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Date : 20061109

Dossier : T-1113-04

Référence : 2006 CF 1338

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

RIVARD INSTRUMENTS, INC.

demanderesse

et

 

IDEAL INSTRUMENTS INC.

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               Dans un marché où la concurrence est très vive, les renseignements et les documents dont il est question seraient d’une immense valeur pour n’importe quel concurrent. Leur divulgation aux employés ou à d’autres concurrents nuirait considérablement aux intérêts commerciaux de la partie et à sa position concurrentielle.

 

[2]               Une ordonnance prévoyant qu’ils doivent être « réservés aux avocats » ne sera pas rendue à la légère, et elle ne le sera pas sur la foi d’une simple affirmation selon laquelle une telle protection est nécessaire. Toutefois, une telle ordonnance sera prononcée si la preuve établit que les intérêts commerciaux d’une partie pourraient être compromis en l’absence d’ordonnance. En fait, les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), établissent clairement que, lorsque la Cour ordonne que des renseignements soient traités de manière confidentielle, seuls les avocats inscrits au dossier peuvent avoir accès à ces renseignements, sauf ordonnance contraire de la Cour (Foster‑Miller, Inc. c. Babcock & Wilcox Industries Ltd. (2002), 18 C.P.R. (4th) 334 (C.F. 1re inst.); alinéa 152(2)a) des Règles).

 

LES PROCÉDURES JUDICIAIRES

[3]               La demanderesse, Rivard Instruments Inc. (Rivard), interjette appel d’une ordonnance préventive rendue par la protonotaire Tabib avant l’instruction. La défenderesse, Ideal Instruments Inc. (Ideal), demande que l’appel soit rejeté.

 

[4]               L’ordonnance préventive est une ordonnance discrétionnaire qui ne tranche aucune des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire. Pour que son appel soit accueilli, Rivard doit donc établir que l’ordonnance préventive est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[5]               En décidant d’accorder l’ordonnance préventive, la protonotaire a tenu compte du fait qu’une ordonnance préventive avait été rendue dans une affaire correspondante aux États‑Unis. Il s’agissait d’un facteur pertinent favorisant le prononcé d’une ordonnance préventive dans la présente action. Tenir compte de ce fait ne constituait ni une erreur de droit ni une erreur de principe.

 

[6]               En décidant d’accorder une protection limitant la consultation des documents aux seuls avocats, la protonotaire a tenu compte de la nature hautement confidentielle des documents ainsi que des risques considérables auxquels Ideal serait exposée si les renseignements étaient divulgués à des personnes participant aux affaires courantes de Rivard. La protonotaire a été saisie d’une preuve non contredite établissant ces faits. De son côté, Rivard n’a produit aucune preuve démontrant qu’il était nécessaire, pour la poursuite de cette action, que des documents « réservés aux avocats » soient divulgués à ses employés.

 

[7]               La décision de la protonotaire est conforme à la jurisprudence canadienne en matière d’ordonnances préventives, et la protonotaire disposait d’une preuve non contredite qui appuyait les termes de l’ordonnance préventive. En revanche, Rivard n’a déposé aucune preuve à l’appui de ses objections à l’ordonnance préventive. Par conséquent, il n’y a aucun motif pour la Cour d’intervenir dans l’exercice par la protonotaire de son pouvoir discrétionnaire, et l’appel de Rivard devrait être rejeté.

 

LES FAITS

[8]               Rivard est titulaire du brevet canadien no 2,298,277 (le brevet de Rivard), qui vise des aiguilles hypodermiques détectables.

 

[9]               Rivard intente la présente action contre Ideal en alléguant la contrefaçon de son brevet. Plus particulièrement, Rivard soutient qu’Ideal a contrefait son brevet en fabriquant et en vendant au Canada un produit connu sous le nom de « D3 Needle » (aiguille D3). Dans sa défense, Ideal a nié la contrefaçon.

 

[10]           Ideal est titulaire de deux brevets américains relatifs à l’aiguille D3, dont le brevet américain n6,960,196 qui concerne des aiguilles hypodermiques détectables (le brevet D3).

 

[11]           Ideal a intenté une action contre Rivard devant la Cour de district de l’État de l’Iowa, aux États‑Unis (l’action intentée aux États‑Unis). Dans l’action intentée aux États‑Unis, Ideal allègue que Rivard a contrefait le brevet D3 en vendant ses aiguilles hypodermiques détectables aux États‑Unis.

