Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20061117

Dossier : T‑1509‑04

Référence : 2006 CF 1398

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

ALICE MAXINE JAIME GRISMER et

ALEXIS JORDANA MCIVOR‑GRISMER

demanderesses

et

 

LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH,

ÉGALEMENT DÉNOMMÉE CONSEIL DE LA NATION SQUAMISH

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s'agit d'une requête écrite pour directives formée par les demanderesses sous le régime du paragraphe 403(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), concernant une ordonnance en date du 12 septembre 2006 par laquelle j'ai rejeté leur demande de contrôle judiciaire et adjugé les dépens à la défenderesse.

 

[2]               Cette ordonnance était fondée sur les conclusions suivantes : certaines dispositions du Code d'appartenance de la défenderesse s'avéraient discriminatoires sous le régime de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte), mais elles pouvaient néanmoins se justifier sous le régime de l'article premier de ladite Charte. Étant donné cette constatation, il n'était pas nécessaire de trancher la question de savoir si le droit de la défenderesse de contrôler l'appartenance était un des « droits existants […] des peuples autochtones du Canada » au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Loi constitutionnelle de 1982), ou, subsidiairement, un des « autres » droits visés à l'article 25 de la Charte, auxquels le paragraphe 15(1) de la Charte ne pouvait porter atteinte (Grismer c. Bande indienne de Squamish, 2006 CF 1088). En conséquence, j'ai rejeté la demande de contrôle judiciaire, « avec dépens en faveur de la défenderesse ».

 

 

[3]               Les demanderesses sollicitent dans la présente espèce des directives concernant les dépens sous le régime de l'article 403 des Règles, libellé comme suit :

 

403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l’officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

 

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

 

b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

 

(2) La requête visée à l’alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.

 

(3) La requête visée à l’alinéa (1)a) est présentée au juge ou au

 protonotaire qui a signé le jugement.

 

 

403. (1) A party may request that directions be given to the assessment officer respecting any matter referred to in rule 400,

 

(a) by serving and filing a notice of motion within 30 days after judgment has been pronounced; or

 

(b) in a motion for judgment under subsection 394(2).

 

 

 

(2) A motion may be brought under paragraph (1)(a) whether or not the judgment included an order concerning costs.

 

(3) A motion under paragraph (1)(a) shall be brought before

the judge or prothonotary who signed the judgment.

 

 

[4]               Les demanderesses soutiennent que chacune des parties devrait supporter ses propres frais, étant donné leur succès partagé : CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2000] A.C.F. no 92 (QL). Elles font valoir à l'appui de cette prétention qu'elles ont convaincu la Cour qu'elles faisaient l'objet de discrimination en violation de l'article 15 de la Charte. Bien que l'argument de la défenderesse fondé sur l'article premier ait été accepté, cette dernière n'a pas établi l'existence d'un droit autochtone sous le régime de l'article 35, pas plus qu'elle n'a pu faire accepter son argument fondé sur l'article 25. Étant donné le succès partagé des parties, chacune devrait supporter ses propres frais. En outre, les demanderesses soutiennent que la défenderesse devrait supporter les frais de l'affidavit et du rapport d'expert de Mme Dorothy Kennedy, au motif qu'ils ont été produits à l'appui de l'argument fondé sur l'article 35, que la Cour a décidé en fin de compte de ne pas examiner. Subsidiairement, les demanderesses sollicitent, sous le régime de l'article 401 des Règles, une ordonnance de dépens forfaitaires où il serait tenu compte du succès des deux parties. Enfin, elles demandent que des directives soient données à l'officier taxateur concernant les frais de photocopie et de recherche dans Quicklaw.

 

[5]               J'examinerai d'abord la question de savoir si la présente requête pour directives a été présentée à bon droit sous le régime du paragraphe 403 des Règles. À ce propos, la défenderesse soutient que la Cour n'a compétence pour formuler aucune des directives que sollicitent ici les demanderesses. L'essentiel de l'argument de la défenderesse est que la Cour se trouve dessaisie, au motif que les dépens lui ont déjà été adjugés. Invoquant l'arrêt Canada c. Canadian Pacific Ltd., 2002 CAF 98, la défenderesse fait valoir que les demanderesses prient en fait la Cour d'examiner de nouveau son jugement et qu'une telle requête aurait dû être déposée sous le régime de l'article 397 des Règles, dans les dix jours après que l'ordonnance eut été rendue.

