Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20061110

 

Dossier : T-1498-05

 

Référence : 2006 CF 1364

 

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

 

ENTRE :

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

 

 et

 

 

WAYNE DALE

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, afin d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision prise par M. K.C. Binks, membre de la Commission d'appel des pensions (la Commission), désigné conformément au paragraphe 83(2.1) du Régime des pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (le Régime). La décision en question (la décision) accordait au défendeur l'autorisation d'interjeter appel de la décision par laquelle le tribunal de révision avait rejeté, pour défaut de compétence, la demande présentée par le défendeur en vue d'obtenir la révision de la décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 66(4) du Régime. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l'affaire à la Commission pour la faire réexaminer par un autre membre.

 

CONTEXTE

 

[2]               En 1972, le défendeur a été victime d'un accident d'automobile au cours duquel il a subi des lésions au cerveau. Suivant la preuve médicale qui a été présentée, un psychiatre, le Dr Calverley, a diagnostiqué chez lui en 1973 une forme modérée de « syndrome cérébral chronique » attribuable aux graves lésions qu'il avait subies au cerveau. Le psychiatre a en outre conclu que le défendeur était complètement invalide et qu'il n'était plus en mesure d'exercer un emploi productif; il croyait toutefois que le défendeur était quand même en mesure de faire des progrès et qu'il pourrait peut‑être s'inscrire à un programme de réadaptation professionnelle.

 

[3]               Au cours des années soixante-dix, le défendeur a réussi à exercer un emploi rémunérateur. Il s'agissait cependant d'un emploi relativement peu spécialisé qu'il n'exerçait que de façon intermittente et qu'il avait pu obtenir grâce à celui qu'occupait sa mère.

 

[4]               Au cours de la même période, le défendeur a présenté au ministre de Santé et Bien‑être Canada, maintenant appelé ministre des Ressources humaines et du Développement social (le ministre), deux demandes distinctes de prestations d'invalidité en vertu du Régime.

 

[5]               Le défendeur a présenté sa première demande en novembre 1973. Le ministre l'a refusée en février 1974. Le défendeur a été informé de son droit de porter cette décision en appel, mais il ne s'est pas prévalu de ce droit.

 

[6]               La deuxième demande de prestations d'invalidité du défendeur a été présentée en décembre 1977 et a été refusée par le ministre en juin 1978. Là encore, le défendeur a été informé de son droit de porter cette décision en appel, mais il n'a pas exercé ce droit.

 

[7]               Pendant les années quatre-vingts, le défendeur a eu de plus en plus de difficulté à trouver du travail. Entre 1982 et 1991, il n'a déclaré des revenus que pour quatre années, après quoi il a complètement cessé de travailler pour s'occuper de sa fille en bas âge.

 

[8]               En mai 1998, le défendeur a présenté une troisième demande de prestations d'invalidité, qui était accompagnée d'une demande de prestations d'enfant de cotisant invalide. Le ministre a refusé cette demande en septembre 1998. Le défendeur n'a pas interjeté appel de cette décision.

 

[9]               En août 2001, une demande a été présentée au nom du défendeur par le ministère des Ressources humaines de la Colombie-Britannique (maintenant appelé ministère de l'Aide à l'emploi et au revenu) en vue d'obtenir des prestations de retraite en vertu du Régime. La demande a été accueillie et le défendeur a commencé à recevoir des prestations en décembre 2001, y compris des versements rétroactifs calculés à compter de mars 2001, mois au cours duquel il avait atteint l'âge de 60 ans.

 

[10]           En mars, 2003, le défendeur a présenté une quatrième demande de prestations d'invalidité (également accompagnée d'une seconde demande de prestations d'enfant de cotisant invalide) en vertu du Régime. Dans cette demande, le défendeur a expliqué que, dans sa demande de 2001, il avait l'intention de réclamer des prestations d'invalidité et non des prestations de retraite. En avril 2003, le ministre a refusé la quatrième demande du défendeur au motif qu'en vertu du Régime, nul ne peut toucher à la fois des prestations d'invalidité et des prestations de retraite. Dans sa lettre, le ministre a également expliqué que, compte tenu de la date de la quatrième demande, la date la plus ancienne à laquelle il était possible de considérer que l’auteur de la demande était devenu invalide, pour l'application du Régime, était décembre 2001 et que, étant donné que cette date était postérieure à celle à laquelle il avait commencé à toucher des prestations de retraite, il ne pouvait pas recevoir de prestations d'invalidité.

