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Date : 20060426

Dossier : IMM‑5014‑05

Référence : 2006 CF 522

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

ABDUL RAHMAN KHWAJA

Demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 14 juin 2005 par laquelle Nicolas Drouin (l’agent des visas) de l’ambassade du Canada à Moscou, en Russie, a décidé que le demandeur ne remplissait pas les conditions d’attribution d’un visa de résident permanent parce qu’il n’appartenait pas à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. L’agent des visas a conclu que le demandeur ne répondait pas aux conditions des paragraphes 11(1) et 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour le motif que les preuves concernant son métier et son service militaire n’étaient pas dignes de foi.

 

[2]               Par souci de commodité, j’ai joint les dispositions légales applicables à la présente affaire à l’annexe A.

 

1.         Les faits

[3]               Le demandeur, Abdul Rahman Khwaja, est d’origine ethnique tadjik et est né à Kaboul, en Afghanistan, le 18 octobre 1965. Lorsqu’il a terminé ses études secondaires, le demandeur a commencé son service militaire obligatoire en 1983 et a été affecté à l’aéroport de Kaboul. Il a été libéré en 1986 et a ensuite été employé comme commis par une société d’électricité de Kaboul, En 1988, le demandeur s’est rendu en URSS et a été admis à l’université agricole tadjik de Dushanbe, au Tadjikistan.

 

[4]               Le 14 août 2004, l’ambassade canadienne à Moscou a reçu une demande de résidence permanente et de réinstallation concernant le demandeur, sa femme et leurs cinq enfants par l’intermédiaire du Haut‑commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCRNU) à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de celle des personnes protégées à titre humaitaire outre‑frontières.

 

2.         La première entrevue

[5]               L’agent des visas a fait passer au demandeur une première entrevue le 15 octobre 2004 et a conclu qu’il répondait à la définition de réfugié au sens de la Convention pour le motif qu’il craignait d’être persécuté par les autorités afghanes en raison des prétendus liens qu’il aurait entretenus avec l’ancien gouvernement communiste de ce pays. L’agent des visas a informé le demandeur que sa demande de résidence permanente était accordée, en attendant que soient vérifiés son certificat de santé et son autorisation de sécurité.

 

3.         Les allégations d’un informateur au sujet des antécédents criminels du demandeur

[6]               Le 13 avril 2005, l’agent des visas a reçu un appel téléphonique d’un tiers identifiable (l’informateur) qui lui a déclaré que le demandeur était un ancien trafiquant de drogue, qu’il avait été emprisonné à Dushanbe, qu’il avait été un membre Khalqi du PDPA et qu’il avait participé à des combats pendant son service militaire en Afghanistan. L’agent des visas a demandé à l’informateur de transmettre par écrit ces renseignements à l’ambassade du Canada. Le 19 avril 2005, l’informateur a envoyé à l’ambassade par télécopie une lettre dans laquelle il alléguait que le demandeur était un membre actif du Hizbi Halq, qu’il avait servi dans le Khad, qu’il avait fait la contrebande d’or et de pierres précieuses au cours des cinq ou six années précédentes, qu’il avait fait de la traite d’Afghans à l’étranger et qu’il avait été emprisonné à deux reprises pour avoir participé à la traite d’êtres humains et à la contrebande de pierres précieuses.

 

4.         La seconde entrevue

[7]               L’agent des visas a estimé que les allégations de l’informateur suscitaient suffisamment d’inquiétudes touchant la sécurité et les antécédents criminels du demandeur pour lui faire passer une nouvelle entrevue. Le demandeur n’a pas été informé du motif pour lequel il était convoqué à la seconde entrevue, mais l’agent des visas a fait part au demandeur des allégations ci‑dessus au cours de l’entrevue du 21 mai 2005. Le demandeur a nié toutes les allégations.

 

5.         La décision attaquée

[8]               Dans une lettre datée du 14 juin 2005, l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur pour le motif que les preuves concernant son métier et son service militaire n’étaient pas dignes de foi. L’agent des visas a conclu que le demandeur n’appartenait ni à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières au sens des articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Les passages importants de la lettre se lisent ainsi :

[TRADUCTION]

Le paragraphe 16(1) de la Loi énonce que l’auteur d’une demande doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis.

