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Date : 20061110

Dossier : IMM‑6646‑05

Référence : 2006 CF 1365

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

LUCIA MARTINEZ ORTIZ

LUIS ALFREDO PEREZ MARTINEZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE CONTEXTE

 

[1]               Les demandeurs contestent la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de refugié (la Commission) en date du 7 octobre 2005 portant qu’ils n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger; ils en sollicitent le contrôle judiciaire.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Mexique. La demande d’asile de Luis Alfredo Perez Martinez était fondée sur celle de sa mère, Lucia Martinez Ortiz (la demanderesse principale).

 

[3]               En 1996, la demanderesse principale a commencé à fréquenter un homme qu’elle qualifie, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), d’homme d’affaires influent ayant des relations politiques. Cet homme habite et travaille à Mexico.

 

[4]               La demanderesse principale dit que son ex‑partenaire est devenu [traduction] « possessif, jaloux et dominateur », qu’il l’a agressée physiquement et sexuellement et qu’il l’a menacée.

 

[5]               La Commission n’a pas mis en doute la crédibilité des allégations de la demanderesse principale.

 

[6]               La demanderesse principale est arrivée au Canada en août 2004 avec son fils et sa tante, supposément avec le consentement de son ex‑partenaire violent, dans le but de [traduction] « corriger ce qui avait été fait » (ou, comme la Commission l’a dit dans ses motifs, d’« apaiser » la demanderesse principale). La demanderesse principale est retournée au Mexique un peu plus tard au cours du même mois.

 

[7]               Après s’être rendue au ministère public pour faire une déclaration le 29 novembre 2004, la demanderesse principale est revenue au Canada le 3 décembre suivant. Elle a demandé l’asile cinq jours plus tard, le 8 décembre 2004.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[8]               La Commission a rejeté la demande des demandeurs. Elle a fait valoir que la demanderesse principale n’avait pas signalé immédiatement la violence dont elle avait été victime et qu’elle était retournée au Mexique après avoir séjourné au Canada en août 2004.

 

[9]               Selon la Commission, le fait que les demandeurs « n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger, car il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mexico » était l’élément déterminant. Dans son analyse, la Commission a examiné la preuve documentaire et a constaté que « bien que le problème de la violence familiale ne soit pas entièrement réglé au Mexique, les autorités continuent de prendre des mesures en ce sens, surtout à Mexico ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État à Mexico en :

a)                  ne tenant pas compte des preuves matérielles concernant le persécuteur de la demanderesse principale?

b)                 n’appliquant pas le critère approprié au regard de la protection de l’État?

c)                  omettant de peser la preuve matérielle de risque psychologique et émotif auquel donnerait lieu leur renvoi dans leur pays?

d)                 ne tenant pas compte de la preuve documentaire pertinente et en l’interprétant incorrectement?

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de prendre en considération le paragraphe 108(4) de la LIPR?

3.                  La Commission a‑t‑elle fait preuve de partialité dans ses remarques sur la crainte subjective de la demanderesse principale?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[11]           Aux termes de l’alinéa 108(1)e), l’on ne peut être considéré comme un réfugié si les raisons sous‑tendant la demande d’asile ont disparu. Une exception limitée est énoncée au paragraphe 108(4). Ces dispositions disposent :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

     108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

[…]

 

[…]

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment

 

LA THÈSE DES PARTIES

 

            Les demandeurs

 

La possibilité de refuge intérieur et la protection de l’État

 

a)         La preuve relative au persécuteur de la demanderesse principale

 

[12]           La demanderesse principale soutient que son ex‑partenaire a un réseau de personnes influentes et puissantes à Mexico, notamment au sein de la police, et qu’il peut agir en toute impunité.

 

[13]           La demanderesse principale soutient également que son ex‑partenaire est décidé à s’acharner sur elle et ce, pour plusieurs raisons : premièrement, il a 20 ans de plus qu’elle et elle l’a trompé dans une société dominée par les hommes; deuxièmement, il les a aidées financièrement et professionnellement, elle et sa famille; troisièmement, la relation était de longue durée; quatrièmement, elle a commencé à fréquenter quelqu’un d’autre.

 

[14]           Selon la demanderesse principale, son ex‑partenaire s’en est pris ou a menacé de s’en prendre à elle physiquement, sexuellement et psychologiquement, et les menaces n’ont pas cessé.