 

[12]           Les questions et les faits en litige dans la présente action et dans l’action intentée aux États‑Unis sont similaires. En vertu des règles concernant la communication de la preuve qui s’appliquent à l’action intentée aux États‑Unis, Ideal est tenue de remettre à Rivard un bon nombre des mêmes documents qu’elle est tenue de lui remettre dans le cade de la présente action. Ainsi que l’a constaté la protonotaire, certains documents produits dans l’une des actions sont susceptibles d’être également produits dans l’autre.

 

[13]           Certains des documents et des éléments de preuve qui ont été (et seront) produits par Ideal dans l’action intentée aux États‑Unis et dans la présente action contiennent des renseignements commerciaux, scientifiques et exclusifs hautement sensibles et confidentiels.

 

[14]           Les avocats américains d’Ideal et de Rivard ont convenu de respecter une ordonnance préventive en lien avec l’action intentée aux États‑Unis (l’ordonnance rendue aux États‑Unis). Cette ordonnance est essentiellement identique à l’ordonnance préventive accordée par la protonotaire.

 

[15]           Rivard a refusé de consentir à une ordonnance préventive dans la présente action au Canada. Ideal s’inquiétait à juste titre du fait que, sans ordonnance préventive de la part de la Cour, elle serait forcée de remettre à Rivard, dans le cadre de la présente affaire, certains documents qui réduiraient à néant la protection que lui accorde l’ordonnance préventive rendue par le tribunal aux États‑Unis.

 

[16]           Avant l’audition de la requête présentée à la protonotaire, Ideal a remis à l’avocat canadien de Rivard, Me Terry McManus, des copies des documents énumérés à l’annexe 1 de son affidavit de documents. Les documents en question, qui sont de nature confidentielle, ont été cotés en conséquence et ont été remis à Me McManus en vertu d’une entente formelle de confidentialité interdisant toute divulgation des documents cotés tant que la Cour n’aurait pas statué sur la requête initiale.

 

[17]           La grande majorité des documents qu’Ideal a remis à Me McManus n’avaient pas reçu la cote « confidentiel »et ils ne sont donc pas visés par l’ordonnance préventive. Les documents ayant reçu la cote « confidentiel » ont été décrits en détail dans la preuve présentée à la protonotaire. Ils comprennent les documents suivants :

a)         Des plans d’affaires et stratégiques d’Ideal contenant des renseignements stratégiques et concurrentiels de nature très sensible.

b)         Des documents relatifs à des ententes de fabrication et d’approvisionnement conclues par Ideal en Chine faisant référence à des fournisseurs, des prix, des quantités, des clients, des prévisions, des spécifications de produits, des perspectives stratégiques et des budgets.

c)         Des renseignements concernant les relations entre Ideal et des fournisseurs, y compris des prix, des analyses de marché, de l’information relative aux marges de profit et à des ententes de distribution.

d)         Des résultats de tests scientifiques relatifs aux propriétés d’emploi (finesse et force) de l’aiguille D3.

e)         Des renseignements techniques concernant la conception et la fabrication de l’aiguille D3 d’Ideal, y compris des dessins techniques.

f)          Des notes détaillées concernant des démarches en vue de ventes au Canada, incluant les noms de contacts chez des clients et des clients potentiels d’Ideal, ainsi que des communications avec ces personnes qui révèlent les stratégies et tactiques d’affaires d’Ideal.

g)         Des rapports détaillés sur des visites sur le terrain et des communications avec des clients et clients éventuels canadiens qui révèlent des occasions d’affaires liées à ces clients, des informations commerciales et d’autres renseignements liés à l’avantage concurrentiel du produit D3 par rapport au produit de Rivard.

 

[18]           Ideal a toujours traité ces renseignements comme étant de nature confidentielle. Ideal et ses sociétés affiliées ont notamment toujours demandé et obtenu des ordonnances préventives lorsque de tels documents doivent être produits dans le cadre de litiges aux États‑Unis. Ideal prend toutes les mesures pour protéger ces renseignements et empêcher qu’ils ne soient dévoilés à des tiers. Ces renseignements ne sont habituellement pas mis à la disposition d’une personne qui n’est pas un employé d’Ideal et ils ne sont accessibles qu’aux employés qui ont besoin d’y avoir accès dans l’exécution de leurs tâches chez Ideal. La nature extrêmement délicate et confidentielle de ces documents a été décrite en détail dans la preuve présentée à la protonotaire.

