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Date : 20061116

Dossier : T-1970-05

Référence : 2006 CF 1391

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

BRUCE ET LINDA ROSS

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE L’AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

ET L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté aux termes de l’article 135 de la Loi sur les douanes (la Loi), L.R.C. 1985 (2e suppl.) ch. 1, à l’encontre d’une décision prise pour le compte du ministre en application de l’article 131 de la Loi. La décision est énoncée dans une lettre datée du 9 août 2005 : elle dit que le montant de 628,44 $ payé par le demandeur Bruce Ross  pour la restitution de marchandises et d’un moyen de transport doit être retenu par le ministre à titre de somme confisquée.


Les faits

[2]               Les demandeurs et les témoins du défendeur donnent des versions contradictoires au sujet de ce qui s’est passé au poste de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), à Lyleton (Manitoba) le dimanche, 5 septembre 2004. Je mettrai de côté les incohérences de leurs comptes rendus en ce qui concerne le moment où divers événements se sont produits étant donné que cela importe peu selon moi, sauf indication contraire.

 

[3]               Le matin en question, les demandeurs sont arrivés au poste frontalier, en provenance des États-Unis; ils avaient passé plus de 48 heures aux États-Unis et ils étaient restés à Minot (North Dakota). Ils affirment être arrivés tôt, peu de temps après l’ouverture du poste frontalier, de façon à pouvoir se rendre de cet endroit jusqu’à Antler (Saskatchewan), où ils habitaient, en temps voulu pour aller à l’église. Voici leur version des événements. La seule agente des services frontaliers qui était au poste, l’inspectrice Bowe (Mme Bowe), est sortie du bureau et s’est approchée du camion, du côté des passagers. La demanderesse Linda Ross conduisait le camion et le demandeur Bruce Ross était assis du côté des passagers. Mme Bowe s’est uniquement adressée à Bruce Ross et lui a demandé quelles marchandises il avait acquises aux États-Unis. M. Ross a répondu qu’il n’avait pas additionné les reçus parce qu’il n’avait pas de calculatrice. Mme Bowe lui a ordonné de les additionner mentalement. M. Ross avait divers reçus, dont certains pour l’hébergement et les repas aux États-Unis; il a trié les reçus au fur et à mesure qu’il essayait de calculer mentalement la valeur totale des marchandises acquises. M. Ross a déclaré que le total s’élevait à 550 $US. Mme Bowe a alors ordonné à M. Ross de se rendre au bureau avec ses reçus. M. Ross a demandé à Mme Bowe si sa femme, Linda Ross, devait également y aller. Mme Bowe a ordonné à Mme Ross de rester dans le camion. (Bruce Ross a admis ne pas avoir dit, dans le cadre de cette conversation, que sa femme avait également une déclaration à produire : voir la transcription, page 26, et Mme Ross a témoigné ne rien avoir dit à ce moment-là : voir la transcription, pages 37 et 38). Mme Bowe et le demandeur, Bruce Ross, se sont rendus au bureau avec tous les reçus de M. Ross. Mme Bowe a examiné les reçus et a enlevé de la liasse de reçus pour les repas certains reçus qui auraient dû se trouver avec les reçus de marchandises. Mme Bowe a conclu que la valeur des marchandises représentées par les reçus était de 614 $US et elle a ensuite converti ce montant en dollars canadiens, pour obtenir un total de 796,55 $CAN. Mme Bowe s’est mise à préparer la « Déclaration en détail des marchandises occasionnelles » (pièce D‑2), qui montre que Bruce Ross avait droit à un crédit à l’égard d’une exemption de 200 $ parce qu’il s’était absenté pendant 48 heures, que les premiers 300 $ en sus étaient uniquement assujettis à la taxe sur les produits et services impayée (la TPS) et que le reliquat, de 96,55 $, donnait lieu à un droit de 6,76 $, de sorte que le total dû par M. Ross s’élevait à 27,76 $CAN, montant qu’il a payé. Dans l’intervalle, Mme Bowe avait effectué des vérifications à l’ordinateur. Mme Bowe a déclaré qu’elle voulait conserver les reçus pour le moment et elle est sortie avec M. Ross parce qu’elle voulait inspecter le camion. C’est ce qu’elle a fait; elle a alors découvert un certain nombre d’articles qui n’étaient pas inclus dans les reçus. Les demandeurs affirment que ces articles avaient été laissés bien en vue sur le siège arrière, avec les reçus s’y rapportant. Mme Bowe a ensuite pris les articles qu’elle avait trouvés et elle a accompagné les demandeurs jusqu’au bureau. Linda Ross affirme que c’est à ce moment‑là qu’elle a fait savoir qu’elle avait une déclaration à faire à l’égard des marchandises que Mme Bowe avait trouvées dans le camion. Un autre inspecteur des services frontaliers, l’inspecteur Friesen (M. Friesen), est arrivé d’un autre poste frontalier et, au bout d’un certain temps, les demandeurs ont été informés que les marchandises que Bruce Ross n’avait pas initialement déclarées et qui avaient par la suite été trouvées dans le camion seraient confisquées, ainsi que le camion. On a ensuite informé M. et Mme Ross que, pour faire lever la saisie des marchandises et du camion, ils devraient verser une somme de 628,44 $. M. et Mme Ross ont payé la somme avec réticence et ils sont finalement partis. C’est le recouvrement de cette somme de 628,44 $, dont la confiscation a été confirmée par la lettre du ministre en date du 9 août 2005, qui fait l’objet de la présente action intentée en appel de cette décision.