 

[15]           Les demandeurs prétendent que la Commission n’a pas tenu compte de tous ces éléments de fait lorsqu’elle a tiré ses conclusions. Elle s’est plutôt fondée sur la situation existant au Mexique et sur le fait que la demanderesse principale est très instruite, qu’elle a travaillé pendant un bon nombre d’années et qu’elle a beaucoup voyagé.

 

b) Le critère relatif à la protection de l’État

 

[16]           Les demandeurs soutiennent que la Cour a déjà conclu, sur la foi de la même preuve documentaire que celle qui lui a été présentée en l’espèce, qu’aucune PRI raisonnable n’existe à Mexico pour les femmes victimes de violence. La demanderesse principale invoque la décision A.Q. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 677 (Quintanar), à cet égard.

 

[17]           En outre, les demandeurs soutiennent que la Cour a jugé que, lorsque la crédibilité n’est pas en cause, il est manifestement déraisonnable de conclure que l’affirmation d’un demandeur selon laquelle il ne pourrait pas obtenir la protection de l’État n’est pas crédible.

 

[18]           Les demandeurs soutiennent également que la Commission n’a pas examiné la preuve qui tend à indiquer que la police n’a pas répondu à la demande de protection de la demanderesse principale, et que celle‑ci n’a pas réclamé de nouveau cette protection parce qu’elle savait que la police considérerait qu’un homme a le droit de battre une femme.

 

[19]           Enfin, les demandeurs rappellent le critère énoncé dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1, et font valoir qu’ils ont réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. Ils soutiennent que la Commission a suivi le critère consacré par l’arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605, 126 N.R. 126 (C.A.), mais que ce critère n’est pas celui qui est indiqué. Ils soulignent également qu’il ressort de la jurisprudence que la capacité de l’État à assurer la protection des personnes comporte non seulement l’existence d’un encadrement législatif et procédural, mais également la capacité et la volonté d’agir.

 

c) Le risque psychologique et émotionnel lié au retour à Mexico

 

[20]           Les demandeurs soutiennent que les rapports des psychothérapeutes de la demanderesse principale révèlent une détérioration de son état émotif et de sa situation familiale et professionnelle causée par sa relation avec son ex‑partenaire. Ils soulignent que la demanderesse principale ne pouvait pas poursuivre sa psychothérapie au Mexique, mais que la Commission s’est appuyée sur des documents produits en preuve qui donnaient à penser qu’elle recevrait au Mexique l’aide psychologique dont elle a besoin. Ils prétendent que la Commission n’a pas tenu compte de tous les rapports psychologiques et que le risque psychologique et émotionnel lié à son retour au Mexique doit être pris en compte dans le cadre de l’examen de sa demande de protection.

 

d) L’omission de tenir compte de la preuve documentaire et l’interprétation incorrecte de celle‑ci

 

[21]           Les demandeurs citent plusieurs extraits du Cartable national de documentation de la Commission, daté du 7 mars 2005, qui appuient leur thèse. Ils prétendent que ces passages contredisent l’interprétation que la Commission a faite de la preuve sur laquelle elle s’est fondée et que cela rend sa décision manifestement déraisonnable.

 

Les raisons impérieuses et le paragraphe 108(4) de la LIPR

 

[22]           Les demandeurs prétendent que la Commission aurait dû vérifier s’il existait des raisons impérieuses pour lesquelles ils ne pouvaient pas demander la protection de l’État. Ils soutiennent que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe de la Commission font état de nombreuses décisions fondées sur des raisons impérieuses et que l’état psychologique et émotif du demandeur d’asile à l’époque de la persécution et au moment de l’examen de sa demande est l’un des facteurs qui doit être pris en compte.

 

Les remarques de la Commission sur la crainte subjective de la demanderesse principale

 

[23]           Finalement, les demandeurs prétendent que, bien qu’elle ait fondé sa décision sur la question de la PRI, la Commission a fait une remarque gratuite sur la crainte subjective de la demanderesse principale parce que celle‑ci s’est réclamée à nouveau de la protection du Mexique après avoir séjourné une première fois au Canada. Selon eux, la Commission a ainsi démontré qu’elle était partiale et cette partialité a entaché l’ensemble de la décision.