 

[19]           Ideal exerce ses activités dans un marché où la concurrence est très vive. Les renseignements et les documents décrits ci‑dessus auraient une immense valeur pour n’importe quel de ses concurrents, y compris Rivard. Leur divulgation à des employés de Rivard ou à d’autres concurrents nuirait considérablement aux intérêts commerciaux d’Ideal et à sa position concurrentielle.

 

[20]           La divulgation de ces documents à des employés de Rivard est particulièrement préoccupante pour la direction d’Ideal. Rivard et Ideal se livrent une vigoureuse concurrence dans la fourniture d’aiguilles servant à la vaccination et au traitement du bétail, tant au Canada qu’aux États‑Unis. Si des employés de Rivard avaient accès à ces renseignements, cela pourrait sans aucun doute influencer leurs décisions d’affaires, consciemment ou inconsciemment, au désavantage concurrentiel d’Ideal. Rivard ou d’autres concurrents pourraient notamment s’en servir pour détecter les vulnérabilités ou faiblesses stratégiques d’Ideal, faire des démarches auprès des clients et contacts d’Ideal et adopter des stratégies et des tactiques conçues spécifiquement pour contrer celles d’Ideal.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[21]           La question en litige dans la présente requête est celle de savoir si la décision de la protonotaire d’accorder l’ordonnance préventive est entachée d’une erreur flagrante.

 

ANALYSE

            La norme de contrôle en appel

[22]           L’article 151 des Règles confère au protonotaire le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance préventive afin de protéger l’intérêt légitime qu’a une partie à préserver la nature confidentielle de certains renseignements (Teale c. Canada (Procureur général) (1999), 176 F.T.R. 234, [1999] A.C.F. no 2018 (QL)).

 

[23]           Les décisions du protonotaire peuvent être portées en appel conformément à l’article 51 des Règles. La Cour fédérale a statué qu’il n’y a pas lieu d’intervenir à l’égard des ordonnances discrétionnaires du protonotaire sauf si :

a)         les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal,

b)         l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

(Netbored Inc. c. Avery Holdings Inc. et al. (2005), 42 C.P.R. (4th) 321 (C.F.1re inst.), aux paragraphes 15 et16; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2005), 46 C.P.R. (4th) 25, au paragraphe 4.)

 

[24]           La requête dont a été saisie la protonotaire ne soulevait pas de questions ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire. Par conséquent, il n’y a pas lieu que la Cour intervienne à l’égard de l’ordonnance préventive à moins que Rivard n’établisse que cette ordonnance était « entachée d’une erreur flagrante ».

 

[25]           Rien ne permet de croire que la décision de la protonotaire était entachée d’une erreur flagrante. La protonotaire n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Au contraire, sa décision est conforme aux principes établis par la jurisprudence et elle est étayée par la preuve présentée lors de la requête.

 

            Le critère pour rendre une ordonnance préventive

[26]           Il suffit à la partie qui demande une ordonnance de non‑divulgation de démontrer qu’elle pense subjectivement que ses intérêts seraient compromis par la divulgation et que les renseignements sont confidentiels d’un point de vue objectif (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social) (1998), 81 C.P.R. (3d) 121 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1993), 51 C.P.R. (3d) 305 (C.F. 1re inst.), à la page 311).

 

[27]           Bien que des considérations relatives à l’importance de la publicité des débats judiciaires puissent dicter un résultat différent au procès, ces considérations ne devraient pas empêcher d’accorder une ordonnance préventive qui n’interdit pas spécifiquement la divulgation de documents déposés devant la Cour (Apotex, précitée; Foster‑Miller, précitée).

 

[28]           La preuve dont a été saisie la protonotaire satisfaisait au critère énoncé dans la décision AB Hassle, précitée, permettant de rendre une ordonnance préventive. Il y a au dossier une preuve abondante établissant la nature confidentielle des renseignements et établissant aussi qu’Ideal croyait subjectivement que ses intérêts seraient compromis par la divulgation de ces renseignements. Cette preuve se trouvait dans l’affidavit de M. Richard Current, secrétaire‑trésorier d’Ideal, et dans l’affidavit de M. Lon Bohannon, l’un des administrateurs d’Ideal et le président de la société‑mère d’Ideal.

