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Date : 20061116

Dossier : IMM-1911-06

Référence : 2006 CF 1382

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

ROSALIE JN BAPTISTE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Si la demanderesse avait eu une occasion réelle de répondre aux renseignements extrinsèques obtenus après qu’elle et son « époux » eurent été interrogés, cela aurait été suffisant pour convaincre la Cour que les règles de justice naturelle avaient été respectées.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse, Mme Rosalie Jn Baptiste, a demandé le statut de résidente permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Après avoir examiné la preuve et interrogé la demanderesse ainsi que son « époux », l’agent d’immigration (l’agent) a décidé de refuser la demande au motif que la preuve démontrait que le mariage n’était pas authentique.

 

LES FAITS

 

[3]               Mme Baptiste est une citoyenne de Sainte-Lucie qui est venue au Canada en juillet 2003 pour rendre visite à des amis. Elle s’est mariée avec un résident permanent du Canada le 11 mai 2004.

 

[4]               Le 16 juin 2005, le Centre de traitement des demandes de Citoyenneté et Immigration Canada de Vegreville a reçu la demande de résidence permanente qu’a présentée Mme Baptiste au titre de catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

 

[5]               Le 13 mars 2006, un agent a interrogé Mme Baptiste et son « époux » séparément. Après ces entrevues séparées, l’agent a réuni Mme Baptiste et son « époux » afin de leur signaler les contradictions relevées dans leurs entrevues respectives et de donner à Mme Baptiste l'occasion d’expliquer ces contradictions.

 

[6]               Après avoir examiné à fond la preuve, y compris les résultats des entrevues, l’agent, dans une décision rendue le 28 mars 2006, a rejeté la demande de résidence permanente de Mme Baptiste conformément à l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/002-227 (le Règlement), au motif que cette dernière n’avait pas démontré que son mariage était authentique.

 

[7]               Mme Baptiste a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire relativement à cette décision. L’autorisation a été accordée dans une ordonnance datée du 17 août 2006.

 

Les dispositions législatives pertinentes

[8]               En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), et de son règlement d’application, un étranger peut présenter une demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada s’il remplit les conditions prévues par le régime législatif (par. 12(1) de la LIPR; art. 123 et 124 du Règlement).

 

[9]               L’article 124 du Règlement prévoit :

124.      Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

 

 

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

124.      A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

(b) have temporary resident status in Canada; and

 

 

(c) are the subject of a sponsorship application.

 

[10]           L’article 124 du Règlement prévoit ce qui suit :

4.      Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

4.      For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           1)         Le tribunal a-t-il fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait, a-t-il mal interprété la preuve et, par conséquent, a‑t‑il tiré des conclusions manifestement déraisonnables?

2)         Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en refusant d’appliquer les règles de justice naturelle à l’égard de la demanderesse et en ne se conformant pas à l’obligation d’agir équitablement?

 

ANALYSE

[12]           L’agent a fait tout ce qu’il fallait pour tenter d’établir les faits de l’affaire dont il avait été saisi, sauf en ce qui a trait à un appel téléphonique fait à cette fin et ne concernant pas Mme Baptiste et auquel Mme Baptiste n’a pas eu l’occasion de répondre.

 

La justice naturelle : examen de la preuve extrinsèque par l’agent

[13]           L’agent a commis une erreur en utilisant une preuve extrinsèque provenant de l’information obtenue unilatéralement au cours d’une conversation téléphonique, dont le résultat a été invoqué comme preuve lorsqu’il a rendu sa décision défavorable. Il a utilisé cette information pour contester la déclaration faite par Mme Baptiste.

 

[14]           Si l’agent voulait utiliser cette information, il devait la fournir à Mme Baptiste et lui donner l’occasion de réfuter la preuve. Ainsi que l’a dit la Cour dans Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.), l’obligation d’agir équitablement signifie que l’agent doit donner à la demanderesse l’occasion de réfuter la preuve négative. Dans Packirsamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 368 (QL), une affaire fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le juge John M. Evans a dit :

[11]         Les parties ont reconnu qu’en se prononçant sur la demande fondée sur le paragraphe 114(2), l’agent d’immigration devait respecter les règles d’équité procédurale, ce qui comprend normalement l’obligation pour les décideurs de communiquer d’une façon raisonnable tout élément sur lequel ils envisagent de se fonder de façon que les intéressés puissent faire des commentaires à ce sujet [...]

 

 

            Le sens des mots « manifestement déraisonnable »

[15]           Lorsqu’une décision est illogique et que les motifs du tribunal révèlent une erreur manifeste, la décision est manifestement déraisonnable. Le sens des mots « manifestement déraisonnable » a été examiné par la juge Danièle Tremblay-Lamer dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (QL) :

[16]         Toutefois, l’adoption d’une approche mettant davantage l’accent sur la retenue judiciaire n’empêche pas la présente Cour d’intervenir s’il y a une erreur évidente, ou si la conclusion de la Commission ne s’appuie pas sur une interprétation raisonnable des faits.

 

[16]           L’agent n’a pas respecté les règles de la justice naturelle en ne donnant pas l’occasion à la demanderesse de répondre à la preuve extrinsèque qui a été obtenue après l’entrevue, mais qui était très importante pour la décision.