 

[11]           En août 2003, le défendeur a écrit au ministre pour lui demander de réviser la décision défavorable qu'il avait rendue en réponse à sa quatrième demande.

 

[12]           À la suite du réexamen du dossier, le ministre a décidé de clore la quatrième demande et de rouvrir la troisième demande (la demande présentée en 1998) au motif qu'une erreur administrative avait été commise au moment de trancher la demande de 1998. Le paragraphe 66(4) du Régime confère au ministre le pouvoir de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées lorsqu'un « avis erroné ou une erreur administrative » sont survenus.

 

[13]           En octobre 2003, le ministre a informé le défendeur que la demande qu'il avait présentée en 1998 en vue d'obtenir des prestations d'invalidité et des prestations d'enfant de cotisant invalide était acceptée. Dans sa lettre, le ministre a également expliqué que la période maximale de rétroactivité permise par le Régime était de 15 mois de sorte que, compte tenu de la date à laquelle sa demande de 1998 avait été présentée, le défendeur était réputé invalide depuis février 1977.

 

[14]           Sur réception de la réponse du ministre, le défendeur a envoyé une autre lettre à celui-ci, lui demandant cette fois-ci de réviser la date du début de l'invalidité qui, selon lui, devait être établie en fonction de la première demande de prestations d'invalidité présentée en 1973. Le ministre a répondu en mars 2004 en faisant savoir au défendeur qu'il maintenait sa décision.

 

[15]           En juin 2004, le défendeur a écrit au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision pour interjeter appel de la dernière décision du ministre. L'appel a été entendu par un tribunal de révision à Victoria, le 8 mars 2005.

 

[16]           Le tribunal de révision a rendu sa décision en avril 2005. Il a rejeté l'appel interjeté par le défendeur de la décision du ministre au motif qu'il n'avait pas compétence pour réviser les décisions prises par le ministre en vertu du paragraphe 66(4) du Régime.

 

[17]           Le tribunal de révision a également pris le temps d'examiner le fond de l'appel et a déclaré que, même s'il avait était investi de la compétence nécessaire, il aurait conclu que le défendeur ne satisfaisait pas aux critères prévus par la loi au moment des deux demandes qu'il avait présentées avant 1998 pour pouvoir être considéré comme admissible à des prestations d'invalidité en vertu du Régime.

 

[18]           Le défendeur a ensuite sollicité l'autorisation d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision. Le 3 août 2005, un membre désigné de la Commission a fait droit à la demande présentée par le défendeur en vue d'être autorisé à interjeter appel de la décision du tribunal de révision. Cette décision, qui n'a pas été motivée, a été communiquée au défendeur par lettre.

 

[19]           Le 1er septembre 2005, le ministre a saisi notre Cour d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le membre désigné de la Commission a autorisé le défendeur à interjeter appel.

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

 

 

Le demandeur

 

 

[20]           Le demandeur soutient tout d'abord qu'en autorisant le défendeur à interjeter appel, le membre désigné de la Commission a outrepassé sa compétence parce que, tout comme le tribunal de révision, la Commission n'a pas compétence pour réviser la décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 66(4) du Régime.

 

[21]           Sur la question de la norme de contrôle applicable, le demandeur soutient qu'étant donné qu'il n'avait pas compétence pour se prononcer sur les moyens invoqués par le défendeur, le membre désigné, en décidant d'accorder au défendeur la permission d'interjeter appel, a commis une erreur de droit à laquelle la norme de la décision correcte s'applique.