 

Le défendeur

 

La possibilité de refuge intérieur et la protection de l’État

 

[24]           Le défendeur prétend que la décision de la Commission concernant l’existence d’une PRI à Mexico est susceptible de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[25]           En ce qui concerne l’examen fait par la Commission de la preuve relative à l’ex‑partenaire de la demanderesse principale, le défendeur dit que la Commission a bien examiné avec soin la preuve documentaire ainsi que la taille et la population de Mexico. Selon lui, la Commission a aussi tenu compte des caractéristiques personnelles de l’ex‑partenaire de la demanderesse principale, des risques qu’il constituait et de l’incidence du fait qu’il vit toujours à Mexico. Elle a cependant conclu, en se fondant sur toutes ces considérations, que les demandeurs disposaient d’une PRI. Le fait que la Commission n’a pas mentionné certains des documents produits en preuve dans ses motifs ne vicie pas la décision et ne signifie pas que la Commission n’a pas tenu compte de cette preuve. En fait, Mexico constituait une PRI valable aux yeux de la Commission en raison des ressources auxquelles pouvaient faire appel dans cette ville les femmes se trouvant dans la même situation que la demanderesse principale. Celle‑ci n’a jamais démontré que son ex‑partenaire exerçait un contrôle sur les organisations vouées à la protection de personnes dans sa situation.

 

[26]           En ce qui concerne les rapports préparés par les psychothérapeutes de la demanderesse principale, le défendeur soutient que le fait que la Commission n’a pas fait mention de chaque rapport psychologique ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte. La Commission n’était pas tenue de faire référence à chacun des rapports, en particulier parce que leur teneur n’était pas contestée. Les rapports ne concernaient tout simplement pas les questions que se posait la Commission au regard de la protection de l’État et de l’existence d’une PRI. En outre, la Commission a conclu expressément que « [le] besoin d’aide psychologique [de la demanderesse principale] sera comblé à Mexico ». Finalement, le défendeur soutient que la demanderesse principale ne peut s’appuyer seulement sur les rapports psychologiques pour démontrer qu’elle serait persécutée à Mexico.

 

[27]           Le défendeur prétend que la Commission n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur l’arrêt Zalzali. Selon lui, il est bien établi dans la jurisprudence que la protection de l’État doit être, non pas parfaite, mais adéquate. L’arrêt Ward ne contredit pas ce principe. Le défendeur prétend également que, comme l’agent de persécution n’est pas l’État en l’espèce, la loi obligeait la demanderesse principale à se tourner vers les ressources de l’État pour obtenir une protection. En outre, il ressort des motifs de la Commission que celle‑ci n’a pas tenu compte seulement des efforts faits par le gouvernement pour lutter contre la violence faite aux femmes, mais également des résultats de ces efforts.

 

[28]           En ce qui concerne l’examen de la preuve effectué par la Commission, le défendeur soutient que cette dernière peut, lorsque la preuve est contradictoire, choisir celle qu’elle préfère, à condition qu’elle fasse ses observations sur les documents contradictoires et qu’elle explique les raisons pour lesquelles elle en a préféré certains. Aussi, les extraits tirés par les demandeurs du Cartable national de documentation ne révèlent rien de plus qu’un désaccord sur la manière dont la Commission a pesé la preuve. De plus, le défendeur prétend que l’on ne peut considérer que la décision Quintanar appuie le principe selon lequel la protection de l’État ne peut jamais être obtenue au Mexique. Chaque affaire est un cas d’espèce.

 

[29]           Par ailleurs, le défendeur soutient que la Commission peut tenir compte de la protection offerte par des organismes de l’État autres que la police, par exemple par des organisations non gouvernementales financées par l’État.

 

[30]           Le défendeur soutient également que la Commission a tenu compte du fait que la demanderesse principale avait déjà porté plainte à la police. La Commission a mentionné ce fait dans ses motifs, mais elle a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fait des efforts suffisants pour demander l’aide de l’État et d’autres organisations à Mexico.

 

[31]           En outre, la Commission n’a pas fondé sa décision concernant l’absence de protection de l’État sur le fait que la prétention de la demanderesse principale n’était pas crédible. Elle a plutôt considéré que cette prétention n’était pas conforme à la preuve.

 

Les raisons impérieuses et le paragraphe 108(4) de la LIPR

 

[32]           Le défendeur fait valoir qu’avant de procéder à l’analyse des raisons impérieuses, la Commission doit conclure que la demande d’asile était valable à un moment donné et que les raisons justifiant cette demande ont disparu. Comme la Commission n’a pas conclu que la demande d’asile était valable, elle n’était pas tenue d’appliquer le paragraphe 108(4).