 

Après avoir soigneusement examiné tous les facteurs concernant votre demande, je ne suis pas convaincu que vous appartenez à une des catégories prescrites parce que les réponses que vous avez fournies à mes questions au cours de l’entrevue étaient contradictoires et imprécises. J’estime que vos explications concernant votre service militaire et vos activités en Afghanistan et au Tadjikistan sont peu vraisemblables. Vous ne répondez donc pas aux conditions prévues par ce paragraphe.

 

 

Le paragraphe 11(1) de la Loi énonce :

 

L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

Le paragraphe 2(2) précise que, sauf disposition contraire de la présente loi, toute mention de celle‑ci vaut également mention des règlements pris sous son régime.

 

J’ai examiné votre demande et je ne suis pas convaincu que vous répondez aux conditions de la Loi et du Règlement pour les motifs exposés ci‑dessus. Votre demande est par conséquent rejetée.

 

 

[9]               Par avis de demande déposé le 17 août 2005, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire du rejet par l’agent des visas de sa demande de résidence permanente.

 

6.         Les questions en litige

[10]           La présente demande soulève trois questions :

A.        La Cour peut‑elle tenir compte de la preuve qui n’a pas été soumise à l’agent des visas?

 

B.         L’agent des visas a‑t‑il manqué à son obligation d’équité en ne donnant pas au demandeur une réelle possibilité de répondre aux allégations concernant ses activités criminelles?

 

C.        L’agent des visas a‑t‑il commis une erreur en tirant une conclusion défavorable générale relative à la crédibilité du demandeur pour le motif que :

 

1)         le témoignage du demandeur au sujet de son livret militaire comportait des contradictions;

 

2)         il a préféré au témoignage du demandeur un témoignage non vérifié qui contenait des allégations relatives aux activités criminelles du demandeur.

 

7.         Analyse

A.        La Cour peut‑elle tenir compte de la preuve qui n’a pas été soumise à l’agent des visas?

 

[11]           Le défendeur soutient que le demandeur invite la Cour à examiner la décision de l’agent des visas en se fondant sur une nouvelle preuve qui n’avait pas été présentée au décideur initial. Plus précisément, il soutient que les paragraphes 3 à 10, 12, 18 et 24 de l’affidavit déposé par le demandeur le 1er octobre 2005 font état de faits nouveaux qui n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agent des visas au moment où il a pris sa décision. Ces mêmes faits nouveaux sont reformulés dans certaines parties des affidavits à l’appui déposés par Khwaja Sidiqi et Zohira Vali Muhammad le 2 octobre 2005. Le demandeur produit ces affidavits pour renforcer la crédibilité de son témoignage au sujet de son métier et de son service militaire et pour appuyer son affirmation selon laquelle l’agent des visas a commis une erreur en déclarant que le demandeur était interdit de territoire.

 

[12]           Il est bien établi que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la preuve qui n’a pas été présentée au décideur n’est pas admissible devant la cour de révision : voir Asafov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 48 A.C.W.S. (3d) 623 (C.F. 1re inst.), [1994] A.C.F. no 717 (1re inst.) (QL). La Cour d’appel fédérale a jugé, dans l’arrêt Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, (2004), 323 N.R. 195 (C.A.F.), qu’en raison de la nature du contrôle judiciaire, la Cour ne peut apprécier la légalité d’une décision qu’en se fondant sur le dossier dont disposait le décideur. Le juge Gilles Létourneau a déclaré ce qui suit au paragraphe 11 de l’arrêt Bekker :

[11]         Les demandes de contrôle judiciaire ont une portée limitée. Il ne s’agit pas de nouvelles instances au cours desquelles de nouvelles questions peuvent être tranchées sur la foi de nouveaux éléments de preuve. Comme l’a dit le juge Rothstein, de la Cour d’appel fédérale, dans Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees' Union, [2000] 1 C.F. 135, au paragraphe 15, « le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions » et, j’ajouterais, simplement d’en déterminer la légalité : voir également Offshore Logistics Inc. c. Intl. Longshoremen's Assoc. section locale 269 (2000), 257 N.R. 338 (C.A.F.). C’est la raison pour laquelle, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme l’existence de questions relatives à la partialité ou à la compétence, qui ne figurent pas nécessairement au dossier, la cour de révision est liée par le dossier dont le juge ou l’office était saisi et est limitée à ce dossier. Par souci d’équité pour les parties et pour le tribunal dont la décision est révisée, cette restriction est nécessaire. […]

 

 

[13]           La Cour peut tenir compte d’une nouvelle preuve lorsqu’elle examine des allégations de violation de l’équité procédurale : voir Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario (C.A.), [2003] 1 C.F. 331.