 

[4]               Mme Bowe relate une histoire passablement différente. Elle dit que lorsque les demandeurs sont arrivés, elle s’est approchée du camion et, comme c’est normalement la pratique, elle s’est adressée aux deux demandeurs et leur a demandé quelle était leur citoyenneté, leur lieu de résidence, pendant combien de temps ils avaient été absents du Canada, la valeur totale des marchandises acquises aux États‑Unis qui étaient dans le véhicule, s’ils avaient une arme à feu, et s’ils avaient fait réparer le véhicule pendant qu’ils étaient en dehors du Canada. Bruce Ross a répondu qu’il ne connaissait pas la valeur totale acquise parce qu’il n’avait pas additionné les reçus. Mme Bowe a alors demandé à M. Ross d’additionner les reçus à l’égard des marchandises acquises. Il y avait entre autres des reçus qui se rapportaient à des aliments que M. Ross avait censément triés avec l’aide de Linda Ross; M. Ross est arrivé à un montant de 550 $US en tout quant à la valeur des marchandises acquises. Au cours de la conversation, Linda Ross n’a jamais mentionné qu’elle avait également des marchandises à déclarer. Mme Bowe a demandé à Bruce Ross de l’accompagner au bureau. M. Ross a demandé à Mme Bowe si sa femme devait également y aller et Mme Bowe a répondu que cela n’était pas nécessaire. Mme Bowe a ensuite réexaminé les reçus, elle les a triés de nouveau et additionnés et elle est arrivée à une valeur totale supérieure. Mme Bowe a alors expliqué à Bruce Ross, en préparant la « Déclaration en détail des marchandises occasionnelles », que la valeur totale des marchandises pour lesquelles il avait produit des reçus était de 796,55 $CAN. Mme Bowe a expliqué qu’elle traiterait ce montant comme suit : elle considérerait que Linda Ross avait des marchandises d’une valeur de 200 $ et elle utiliserait l’exemption de 200 $ de Mme Ross pour ramener la valeur totale des marchandises que les demandeurs avaient acquises au montant de 596,55 $. Sur ce montant, il y aurait une déduction de 200 $ pour l’exemption accordée à M. Ross; un montant additionnel de 300 $ serait traité selon un « taux avantageux », composé principalement de la TPS impayée, les 96,55 $ restants donnant lieu à une taxe de 6,76 $. (Il importe de noter que les sommes dont il était ainsi rendu compte dans la « Déclaration en détail des marchandises occasionnelles » s’élevaient en tout à 596,55 $, soit 200 $ de moins que le total des marchandises déclarées par M. Ross, ce qui serait compatible avec l’octroi de 200 $ au titre de l’exemption dont bénéficiait Linda Ross).