 

Les observations de la Commission sur la crainte subjective de la demanderesse principale

 

[33]           Le défendeur soutient que la Commission pouvait signaler que le fait que la demanderesse principale n’avait pas demandé l’asile lors de son premier séjour au Canada révélait une absence de crainte subjective, même si elle a finalement fondé sa décision sur l’existence d’une PRI à Mexico. Selon le défendeur, on peut considérer que le fait de se réclamer de nouveau de la protection d’un pays est, en soi, incompatible avec l’existence d’une véritable crainte de persécution.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[34]           Le juge Richard s’est exprimé sur la question de la norme de contrôle indiquée quant aux décisions relatives à la PRI dans la décision Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741, 87 F.T.R. 46. Il a statué au paragraphe 26 qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de ces décisions rendues par la Commission parce que cette question relève directement du champ d’expertise de celle‑ci. Ces décisions exigent l’appréciation de la situation des demandeurs, telle qu’ils l’ont expliquée dans leur déposition, et une compréhension experte de la situation existant dans le pays.

 

[35]           Dans la décision Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 238 F.T.R. 289, 2003 CF 999, la juge Snider a passé en revue la jurisprudence aux paragraphes 5 à 11 et a statué, sans procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle complète, que la norme de contrôle qui était applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable. Plusieurs décisions rendues récemment par la Cour vont dans le même sens. Voir, par exemple, Nwokomah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1535, au paragraphe 9; Ashiru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 6, au paragraphe 7; Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 472, au paragraphe 7; Nakhuda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 698, au paragraphe 8. Comme le juge de Montigny l’a écrit au paragraphe 20 d’Ako c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 647 :

Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux questions de fait relevant du champ d’expertise d’un tribunal est généralement celle de la décision manifestement déraisonnable. Plus particulièrement, la Cour a conclu à maintes reprises que c’est la norme qu’il convient d’appliquer relativement à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur viable […]

 

La jurisprudence est donc bien fixée : la Cour ne doit pas revenir sur la conclusion tirée par la Commission en matière de PRI, à moins que cette conclusion ne soit manifestement déraisonnable. Il semble n’y avoir aucune raison de s’écarter de cette norme en l’espèce.

 

ANALYSE

 

[36]           Les demandeurs contestent plusieurs aspects de la décision de la Commission. Ils prétendent essentiellement que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État et de la PRI. J’ai examiné avec soin chacune des questions ainsi que les arguments avancés par les demandeurs. Je conclus que c’est la façon dont la Commission a traité de la question de la PRI et de celle de la protection de l’État, qui sont reliées, qui déterminera si sa décision doit être maintenue ou infirmée. Il n’y avait pas partialité ou apparence de partialité, et le paragraphe 108(4) ne s’applique pas dans les circonstances.

 

[37]           Le juge O’Keefe a donné quelques indications générales relativement à la question de la PRI dans Omekam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 331. Il s’est exprimé en ces termes au paragraphe 36 :

La critère à deux volets pour établir une PRI a été habilement résumé par le juge Mosley dans la décision Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 601, au paragraphe 20 :

 

Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) et Thirunaukkarasu, précité, doit être rempli :

 

(1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

 

(2) la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier.

 

[38]           La jurisprudence est fixée : la Cour ne doit modifier la conclusion de la Commission concernant la question de la PRI que si cette conclusion est manifestement déraisonnable.

 

[39]           La Commission a effectué son analyse relative à la PRI en tenant pour acquis que les allégations de persécution de la demanderesse principale étaient fondées. L’analyse a porté principalement sur les moyens offerts à Mexico pour obtenir la protection de l’État.

 

[40]           La Commission n’a pas été « convaincu[e] que des preuves claires et convaincantes démontrent que, si la [demanderesse principale] s’adressait aux autorités à Mexico, ces dernières ne feraient pas d’efforts sérieux pour la protéger ».

 

[41]           Les demandeurs contestent les conclusions de la Commission sur cette question parce que, selon eux, la Commission aurait omis de tenir compte des risques particuliers courus par la demanderesse principale, ou n’en aurait pas tenu compte adéquatement. Plus précisément, l’ancien partenaire de la demanderesse principale est un personnage très influent à Mexico et il continuera de la persécuter si elle s’installe dans cette ville.

 

[42]           Les demandeurs font valoir également que la Commission n’a pas tenu compte de manière utile des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ou n’a pas soupesé la preuve en conformité avec ces directives. Ils affirment aussi que des preuves psychologiques écrasantes n’ont pas été prises en considération ou n’ont pas été examinées de manière appropriée.