 

[14]           J’ai examiné la décision et les motifs de l’agent des visas déposés au greffe de la Cour le 1er septembre 2005 et le dossier certifié supplémentaire du tribunal déposé le 27 février 2006. Je conclus que les affidavits mentionnés ci‑dessus ne faisaient pas partie du dossier présenté à l’agent des visas et que, par conséquent, ils ne peuvent être pris en compte par la Cour chargée d’examiner sa décision. Si la Cour examinait cette décision en se fondant sur des éléments de preuve dont ne disposait pas l’agent des visas, elle transformerait un examen fondé sur le dossier en un appel de novo portant sur le bien‑fondé de la décision. Les paragraphes 3 à 9 de l’affidavit du demandeur font état de renseignements concernant des antécédents familiaux qu’ignorait l’agent des visas; les paragraphes 10 et 12 concernent le service militaire du demandeur et les tâches qu’il accomplissait dans l’unité de logistique de l’aéroport militaire de Kaboul, en Afghanistan; le paragraphe 18 indique que le gouvernement tadjik a refusé d’accorder la résidence permanente au demandeur; le paragraphe 24 décrit le permis de séjour qui autorisait le demandeur à vivre à Dushanbe, au Tadjikistan. Le dossier ne contient aucun élément indiquant que ces renseignements aient été portés à la connaissance de l’agent des visas le 14 juin 2005 ou avant cette date, et la Cour ne tiendra pas compte de ces faits nouveaux pour se prononcer dans la présente affaire.

 

B.        L’agent des visas a‑t‑il manqué à son obligation d’équité en omettant de donner au demandeur une réelle possibilité de répondre aux allégations concernant ses activités criminelles?

 

[15]           Dans Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, (2004), 316 N.R. 299 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a examiné le contexte dans lequel un agent des visas étudiait une demande de résidence permanente au Canada et a jugé que le contenu de l’obligation d’équité est une question de droit qui varie en fonction des faits de chaque affaire. En l’espèce, le demandeur soutient que l’agent des visas a violé l’équité procédurale en omettant de donner au demandeur une véritable possibilité de répondre aux allégations de l’informateur concernant ses activités criminelles. Le demandeur soutient qu’il aurait dû avoir la possibilité de fournir une preuve susceptible de réfuter les allégations faites contre lui, après la fin de la deuxième entrevue.

 

[16]           Selon les décisions John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 257, (2003), 26 Imm. L.R. (3d) 221 (C.F. 1re inst.), et Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 402, (2000), 257 N.R. 139 (C.A.F.), l’agent des visas est tenu de divulguer ses doutes au demandeur et de lui accorder la possibilité de dissiper valablement ces doutes. Dans la décision John, le juge Allen Linden (ex officio) a annulé la décision de l’agent des visas parce que le demandeur n’avait été informé des motifs de la nouvelle entrevue qu’au cours de celle‑ci et que l’agent des visas lui avait refusé la possibilité de présenter des preuves supplémentaires, comme il le demandait à l’audience. Le juge Linden a déclaré que, dans cette affaire, le demandeur n’avait pas vraiment eu la possibilité de dissiper les doutes de l’agent. Il a déclaré ce qui suit aux paragraphes 6, 17 et 18 :

[6]           L’agent des visas déclare que le demandeur a eu la possibilité de répondre à ses doutes en ce qui a trait au certificat de naissance frauduleux, mais le demandeur n’est pas d’accord. Il affirme qu’il n’a pas été avisé à l’avance de l’objet de la deuxième entrevue, et que l’agent des visas a ignoré son explication et ne lui a pas donné la possibilité de prouver son lien de parenté avec sa tante. Il ne s’agissait pas là, allègue‑t‑il, d’une possibilité valable de répondre.