 

[29]           Le témoignage de M. Richard Current et de M. Lon Bohannon était très précis en ce qui a trait à la nature confidentielle des renseignements et du tort qui serait causé à Ideal s’ils étaient rendus publics ou divulgués à la concurrente d’Ideal, Rivard. Aux paragraphes 11 à 25 de son affidavit, M. Bohannon a décrit en détail la nature des renseignements confidentiels. Il a aussi décrit précisément comment et pourquoi leur divulgation à Rivard serait préjudiciable pour Ideal. Aucun de ces éléments de preuve n’a été contredit par la preuve présentée par Rivard. La protonotaire n’a pas rendu une décision « entachée d’une erreur flagrante » en acceptant cette preuve et en concluant qu’Ideal avait satisfait au critère permettant qu’une ordonnance préventive lui soit accordée. En fait, il était manifestement correct de tirer une telle conclusion.

 

La pertinence de l’ordonnance américaine

[30]           Rivard soutient que la protonotaire a commis une erreur en tenant compte de l’ordonnance américaine parce que celle‑ci n’a pas été rendue « sur consentement ». Il y a deux failles dans cet argument. Premièrement, Rivard a en réalité consenti à la forme de l’ordonnance américaine. Deuxièmement, peu importe si l’ordonnance américaine a été rendue sur consentement, le principe justifiant sa pertinence demeure le même : lorsqu’il existe un litige correspondant aux États‑Unis, il est justifié qu’il y ait des ordonnances préventives raisonnablement comparables. Par conséquent, la protonotaire n’a pas rendu une décision « entachée d’une erreur flagrante » en tenant compte de la forme de l’ordonnance américaine (Apotex, précitée).

 

[31]           La protonotaire a été saisie d’une preuve non contredite selon laquelle Rivard avait effectivement consenti à la forme de l’ordonnance américaine. Cette preuve a été exposée en détail dans l’affidavit de Mme Lilly Iannacito et dans l’affidavit de M. Bohannon. Mme Iannacito a déclaré qu’à la suite d’une audience dans l’action intentée aux États‑Unis, le juge Paul A. Zoss de la Cour fédérale des États‑Unis a décidé qu’une ordonnance préventive serait rendue, sous réserve des conditions précises convenues (ou « stipulées ») par les parties. M. Bohannon a déclaré que les avocats des deux parties ont ensuite convenu de la forme de l’ordonnance préventive américaine et que l’actuelle ordonnance a été soumise sur consentement. Il n’y avait aucune preuve à l’effet contraire.

 

[32]           De toute façon, le bien‑fondé d’ordonnances préventives comparables, établi dans la décision Apotex, précitée, ne se limite pas aux circonstances où l’ordonnance préventive a été rendue entièrement sur consentement. Il n’y a rien dans la décision Apotex qui justifie une telle restriction. La protonotaire a eu raison de conclure qu’il était important d’écarter toute possibilité que la protection fournie par l’ordonnance américaine soit réduite à néant si une ordonnance comparable n’était pas accordée dans la présente action. Cette reconnaissance et prise en compte de l’ordonnance préventive américaine est conforme au principe de courtoisie judiciaire, un principe fondamental qui a été reconnu et endossé par la Cour suprême du Canada (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, à la page 1096; jugement de la protonotaire, page 4).

 

[33]           Rivard soutient aussi que l’ordonnance américaine n’est pas pertinente parce que l’action intentée aux États‑Unis est différente de la présente action. Le comportement même de Rivard démontre que cet argument est dénué de fondement. La preuve soumise à la protonotaire comprenait une lettre rédigée par l’avocat de Rivard dans l’action intentée aux États‑Unis, en réponse à la demande présentée par Ideal en vue d’obtenir une ordonnance préventive dans cette action. Dans la lettre, l’avocat de Rivard a déclaré : [traduction] « [ …] nous avons maintenant été informé par [Rivard] qu’ils ne sont pas disposés à discuter des modalités d’un projet d’ordonnance préventive quelconque dans cette action tant qu’une décision n’aura pas été rendue par le tribunal canadien dans la procédure correspondante au Canada quant à la portée de l’ordonnance préventive qui, le cas échéant, pourrait être approuvée dans cette action ». Il est clair que Rivard elle‑même considérait que l’action intentée aux États‑Unis était directement liée à la présente action, certainement en tout cas en ce qui a trait à la question de l’ordonnance préventive. Ayant adopté cette position dans l’action intentée aux États‑Unis, Rivard ne peut maintenant prétendre de façon crédible que la présente action comporte des différences si importantes que l’ordonnance américaine ne devrait avoir aucune influence sur la décision de la protonotaire.