 

[22]           Le demandeur poursuit son raisonnement en analysant les dispositions législatives applicables pour démontrer le défaut de compétence, comme l'a fait le tribunal de révision dans sa décision. Il étaye sa thèse en invoquant plusieurs décisions de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale, dont l'affaire Pincombe c. Canada (Procureur général), (1995), 189 N.R. 197. Tout d'abord, selon le demandeur, dans l'affaire Pincombe, la Cour fédérale a estimé que la Commission n'avait pas compétence pour examiner une décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 66(4) du Régime. Le demandeur soutient par ailleurs qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour fédérale que la Cour ne peut pas créer de droit d'appel lorsque la loi n'en confère aucun ou que ni la loi ni la constitution n'en exigent aucun. De plus, ni la Commission ni le tribunal de révision n'a de compétence en equity. Enfin, le défendeur fait observer que, dans l'arrêt Pincombe, la Cour d'appel fédérale a confirmé la conclusion de la Commission suivant laquelle un tribunal de révision (alors appelée commission de révision) ne peut connaître de l'appel d'une décision prise en vertu du paragraphe 66(4). La Cour d'appel fédérale a effectivement reconnu que la Section de première instance de la Cour fédérale (maintenant la Cour fédérale) pouvait procéder au contrôle judiciaire de la décision du ministre en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[23]           Le défendeur soutient en outre que la Cour d'appel fédérale a interprété de la même façon des dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O‑9, dont le libellé était semblable.

 

Le défendeur

 

[24]           Le défendeur, qui plaide sa propre cause, n'a versé au dossier aucune pièce au soutien de la présente demande.

 

 

QUESTION À TRANCHER

 

 

[25]           La seule question à trancher est celle de savoir si le membre désigné de la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en faisant droit à la demande présentée par le défendeur afin d'être autorisé à interjeter appel de la décision du tribunal de révision.

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

 

[26]           Les dispositions du Régime de pensions du Canada qui s'appliquent particulièrement à la présente affaire sont reproduites à l'annexe A des présents motifs.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

 

 

[27]           La Cour d'appel fédérale s'est penchée à plusieurs reprises sur la question de la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission d'appel des pensions. Dans l'arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Skoric, [2000} 3 C.F. 265, 251 N.R. 368 (C.A.F.), le juge Evans a appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle pour conclure qu'une décision de la Commission se rapportant au sens des mots employés dans le texte du Régime avait droit à peu ou pas de retenue judiciaire. Voici le raisonnement qu'il a suivi aux paragraphes 15 à 19 :

[…]

Les parties ont plus ou moins convenu que la norme de la décision correcte constituait la norme de contrôle appropriée en l'espèce. Je suis de cet avis. Selon la méthode pragmatique ou fonctionnelle, il ne s'agit clairement pas en l'espèce d'une situation qui appelle une retenue judiciaire.

Premièrement, il n'existe aucune clause privative qui restreigne la portée du contrôle judiciaire. Le paragraphe 84(1) du Régime prévoit que, « sauf contrôle judiciaire dont elle[s] peu[ven]t faire l'objet aux termes de la Loi sur la Cour fédérale », les décisions rendues par la Commission sont « définitive[s] et obligatoire[s] pour l'application de la présente loi ». Vu que cette disposition soustrait expressément le contrôle judiciaire de la portée de son application, son caractère définitif ne peut avoir pour effet que de limiter la compétence dont la Commission aurait par ailleurs été investie pour réexaminer ses décisions, suivant l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects , [1989] 2 R.C.S. 848. Cependant, le paragraphe 84(2) prévoit expressément que la Commission peut réexaminer ses décisions « en se fondant sur des faits nouveaux ».

Deuxièmement, la Commission n'est pas investie d'importants pouvoirs réglementaires, mais assume seulement des fonctions judiciaires consistant à entendre les appels interjetés contre des décisions du tribunal de révision : paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 33, art. 36]. Troisièmement, le président, le vice-président et les autres membres de la Commission doivent tous être juges de la Cour fédérale, ou juges d'une cour particulière visée à l'article 96 [Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] : paragraphe 83(5). Les juges retraités ayant occupé de tels postes peuvent également être nommés à titre de « membre[s] suppléant[s] » : paragraphe 83(5.1). Quatrièmement, les questions en litige qui sont soulevées dans la présente affaire portent sur l'interprétation de la loi habilitante de la Commission, et leur portée ne se limite pas aux faits particuliers de l'espèce. Cinquièmement, l'objet du litige concerne la détermination des droits d'une personne.