 

[…]

 

[17]         Le défendeur est d’avis que l’agent des visas a accompli son obligation d’agir équitablement en faisant part au demandeur de ses doutes et en lui fournissant la possibilité d’y répondre à l’audience. Le défendeur se fonde sur la décision Patel c. Canada (le Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 1410 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour a conclu que l’obligation d’équité avait été respectée lorsque le demandeur a subi une deuxième entrevue lui permettant de répondre aux doutes de l’agent des visas quant à son manque de compétence et d’expérience comme imprimeur.

 

[18]         Dans l’affaire Patel, la Cour a conclu qu’on avait avisé le demandeur des doutes de l’agent des visas et qu’on lui avait donné la possibilité d’y répondre pleinement lors de la deuxième entrevue. Dans l’affaire Patel, cependant, l’immigrant éventuel avait été avisé de l’objet de la deuxième entrevue dans une lettre qui lui avait été envoyée avant l’entrevue. Dans la présente affaire, le demandeur n’a été avisé de l’objet de la deuxième entrevue qu’au moment où il s’y est présenté. Pour ce motif, on ne peut pas dire qu’on lui a donné la possibilité de répondre pleinement aux doutes de l’agent des visas quant à l’authenticité du certificat de naissance de sa tante. Si le demandeur avait été avisé à l’avance de l’objet de sa deuxième entrevue, ou si on lui avait accordé du temps après l’entrevue, il aurait peut‑être pu rassembler des éléments de preuve afin de répondre d’une manière valable aux doutes de l’agent des visas concernant le document. Cela aurait pu être fait par téléphone ou par d’autres moyens de communication par écrit.

 

[17]           L’obligation d’équité exige que le demandeur soit informé des doutes qu’entretient l’agent des visas et qu’il lui soit accordé une véritable possibilité de les dissiper en produisant une preuve susceptible de le faire. Lorsque l’avis est donné au moment de l’entrevue, l’agent des visas doit donner au demandeur un délai raisonnable pour qu’il puisse répondre utilement aux allégations.

 

[18]           En l’espèce, l’agent des visas a, à la mi‑mai 2005, convoqué le demandeur à une deuxième entrevue fixée au 21 mai 2005. Le demandeur n’a pas été informé avant l’entrevue de ces allégations; elles lui ont été communiquées à l’entrevue. Le demandeur et le défendeur ne s’entendent pas sur le moment auquel le demandeur a été informé de ces allégations au cours de l’entrevue, un aspect qui ne m’apparaît pas important. Le demandeur a été informé du motif à l’origine de la deuxième entrevue, a eu la possibilité de réfuter les allégations de l’informateur et a en fait fourni des explications que l’agent des visas a rejetées. Il incombe au demandeur de fournir suffisamment de preuve pour appuyer sa demande de résidence permanente : voir Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 316 (1er inst.); Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 574 (1re inst.); et Tahir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 159 F.T.R. 109 (1re inst.).

 

[19]           Les faits de la présente espèce sont très différents de ceux de l’affaire John. Le demandeur n’a pas sollicité la possibilité de présenter une preuve à l’agent pour dissiper ses doutes. Il incombait au demandeur de demander un délai pour pouvoir réfuter les allégations faites contre lui, ce qu’il n’a pas fait. Il n’est pas possible d’affirmer qu’on lui a refusé la possibilité de présenter d’autres preuves après l’entrevue pour apaiser les doutes de l’agent Drouin. En effet, il n’a pas demandé qu’on lui donne cette possibilité. Il n’existe aucun élément de preuve dans le dossier sur lequel s’est fondé l’agent des visas ni dans les affidavits présentés à la Cour susceptible d’étayer une conclusion selon laquelle le demandeur a exprimé l’intention, au cours de l’entrevue ou par la suite, de présenter une preuve en vue de réfuter les allégations relatives à ses activités criminelles.

 

[20]           Il n’incombait pas à l’agent des visas de proposer au demandeur au cours de la seconde entrevue qu’il recherche une nouvelle preuve pour réfuter les allégations de l’informateur. Ce fardeau incombait au demandeur. Au cours du contre‑interrogatoire de l’agent Drouin tenu le 30 janvier 2006 au sujet de son affidavit déposé le 2 novembre 2005, celui‑ci a déclaré qu’il aurait examiné cette preuve si le demandeur la lui avait présentée :

[TRADUCTION]

[504]             Q – Étiez‑vous particulièrement pressé de rendre une décision dans cette affaire après la seconde entrevue?