 

[34]           Il a aussi été mis en preuve devant la protonotaire que les documents produits par Ideal dans la présente action sont compris dans les documents que Rivard a cherché à obtenir d’Ideal dans l’action intentée aux États‑Unis. La demande de production massive de documents présentée par Rivard dans l’action intentée aux États‑Unis a été invoquée devant la protonotaire comme preuve de ce fait.

 

[35]           La protonotaire a également été saisie d’autres éléments de preuve démontrant que l’ordonnance américaine pourrait être compromise si une ordonnance correspondante n’était pas rendue dans la présente action. En particulier, M. Current a déclaré que l’action intentée aux États‑Unis et la présente action portent sur des questions et des faits similaires. Il a ajouté qu’en vertu des règles concernant la communication de la preuve dans l’action intentée aux États‑Unis, Ideal était tenue dans cette action de fournir à Rivard plusieurs des mêmes documents qu’elle doit produire dans le cadre de la présente action. M. Current a aussi déclaré que, sans une ordonnance préventive correspondante dans la présente action, la communication en l’espèce de documents à Rivard réduirait à néant la protection qui été accordée à Ideal par l’ordonnance préventive américaine. Rivard n’a produit aucune preuve tendant à contredire M. Current sur ces points. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la protonotaire n’a pas commis « une erreur flagrante » en tenant compte des modalités de l’ordonnance préventive américaine en statuant sur la requête.

 

Paragraphe 9 – « réservés aux avocats »

[36]           Rivard soutient que la protonotaire a eu tort d’ordonner que certains renseignements confidentiels pouvaient devaient être « réservés aux avocats ». La protonotaire disposait pourtant d’une preuve justifiant cette ordonnance, qui n’est donc pas « entachée d’une erreur flagrante ».

 

[37]           Ideal reconnaît qu’une ordonnance prévoyant que des renseignements doivent être « réservés aux avocats » ne sera pas rendue à la légère, et qu’elle ne le sera pas sur la foi d’une simple affirmation selon laquelle une telle protection est nécessaire. Toutefois, une telle ordonnance sera prononcée si la preuve établit que les intérêts commerciaux d’une partie pourraient être compromis en l’absence d’ordonnance. En fait, les Règles établissent clairement que, lorsque la Cour ordonne que des renseignements soient considérés comme confidentiels, seuls les avocats inscrits au dossier peuvent y avoir accès, sauf ordonnance contraire de la Cour (Foster‑Miller, précitée; alinéa 152(2)a) des Règles).

 

[38]           La protonotaire disposait d’une preuve abondante montrant que les intérêts d’Ideal pourraient être compromis si certains documents n’étaient pas cotés « réservés aux avocats ». En particulier, M. Bohannon a recensé plusieurs catégories de documents pour lesquels ce niveau de protection était nécessaire, documents qu’il a appelés les « documents réservés aux avocats ». M. Bohannon a déclaré que Rivard et Ideal se livrent une vive concurrence dans la fourniture d’aiguilles servant à la vaccination et au traitement du bétail, et il a fourni des détails sur la concurrence énergique que Rivard livre à Ideal. M. Bohannon a aussi expliqué en détail comment les différents documents réservés aux avocats pourraient être utilisés par les employés de Rivard au détriment d’Ideal. M. Current a fait des déclarations semblables dans son affidavit. Rivard n’a produit aucun élément de preuve pour contredire M. Bohannon ou M. Current. Compte tenu de cette preuve non contredite, la protonotaire n’a pas commis « une erreur flagrante » en concluant que la protection de la cote « réservés aux avocats » était appropriée.