 

[6]               Selon la jurisprudence, lorsque la Cour a adjugé des « dépens », il est possible de former sous le régime de l'article 403 des Règles une requête pour directives, qui constitue une requête en modification d'une ordonnance de la Cour concernant les dépens : Bayer AG c. Apotex Inc., 2005 CAF 128, au paragraphe 7; Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. (C.A.) [2003] 2 C.F. 451, 2002 CAF 417; et Maytag Corp. c. Whirlpool Corp., 2001 CAF 250. La Cour peut ensuite formuler des directives de taxation des dépens, à condition qu'elles n'entrent pas en contradiction avec la première ordonnance : Pelletier c. Canada (Procureur général), 2006 CF 191.

 

[7]               Je note que la Cour a formulé à ce sujet les observations suivantes au paragraphe 20 de la décision ITV Technologies, Inc. c. WIC Television Ltd., 274 F.T.R. 94, 2005 CF 744 :

À l'évidence, certaines modifications suggérées, comme le fait de refuser entièrement les dépens à une partie après que ceux‑ci lui ont déjà été adjugés, vont trop loin – elles sont tout à fait incompatibles avec l'ordonnance initiale de la Cour. Cependant, je ne vois aucune différence en principe, dans le contexte d'une requête en vue d'obtenir des directives en vertu de l'article 403 des Règles, entre le fait de limiter les dépens auxquels a droit une partie à ceux qui ont été engagés au cours d'une période donnée, le fait d'accorder des dépens majorés à une partie et le fait de rajuster le barème des dépens. La question de savoir si ces modifications doivent être considérées comme incompatibles avec l'ordonnance initiale, et outrepassent donc, à mon avis, le pouvoir discrétionnaire que confère à la Cour l'article 403 des Règles, doit être tranchée en fonction des circonstances particulières de chaque cas, et compte tenu de la spécificité de l'ordonnance initiale qui a été rendue. Comme le confirme après tout l'article 400 des Règles, les dépens sont principalement une question de nature discrétionnaire.


[8]               En général, les dépens sont adjugés à la partie qui obtient gain de cause : Merck & Co. c. Novopharm Ltd. (1998), 152 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.). Cependant, l'article 400 des Règles dispose que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

 

[9]               Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles :

 

 

400. (3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

a) le résultat de l’instance;

 

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

 

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

 

d) le partage de la responsabilité;

 

e) toute offre écrite de règlement;

 

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

 

g) la charge de travail;

 

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

 

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

 

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

 

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

 

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

 

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

 

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

 

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

 

400. (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

 

 

 

 

(a) the result of the proceeding;

 

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

 

(c) the importance and complexity of the issues;

 

(d) the apportionment of liability;

 

(e) any written offer to settle;

 

 

(f) any offer to contribute made under rule 421;

 

(g) the amount of work;

 

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

 

 

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

 

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

 

 

(k) whether any step in the proceeding was

 

 

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

 

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

 

 

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

 

 

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

 

 

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

 

 

 

 

(o) any other matter that it considers relevant.

 

[10]           Essentiellement, les demanderesses soutiennent que je devrais examiner de nouveau l'ordonnance par laquelle j'ai adjugé les dépens à la défenderesse. Ce faisant, je devrais, selon elles, accorder une importance particulière aux facteurs des alinéas h) et o) du paragraphe 400(3) dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire concernant les dépens. En fait, les demanderesses font valoir qu'il y avait intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance, étant donné l'absence de toute décision sur l'application de la Charte aux règles d'appartenance aux bandes fixées sous le régime de l'article 10 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. Elles affirment en outre que le montant de 28 012,90 $ réclamé par la défenderesse au titre des dépens est punitif au regard de la nature de la demande de contrôle judiciaire. Qui plus est, les demanderesses sont toutes deux étudiantes; Jaime Grismer, de surcroît, travaille pour assurer la subsistance de trois enfants dont elle est parent unique. En conséquence, soutiennent les demanderesses, chacune des parties devrait supporter ses propres frais.

