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Date : 20061110

Dossier : T‑1884‑05

Référence : 2006 CF 1372

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

GUILLERMO VALLE‑QUINTERO

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Guillermo Valle‑Quintero (le demandeur) sollicite, sous le régime de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, modifiée, un jugement déclaratoire portant que les modifications du paragraphe 128(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, modifiée (la Loi), ne sont pas rétroactives, et que la décision Larsen c. Commission nationale des libérations conditionnelles et al. (1999), 178 F.T.R. 30 (1re inst.), continue de s'appliquer aux détenus dont la peine a été prononcée avant le 28 juin 2002. Il demande en outre un jugement déclaratoire comme quoi aucun usage ou règle n'exige qu'un détenu qui demande la libération conditionnelle pour fin d'expulsion produise une adresse ou une preuve d'emploi dans son pays d'origine à l'audience de libération conditionnelle.

 

I.  Le contexte

 

[2]               Le demandeur est un ressortissant cubain qui est entré au Canada comme immigrant en 1997. Il n'est pas devenu citoyen canadien. Le 30 mars 1999, il a été condamné à une peine d'emprisonnement de 11 ans, 4 mois et 15 jours pour tentative de meurtre, séquestration, menaces de mort, ainsi que sous trois chefs de défaut de se conformer. Il est devenu admissible au bénéfice de la libération conditionnelle totale le 13 janvier 2003. Il est délinquant primaire au Canada, mais il a été déclaré coupable d'infractions pénales à Cuba en 1989 et 1996.

 

[3]               Sa date de libération d'office était le 29 octobre 2006. La date d'expiration du mandat applicable est le 13 août 2010. Comme il fait l'objet d'une mesure d'expulsion, le demandeur est admis à solliciter la semi-liberté ou la libération conditionnelle totale pour fin d'expulsion.

[4]               L'expulsion du demandeur a été prononcée le 2 mars 2000, et son appel de cette mesure d'expulsion a été rejeté. Les appels de sa déclaration de culpabilité et de sa peine, pour ce qui concerne les infractions pénales, ont été rejetés le 31 octobre 2002.

 

[5]               La Commission nationale des libérations conditionnelles a examiné la possibilité d'accorder la libération conditionnelle totale au demandeur à sa séance du 15 avril 2005 à l'Établissement Fenbrook. Elle lui a refusé la libération conditionnelle totale pour fin d'expulsion. Elle a conclu que le risque que présentait le demandeur pour la société ne pouvait être géré dans le contexte d'une libération conditionnelle totale. Elle a noté que, bien que le demandeur ait fait l'objet d'une mesure d'expulsion, le gouvernement cubain ne lui délivrait pas de documents de voyage pour faciliter l'expulsion. Donc, si on lui accordait la libération conditionnelle totale pour fin d'expulsion, il serait remis entre les mains d'Immigration Canada. La Commission a conclu que [TRADUCTION] « le risque que présenterait la libération conditionnelle totale est par conséquent considéré comme impossible à gérer dans quelque collectivité que ce soit. »

 

[6]               Le demandeur a exercé un recours contre cette décision devant la Section d'appel à la Commission nationale des libérations conditionnelles. La Section d'appel, par décision en date du 23 août 2005, a rejeté ce recours au motif que la décision de la Commission était raisonnable et fondée sur les éléments pertinents. La Section d'appel a souscrit à la conclusion de la Commission selon laquelle la libération conditionnelle du demandeur présenterait un risque impossible à gérer.

 

[7]               Le demandeur n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel. Selon les conclusions orales et écrites qu'il a présentées à l'appui de la présente demande de jugement déclaratoire, il a introduit celle‑ci afin d'être [TRADUCTION] « en mesure de bien [se] préparer à [sa] prochaine audience ».

 

II.  Les conclusions des parties

 

A.  Le demandeur

 

[8]               Le demandeur soutient que le paragraphe 128(4) de la Loi ne devrait pas être appliqué rétroactivement, mais seulement aux personnes dont la sentence a été prononcée après son entrée en vigueur. Dans le cas contraire, fait‑il valoir, il se verrait privé de son droit acquis de demander la semi-liberté.

[9]               Le demandeur invoque la décision Larsen, qui pose le principe de common law qu'une ordonnance de détention prise sous le régime de l'article 105 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, ne supprime pas le droit du délinquant à examen et audition relativement à la semi-liberté.

[10]           Deuxièmement, le demandeur soutient qu'il n'existe aucune règle légale comme quoi le détenu qui demande la libération conditionnelle pour fin d'expulsion devrait produire des preuves de résidence et d'emploi dans le pays de destination pour que sa demande soit examinée. Il invoque à l'appui de cette prétention la décision Ford c. Canada (Commission nationale des libérations condtionnelles), [1977] 1 CF 359 (1re inst.).

B.  Le défendeur

[11]           Le défendeur soutient que la présente demande devrait être rejetée au motif que la Cour n'est saisie d'aucune décision à l'égard de laquelle elle pourrait exercer le pouvoir discrétionnaire de contrôle que lui confère l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Il fait valoir qu'il n'y a ici aucune question justiciable en litige et, invoquant la décision Dee c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), 4 Imm. L.R. (2d) 19 (1re inst.), que la Cour devrait refuser d'accorder au demandeur le jugement déclaratoire demandé.