 

[43]           Je dois dire tout d’abord, après avoir examiné la preuve et la décision de la Commission, qu’il aurait été tout à fait raisonnable que celle‑ci donne raison aux demandeurs, ce qui ne veut pas dire cependant que ses conclusions défavorables étaient manifestement déraisonnables, ou même déraisonnables. C’est d’ailleurs sur cette question que porte la présente instance en contrôle judiciaire.

 

[44]           En fin de compte, les demandeurs estiment tout simplement incroyable que la Commission ait pu tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée, compte tenu de la preuve dont elle disposait, des détails de l’affaire et des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Il s’agit cependant uniquement d’un désaccord avec la Commission, et un tel désaccord n’est pas une raison suffisante pour que la Cour modifie la décision rendue par celle‑ci.

 

[45]           L’examen de la décision de la Commission révèle ce qui suit :

1.                  la crédibilité de la demanderesse principale n’a pas été mise en doute et la Commission a accepté son exposé des faits;

2.                  la Commission a fait explicitement référence à l’agression dont la demanderesse principale a été victime, aux menaces de mort proférées contre elle et à l’aide psychologique dont elle aurait besoin au Mexique et au Canada;

3.                  la demanderesse principale ne s’est pas adressée aux autorités à Mexico afin qu’elles la protègent;

4.                  la Commission fait expressément référence à la prétention de la demanderesse principale selon laquelle les autorités à Mexico ne peuvent la protéger parce que son agresseur habite dans cette ville;

5.                  la Commission reconnaît que, bien que le problème de la violence familiale existe toujours au Mexique, les autorités prennent des mesures pour le régler, surtout à Mexico;

6.                  la Commission reconnaît explicitement que la violence faite aux femmes est omniprésente au Mexique à cause des attitudes sociales et aussi parce que les femmes hésitent à porter plainte aux autorités; elle renvoie aux documents qui traitent de ce problème;

7.                  malgré les problèmes concernant la violence faite aux femmes qu’elle a reconnus, la Commission cite des documents qui démontrent que les demandeurs pourraient obtenir une protection à Mexico. Elle dit expressément que « … certains [des documents sont] mitigés », ce qui signifie qu’elle devait soupeser la preuve et décider quels éléments de preuve elle acceptait relativement à la possibilité, pour les demandeurs, d’obtenir une protection à Mexico;

8.                  la Commission aborde aussi le problème de la corruption soulevé par les demandeurs;

9.                  la possibilité d’obtenir une protection à Mexico a amené la Commission à conclure que la demanderesse principale avait l’obligation de déménager dans cette ville et de s’adresser aux autorités de l’État et à d’autres organisations d’aide avant de demander la protection du Canada;

10.              la demanderesse principale n’a pas réfuté la présomption de la capacité de l’État de la protéger;

11.              il n’y avait aucune « preuve claire et convaincante » démontrant que les autorités à Mexico n’essaieraient pas sérieusement de protéger les demandeurs s’ils s’adressaient à elles. Aussi, la Commission a conclu qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés s’ils se prévalaient de leur PRI;

12.              la Commission a examiné ensuite le caractère raisonnable de la possibilité, pour les demandeurs, de se prévaloir de leur PRI à Mexico;

13.              en soupesant la preuve, la Commission mentionne clairement qu’elle a pris en considération les Directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe et la nécessité, pour la demanderesse principale, d’obtenir une aide psychologique;

14.              la demanderesse principale a déclaré clairement dans sa déposition qu’elle n’avait pas tenté d’obtenir l’aide des organisations qui auraient pu la protéger à Mexico.

 

[46]           La preuve documentaire présentée à la Commission démontrait‑elle que les demandeurs pouvaient obtenir une protection efficace à Mexico? Les exemples suivants sont tirés du dossier :

1.                  Page 131 – Réponse à une demande d’information – La protection offerte à la femme victime de violence conjugale et dont le mari est un agent de police dans l’État de Mexico, ainsi que les recours qui lui sont disponibles; information indiquant si des accusations peuvent être portées dans le District fédéral (MEX39866.E, 27 septembre 2002)

Le 26 septembre 2002, lors d’un entretien téléphonique, une représentante de l’organisation Communication et Information pour la femme (Comunicacion e Informacion de la Mujer - CIMAC) a fourni l’information suivante. La victime de violence conjugale devrait consulter un groupe de soutien aux victimes de telle violence; il en existe un certain nombre dans l’État de Mexico et dans le District fédéral. De plus, la représentante a signalé qu’elle pouvait donner à une telle victime les numéros de téléphone et adresses de ces groupes de soutien. Elle a ajouté qu’une fois la communication établie avec le groupe, la victime reçoit une séance d’orientation portant sur ses droits et sur la manière de porter plainte contre son mari.