 

R – Non, je n’étais pas particulièrement pressé.

 

[505]             Q – Y avait‑il – lui avez‑vous offert un délai pour qu’il puisse obtenir des documents destinés à réfuter les allégations?

 

R – Non. En fait, s’il m’avait remis de tels documents, je les aurais examinés.

 

 

[21]           Le demandeur n’a été informé de la teneur des allégations faites contre lui qu’au cours de la seconde entrevue, mais il a eu la possibilité d’y répondre utilement et il lui incombait de demander un ajournement ou un délai supplémentaire pour présenter une preuve susceptible de dissiper les doutes de l’agent. Le fait que le demandeur n’ait pas présenté une telle demande montre que l’agent des visas n’a pas manqué à son obligation d’équité.

 

C.        L’agent des visas a‑t‑il commis une erreur en tirant une conclusion défavorable générale relative à la crédibilité du demandeur?

 

[22]           Aucune des parties n’a abordé la question de la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas d’accorder ou de refuser une demande de résidence permanente ou à la conclusion défavorable à laquelle l’agent est arrivé en matière de crédibilité. Dans la décision Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459, le juge Yves de Montigny a constaté que la Cour était divisée sur la question de savoir si c’était la norme de la décision raisonnable simpliciter ou celle de la décision manifestement déraisonnable qui s’appliquait aux décisions des agents des visas. Après avoir pris note de l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par le juge John O’Keefe dans le jugement Yin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 106 A.C.W.S. (3d) 726 (C.F. 1re inst.), le juge de Montigny a conclu que les décisions des agents des visas fondées sur des conclusions purement factuelles devaient être examinées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable, tandis que les décisions des agents des visas fondées sur l’application de faits à des normes juridiques appelaient l’application de la norme de la décision raisonnable. Le juge de Montigny a déclaré aux paragraphes 18 à 20 et 22 :

[18]         La norme de contrôle applicable dans le cadre des décisions prises par les agents des visas ne fait pas l’unanimité et semble avoir donné lieu à des décisions en apparence contradictoires. Dans certains cas, on a retenu la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir, entre autres, Yaghoubian c. Canada (M.C.I.), [2003] CFPI 615; Zheng c. Canada (M.C.I), IMM‑3809‑98; Lu c. Canada (M.C.I.), IMM‑414‑99). Dans d’autres décisions, on a plutôt opté pour la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir notamment Khouta c. Canada (M.C.I.), [2003] CF 893; Kalia c. Canada (M.C.I.), [2002] CFPI 731).

 

[19]         Pourtant, si l’on y regarde de plus près, ces décisions ne sont pas irréconciliables. Si l’on en est arrivé à des conclusions différentes, c’est essentiellement parce que la nature de la décision faisant l’objet de révision par cette Cour peut varier selon le contexte. Ainsi, il va de soi que la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d’un agent des visas appelé à évaluer l’expérience d’un immigrant éventuel au regard d’une profession sera celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la mesure où la décision de l’agent repose sur un examen des faits, cette Cour n’interviendra pas à moins que l’on puisse démontrer que cette décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

 

[20]         Par contre, il en ira autrement si la décision de l’agent des visas comporte l’application de principes généraux découlant d’une loi ou d’un règlement à des circonstances précises. Lorsque la décision repose sur une question mixte de droit et de fait, la Cour fera preuve d’une moindre grande retenue et voudra s’assurer que la décision est tout simplement raisonnable. C’est ce qu’a conclu mon collègue le juge O’Keefe dans l’arrêt Yin c. Canada (M.C.I.), [2001] CFPI 661 […]

 

[…]

 

[22]         […] [C]ette Cour doit faire preuve de retenue lorsque la décision contestée est purement factuelle. Tel n’est pas le cas ici : nous sommes au contraire en présence d’une question mixte de fait et de droit, qui commande un degré de déférence moins élevé qu’une question de fait. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il n’y a pas de clause privative dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et que l’agent des visas détermine les droits de la demanderesse plutôt que de traiter d’une question polycentrique, pour reprendre les termes du juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982, il n’y a pas de doute que la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

 

Je souscris au raisonnement de mon collègue au sujet de la norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas.