[12]           Pour ce qui concerne les arguments avancés par le demandeur relativement à la libération conditionnelle totale, ce dernier n'a pas encore présenté une autre demande de libération de cette nature. Le défendeur soutient que l'importance de la possibilité pour le demandeur de faire état d'une adresse ou du nom d'un employeur à Cuba est toute théorique à la présente étape. Ce n'est pas la non-production de ces renseignements qui a motivé la décision rendue par la Commission nationale des libérations conditionnelles et confirmée par la Section d'appel. La demande de libération conditionnelle du demandeur a plutôt été rejetée parce que ce dernier ne remplissait pas les critères de risque pris en considération par la Commission.

[13]           En tout état de cause, fait valoir le défendeur, il reste loisible au demandeur de présenter une demande de libération conditionnelle totale et, s'il n'est pas satisfait de son issue, d'en solliciter le contrôle judiciaire. Il pourra alors soulever les questions de l'adresse et de l'emploi si le rejet éventuel de sa demande de libération est fondé sur ces facteurs.

[14]           Le défendeur soutient enfin qu'aucune règle administrative n'empêche le demandeur d'essayer d'obtenir la libération conditionnelle totale s'il ne peut faire état d'une adresse ou produire une attestation d'emploi éventuel. Ces facteurs peuvent se révéler pertinents dans l'examen par la Commission d'une demande de libération conditionnelle, mais ils ne sont pas déterminants.

[15]           Toutefois, dans le cas du demandeur, l'argument est purement théorique, puisque Cuba n'admet pas actuellement les expulsés.

III.  Analyse et décision

[16]           Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. Selon l'alinéa 18(1)a) de cette loi, la Cour a compétence exclusive pour rendre un tel jugement :

18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral; …

 

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

( a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and …



[17]           Le paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales dispose qu'un jugement déclaratoire ne peut être accordé que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire :

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

 

3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.



[18]           Le paragraphe 18.1(3) de la Loi des Cours fédérales prévoit les mesures de redressement que la Cour peut accorder sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire :

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

( a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

( b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.



[19]           Les motifs de contrôle judiciaire sont énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales :

4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

( a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

( b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

( c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

( d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

( e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

( f) acted in any other way that was contrary to law.



[20]           La première question à examiner est celle de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder la mesure de redressement demandée. À mon avis, elle ne le devrait pas, au motif que le demandeur n'a pas établi qu'il découle une question justiciable des faits exposés.

[21]           Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire. Par nature, cette mesure suppose l'établissement de droits reconnus par la loi. La Cour a compétence pour prononcer un jugement déclaratoire, lequel compte parmi les mesures de redressement discrétionnaires qu'elle est habilitée à accorder sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire.

[22]           La Cour suprême du Canada a formulé l'observation suivante sur le jugement déclaratoire à la page 830 de Canada c. Solosky, [1980] 1 R.C.S. 821 :

Le jugement déclaratoire est un recours qui n'est pas restreint par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des personnes ayant un lien juridique dont découle une « véritable question » à trancher concernant leurs intérêts respectifs.



[23]           Dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 456, la Cour suprême s'est exprimée dans les termes suivants sur la possibilité d'obtenir un jugement déclaratoire en rapport avec l'existence d'un litige entre les parties :

Les principes régissant la réparation judiciaire fondée sur des allégations de dommage éventuel sont une illustration du principe plus général voulant qu'il n'y ait aucune obligation juridique de ne pas faire ce qui ne porte pas préjudice aux garanties juridiques d'autrui.

 

 

[24]           Ces principes sont applicables à la présente espèce. Il n'y a pas de litige actuel entre les parties. Le demandeur n'a pas encore présenté la nouvelle demande de libération conditionnelle qu'il prévoit de former, dans le cadre de laquelle il lui sera loisible de faire valoir des arguments concernant l'interprétation et l'application du paragraphe 128(4) de la Loi ou la pertinence des renseignements concernant l'adresse où il habitera ou l'emploi qu'il occupera après sa libération éventuelle.

[25]           Pour l'instant, il n'y a pas de litige entre les parties. Je me référerai encore une fois à l'arrêt Solosky, à la page 832 duquel la Cour suprême fait la remarque suivant à propos de l'importance de l'absence de litige :

Le premier facteur vise la « réalité du litige ». Il est clair qu'un jugement déclaratoire n'est normalement pas accordé lorsque le litige est passé et est devenu théorique ou lorsque le litige n'est pas encore né et ne naîtra probablement pas.



[26]           Il n'a pas été présenté de décision à l'examen de la Cour. Le demandeur n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel. Il n'appartient pas à la Cour d'interpréter le droit relativement à une situation hypothétique; voir Operation Dismantle Inc. En l'absence d'un litige actuel mettant en jeu le droit du demandeur à solliciter sa libération conditionnelle sous le régime de la Loi, il ne convient pas que la Cour se prononce sur l'interprétation et l'application du paragraphe 128(4).

[27]           De même, il n'y a pas de contexte factuel dans lequel la Cour puisse examiner les conclusions du demandeur concernant la communication d'une adresse ou du nom d'un employeur comme condition à laquelle serait subordonnée la libération conditionnelle sous le régime de la Loi. La libération conditionnelle est un privilège, et non un droit. Le demandeur, s'il veut contester la prise en considération de faits qu'il n'estime pas pertinents, devrait le faire par voie de demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission ou de la Section d'appel. 

 

[28]           Il n'existe pas de fondement sur lequel la Cour puisse accorder la mesure de redressement demandée. En conséquence, la présente demande en jugement déclaratoire est rejetée avec dépens.

 

ORDONNANCE

 

                        La présente demande est rejetée avec dépens.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1884‑05

 

INTITULÉ :                                       GUILLERMO VALLE‑QUINTERO

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 10 MAI 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

John Hill

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Derek Edwards

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John L. Hill

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

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