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Date : 20061110

Dossier : IMM‑6815‑05

Référence : 2006 CF 1363

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

AVRIL DANNETT

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

LA DEMANDE

 

[1]               Par cette demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 27 octobre 2005, qui lui a refusé le statut de réfugiée au sens de la Convention et le statut de personne à protéger.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une Guyanienne âgée de 63 ans. Elle a travaillé comme infirmière durant 34 ans et vit de sa pension de retraite depuis 1998.

 

[3]               La demanderesse a trois fils, dont deux résident au Canada. Elle dit qu’elle‑même et ses fils [traduction] « formaient une famille très unie » et que ses fils « ont été complimentés pour leur remarquable sens civique même si [elle] les a élevés en tant que mère célibataire ».

 

[4]               En 2001, la demanderesse a subi un accident cérébrovasculaire et fut amputée de la jambe droite. Après son congé de l’hôpital en août 2001, son fils cadet est allé vivre auprès d’elle. La demanderesse dit que, alors qu’elle [traduction] « espérait son aide et son soutien », elle a plutôt été « révoltée par son comportement ». Plus exactement, la demanderesse fait les affirmations suivantes dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) à propos de son fils cadet :

 

[traduction]

a)                  « Mon fils voit mon incapacité à me déplacer et le fait pour moi de dépendre constamment de lui comme un moyen de me punir et de m’extorquer de l’argent »;

b)                  « Lorsque j’ai défié mon fils, il s’est mis à me tenir des propos injurieux et à me rudoyer […] »;

c)                  « Je n’avais plus d’argent et de nourriture dans la maison parce qu’il s’était mis à me prendre l’argent de ma retraite »;

d)                  « Je n’ai pas accès à mon téléphone, et il avait l’habitude de débrancher le fil pour que je ne puisse communiquer avec personne »;

e)                  « En raison de sa relation avec certains agents des forces de l’ordre, mes plaintes sont souvent ignorées »;

f)                    « Presque chaque jour, il menace de me tuer, surtout si je me plains auprès de la police ou de mes amis »;

g)                  « Il m’enlève mes médicaments et les cache pour m’empêcher de les prendre »;

h)                  « Il me torture de toutes les façons et autant qu’il en a envie, et il me menace tout le temps ».

 

[5]               La demanderesse reconnaît que son plus jeune fils ne l’a jamais physiquement blessée.

 

[6]               Elle dit que l’un de ses autres fils, qui vit au Canada, l’a invitée à son mariage. Elle dit dans son FRP que [traduction] « lorsque j’ai obtenu mon visa, j’ai été tourmentée et menacée à propos de ce que je pouvais ou ne pouvais pas dire à mes fils à mon arrivée au Canada. Il m’a dit qu’il lui faudrait me tuer et m’empêcher de partir ».

 

[7]               La demanderesse, qui se déplace en fauteuil roulant, dit qu’elle s’est organisée pour partir en profitant d’une absence de son plus jeune fils.

 

[8]               La demanderesse est arrivée au Canada le 23 juin 2004. Elle a demandé l’asile plus de sept mois plus tard, le 2 février 2005, en alléguant une crainte de persécution fondée sur son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes en position de vulnérabilité au Guyana qui craignent pour leur vie à cause des menaces que profère contre elles un fils adulte pour obtenir d’elles de l’argent. Elle réclame aussi une protection contre le risque de mort ou le risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités, ainsi qu’une protection contre la torture.

 

[9]               Elle affirme tout cela même si elle reconnaît que son plus jeune fils ne l’a jamais physiquement blessée.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[10]           L’audience sur le statut de réfugié a eu lieu le 5 août 2005. La demanderesse se représentait elle‑même. Le président de l’audience a précisé dès le départ que [traduction] « je ne crois pas qu’il existe un lien dans cette affaire… Je ne crois pas qu’il existe une appartenance à un groupe social… Nous devons nous concentrer sur… les traitements ou peines cruels et inusités ainsi que sur la possibilité de torture ». L’agent de protection des réfugiés a souscrit à cette approche.