D'un autre côté, le fait que le législateur ait attribué des fonctions d'appel à un tribunal administratif, à savoir la Commission d'appel des pensions, plutôt qu'à la Cour fédérale, probablement par souci d'assurer l'économie, la rapidité et l'accessibilité du processus décisionnel qu'offrent normalement les tribunaux administratifs, constitue un facteur qui milite en faveur de la retenue judiciaire.

Je suis d'avis que l'ensemble des facteurs de la méthode pragmatique et fonctionnelle favorise la thèse selon laquelle l'interprétation par la Commission de sa loi constitutive appelle peu de retenue judiciaire, en particulier en l'absence de preuve au dossier indiquant que les membres de la Commission ont acquis une vaste expertise du Régime de pensions du Canada en raison du nombre volumineux des appels qu'ils entendent et sur lesquels ils sont appelés à statuer.

 

 

[28]           Dans l'arrêt Villani c. Canada (Procureur général), [2002] 1 C.F. 130, 2001 CAF 248, le juge Isaac a suivi le même raisonnement et a conclu, au paragraphe 22, que la norme de contrôle applicable aux questions de droit (telles que l'interprétation des lois) était celle de la décision correcte.

 

[29]           On trouve aussi une certaine jurisprudence de la Cour fédérale sur la norme de contrôle qui s'applique dans le cas d'une décision par laquelle la Commission refuse d'accorder l'autorisation d'interjeter appel. Très récemment, dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Lewis, 2006 CF 322, le juge O’Keefe a déclaré, au paragraphe 14, que la question de savoir si la Commission a appliqué le bon critère pour décider de l'opportunité d'accorder l'autorisation d'interjeter appel est une question de droit, de sorte que la norme de la décision correcte constitue la norme de contrôle appropriée.

 

[30]           Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2006 CF 401, le juge Kelen a dit, au paragraphe 9, que la décision d'un membre désigné de la Commission de proroger le délai d'appel et d'accorder l'autorisation d'interjeter appel est une décision discrétionnaire. Le juge Kelen a également conclu que la norme de contrôle appropriée pour évaluer la décision d'un membre désigné de la Commission est celle de la décision correcte, pour ce qui est des questions de droit, de la décision manifestement déraisonnable, en ce qui concerne les questions de fait, et de la décision déraisonnable, pour ce qui est des questions mixtes de fait et de droit.

 

 

[31]           Comme je qualifie la question soumise à mon examen en l'espèce de question de compétence, j'estime qu'il s'agit d'une question de droit qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte.

 

 

ANALYSE

 

Facteurs à considérer pour accorder l'autorisation d'interjeter appel devant la Commission

 

[32]           Comme le Régime ne prévoit aucun critère pour statuer sur les demandes d'autorisation présentées en vertu de l'article 83, la Cour doit s'inspirer de la jurisprudence pertinente. Dans la décision Callihoo c. Canada (Procureur général), (2000), 190 F.T.R. 114, le juge MacKay a dit, au paragraphe 15 :

Sur le fondement de cette jurisprudence récente, je suis d'avis que le contrôle d'une décision relative à une demande d'autorisation d'interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :

1. la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c'est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d'être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

2. la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d'appréciation des faits au moment de déterminer s'il s'agit d'une demande ayant des chances sérieuses d'être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n'a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d'accorder l'autorisation.

 

[33]           Ce raisonnement a été suivi dans des décisions ultérieures, dont la plus récente est la décision Lewis.

 

[34]           En l'espèce, la décision n'est pas motivée. Bien que le paragraphe 83(3) du Régime prévoit que « [l]a personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs », le Régime n'exige pas que la décision accordant l'autorisation d'interjeter appel soit motivée.