 

 

2.                  Page 150 – Réponse à une demande d’informationSuivi de MEX39866.EF du 27 septembre 2002 (MEX40336.E, 11 octobre 2002). Le document indique que les options suivantes sont offertes, entre autres :

1. Le Centre de soutien aux victimes de crime (Centro de Atención a Víctimas del Delito - CAVIDE), où la victime peut déposer une plainte et en arriver à une entente. La victime y trouve également du soutien affectif;

2. L’Unité de soutien et de prévention de la violence familiale (Unidad de Atención y Prevención a la Violencia Familiar - UAPVIF), où les autorités convoquent l’agresseur pour la signature d’un accord de non‑agression en présence d’un avocat et prennent d’autres mesures administratives concernant les amendes et l’arrestation de l’agresseur. L’Unité offre aussi une thérapie à l’agresseur et à la victime;

3. La victime peut s’adresser à un juge d’un tribunal de la famille, ce qui entraînerait des procédures judiciaires visant à prononcer le divorce pour cause de violence conjugale. Le juge ordonnerait les mesures de prévention nécessaires au début des procédures, comme la séparation temporaire des époux et des prestations temporaires. De même, les parties peuvent signer une entente.

4. Enfin, la victime peut demander au ministère public d’entreprendre une enquête préliminaire sur les accusations de violence familiale. Cette enquête déterminerait s’il convient de porter la cause en question au criminel, avec les procédures que cela comporte, ce qui entraînerait pour l’agresseur une condamnation et une peine d’emprisonnement.

 

[47]           Comme la Commission l’a signalé dans sa décision, certains des documents produits en preuve sur la protection de l’État pouvant être obtenue à Mexico sont mitigés, mais la Commission a clairement examiné les ressources existantes avant de tirer ses conclusions. D’autres conclusions auraient peut‑être été raisonnables. J’aurais pu éventuellement en arriver moi‑même à une conclusion différente si la même preuve m’avait été présentée. Cela ne veut pas dire cependant que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables. La décision rendue par la Commission s’appuyait sur la preuve.

 

[48]           Pour conclure à l’existence d’une PRI, la Commission devait être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Mexico et que, dans les circonstances, notamment la situation particulière de la demanderesse principale, il n’aurait pas été déraisonnable pour eux de chercher refuge dans cette ville vu la situation qui y prévalait. La Commission a conclu en l’espèce que les demandeurs pouvaient raisonnablement se réfugier à Mexico. Les demandeurs n’ont pas démontré que cette conclusion était manifestement déraisonnable en l’espèce.

 

[49]           La demanderesse principale prétend que, pour rendre sa décision, la Commission a seulement tenu compte du fait qu’elle est très instruite, qu’elle a travaillé pendant bon nombre d’années et qu’elle a beaucoup voyagé. Elle dit que la Commission n’a pas examiné la question du risque. Or, ce n’est pas le cas. La Commission a tenu compte des facteurs indiqués plus haut pour savoir s’il était raisonnable pour les demandeurs en l’espèce de vivre à Mexico. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la Commission a tenu compte du fait que le persécuteur de la demanderesse principale vit à Mexico, la PRI envisagée. Elle a d’ailleurs reconnu ce fait dans ses motifs : « [la demanderesse principale] a ajouté que les autorités à Mexico ne peuvent pas la protéger parce que De Leon vit dans cette ville ».

 

[50]           La Commission a conclu que Mexico constituait une PRI valable en raison des ressources qui, dans cette ville, peuvent protéger les femmes se trouvant dans la situation de la demanderesse principale. Cette conclusion n’était pas manifestement déraisonnable compte tenu de l’examen minutieux de la preuve documentaire qui a été effectué par la Commission ainsi que de la taille et de la population de Mexico.

 

[51]           Contrairement à ce que la demanderesse principale prétend, la Commission n’a pas omis de prendre en considération les caractéristiques de son persécuteur et les risques particuliers qu’il constitue (il est un homme d’affaires puissant et le frère d’une femme qui a occupé des postes importants au sein de l’administration du gouvernement fédéral du Mexique). En fait, la Commission a été convaincue que la demanderesse principale pourrait, à Mexico, obtenir l’aide d’organisations chargées de protéger et de soutenir des femmes comme elle.