 

[5]               Mme Bowe déclare avoir ensuite vérifié le nom de Bruce Ross à l’ordinateur et avoir constaté qu’à deux reprises, il avait omis de déclarer des marchandises à la frontière. Mme Bowe a décidé de fouiller le camion et elle a alors trouvé les autres marchandises non déclarées, dont certaines étaient bien visibles alors que d’autres ne l’étaient pas. Au fur et à mesure qu’elle trouvait certains articles, Bruce Ross affirmait qu'il devait les avoir oubliés et il a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’essayait pas de passer les marchandises en contrebande. Mme Bowe a pris les marchandises non déclarées et elle a accompagné les demandeurs jusqu’au bureau. Ce n’est qu’alors que Linda Ross a déclaré ces marchandises additionnelles. M. Friesen est arrivé à peu près à ce moment‑là. Son témoignage corrobore ce que Mme Bowe a dit au sujet de ce qui s’était passé par la suite; il a  notamment fait mention des commentaires grossiers que les deux demandeurs avaient faits.

 

Analyse

[6]               Je souscris avec respect aux remarques que le juge Andrew MacKay a faites dans la décision Mattu c. Canada (1991), 45 F.T.R. 190, à savoir que les motifs d’examen de ce type de décision administrative doivent être ceux qui s’appliquent normalement au contrôle judiciaire même si l’appel a été interjeté sous la forme d’une action. Toutefois, compte tenu des préoccupations actuelles que suscitent la norme de contrôle et l’approche fonctionnelle et pragmatique, il semble maintenant plus difficile de définir le rôle de la Cour dans le cadre de pareil appel. Il s’agit ici essentiellement de questions de fait : le droit montre clairement que toutes les marchandises doivent être déclarées à la frontière, à défaut de quoi elles peuvent être confisquées. La cause des demandeurs repose essentiellement sur ce que les actions de Mme Bowe les ont empêchés de se conformer à la Loi. À supposer pour le moment que cela puisse constituer un moyen de défense en cas d’omission de déclarer des marchandises en vertu de l’alinéa 153(3)d) de la Loi, la charge de la preuve, en ce qui concerne l’observation des dispositions de la Loi a l’égard de toute marchandise, incombe aux demandeurs. Il s’agit essentiellement d’une question de fait et, puisque le présent appel constitue un procès de novo en présence de témoins, soit une situation qui ne s’applique pas à l’examen effectué par le ministre lorsqu’il prend sa décision aux termes de l’article 131, la Cour est réellement mieux placée que le ministre pour constater les faits. Je conclus donc qu’un degré peu élevé de retenue doit être accordé aux conclusions du ministre : en l’espèce, la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de la décision correcte.

 