 

[35]           Cela étant dit, comme la norme de contrôle est celle de la décision correcte lorsque la situation ne commande pas de retenue judiciaire, je suis d'avis que la Cour peut se contenter de déterminer si la Commission a eu raison d'accorder l'autorisation demandée.

 

[36]           Le demandeur prétend en fait qu'il n'y a pas d'argument défendable à formuler parce que ni le tribunal de révision ni la Commission n'avait compétence pour statuer sur le fond de la demande. On se trouve devant une situation semblable à celle qui existait dans l'affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Fleming (2004), 325 N.R. 305, 2004 CAF 288, dans laquelle le tribunal de révision a refusé de faire droit à l'appel au motif qu'il était lié, en raison du principe de l'autorité de la chose jugée, par la décision prise en réponse à une demande antérieure. Comme la Commission était également liée par le principe de l'autorité de la chose jugée, la Cour d'appel fédérale a estimé que la Commission avait commis une erreur de droit en accordant l'autorisation d'interjeter appel, étant donné que l'appel était voué à l'échec.

 

Défaut de compétence de la Commission et du tribunal de révision

 

[37]           Le paragraphe 83(1) du Régime prévoit que la personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l'article 82 du Régime peut présenter une demande écrite à la Commission afin d'obtenir la permission d'interjeter appel de cette décision.

 

[38]           Les paragraphes 82(1) et 82(11) du Régime confèrent au tribunal de révision la compétence pour entendre les appels interjetés des décisions du ministre prises en vertu de l'article 81 ou du paragraphe 84(2) du Régime.

 

[39]           Le paragraphe 84(2) traite du pouvoir du ministre, du tribunal de révision ou de la Commission d'annuler une décision en se fondant sur des faits nouveaux. Cet article ne s'applique pas en l'espèce. L'article 81 porte sur les appels faits au ministre en vertu des articles 55, 55.1, 55.2, 55.3, 60, 65.1 et 70.1 du Régime.

 

[40]           Le tribunal de révision a conclu qu'il n'avait pas compétence en l'espèce pour examiner l'appel parce qu'il s'agissait de l'appel d'une décision du ministre qui n'avait pas été prise en vertu de l'un ou l'autre des articles susmentionnés du Régime. Cette décision a plutôt été prise en vertu du paragraphe 66(4) du Régime, qui permet au ministre de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées lorsqu'il est convaincu qu'une prestation à laquelle une personne avait droit lui a été refusée par suite d'une erreur administrative commise par le Ministère ou d'un avis erroné.

 

[41]           En plus des règles fondamentales d'interprétation des lois, l'arrêt Pincombe c. Canada (Procureur général) (1995), 189 N.R. 197, est également utile pour trancher le présent litige. Dans l'arrêt Pincombe, la Cour d'appel fédérale a conclu, au paragraphe 5, que c'était à bon droit que la Commission avait annulé la décision du comité de révision (aujourd'hui appelé tribunal de révision) et rétabli la décision du ministre au motif que ni le comité ni la Commission ne pouvaient connaître de l'appel d'une décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 65(4) (maintenant le paragraphe 66(4)) ou intervenir dans la façon dont le ministre avait exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère ce paragraphe.

 

[42]           Dans l'arrêt Pincombe, la Cour fédérale a ajouté, au paragraphe 5, qu'étant donné qu'aucun droit d'appel des décisions prises en vertu du paragraphe 65(4) (maintenant le paragraphe 66(4)) n'était prévu aux articles 81 à 86 du Régime, on ne pouvait pas créer un droit d'appel puisqu'il est bien établi qu'un tel droit doit être conféré expressément par la loi. La Cour d'appel fédérale a suivi par la suite le même raisonnement dans l'arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Tucker, (2003), 308 N.R. 189, 2003 CAF 278.

 

[43]           Il convient toutefois de signaler que, dans l'arrêt Pincombe, la Cour d'appel fédérale a admis, au paragraphe 6, qu'une telle décision du ministre ne serait pas entièrement à l'abri d'une révision, qui prendrait la forme d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[44]           Compte tenu de ce qui précède, je dois conclure que le membre désigné de la Commission a effectivement commis une erreur susceptible de contrôle en accordant l'autorisation d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision. Comme ni le tribunal de révision ni la Commission n'ont compétence pour connaître de l'appel d'une décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 66(4), il était impossible pour le défendeur de présenter des arguments défendables qui lui auraient permis d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel.