 

[39]           Rivard insiste pour que M. Meril Rivard et Mme Susan Cepanec (avocats internes de la société‑mère de Rivard) aient accès à tous les documents produits par Ideal. M. Rivard et Mme Cepanec participent activement aux affaires courantes de Rivard. M. Bohannon a déclaré que la divulgation des documents réservés aux avocats à des employés de Rivard, et particulièrement à M. Rivard et Mme Cepanec, est très préoccupante pour la direction d’Ideal. Si des employés de Rivard, ou quiconque prenant part à ses activités courantes comme M. Rivard et Mme Cepanec, avaient accès aux documents réservés aux avocats, cela pourrait sans aucun doute influencer leurs décisions d’affaires, consciemment ou inconsciemment, au désavantage concurrentiel d’Ideal. Rivard ou d’autres concurrents pourraient notamment s’en servir pour détecter les vulnérabilités ou faiblesses stratégiques d’Ideal, faire des démarches auprès des clients et contacts d’Ideal et adopter des stratégies et des tactiques conçues spécifiquement pour contrer celles d’Ideal. Ainsi que l’a dit M. Current dans son affidavit, une fois que les employés de Rivard auraient eu accès à ces renseignements délicats et exclusifs, on ne pourrait s’attendre à ce qu’ils [traduction] « n’y pensent pas » au moment de prendre des décisions d’affaires touchant leurs produits concurrentiels.

 

[40]           Rivard prétend que la protonotaire a appliqué un mauvais principe en ordonnant que les renseignements soient « réservés aux avocats », car le but d’une ordonnance préventive est seulement d’empêcher que des renseignements confidentiels soient divulgués à des tiers, et non d’empêcher leur divulgation à une partie. Cette affirmation est incomplète en ce qui a trait au but d’une ordonnance préventive. Dans bien des cas, il se peut que le seul but d’une telle ordonnance soit d’empêcher la divulgation à des tiers. Mais lorsque les parties sont des concurrents, il est parfaitement légitime que l’ordonnance ait pour but d’empêcher la divulgation à la partie opposée, surtout lorsque la preuve tend à démontrer que cette divulgation pourrait nuire aux intérêts de l’autre partie (Foster‑Miller, précitée, aux paragraphes 10 à14.)

 

[41]           Rivard fait valoir que la cote « réservés aux avocats » représente une ingérence inopportune dans la relation avocat‑client, et il laisse entendre qu’elle empêchera Rivard de présenter sa preuve. Cet argument n’est pas très crédible. Lorsque la requête a été présentée, l’avocat de Rivard avait en sa possession tous les documents pour lesquels Ideal demandait la cote « réservés aux avocats ». Avant que la requête soit présentée, Ideal a demandé à maintes reprises que l’avocat de Rivard indique quels documents, selon lui, devaient être divulgués à Rivard. Ainsi que l’a dit M. Bohannon dans son témoignage, l’avocat de Rivard a constamment refusé de le faire. De toute façon, si l’avocat de Rivard devait finir par isoler un document « réservé aux avocats » qu’il doit montrer à son client, l’ordonnance préventive lui permet de demander à la Cour de modifier l’ordonnance en conséquence si Ideal ne consent pas à la divulgation.

 

[42]           L’objection de Rivard à la cote « réservés aux avocats » est aussi incompatible avec sa propre conduite dans l’action intentée aux États‑Unis. La protonotaire disposait d’éléments de preuve indiquant que Rivard avait tiré tous les avantages de la désignation dans l’ordonnance américaine de documents comme étant « réservés aux avocats ». En particulier, M. Bohannon a déclaré qu’en répondant aux interrogatoires dans l’action intentée aux États‑Unis, Rivard avait désigné toutes ses réponses comme étant « réservées aux avocats », y compris ses réponses à des questions très élémentaires. Ainsi, alors qu’elle affirme que sa direction a besoin de voir des renseignements commerciaux très délicats d’Ideal dans la présente action, Rivard refuse que la direction d’Ideal puisse voir les renseignements les plus élémentaires dans l’action intentée aux États‑Unis.

 

[43]           Les dispositions de l’ordonnance préventive portant que les renseignements sont « réservés aux avocats » sont le reflet de celles qui se trouvent dans l’ordonnance préventive américaine. Il était raisonnable pour la protonotaire de conclure que toute dérogation aux dispositions de l’ordonnance préventive américaine pourrait réduire à néant la protection prévue par cette ordonnance.

 

Paragraphes 10-11 – La désignation et l’approbation des experts

[44]           Rivard soutient que la protonotaire a commis une erreur de droit en prévoyant dans l’ordonnance préventive que les experts recevant les renseignements confidentiels doivent être nommés (dispositions relatives aux experts).

 

[45]           La décision de la protonotaire d’inclure la disposition relative aux experts est conforme à la décision de la Cour dans la décision Apotex, précitée, où une disposition semblable a été incluse dans l’ordonnance préventive rendue dans cette affaire. La disposition relative aux experts est aussi conforme à l’ordonnance américaine à laquelle a consenti Rivard.