[7]               Ceci dit, je constate que la preuve des demandeurs soulève plusieurs problèmes. En effet, les demandeurs ont déclaré à plusieurs reprises, devant les agents des services frontaliers et devant la Cour, qu’ils étaient pressés de passer les douanes pour aller à l’église dans la ville où ils habitaient ce dimanche‑là. Pourtant, ils sont arrivés à la frontière sans avoir effectué le total de leurs achats, et ils semblaient vouloir laisser à l’agente des services frontaliers le soin de le faire, alors que celle‑ci, comme c’est probablement habituellement le cas, était seule de service et qu’elle était obligée de s’occuper d’autres véhicules arrivant à la frontière. Les reçus se rapportant aux marchandises qui ont par la suite été trouvées dans le camion, à l’égard desquelles Linda Ross affirme avoir voulu faire une déclaration, étaient encore dans les sacs avec les marchandises à l’arrière du camion. Mme Ross n’était donc pas du tout prête à faire une déclaration si telle était son intention. Bruce Ross estimait qu’il était [traduction] « arrogant » pour Mme Bowe de lui demander d’additionner les reçus mentalement. Il m’est peut-être possible de prendre connaissance d’office du fait que quiconque revient au Canada par avion est obligé de remplir un formulaire comportant exactement les mêmes renseignements, et de le faire dans l’avion ou dans le terminal sans avoir à sa disposition une calculatrice, avant même de se présenter devant un agent des services frontaliers avec ses marchandises. Les demandeurs affirment avec insistance que Mme Bowe s’est uniquement adressée à Bruce Ross dans le camion et qu’elle n’a pas laissé Linda Ross aller au bureau, mais selon mon appréciation de Mme Ross, je suis porté à croire qu’elle n’aurait pas hésité à prendre la parole à un moment donné pour mentionner qu’elle avait elle aussi des marchandises à déclarer. Bruce Ross aurait dû s'apercevoir, lorsque la « Déclaration en détail des marchandises occasionnelles » a été préparée, laquelle indiquait en tout un montant de 596,55 $ seulement, que compte tenu du fait que Linda Ross n’avait rien d’autre à déclarer, l'exemption de 200 $ à laquelle celle‑ci avait droit était utilisée pour réduire le total des marchandises qui étaient alors déclarées, lequel s’élevait à 796,55 $. Après que Bruce Ross eut payé les 27,76 $ qui étaient dus sur ses marchandises et qu’il fut retourné au camion avec Mme Bowe, cette dernière a trouvé un certain nombre d’articles qui n’étaient pas couverts par la déclaration de M. Ross. Selon Mme Bowe, et je retiens sa version, Bruce Ross a donné diverses explications au sujet du fait que ces marchandises n’avaient pas été déclarées. Il y avait sur le siège arrière du camion un tableau non déclaré pour lequel il n’y avait pas de reçu. Bruce Ross a affirmé avoir oublié cet article et il a trouvé le reçu. Mme Bowe a ensuite trouvé un veston qui n’avait pas été déclaré. Bruce Ross a affirmé qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il n’essayait pas de faire de la contrebande. Ce n’est que lorsqu’ils sont retournés au bureau avec Linda Ross que cette dernière, pour la première fois, a dit qu’on ne lui avait pas laissé déclarer ces marchandises. Il aurait été loisible à Bruce Ross, lorsque l’inspectrice des services frontaliers a d’abord trouvé ces marchandises non déclarées, d’expliquer qu’elles ne lui appartenaient pas, mais qu’elles appartenaient à sa femme, et que c’était la raison pour laquelle il ne les avait pas déclarées. Or, il ne l’a pas fait. En outre, il me semble qu’environ 3 à 3,5 heures se sont écoulées entre le moment où les Ross sont arrivés à la frontière et le moment où Linda Ross a annoncé qu’elle voulait faire une déclaration. Ayant vu et entendu les témoins, je ne crois pas que les demandeurs se soient acquittés de l’obligation qui leur incombait sur le plan de la preuve, à savoir démontrer qu’on les avait empêchés de déclarer les marchandises que Bruce Ross n’avait pas déclarées. Je rejetterai donc l’action.

 

[8]               J’aimerais ajouter qu’à plusieurs reprises, les demandeurs se sont plaints de la conduite peu courtoise des inspecteurs des services frontaliers. À leur avis, les agents leur avaient dit d’une façon péremptoire ce qu’ils devaient faire et ce qu’ils ne devaient pas faire. Cependant, les deux inspecteurs des services frontaliers, et en particulier Mme Bowe, qui a beaucoup plus longtemps eu affaire aux Ross, ont témoigné au sujet des commentaires insultants, personnels et parfois grossiers que l’un ou l’autre des demandeurs avaient faits. J’ai remarqué que ni l’un ni l’autre des demandeurs n’a contredit cette preuve, et ce, même s’ils ont eu la possibilité de le faire puisque je les avais invités à présenter une contre-preuve s’ils le voulaient. Mme Bowe a témoigné que la conduite des Ross l’avait de plus en plus inquiétée et qu’elle s’était mise à appeler les postes frontaliers voisins pour demander de l’aide. Ce n’est qu’après l’arrivée de M. Friesen qu’elle a été prête à annoncer aux demandeurs que les marchandises et le camion seraient confisqués. Je ne considère pas la conduite des demandeurs comme était celle de personnes qui veulent vraiment s’empresser d’observer la loi.

 

Dispositif

[9]               L’action sera donc rejetée avec dépens.

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que l’action est rejetée avec dépens.

 

 

 

« B. L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1970-05

 

INTITULÉ :                                       BRUCE ET LINDA ROSS

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE L’AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU et al

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 REGINA (SASKATCHEWAN)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE B. STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bruce et Linda Ross

 

POUR LES DEMANDEURS (agissant pour leur propre compte)

 

Don Klaassen

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

(sans objet)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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