 

[17]           Dans Baker c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), la Cour suprême du Canada était en désaccord avec l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Shah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 81 FTR 320, [1994] A.C.F. no 1299 (QL), au motif que, même si la décision à rendre était de nature discrétionnaire, il y avait une obligation d’agir équitablement et que, compte tenu du fait que la décision avait des conséquences importantes pour l’individu, l’obligation d’agir équitablement exigeait que la partie demanderesse et les autres parties touchées aient amplement l’occasion d’être entendues, de présenter une argumentation complète à un décideur impartial et d’obtenir les motifs de toute décision défavorable.

 

[18]           Dans Bayovoc c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1939 (QL), la Cour a annulé la décision parce qu’il y a eu manquement à l’obligation d’agir équitablement. Le juge Paul Rouleau a souligné ce qui suit :

[6]           Je suis d’avis que la décision devrait être annulée et que l’affaire devrait être renvoyée aux fins d’un nouvel examen. Selon les principes de justice naturelle et d’équité, l’agent d’immigration est tenu de fournir à la partie requérante suffisamment de renseignements pour lui permettre de connaître les raisons du refus et doit lui donner l’occasion de répondre à ces motifs. Si l’agent d’immigration avait des doutes au sujet du caractère véritable du mariage, il aurait dû, au nom de l’équité, donner au requérant et à son épouse l’occasion de répondre à ces préoccupations. Aucune entrevue n’a eu lieu en l’espèce et aucune demande d’observations écrites n’a été formulée.

 

[19]           Si l’agent avait donné l'occasion à Mme Baptiste de répondre à l’information extrinsèque obtenue après qu’elle‑même et son « époux » eurent été interrogés, cela aurait suffi à convaincre la Cour qu’on lui avait réellement donné une occasion de répondre.

 

[20]           L’agent avait la possibilité d’agir équitablement afin de contrôler la qualité de la preuve extrinsèque obtenue après l’entrevue et également pour l’aider à prendre une décision dans le dossier de Mme Baptiste, mais il ne l’a pas fait.

 

[21]           L’information extrinsèque était un élément essentiel de la décision de l’agent et elle a eu des conséquences graves parce que Mme Baptiste aurait dû avoir l'occasion d’être entendue au sujet de la nouvelle information.

 

[22]           L’agent a appliqué les faits qu’il a interprétés de façon erronée.

 

[23]           Il est de droit constant que les conclusions au sujet de la crédibilité sont des conclusions de fait qui, si elles sont déterminantes pour la décision, peuvent seulement être écartées conformément à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

[24]           La décision ne peut être annulée que si la Cour est convaincue que le tribunal, en l’espèce, a fondé sa décision sur une question de justice naturelle qui exige l’application de la norme de contrôle fondée sur la décision correcte.

 

[25]           Il n’appartient pas à la cour chargée du contrôle judiciaire d’apprécier de nouveau la preuve dont un tribunal était saisi.

[10]         La Cour ne doit pas chercher à réévaluer des éléments de preuve soumis au commissaire simplement parce qu’elle en serait arrivée à une conclusion différente. Pourvu qu’il existe des éléments de preuve au soutien de la conclusion du commissaire sur la crédibilité et qu’il ne se soit pas produit d’erreur manifeste, la décision ne devrait pas être touchée.

 

(Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1866 (QL), le juge James Russell)

 

[26]           Lorsque la Commission a commis des erreurs dans le traitement d’une demande, sa décision a été annulée. Les erreurs étaient suffisamment graves pour justifier l’annulation de la décision (Basak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1496, [2005] A.C.F. no 1839 (QL)).

 

[27]           Les conclusions relatives à la crédibilité doivent être fondées des inférences raisonnables, et non sur des conjectures ou des hypothèses. Lorsque les inférences ne sont pas adéquatement tirées, la possibilité que la Cour intervienne dans la décision de la Commission est plus grande. (Giron c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 N.R. 238, [1992] A.C.F. no 481 (QL).

 

[28]           Il est de droit constant qu’un agent doit donner à un demandeur l’occasion d’expliquer toutes les questions qui se présentent, mais il ne l’a pas fait en l’espèce (Hussein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n726 (QL)).

 

[29]           L’agent a enfreint les règles d’équité procédurale en ce qu’il n’a pas donné à la demanderesse l’occasion d’expliquer les questions, et il a tiré une conclusion manifestement déraisonnable (Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1528, [2005] A.C.F. no 1885 (QL)).

 

[30]           En ne donnant pas à la demanderesse l’occasion d’expliquer les contradictions apparentes, l’agent a violé un principe de justice naturelle, et la mesure corrective qui s’applique en l'espèce consiste à annuler la décision de l’agent et à renvoyer l’affaire au ministre pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre agent d’immigration (El-Hajj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 1737, [2005] A.C.F. no 2166 (QL)).

 

[31]           Le tribunal a également commis une erreur de droit en n’appliquant pas les règles de justice naturelle à l’égard de Mme Baptiste et il n’a pas agi de manière équitable en ne lui donnant pas l’occasion d’être entendue en ce qui concerne les faits qui étaient essentiels pour rendre une décision sur sa demande.

 

CONCLUSION

 

[32]           La Cour doit modifier la décision de l’agent. L’agent n’a pas respecté les règles de justice naturelle et il a violé l’obligation d’agir équitablement. L’affaire est donc renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvelle décision.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée pour une nouvelle décision par un autre agent d’immigration en raison d’un manquement à l’équité procédurale.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                 IMM-1911-06

 

INTITULÉ :                                                ROSALIE JN BAPTISTE

                                                                     c.

                                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 7 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                     LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 16 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Isaac Owusu-Sechere

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lynn Marchildon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ISAAC OWUSU-SECHERE

Avocat et notaire

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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