 

[52]           En outre, la déposition de la demanderesse principale selon laquelle M. De Leon a versé des pots‑de‑vin à des membres du gouvernement dans le but de réaliser ses projets commerciaux ne justifie pas la conclusion qu’il exerce un contrôle ou une influence sur les refuges pour femmes, les juges des tribunaux de la famille, les représentants du ministère public et les différentes organisations non gouvernementales qui ont précisément pour mission de protéger les personnes se trouvant dans la même situation que la demanderesse principale. Celle‑ci a admis qu’elle n’avait pas fait appel à ces ressources à Mexico.

 

[53]           Le défendeur prétend que la Commission n’a pas eu tort de se fonder sur la décision Zalzali. Le principe selon lequel la protection de l’État doit être adéquate, non pas parfaite, est bien reconnu par la jurisprudence et n’est pas contredit par la décision Ward. La Commission doit être convaincue qu’il existe effectivement une protection non pas parfaite, mais adéquate. C’est ce qu’a confirmé la Cour à maintes et maintes reprises, notamment dans Blanco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1487, où le juge Phelan a écrit au paragraphe 10 : « La loi exige que la protection soit non pas “parfaite”, mais “adéquate”. » Voir aussi Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1991), 150 N.R. 232, 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.).

 

[54]           Comme la juge Snider l’a expliqué succinctement dans la décision Judge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1089, aux paragraphes 8 et 10 :

C’est à la demanderesse qu’il incombe de produire des éléments de preuve réfutant la présomption selon laquelle elle peut bénéficier de la protection de l’État. Le test applicable est objectif, et la demanderesse est tenue de « démontrer qu’il lui est physiquement impossible de rechercher l’aide de son gouvernement [...] ou que le gouvernement lui‑même ne peut d’une façon quelconque la lui accorder » (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232, page 234 (C.A.F.)) […]

 

En l’espèce, il est clair que la Commission a entendu et compris le témoignage de la demanderesse selon lequel celle‑ci croyait que la police était « de mèche » avec ses employeurs. Il s’agissait là d’une croyance subjective; comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le test applicable à la question de savoir si la protection de l’État « aurait pu raisonnablement être assurée » est objectif. Il ne suffit pas que la demanderesse croie tout simplement qu’elle ne peut pas se prévaloir de la protection de l’État.

 

[55]           Il est bien établi également que, en ce qui concerne un État démocratique comme le Mexique, le demandeur ne doit pas démontrer seulement qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Voir N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), 206 N.R. 272, au paragraphe 5. Le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie qui règne dans l’État en cause : plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur doit avoir cherché à épuiser les recours qui lui sont ouverts. En l’espèce, la demanderesse principale s’est adressée à la police une seule fois et n’a pas eu recours aux nombreuses ressources offertes aux femmes victimes de violence à Mexico. Les faits de la présente affaire sont différents de ceux de l’affaire Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 339, 2002 CFPI 1081, où l’agent de persécution était l’État lui‑même. Il incombait donc à la demanderesse principale en l’espèce de faire appel aux ressources de l’État avant de demander la protection d’un autre pays.

 

[56]           Les demandeurs n’ont pas non plus été en mesure de démontrer que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation de la preuve documentaire qu’elle a faite sur la foi de la décision Quintanar. Bien que, dans cette affaire, la Cour ait conclu, en se fondant sur certains des documents produits en preuve, que la protection de l’État ne pouvait pas être obtenue, cette décision ne signifie pas que les femmes victimes de violence ne peuvent jamais obtenir la protection de l’État au Mexique. En fait, chaque affaire est un cas d’espèce et il appartient toujours à la Commission d’examiner et de soupeser la preuve. Comme le juge O’Keefe l’a mentionné dans Castro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1165, au paragraphe 34, au sujet de l’enseignement de la jurisprudence Quintanar :

[…] Je ne sais pas si la Commission serait parvenue aux mêmes conclusions que le juge Kelen dans Quintanar, précité, à savoir que la présomption de la disponibilité de la protection de l’État a été réfutée, si elle avait eu ces éléments de preuve à l’esprit. Je rappellerai qu’il appartient à la Commission de juger la preuve mais elle doit préciser les raisons pour lesquelles elle écarte cette preuve. [non souligné dans l’original]

 

 

[57]           En l’espèce, la Commission a reconnu que la protection pouvant être obtenue au Mexique n’est pas parfaite, mais elle a considéré que la demanderesse principale n’avait pas tenté d’utiliser les ressources mises à la disposition des femmes dans sa situation.