 

[11]           La Commission a rejeté la demande d’asile. Tout en reconnaissant qu’elle avait « probablement néanmoins été victime de violence à l’égard des personnes âgées et de mauvais traitements, ce qui est très triste », elle a conclu que les violences ne présentaient cependant « aucun lien avec l’un ou l’autre des motifs prévus dans la Convention et [que] il ne s’agit pas de persécution ». S’agissant du peu d’empressement de la demanderesse à solliciter l’asile, la Commission a relevé que « ce retard témoigne d’une absence de peur subjective de persécution » et en a déduit que la protection recherchée par la demanderesse n’était pas pour elle une priorité.

 

[12]           Se fondant sur sa conclusion selon laquelle la demanderesse « ne craint pas avec raison d’être persécutée », et sur sa conclusion selon laquelle « l’État assure, au Guyana, une protection suffisante », la Commission a estimé qu’« il n’existe pas plus qu’une simple possibilité qu’elle soit exposée à un préjudice grave au Guyana […] ».

 

[13]           La Commission a aussi estimé que le témoignage de la demanderesse avait été « problématique et incohérent » parce qu’« elle a fait plusieurs déclarations au sujet du comportement de son fils, mais un prêtre venait lui rendre visite une fois par mois, et il y avait des amis et des parents. Si sa situation était aussi pénible qu’elle le dit, ils s’en seraient rendu compte ou elle aurait pu leur en parler ».

 

LES POINTS EN LITIGE

 

[14]           La demanderesse allègue les erreurs suivantes, dont elle dit qu’elles sont susceptibles de contrôle :

1.                  La Commission a commis une erreur de droit quand elle a dit que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention au motif qu’elle n’avait pas réussi à prouver l’impossibilité pour elle d’obtenir la protection de l’État, au Guyana;

2.                  La Commission a commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas référée expressément à la preuve documentaire dont elle était saisie et qui concernait la protection offerte par l’État au Guyana, se fondant uniquement sur la jurisprudence pour savoir si en réalité l’État guyanien offrait une protection suffisante;

3.                  La Commission a commis une erreur susceptible de contrôle pour s’être simplement demandé s’il existait au Guyana un cadre légal et procédural de protection, sans chercher à savoir également si l’État, par l’entremise de la police, était disposé à appliquer effectivement le cadre en question;

4.                  La Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte du témoignage crédible de la demanderesse selon lequel elle ne croyait pas que la police faisait des efforts suffisants pour la protéger;

5.                  La Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas motivé sa conclusion selon laquelle le témoignage de la demanderesse était problématique et incohérent, comme elle l’écrivait au paragraphe 3 de la page 3 de sa décision. L’absence de motifs appuyant cette conclusion constitue une erreur susceptible de contrôle;

6.                  La Commission a commis une erreur quand elle a dit qu’il n’y avait aucun lien entre la crainte de la demanderesse et les motifs prévus par la Convention;

7.                  La Commission a commis une erreur en refusant de croire la demanderesse parce qu’elle avait attendu jusqu’à sept mois après son arrivée pour présenter une demande d’asile. La Commission n’a pas tenu compte des raisons données par la demanderesse pour expliquer sa lenteur à agir et elle n’a pas non plus dit pourquoi elle n’acceptait pas l’explication de la demanderesse;

8.                  La Commission a commis une erreur en disant que la demanderesse ne serait pas exposée à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des peines cruelles ou inusitées si elle devait retourner au Guyana. Elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments dont elle était saisie. L’ensemble de la preuve qui a été présentée au cours de l’audience suffisait à montrer que, suivant la prépondérance de la preuve, la demanderesse serait exposée à un risque réel de persécution ou à une menace pour sa vie.

 

 

LES ARGUMENTS

 

            La demanderesse

 

[15]           Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur de droit parce qu’elle a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve documentaire concernant la protection offerte par l’État au Guyana. La demanderesse fait plutôt valoir que la Commission s’est fondée uniquement sur la jurisprudence pour énoncer sa conclusion relative à la protection offerte par l’État.

 

[16]           La demanderesse soutient par ailleurs que la Commission a commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas demandé si, malgré l’existence au Guyana d’un cadre législatif et procédural de protection, l’État est disposé, par l’entremise de la police, à mettre véritablement à exécution ce cadre de protection.