 

[46]           La protonotaire disposait d’une preuve non contredite à l’appui de la disposition relative aux experts. M. Bohannon a déclaré que, sans cette protection, l’ordonnance préventive américaine pourrait être contournée ou sérieusement ébranlée, et ses avantages complètement perdus. Il a dit que de nombreuses personnes susceptibles d’être retenues comme « experts » dans cette affaire pouvaient travailler pour un concurrent d’Ideal ou y ou être associées, y compris Rivard elle‑même. Les « experts » peuvent aussi être eux‑mêmes des concurrents ou d’éventuels concurrents d’Ideal.

 

[47]           Il est important de souligner que la disposition relative aux experts n’est pas trop restrictive. Elle permet de divulguer des renseignements confidentiels aux experts qui aident les avocats, pourvu que certaines mesures de protection soient prises. Si Ideal s’oppose à ce que des renseignements soient divulgués à un expert en particulier, il lui incombe de soumettre cette question à la Cour. Tout ce qu’Ideal demande, c’est la possibilité d’être avisée de façon à pouvoir s’adresser à la Cour, si en fait, la divulgation à un « expert » donné risque de nuire injustement ou inopportunément à ses intérêts commerciaux. Il reviendrait alors à la Cour de décider si Ideal a un bon motif pour refuser la divulgation, et Ideal s’exposerait à être condamnée à des dépens si son objection à un expert était jugée déraisonnable. Ideal ne souhaite aucunement faire obstacle à Rivard dans la présentation de sa preuve, mais les renseignements contenus dans ces documents sont extrêmement précieux et la disposition relative aux experts constitue une mesure très raisonnable. Celle‑ci imposera un très léger fardeau à Rivard comparativement au tort immense qui pourrait être causé à Ideal en l’absence de cette forme de protection. La protonotaire a conclu à juste titre que Rivard n’avait pas fourni de raison valable pour s’écarter de l’ordonnance américaine à cet égard.

 

Paragraphe 13 – Entreposage des documents réservés aux avocats

[48]           Rivard fait valoir que la protonotaire a commis une erreur de principe en ordonnant que les documents « réservés aux avocats » soient conservés aux bureaux des avocats à moins que la partie les produisant consente à ce qu’ils soient déplacés ou que la Cour ordonne le contraire. Rien ne permet de conclure qu’il s’agissait d’une erreur de principe. Les dispositions relatives à l’entreposage des documents « réservés aux avocats » correspondent aux dispositions de l’ordonnance américaine. Rivard n’a présenté aucune preuve à l’audition de la requête afin d’établir pourquoi l’ordonnance préventive canadienne devrait être différente à cet égard de l’ordonnance à laquelle elle avait consenti dans l’action intentée aux États‑Unis. La protonotaire a conclu à juste titre que l’omission de cette disposition dans l’ordonnance préventive canadienne risquait de miner l’efficacité de l’ordonnance américaine. La protonotaire a aussi souligné que Rivard n’avait pas indiqué le préjudice qu’elle subirait si les documents étaient traités d’une manière compatible à l’ordonnance américaine. La décision de la protonotaire d’inclure les dispositions relatives à l’entreposage n’était pas « entachée d’une erreur flagrante ».

 

[49]           Rivard soutient que le fait de demander un consentement au déplacement des documents « réservés aux avocats » aura pour effet d’« alerter » la partie opposée à une activité confidentielle, mais cette objection n’est pas raisonnable. En réalité, la demande ne fera qu’alerter l’avocat d’Ideal du déplacement de documents hautement confidentiels et sensibles, ce qui constitue une limite raisonnable compte tenu de la nature délicate des documents. Les renseignements contenus dans les documents pourraient sérieusement compromettre la position commerciale d’Ideal s’ils devaient tomber entre les mauvaises mains. Ideal a grand intérêt à savoir qui consulte les documents et à quel endroit ils sont entreposés afin d’assurer la sécurité et la protection des renseignements confidentiels qu’ils contiennent.