 

[23]           La question précise à laquelle il convient de répondre ici est de savoir si l’agent des visas a commis une erreur lorsqu’il a tiré ses conclusions en matière de crédibilité. Ces conclusions de fait relèvent manifestement des fonctions qu’attribue le paragraphe 11(1) de la Loi aux agents des visas. La Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle examine ces conclusions. Elles doivent être examinées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[24]           Pour les motifs qui suivent, je statue que les conclusions de l’agent des visas en matière de crédibilité n’étaient pas manifestement déraisonnables. Il en découle que la Cour n’est pas justifiée d’intervenir. Il n’y a pas lieu de modifier la décision de l’agent des visas.

 

                        1)         Les preuves contradictoires concernant le livret militaire

[25]           L’agent des visas a déclaré qu’au cours de la première entrevue, le demandeur avait présenté son livret militaire, mais qu’il avait déclaré au cours de la seconde entrevue que le livret lui avait été dérobé chez lui en 1993. Le demandeur soutient que l’agent des visas a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité sans tenir compte de la preuve.

 

[26]           Les notes enregistrées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) concernant la première entrevue tenue le 15 octobre 2004 indiquent que l’agent des visas a examiné le livret militaire du demandeur :

[TRADUCTION]

[…] a effectué son service militaire comme simple soldat auprès du ministère de la Défense à l’aéroport de Kaboul. Livret militaire examiné.

 

 

 

[27]           Les notes du STIDI concernant la seconde entrevue tenue le 21 mai 2005 indiquent que le demandeur n’était pas en possession de son livret militaire à ce moment‑là et qu’il a expliqué qu’on le lui avait volé en 1993. Les notes de l’agent des visas indiquent qu’il a vérifié les notes concernant l’entrevue précédente qui mentionnaient qu’il avait vu le livret militaire à ce moment‑là :

[TRADUCTION]

[…] Le demandeur a également déclaré qu’il n’avait jamais participé à des combats alors que les renseignements que nous avons obtenus indiquent le contraire. Le demandeur déclare qu’il a effectué son service militaire à l’aéroport de Kaboul. Lorsque j’ai demandé au demandeur de me montrer son livret militaire, il m’a dit qu’il l’avait perdu. Il a déclaré que quelqu’un lui avait volé son livret militaire en 1993. D’après mes notes concernant l’entrevue précédente, le demandeur était en possession de son livret militaire au moment de l’entrevue.

 

 

[28]           Dans son affidavit, le demandeur affirme qu’il n’avait pas montré son livret militaire au cours de la première entrevue du 15 octobre 2004, qu’on le lui avait volé chez lui en 1993 et que l’agent lui avait demandé, au cours de la seconde entrevue tenue le 21 mai 2005, s’il avait « trouvé » le document, ce à quoi il aurait répondu qu’on le lui avait volé. Le demandeur soutient donc essentiellement que l’agent a consigné des notes inexactes dans le STIDI, étant donné qu’au moment où a eu lieu la première entrevue, il devait s’occuper d’un très grand nombre de dossiers.

 

[29]           La Cour ne peut résoudre ces contradictions en faveur du demandeur. Les notes du STIDI concernant la première entrevue montrent que le demandeur a effectué son service comme simple soldat à l’aéroport de Kaboul, élément qui pourrait être logiquement fondé sur la déclaration selon laquelle l’agent a examiné le livret militaire. Les notes mentionnent également que l’agent n’avait pas de doutes particuliers touchant l’aspect sécurité, conclusion qui est également susceptible d’avoir été tirée de l’examen de ce même document. Dans son affidavit du 2 novembre 2005, l’agent Drouin déclare que le contenu des notes du STIDI était véridique et exact, que le demandeur avait produit son livret militaire au cours de la première entrevue, qu’il l’avait examiné et qu’il avait noté avoir vu le document. Il est donc impossible de conclure que la conclusion de l’agent des visas selon laquelle il a vu le livret au cours de la première entrevue a été tirée sans tenir compte de la preuve figurant au dossier.