 

[45]           Après avoir examiné les subtilités juridiques de la présente affaire et après avoir entendu M. Dale lui-même à l'audience, la Cour reconnaît les considérations intensément humaines et humanitaires que sous-tend la présente instance. Strictement parlant, ce ne sont évidemment pas des questions dont la Cour peut tenir compte lorsqu'elle statue sur une demande qui ne soulève que des questions de droit et de compétence étroites. La Cour doit s'en tenir à souhaiter bonne chance à M. Dale dans ses démarches et à espérer que les personnes qui s'occuperont de son cas dans le cadre du Régime agiront avec l'esprit d'équité et de compassion que sa situation commande. Je ne veux pas laisser entendre qu'il n'a pas été traité de cette façon jusqu'à maintenant, car rien ne permet de le penser. Mais M. Dale me semble une personne honorable, qui cherche véritablement à aider les personnes qui lui sont venues en aide lorsqu'il en avait besoin et qui mérite toute l'aide que le Régime lui permet d'obtenir.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande est accueille et la décision par laquelle M. K.C. Binks, de la Commission d'appel des pensions, a accordé au défendeur l'autorisation d'interjeter appel de la décision par laquelle le tribunal de révision avait refusé sa demande de révision de la décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 66(4) du Régime est annulée.

 

 

     « James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


Annexe A

 

 

66. (4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

 

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

 

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

 

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,

 

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

 

[...]

 

81. (1) Dans les cas où :

 

a) un époux ou conjoint de fait, un ex-époux ou ancien conjoint de fait ou leurs ayants droit ne sont pas satisfaits d’une décision rendue en application de l’article 55, 55.1, 55.2 ou 55.3,

 

b) un requérant n’est pas satisfait d’une décision rendue en application de l’article 60,

 

c) un bénéficiaire n’est pas satisfait d’un arrêt concernant le montant d’une prestation qui lui est payable ou son admissibilité à recevoir une telle prestation,

 

d) un bénéficiaire ou son époux ou conjoint de fait n’est pas satisfait d’une décision rendue en application de l’article 65.1,

 

e) la personne qui a présenté une demande en application de l'article 70.1, l'enfant de celle‑ci ou, relativement à cet enfant, la personne ou l'organisme visé à l'article 75 n'est pas satisfait de la décision rendue au titre de l'article 70.1,

 

ceux-ci peuvent, ou, sous réserve des règlements, quiconque de leur part, peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où ils sont, de la manière prescrite, avisés de la décision ou de l’arrêt, ou dans tel délai plus long qu’autorise le ministre avant ou après l’expiration de ces quatre-vingt-dix jours, demander par écrit à celui-ci, selon les modalités prescrites, de réviser la décision ou l’arrêt.

 

 

 

(2) Le ministre reconsidère sur‑le‑champ toute décision ou tout arrêt visé au paragraphe (1) et il peut confirmer ou modifier cette décision ou arrêt; il peut approuver le paiement d’une prestation et en fixer le montant, de même qu’il peut arrêter qu’aucune prestation n’est payable et il doit dès lors aviser par écrit de sa décision motivée la personne qui a présenté la demande en vertu du paragraphe (1).

 

82. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel par écrit auprès d’un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l’expiration des quatre-vingt-dix jours.

 

[…]

 

(11) Un tribunal de révision peut confirmer ou modifier une décision du ministre prise en vertu de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou en vertu du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et il peut, à cet égard, prendre toute mesure que le ministre aurait pu prendre en application de ces dispositions; le commissaire des tribunaux de révision doit aussitôt donner un avis écrit de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu’aux parties à l’appel.

 

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

 

(2) Sans délai suivant la réception d’une demande d’interjeter un appel auprès de la Commission d’appel des pensions, le président ou le vice-président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.