 

Paragraphe 16 – Le fardeau de justifier la classification des documents

[50]           Rivard soutient que la protonotaire a appliqué un mauvais principe en imposant à la partie qui reçoit les documents le fardeau de contester la cote « confidentiel » de ces documents. En fait, l’ordonnance préventive ne lui impose pas de fardeau particulier, sauf qu’elle doit soumettre la question à la Cour. Mais même si l’ordonnance préventive imposait un fardeau à la partie recevant les documents, il ne s’agit pas d’une erreur de principe. Un tel fardeau relèverait simplement du pouvoir discrétionnaire et serait compatible avec la décision Apotex, précitée, où la Cour a expressément imposé à la partie recevant les documents le fardeau de démontrer qu’ils n’étaient pas confidentiels.

 

Paragraphe 4 – Questions soustraites à la cote « réservés aux avocats »

[51]           Rivard soutient que le paragraphe 4 de l’ordonnance préventive révèle une erreur de principe parce qu’il n’y a pas de réciprocité. Il n’est pas strictement obligatoire qu’une ordonnance préventive soit parfaitement réciproque en tout point pour les parties. La décision Merck, précitée (invoquée par Rivard), indique que la Cour peut rendre une ordonnance réciproque, mais n’établit pas qu’elle doit le faire. Ainsi que l’a conclu la protonotaire, le paragraphe 4 assure à juste titre que l’accès aux documents de nature technique, qui sont au cœur de l’action en contrefaçon, ne peut être restreint indûment. Le paragraphe 4 correspond aussi à une disposition de l’ordonnance américaine à laquelle Rivard a consenti dans l’action intentée aux États‑Unis, où les rôles de demandeur et de défendeur sont inversés. En ce sens, l’ordonnance préventive assure effectivement la réciprocité.

 

CONCLUSION

[52]           La requête d’Ideal en vue d’obtenir une ordonnance préventive ne reposait pas sur une « simple affirmation » selon laquelle les documents en question étaient de nature délicate. Ideal a déposé une preuve par affidavit détaillée concernant la nature des documents, le caractère hautement confidentiel des renseignements contenus dans ces documents, les mesures prises pour protéger la confidentialité des documents, et le préjudice qu’Ideal pourrait subir si les renseignements étaient divulgués à des concurrents. Aucun de ces éléments de preuve n’a été contredit et la protonotaire n’a pas commis « une erreur flagrante » en tenant compte de ceux‑ci pour rendre l’ordonnance préventive.

 

[53]           L’ordonnance préventive a été rédigée avec soin de manière à ne pas trop nuire à la capacité de Rivard de poursuivre la présente action et à ne pas compromettre la publicité des débats judiciaires. L’ordonnance préventive impose seulement les restrictions qui sont raisonnablement nécessaires pour protéger le droit important d’Ideal de préserver la confidentialité de ses renseignements. Le fardeau imposé à Rivard dans ces circonstances est minime et il est largement contrebalancé par le préjudice qui serait causé à Ideal si l’ordonnance préventive était annulée ou modifiée.

 

[54]           L’ordonnance préventive n’empêchera pas indûment Rivard de poursuivre sa demande contre Ideal. Plus particulièrement :

a)         l’ordonnance préventive ne restreint pas l’accès à tous les documents, mais seulement à ceux qui sont cotés « confidentiel »;

b)         Ideal doit agir raisonnablement en cotant ainsi les documents;

c)         l’ordonnance préventive fournit un moyen aux conseillers et experts de Rivard d’accéder à tous les documents confidentiels;

d)         Rivard peut en tout temps contester la cote « confidentiel » de tout document si elle juge nécessaire de divulguer ce document à quiconque afin de présenter sa preuve;

e)         tout abus de l’ordonnance préventive par Ideal pourrait à juste titre être sanctionné par des conséquences quant aux dépens.

 

[55]           Pour tous les motifs susmentionnés, l’appel interjeté par Rivard de l’ordonnance préventive rendue par la protonotaire Tabib avant l’instruction est rejeté avec dépens.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel interjeté par Rivard Instruments Inc. de l’ordonnance préventive rendue par la protonotaire Tabib avant l’instruction soit rejeté avec dépens.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                            T-1113-04

 

INTITULÉ :                                                           RIVARD INSTRUMENTS, INC.

                                                                                c.

                                                                                IDEAL INSTRUMENTS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                    OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 2 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE                        LE JUGE SHORE

ET ORDONNANCE :

 

DATE DES MOTIFS :                                         LE 9 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Terrance J. McManus

 

POUR LA DEMANDERESSE

Scott Maidment

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MILTON, GELLER S.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

McMILLAN BINCH MENDELSOHN S.R.L.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

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