 

2)         Les allégations de l’informateur relatives aux activités criminelles du demandeur

 

[30]           Le demandeur soutient que l’agent des visas a agi de façon déraisonnable lorsqu’il a retenu les allégations de l’informateur au sujet des activités criminelles du demandeur et non le témoignage de ce dernier dans lequel il niait ces allégations. Le défendeur soutient que l’agent des visas n’a pas formulé de conclusion au sujet de l’interdiction de territoire du demandeur pour des raisons de criminalité, et que, par conséquent, on ne peut conclure que l’agent a préféré les éléments de preuve provenant de l’informateur à ceux présentés par le demandeur. Le demandeur soutient que l’agent des visas a confronté le demandeur aux allégations de l’informateur au sujet de ses activités criminelles et a conclu de façon raisonnable que le demandeur n’était pas digne de foi en s’appuyant sur les réponses vagues et imprécises qu’il a fournies au sujet de ses activités militaires et de son métier en Afghanistan.

 

[31]           Je suis d’accord avec le défendeur. L’agent des visas ne s’est pas contenté d’accepter la véracité des allégations non vérifiées contenues dans la correspondance de l’informateur et n’a pas tiré de conclusion au sujet de l’interdiction de territoire pour des raisons de criminalité. En fait, au cours de la seconde entrevue, l’agent a informé le demandeur de la teneur de ces allégations et lui a demandé d’y répondre. Les notes du STIDI relatives au 21 mai 2005 indiquent que l’agent des visas a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas digne de foi à cause des réponses fournies aux questions portant sur son métier et son service militaire :

[TRADUCTION]

Le demandeur a été confronté à l’information que nous avons obtenue selon laquelle il avait participé au trafic d’êtres humains et de pierres précieuses et qu’il avait été emprisonné. Le demandeur a déclaré que ce n’était pas vrai puisqu’il était un spécialiste du travail du cuir. Interrogé au sujet de son travail de spécialiste du cuir, le demandeur m’a fourni des réponses très évasives et n’a pas pu fournir aucun détail concret concernant son métier.

 

[…]

 

Le demandeur a déclaré que, pendant son service militaire, il était responsable d’un groupe de soldats qui cousaient des uniformes et faisaient de la broderie. Lorsque j’ai demandé au demandeur de me fournir davantage de renseignements à ce sujet, il a répété la même chose.

 

Le demandeur a fourni des réponses contradictoires et évasives aux questions que je lui ai posées au cours de l’entrevue. J’estime que ses explications au sujet de son service militaire et de son métier en Afghanistan ne sont pas vraisemblables. La demande sera refusée en raison d’un manque de crédibilité.

 

[32]           Après avoir examiné la décision de l’agent des visas et les arguments des parties, je conclus que, selon la norme de contrôle applicable, il était loisible à l’agent des visas de tirer les conclusions qu’il a tirées en matière de crédibilité. Il en résulte que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

8.         Conclusion

[33]           À mon avis, l’agent des visas n’a pas manqué à l’obligation d’équité qu’il avait envers le demandeur et n’a pas commis d’erreur en refusant la demande de résidence permanente présentée par le demandeur en raison de son manque de crédibilité. Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

9.         Question dont la certification est proposée

[34]           Le demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi :

[TRADUCTION]

Les personnes qui cherchent à se réinstaller au Canada à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières ont‑elles droit à un niveau d’équité procédurale relativement élevé, compte tenu des critères exposés par la Cour suprême du Canada dans Baker et de la vulnérabilité particulière des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières?

 

À mon avis, cette question ne touche pas d’autres intérêts que ceux des parties à l’instance et ne porte pas non plus sur des questions d’importance ou d’application générale. En outre, comme la Cour d’appel fédérale l’a noté dans l’arrêt Ha, précité, le contenu de l’obligation d’équité dépend des faits et du contexte de chaque affaire. À ce titre, la question proposée ne répond pas aux critères de certification : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.), au paragraphe 4. Je m’abstiendrai donc de certifier une question.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


ANNEXE A

 

1.         Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

(2) S’agissant de l’étranger, les éléments de preuve pertinents visent notamment la photographie et la dactyloscopie et il est tenu de se soumettre, sur demande, à une visite médicale.

 

(2) In the case of a foreign national,

 

(a) the relevant evidence referred to in subsection (1) includes photographic and fingerprint evidence; and

 

(b) the foreign national must submit to a medical examination on request.

 

[...]

 

 

...

 

 

 

 

2.         Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

 

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5014‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   ABDUL RAHMAN KHWAJA

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 9 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lesley E. Stalker                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lesley E. Stalker                                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.‑B.)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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