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Date : 20061121

Dossier : IMM-638-06

Référence : 2006 CF 1414

Toronto (Ontario), le 21 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

NANCY SAMANTHA JEAN

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Jean revendique la qualité de réfugié ou de personne à protéger au motif qu’elle a été victime de violence conjugale de la part de son ex‑conjoint de fait. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que Mme Jean pouvait se prévaloir de la protection de l’État à Sainte-Lucie et a rejeté sa demande. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               Mme Jean prétend que la SPR a fait une lecture sélective de la preuve documentaire et a commis une erreur en concluant que « de sérieux efforts pour contrer la violence conjugale » constituaient un motif suffisant pour conclure à l’existence d’une protection adéquate de l’État. Elle affirme que la SPR aurait dû examiner si de tels efforts donnaient des résultats positifs.

 

[3]               Je conclus que la SPR a fait une lecture sélective de la preuve documentaire de sorte que son analyse concernant la protection de l’État est incomplète. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Le contexte

 

[4]               Mme Jean, mère de trois enfants nés d’une relation précédente, a commencé à cohabiter avec son conjoint de fait, Henry John, en octobre 2000. Au début de 2001, M. John a commencé à boire et est devenu violent verbalement envers Mme Jean et ses enfants. En septembre 2001, après un incident de violence physique, Mme Jean et ses enfants l’ont quitté et sont allés habiter chez la mère de la demanderesse. M. John ayant exprimé des regrets et les ayant suppliés de revenir, ils sont revenus à la maison « familiale ». Une semaine plus tard, la violence a recommencé et M. John a menacé la demanderesse de la tuer si elle le quittait de nouveau.

 

[5]               La violence (physique et psychologique) s’est poursuivie et s’est intensifiée. Finalement, Mme Jean a demandé l’aide de la police et du centre de crise. La police lui a dit de démêler tout cela, et le centre de crise ne pouvait pas lui venir en aide à cause d’une longue liste d’attente. À deux reprises, Mme Jean s’est rendue à l’hôpital après avoir été victime de violence.

 

[6]               Lorsque Mme Jean s’est réfugiée de nouveau réfugiés chez sa mère avec ses enfants, M. John s’y est rendu à maintes reprises, menaçant de la tuer si elle ne retournait pas à la maison. Mme Jean a laissé les enfants à sa mère pour venir au Canada. Après son arrivée ici, elle a appris lors de conversations téléphoniques avec sa mère que M. John avait continué de se rendre chez sa mère et qu’il proférait encore des menaces de mort à son endroit. Même si sa mère avait avisé la police, aucune mesure n’avait été prise.

 

La décision

 

[7]               La SPR semble avoir estimé que le témoignage de Mme Jean était crédible, mais elle a décidé qu’il existe une protection de l’État. Elle a souligné que la violence conjugale est un problème dans le monde entier. Cependant, le gouvernement de Sainte‑Lucie fait des efforts véritables pour régler le problème. La SPR a fait remarquer que Sainte‑Lucie est un pays démocratique. Elle a souligné que la police reçoit une formation de sensibilisation à la violence conjugale, que le système judiciaire fait preuve de diligence en traitant rapidement les ordonnances de protection et que les contrevenants sont arrêtés. Sainte‑Lucie a un refuge pour les victimes de violence conjugale ainsi qu’un centre de crise qui offre des services de consultation et facilite l’accès aux services sociaux. Par conséquent, il existe une « protection de l’État adéquate, bien que non exemplaire ».

 

La question en litige

[8]               La seule question en litige est celle de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que la protection de l’État était offerte à Mme Jean.

La norme de contrôle

 

[9]               Dans des décisions antérieures, j’ai retenu l’analyse pragmatique et fonctionnelle de ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58. Je conviens avec la juge Tremblay‑Lamer que la norme de contrôle applicable à une conclusion au sujet de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable.

 

Analyse

 

[10]           La conclusion de la SPR reposait sur l’information contenue dans une Réponse à la demande d’information (RDI) en date du 25 avril 2003. La RDI s’est principalement fondée sur les déclarations positives d’une relationniste du ministère de l’Intérieur et des Relations entre les sexes de Sainte-Lucie. Il était question dans ces commentaires d’un « changement positif dans l’attitude des policiers » et de la « formation continue sur l’équité entre les sexes » dispensée aux policiers par le gouvernement. La SPR a souligné l’existence d’un centre de soutien pour les femmes et la délivrance d’ordonnances de protection.

 

[11]           La documentation contenait également des commentaires négatifs. La SPR n’a pas mentionné les déclarations de la représentante du centre de crise ou n’en a pas tenu compte. Selon cette dernière, « la majorité des plaintes de violence conjugale reçues par la police [traduction] "n’étaient pas prises réellement au sérieux" et étaient [traduction] "mises en veilleuse". Les policiers et l'ensemble de la population sont généralement d’avis que [traduction] "l’homme est maître chez lui" et qu’il peut avoir recours à la violence afin de faire régner la discipline dans sa maison ». Il a également été déclaré que « l’ensemble du système juridique doit être modernisé afin de refléter la gravité de la violence conjugale ». De plus, dans la documentation, on reprochait au gouvernement l’inexistence de clinique d’aide juridique dans le pays malgré les promesses qu’il faisait à cet effet depuis de nombreuses années.

 

[12]           Aucun des renseignements négatifs au sujet de la question de l’existence de la protection de l’État n’a été pris en considération. Même s’il lui est clairement loisible de préférer, en fin de compte, les déclarations d’un porte‑parole plutôt que celles d’un autre, ce faisant, la SPR doit d’abord examiner les deux et fournir les motifs qui la pousse à retenir une position plutôt qu’une autre. Elle ne peut pas simplement adopter les déclarations positives et passer complètement sous silence les déclarations négatives sans expliquer pourquoi elle a agi ainsi. Il est bien établi en droit que la Commission doit faire état des éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions : Ragunathan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 154 N.R. 229 (C.A.F.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.).

 

[13]           Je reconnais que la SPR a fait une lecture sélective de la preuve documentaire. En l’absence d’une explication ou d’une analyse de la totalité de l’information contenue dans la RDI, on ne peut pas affirmer que les motifs de la SPR peuvent résister à un examen assez poussé. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Comme cela suffit pour trancher la demande, je n’ai pas à examiner les autres arguments.

 

[14]           Aucune des parties n’a proposé une question aux fins de la certification et aucune question n’est sujette à certification.

 

                                     

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à une formation différemment constituée de la SPR pour un nouvel examen.

 

                                                                                                         « Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                      IMM-638-06

 

INTITULÉ :                                                    NANCY SAMANTHA JEAN

                                                                         c.

                                                                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            Le 21 novembre 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                   Le 21 novembre 2006     

 

 

COMPARUTIONS :

 

Johnson Babalola                                               POUR LA DEMANDERESSE

 

David Cranton                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Johnson Babalola                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)


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