 

[17]           S’agissant de la protection offerte par l’État, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte de son témoignage selon lequel elle ne croyait pas que la police se souciait véritablement de la protéger.

 

[18]           La demanderesse fait aussi valoir que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas motivé sa conclusion selon laquelle le témoignage de la demanderesse était problématique et incohérent.

 

[19]           S’agissant de la conclusion de la Commission selon laquelle il n’existait aucun lien avec un motif prévu par la Convention, la demanderesse soutient qu’elle a produit une preuve qui montrait qu’elle était persécutée au Guyana parce qu’elle était une femme en position de vulnérabilité qui craignait pour sa vie en raison des menaces que son fils adulte proférait contre elle pour obtenir de l’argent, et elle dit que cela constitue une appartenance à un groupe social.

 

[20]           Selon la demanderesse, la Commission n’a pas tenu compte des raisons légitimes invoquées par elle pour expliquer sa lenteur à demander l’asile, et elle n’a pas dit pourquoi elle n’acceptait pas l’explication qu’elle avait donnée à ce sujet.

 

[21]           Finalement, la demanderesse dit que, si l’on évalue l’ensemble de son témoignage suivant la prépondérance de la preuve, la Commission a commis une erreur en refusant d’admettre que la demanderesse serait exposée à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des peines cruelles ou inusitées si elle était renvoyée au Guyana.

 

Le défendeur

 

[22]           Selon le défendeur, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son obligation de prouver l’absence d’une protection étatique, compte tenu que le Guyana est une démocratie dotée d’un système politique et d’un système judiciaire adéquats. La demanderesse était tenue de prouver, d’une manière claire et convaincante, que l’État guyanien n’est pas en mesure de la protéger; on ne s’attend pas à ce qu’un gouvernement démocratique soit en mesure de protéger tous ses citoyens à tout moment.

 

[23]           Le défendeur ajoute que, selon la preuve documentaire, le Guyana s’efforce d’appliquer des mesures pour éradiquer la violence contre les femmes, ainsi que des mesures pour instituer des sanctions et des recours en la matière.

 

[24]           Le défendeur déclare aussi que l’indifférence de la police devant la violence dont la demanderesse se dit victime est un cas isolé et non pas la conséquence d’une politique officielle au Guyana. L’absence occasionnelle d’une protection étatique ne signifie pas nécessairement que l’État n’offre aucune protection.

 

[25]           La position du défendeur quant à la protection étatique est qu’il est loisible à la Commission de dire s’il existe ou non une telle protection en prenant en compte l’existence d’organisations autres que la police ou le système judiciaire. Au Guyana, il existe une communauté dynamique composée d’organisations non gouvernementales et de groupes de défense des droits des femmes qui ont pour mission la protection des femmes en difficulté. Il n’est pas établi que la demanderesse a recherché l’aide de telles organisations.

 

[26]           Le défendeur fait valoir en somme qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. La question de l’existence d’une protection étatique est par ailleurs une question de fait qui appelle un niveau élevé de retenue.

 

[27]           Selon le défendeur, la Cour n’est saisie d’aucun élément montrant que la Commission n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qu’on lui a présenté. La demanderesse n’a pas réfuté la présomption selon laquelle la Commission a apprécié et considéré toute la preuve produite. La Commission n’est pas tenue de mentionner chacune des pièces produites.

 

[28]           Le défendeur dit aussi que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité n’étaient pas manifestement déraisonnables, et il ajoute que la protection étatique est ici le point déterminant. Le peu d’empressement de la demanderesse à solliciter l’asile est un aspect dont la Commission est fondée à dire qu’il amoindrit la crainte subjective alléguée par la demanderesse. Le comportement de la demanderesse ne s’accordait pas avec celui d’une personne qui craint subjectivement d’être persécutée.