 

[11]           À mon avis, si j'ordonnais aujourd'hui que chacune des parties supporte ses propres frais, ma décision serait incompatible avec la première ordonnance, qui adjugeait les dépens à la défenderesse. Quant aux faits particuliers de la présente espèce, il est vrai que j'ai conclu qu'il y avait discrimination, mais la demande de contrôle judiciaire ne pouvait être accueillie étant donné que cette discrimination pouvait se justifier sous le régime de l'article premier de la Charte. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée. En ce sens, il n'y a pas eu succès partagé. En fin de compte, c'est la défenderesse qui a eu gain de cause, et il n'était tout simplement pas nécessaire que je me prononce sur ses autres moyens. Le résultat de l'instance a certainement été un facteur clé dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu duquel j'ai adjugé les dépens à la défenderesse.

 

[12]           Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés suivant la colonne III du tableau du tarif B, et je ne vois ici aucune raison de m'écarter de cette règle générale. En outre, je ne suis pas aujourd'hui en mesure d'adjuger une somme forfaitaire au lieu de dépens à taxer. Cela dit, l'officier taxateur peut prendre en considération, aux fins du calcul des dépens à payer à la défenderesse, les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles, y compris toute autre question pertinente soulevée par les demanderesses dans leur requête pour directives. En outre, pour ce qui concerne les frais de photocopie et de recherche dans Quicklaw, je pense qu'il vaut mieux laisser à l'officier taxateur le soin de décider de ces questions : Campbell c. La Reine [1984] C.T.C. 105, 84 D.T.C. 6164 (C.F. 1re inst.).

 

[13]           Enfin, les demanderesses voudraient que les frais relatifs à l'affidavit et au rapport d'expert de Mme Kennedy (ci‑après désignés collectivement « le rapport ») soient exclus du mémoire de dépens soumis par la défenderesse. Le principal objet du rapport était de répondre à des questions proposées par l'avocat de la défenderesse concernant la façon dont l'appartenance à la nation Squamish était décidée avant que celle‑ci n'entre en contact avec les Européens. À une étape antérieure de l'instance, les demanderesses s'étaient opposées sans succès à ce que le rapport fût versé au dossier. La défenderesse soutient que le rapport constitue un poste de débours raisonnable. Bien que je ne conclue pas au caractère déraisonnable de l'utilisation du rapport d'expert par la défenderesse, je suis disposé, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire et compte tenu de tous les facteurs pertinents, à exclure des dépens la totalité des frais et débours liés à ce rapport. À mon avis, il ne serait pas incompatible avec la première ordonnance de donner pour directive à l'officier taxateur d'exclure ces frais et débours. Je suis arrivé à cette conclusion après avoir pris en considération, entre autres, le fait que la défenderesse a produit ce rapport [TRADUCTION] « à titre d'élément de preuve pertinent à l'égard de la thèse des droits autochtones » (page 97 du dossier de requête de la défenderesse, en date du 10 novembre 2004). En fin de compte, j'avais estimé qu'il n'était pas nécessaire de décider si le droit de la défenderesse de contrôler l'appartenance était un des « droits existants […] des peuples autochtones du Canada », au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, ou, subsidiairement, un des « autres » droits visés à l'article 25 de la Charte, auxquels le paragraphe 15(1) de celle‑ci ne pouvait porter atteinte.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La requête pour directives présentée sous le régime du paragraphe 403(3) des Règles est accueillie en partie.

2.                  L'officier taxateur taxera conformément à la colonne III du tableau du tarif B les dépens adjugés à la défenderesse par l'ordonnance en date du 12 septembre 2006. Aux fins de cette taxation, il pourra prendre en considération les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles, y compris toute autre question pertinente soulevée par les demanderesses dans leur requête pour directives. En outre, l'officier taxateur exclura de la taxation la totalité des frais et débours liés à l'affidavit et au rapport d'expert de Mme Dorothy Kennedy.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1509‑04

 

 

INTITULÉ :                                       ALICE MAXINE JAIME GRISMER ET AL.

                                                            c.

                                                            LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH, ÉGALEMENT DÉNOMMÉE CONSEIL DE LA NATION SQUAMISH

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 REQUÊTE ÉCRITE

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 NOVEMBRE 2006

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Sharon D. McIvor

Merritt (Colombie-Britannique)

 

 

 

POUR LES DEMANDERESSES 

John R. Rich et F. Matthew Kirchner

Ratcliff & Company

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.