 

[58]           Comme les demandeurs le signalent, la crédibilité des demandeurs n’était pas en cause en l’espèce parce que la Commission a accepté leurs dépositions. La Commission n’a pas eu besoin de citer le rapport psychologique en entier, en particulier parce que sa teneur n’était pas contestée. Le fait que la demanderesse principale a suivi une thérapie au Mexique et qu’elle avait des symptômes de stress post‑traumatique et le fait que ces symptômes auraient pu être causés par son ancien partenaire violent n’ont pas été contestés. Le rapport n’avait tout simplement aucun lien avec les réserves de la Commission : la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption que l’État assure la protection des personnes et l’existence d’une PRI à Mexico.

 

[59]           En outre, les rapports psychologiques ne prouvent pas par eux‑mêmes le bien‑fondé de la demande d’asile en cause. La demanderesse principale ne peut s’appuyer uniquement sur ces rapports pour démontrer qu’elle serait persécutée si elle retournait à Mexico. Il appartenait à la Commission d’examiner la preuve et de rendre une décision.

 

Le paragraphe 108(4)

 

[60]           Le paragraphe 108(4) de la LIPR permet aux autorités canadiennes d’accorder l’asile pour des motifs d’ordre humanitaire à la catégorie spéciale et limitée de personnes « qui ont souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution ». En d’autres termes, il faut, pour faire jouer le paragraphe 108(4), que les demandeurs aient obtenu la qualité de réfugié au sens de la Convention conformément à la loi et que les conditions ayant justifié cette conclusion n’existent plus. Les circonstances exceptionnelles visées au paragraphe 108(4) de la LIPR ne se produisent que dans un très petit nombre de cas. Voir, par exemple, Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739, (1992), 93 D.L.R. (4th) 144, à la page 157 (C.A.F.).

 

[61]           Le juge Noël a récemment étudié la question dans la décision Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 343, aux paragraphes 19 et 22. Il a rappelé que l’analyse exigée par l’article 108 ne peut être effectuée si le demandeur ne répond pas à la définition du réfugié au sens de la Convention ou de la personne à protéger :

À mon avis, le par. 108(4) de la LIPR n’est pas applicable à la présente affaire. La SPR ne doit pas entreprendre dans chaque affaire une analyse fondée sur le par. 108(4). Ce n’est que lorsque la SPR invoque l’alinéa 108(1)e) qu’elle doit procéder à une évaluation des « raisons impérieuses », c.‑à‑d. dans le cas où le demandeur d’asile a obtenu la qualité de réfugié mais à qui on a refusé ce statut en raison d’un changement des conditions de son pays d’origine. Dans Kalumba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 680, [2005] A.C.F. no 879, aux par. 18 et 19, le juge Shore a fourni un résumé succinct des principes applicables :

 

De par le libellé de l=article, la Commission doit d=abord conclure qu=une personne se serait vue conférer le statut de réfugié n=eut été des changements de circonstances survenus dans le pays avant de considérer l=application du paragraphe 108(4) de la Loi. En l=espèce, la Commission a conclu que M. Kalumba disposait d=une possibilité de refuge interne dans son pays d=origine et par conséquent, elle a donc conclu que M. Kalumba n=avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[…] Il n=y avait donc pas lieu pour la Commission de procéder à une analyse des « raisons impérieuses » en vertu du paragraphe 108(4) de la Loi.

[…]

Dans la présente affaire, la demande des demandeurs a été rejetée parce que la SPR a jugé qu’ils avaient accès à la protection de l’État. Leur demande a été rejetée parce qu’ils ne répondaient pas aux conditions d’obtention de la qualité de réfugié ou de personne à protéger. L’exception prévue à l’alinéa 108(1)e) ne leur était pas applicable. Par conséquent, la SPR n’était aucunement tenue de procéder à un examen des « raisons impérieuses ».

 

[62]           De même, la Commission a conclu, en l’espèce, que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’ils disposaient d’une PRI à Mexico et qu’ils pouvaient obtenir la protection de l’État dans cette ville. Par conséquent, l’analyse des raisons impérieuses n’était pas justifiée.

 


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM‑6646‑05

 

INTITULÉ :                                                       LUCIA MARTINEZ ORTIZ ET AL.

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               Le 15 août 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 10 novembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Fine                                                           POUR LES DEMANDEURS

 

Alison Engel‑Yan                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Fine                                                           POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

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