 

[29]           Selon le défendeur, aucun lien n’a été établi. Les agissements évoqués sont des actes de nature criminelle, qui font penser à une vengeance personnelle, et tout acte criminel ne saurait être considéré automatiquement comme une persécution.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[30]           Je suis arrivé à la conclusion que le point déterminant de la demande de contrôle judiciaire concerne l’existence d’une protection étatique. Une incertitude règne sur la question de savoir quelle norme de contrôle est applicable aux décisions portant sur l’existence d’une telle protection : est‑ce la décision raisonnable ou la décision manifestement déraisonnable? La polémique porte sur la manière de qualifier le point que doit décider la Commission. Dans les précédents où la Cour a conclu qu’il s’agissait d’une question de fait relevant entièrement de la spécialisation de la Commission, c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui a été appliquée : Nawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1255, paragraphe 11, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1449, paragraphe 8, et Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1059.

 

[31]           Cependant, dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, aux paragraphes 9 à 11, la juge  Tremblay‑Lamer, après une analyse pragmatique et fonctionnelle, a estimé que la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable, notamment parce que la nature de la question requiert de dire si le demandeur d’asile a réfuté la présomption d’existence d’une protection étatique, ce qui est une question mixte de droit et de fait. Plusieurs jugements récents ont suivi cette manière de voir et appliqué la norme de la décision raisonnable. Voir par exemple : Resulaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 269, et Robinson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 402, paragraphe 8.

 

[32]           D’après la décision rendue par le juge Kelen dans l’affaire O.O.M.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1618, aux paragraphes 7 et 8, la question de savoir si l’État offre ou non une protection requiert une double analyse. Avant de dire si l’État offre ou non une protection, la Commission doit tirer certaines conclusions de fait, lesquelles pourront être annulées si elles sont manifestement déraisonnables. Les conclusions de fait doivent être évaluées d’après le critère juridique de l’existence d’une protection étatique, critère qui fait intervenir une question mixte de droit et de fait, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable.

 

[33]           En l’espèce, la notion de protection de l’État semble comporter deux questions distinctes. D’abord, la demanderesse soutient que la Commission s’est abstenue de considérer la totalité de la preuve. Cet aspect est une question de fait et la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cependant, la demanderesse fait aussi valoir que la Commission n’a pas cherché à savoir si, au vu de la preuve, la protection étatique va au‑delà d’un cadre simplement législatif et procédural. Il faut donc se demander ce que signifie en droit la notion de protection étatique, une question qui requiert l’application de la norme de la décision raisonnable.

 

L’ANALYSE

 

[34]           La demanderesse a soulevé plusieurs points, que j’ai examinés attentivement, mais le point déterminant est celui de savoir si l’État guyanien lui offre une protection. Si la conclusion de la Commission en la matière n’est pas entachée d’une erreur susceptible de contrôle, alors les autres motifs exposés par la Commission ne sauraient à eux seuls justifier l’annulation de sa décision.

 

[35]           La Commission a rejeté la demande d’asile parce que la demanderesse n’avait pas réussi à prouver qu’elle ne pouvait pas obtenir une protection de l’État. Il n’est pas contesté que le Guyana est une démocratie dotée d’un système politique et d’un système judiciaire adéquats. Dans ces conditions, la preuve que devait apporter la demanderesse était d’un niveau élevé, et la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en disant que la demanderesse n’avait pas apporté une telle preuve.

 

[36]           La Commission a analysé la question de la protection étatique en se référant aux bons principes juridiques. Puisqu’il n’y avait pas effondrement complet de l’appareil étatique, la demanderesse devait apporter une preuve claire et convaincante que l’État était incapable de la protéger : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1. D’ailleurs, même un État démocratique n’est pas tenu d’être en mesure de protéger ses citoyens à tout moment : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232, 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.).

 

[37]           La violence domestique est illégale au Guyana. La preuve documentaire montre que les autorités guyaniennes s’emploient, à plusieurs niveaux, à éradiquer la violence contre les femmes. Des mesures sont mises en œuvre pour proscrire ces comportements et pour instituer des sanctions et des recours. La Domestic Violence Act 1996, qui a été examinée par la Commission, fait de la violence domestique un acte criminel et donne aux femmes le droit d’obtenir rapidement une protection.

 

[38]           La demanderesse soutient qu’elle s’est heurtée à l’indifférence de la police quand elle s’est adressée à elle, mais il s’agit là d’un cas isolé et non de la politique officielle du Guyana. L’absence occasionnelle d’une protection étatique ne signifie pas nécessairement que telle protection est inexistante. Voir par exemple Kadenko c. Canada(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, 206 N.R. 272; Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, 187 F.T.R. 110 (1re inst.); Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 238 F.T.R. 289, 2003 CF 999; J.C.C. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 534; Quijano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1706.

