. À mon avis, le choix du mot « peut » est regrettable. Mais il ne suffit pas à lui seul à m'amener à conclure qu'une erreur a été commise.

 

[8]               J'ai toutefois de sérieuses réserves en ce qui concerne les motifs de la CAP. Hormis la simple affirmation que M. Schultz « peut avoir » une cause défendable, on n'y trouve pas la moindre analyse. La CAP ne mentionne aucune décision antérieure et elle n'analyse pas les éléments de preuve complémentaires soumis par M. Schultz. Or, le dossier soumis à la CAP renfermait des arguments fouillés sur la question de savoir pourquoi M. Schultz n'avait pas légalement droit à des prestations d'invalidité. Le défaut de la CAP de prendre acte de ces éléments de preuve, qui portaient sur le bien-fondé de la demande de M. Schultz, est troublant. Il me semble que, lorsqu'on s'interroge sur l'opportunité d'accorder une telle autorisation, la question la plus importante à laquelle on droit répondre est celle de savoir s'il existe une cause défendable. Le critère n'est pas exigeant, mais la CAP doit à tout le moins aborder la question. En l'espèce, je ne suis pas persuadée que la CAP s'est penchée sur cette question cruciale. Peu importe la norme de contrôle que l'on applique, cette omission d'aborder la question qui était soumise à la CAP justifie amplement l'annulation de sa décision.


 

Deuxième question : la CAP a-t-elle rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

 

[9]               Il n'est pas contesté que M. Schultz a versé des cotisations valides au RPC au cours des années 1967, 1968, 1971, 1972, 1975 et 1983. Du fait de la constance de ses cotisations, il est également acquis que, pour réclamer des prestations d'invalidité en vertu du RPC, M. Schultz devait être en mesure de démontrer qu'il souffrait d'une invalidité grave et prolongée depuis au moins septembre 1976. Compte tenu de l'économie de la loi, je suis convaincue que cette interprétation des dispositions du RPC est juste.

 

[10]           La preuve soumise au ministre et au tribunal de révision à l'appui des demandes antérieures permet de conclure que M. Schultz n'était pas invalide en 1976. Voilà, en résumé, la raison essentielle pour laquelle sa demande de prestations a été refusée tant par le ministre que, en appel, par le tribunal de révision. Ainsi, la seule façon pour M. Schultz de démontrer à la CAP qu'il est admissible à des prestations d'invalidité en vertu du RPC consisterait pour lui à soumettre à l'appui de sa demande d'autorisation d'interjeter appel des éléments de preuve démontrant qu'il est invalide sans interruption depuis 1976.

 

[11]           Je passe maintenant aux éléments de preuve que M. Schultz a soumis à la CAP. Dans sa demande d'autorisation datée du 13 juillet 2005, il explique ce qui suit [traduction] : « Je m'occupais de mes parents, qui avaient plus de 65 ans en 1976 et, en raison des blessures que j'avais subies, je n'étais pas en mesure de travailler à temps plein ». Le 27 septembre 2005, il a formulé des observations complémentaires dans lesquelles il a décrit son « invalidité » sans toutefois donner de détails sur le moment où il lui est devenu impossible de travailler en raison des symptômes évoqués. Voici un extrait d'une lettre d'un médecin :

 

[traduction] M. Keith Schultz souffre d'une arthrite découlant d'une fracture au pied, ainsi que d'une blessure chronique à l'épaule.

 

Il a du mal à effectuer quelque tâche physique que ce soit à cause de la douleur. À part son arthrite, il jouit dans l'ensemble d'une bonne santé.

 

 

[12]           En résumé, il n'y a absolument rien dans les observations de M. Schultz qui lui permette d'affirmer qu'il était invalide en 1976. En fait, la preuve soumise à la CAP indique le contraire. Ainsi, M. Schultz a travaillé et a versé des cotisations au Régime de pensions du Canada en 1983. Suivant les éléments de preuve qu'il a lui-même présentés dans le questionnaire relatif aux prestations d'invalidité qu'il a rempli en août 2003, il a travaillé comme menuisier de 1971 jusqu'au 14 novembre 1986.

 

[13]           Outre les contradictions relevées avec ses éléments de preuve antérieurs, la demande de M. Schultz est mal fondée, car l'incapacité de travailler à temps plein ne constitue pas nécessairement une invalidité au sens du RPC. La lettre du médecin n'ajoute rien à sa demande.

 

[14]           Ainsi, la preuve soumise à la CAP démontre de façon évidente que M. Schultz est devenu invalide (si tant est qu'il est invalide – une question à laquelle il n'est pas nécessaire de répondre) au plus tôt en 1986. Il s'ensuit qu’en décidant qu'il existait des arguments défendables permettant de soutenir que M. Schultz était invalide sans interruption depuis 1976, la CAP a rendu une décision tout simplement arbitraire ou n'a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait.

 

Conclusion

 

[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Le demandeur ne réclame pas de dépens.

 

 

¸

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision accordant l'autorisation d'interjeter appel est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission d'appel des pensions pour être examinée par un autre membre.

 

  1. Il n'y a pas d'adjudication de dépens.

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        T-231-06

 

INTITULÉ :                                                       Procureur général du Canada

                                                                            c.

                                                                            Keith W. Schultz

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                               le 8 novembre 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                     le 8 novembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tania Nolet

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

PERSONNE N'A COMPARU                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                       POUR LE DEMANDEUR

 

PERSONNE N'A COMPARU                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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