 

(2.1) Le président ou le vice président de la Commission d’appel des pensions peut désigner un membre ou membre suppléant de celle-ci pour l’exercice des pouvoirs et fonctions visés aux paragraphes (1) ou (2).

 

(3) La personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs.

 

 

(4) Dans les cas où l’autorisation d’interjeter appel est accordée, la demande d’autorisation d’interjeter appel est assimilée à un avis d’appel et celui-ci est réputé avoir été déposé au moment où la demande d’autorisation a été déposée.

 

[…]

 

(11) La Commission d’appel des pensions peut confirmer ou modifier une décision d’un tribunal de révision prise en vertu de l’article 82 ou du paragraphe 84(2) et elle peut, à cet égard, prendre toute mesure que le tribunal de révision aurait pu prendre en application de ces dispositions et en outre, elle doit aussitôt donner un avis écrit de sa décision et des motifs la justifiant à toutes les parties à cet appel.

 

84. (2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.

66. (4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

 

 

 

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

 

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

 

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

 

 

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made

 

 

81. (1) Where

 

(a) a spouse, former spouse, common-law partner, former common-law partner or estate is dissatisfied with any decision made under section 55, 55.1, 55.2 or 55.3,

 

 

(b) an applicant is dissatisfied with any decision made under section 60,

 

 

(c) a beneficiary is dissatisfied with any determination as to the amount of a benefit payable to the beneficiary or as to the beneficiary’s eligibility to receive a benefit,

 

(d) a beneficiary or the beneficiary’s spouse or common-law partner is dissatisfied with any decision made under section 65.1, or

 

(e) a person who made a request under section 70.1, a child of that person or, in relation to that child, a person or agency referred to in section 75 is dissatisfied with any decision made under section 70.1,

 

the dissatisfied party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof may, within ninety days after the day on which the dissatisfied party was notified in the prescribed manner of the decision or determination, or within such longer period as the Minister may either before or after the expiration of those ninety days allow, make a request to the Minister in the prescribed form and manner for a reconsideration of that decision or determination.

 

(2) The Minister shall forthwith reconsider any decision or determination referred to in subsection (1) and may confirm or vary it, and may approve payment of a benefit, determine the amount of a benefit or determine that no benefit is payable, and shall thereupon in writing notify the party who made the request under subsection (1) of the Minister’s decision and of the reasons therefor.

 

82. (1) A party who is dissatisfied with a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), or a person who is dissatisfied with a decision of the Minister made under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review Tribunals may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister’s decision and of the reasons for it.

 

 

 

[…]

 

(11) A Review Tribunal may confirm or vary a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2) or under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act and may take any action in relation to any of those decisions that might have been taken by the Minister under that section or either of those subsections, and the Commissioner of Review Tribunals shall thereupon notify the Minister and the other parties to the appeal of the Review Tribunal’s decision and of the reasons for its decision.

 

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

 

 

 

 

 

(2) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board shall, forthwith after receiving an application for leave to appeal to the Pension Appeals Board, either grant or refuse that leave.

 

 

(2.1) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may designate any member or temporary member of the Pension Appeals Board to exercise the powers or perform the duties referred to in subsection (1) or (2).

 

(3) Where leave to appeal is refused, written reasons must be given by the person who refused the leave.

 

 

(4) Where leave to appeal is granted, the application for leave to appeal thereupon becomes the notice of appeal, and shall be deemed to have been filed at the time the application for leave to appeal was filed.

 

[…]

 

   (11) The Pension Appeals Board may confirm or vary a decision of a Review Tribunal under section 82 or subsection 84(2) and may take any action in relation thereto that might have been taken by the Review Tribunal under section 82 or subsection 84(2), and shall thereupon notify in writing the parties to the appeal of its decision and of its reasons therefor.

 

 

 

84. (2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                 T-1498-05

 

INTITULÉ :                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                     c.

         WAYNE DALE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                        LE 13 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 10 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stuart Herbert

POUR LE DEMANDEUR

Wayne Dale

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                                               FOR DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Personne n'a comparu

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.