 

 

[39]           Il était loisible aussi à la Commission de tirer des conclusions sur l’existence ou non d’une protection étatique en mentionnant des organisations autres que la police ou le système judiciaire. Dans la décision Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (10 mars 2001), n° du greffe IMM‑6248‑99 (C.F. 1re inst.), le juge Blais écrivait ce qui suit, aux paragraphes 28 à 30 :

La Commission a conclu que le revendicateur pourrait obtenir… la protection d’autres organismes. La Commission a conclu qu’en ce qui concerne d’autres formes de discrimination plus graves et persistantes, … il y avait tout un réseau d’organismes gouvernementaux et d’organismes subventionnés par le gouvernement… susceptibles de lui venir en aide gratuitement.

 

La preuve a établi que le demandeur n’a jamais tenté d’obtenir de l’aide de l’ombudsman, d’ONG ou par l’entremise de l’autonomie gouvernementale des minorités. Je conclus que la Commission, en exigeant que le demandeur ait cherché à obtenir la protection de toutes ces sources en plus des autorités policières, demandait à ce dernier s’il avait pris des mesures raisonnables en vue d’assurer sa protection.

 

Je conclus que la conclusion que la Commission a tirée en ce qui concerne la question de la protection de l’État était raisonnable…

Voir aussi : Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 281, et Zsuzsanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1206.

 

[40]           Au Guyana, outre les institutions policières et judiciaires auxquelles pouvait recourir la demanderesse, la preuve montre qu’il existe aussi un bon nombre d’ONG et de groupes de défense des droits des femmes dont la principale mission est la protection des victimes de violence domestique. La demanderesse elle‑même mentionne, dans son mémoire, une ONG appelée Help and Shelter. Il n’est pas établi que la demanderesse a cherché à obtenir l’aide de telles organisations.

 

[41]           Ce que la demanderesse voudrait maintenant, c’est que la Cour apprécie à nouveau la preuve portant sur l’existence d’une protection étatique et qu’elle arrive à une conclusion autre que celle de la Commission. Mais il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Le fait que la Commission soit arrivée à un résultat qui n’est pas favorable à la demanderesse ne suffit pas à justifier l’intervention de la Cour.

 

[42]           La Commission reconnaît manifestement dans ses motifs les difficultés que la demanderesse a rencontrées pour obtenir de l’État une protection. Mais la demanderesse n’a apporté aucune preuve claire et convaincante que, eût‑elle fait les démarches nécessaires et expliqué son cas, les autorités seraient demeurées indifférentes. On peut lire dans la preuve documentaire mentionnée par la demanderesse que les comportements sociaux qui ont cours au Guyana rendent les femmes de ce pays vulnérables, mais il n’existe aucune preuve claire et convaincante montrant que les autorités (policières ou autres) n’ont pas la volonté et les moyens requis pour y réagir. Partant, même s’il existe un lien (et c’est là un aspect sur lequel je ne me prononce pas), la demande n’est pas recevable.

 

[43]           La demanderesse est une personne vulnérable, et je crois que la Commission en était pleinement consciente et a senti que, à cause de cette vulnérabilité, elle devrait bénéficier d’une étude attentive au titre de motifs d’ordre humanitaire. Mais une demande d’asile donne lieu à des impératifs particuliers sur le plan du droit et celui de la preuve, impératifs auxquels, d’après mon examen du dossier, la demanderesse ne pouvait pas répondre. Il m’est impossible de dire que la Commission s’est fourvoyée ou a commis une erreur susceptible de contrôle sur la question déterminante de l’existence d’une protection étatique. Je ne suis donc pas en position de modifier sa décision.

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑6815‑05

 

 

INTITULÉ :                                                               AVRIL DANNETT c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 16 AOÛT 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 10 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald Greenbaum                                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Amy Lambiris                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Donald Greenbaum, c.r.                                                POUR LA DEMANDERESSE

Avocat et notaire

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

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