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Date : 20061115

Dossier : IMM-4690-05

Référence : 2006 CF 1380

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

RASANATH ESCALONA PEREZ

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Le demandeur, Rasanath Escalona Perez, est arrivé au Canada avec sa famille en 1990, après avoir quitté le Venezuela. En 2002, la famille a présenté une demande d’asile au Canada. Julio Enrique Escalona et Denis Alexandra Perez Escalona (les parents) prétendaient avoir fui le Venezuela parce qu’ils craignaient d’être poursuivis en vertu des lois vénézuéliennes sur les stupéfiants. Ils alléguaient que la police avait déposé contre eux des accusations fabriquées de toutes pièces après qu’ils eurent été témoins d’une transaction de stupéfiants entre des policiers et des représentants du gouvernement. Dans une décision datée du 9 juin 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté la demande d’asile de la famille. L’autorisation relative au contrôle judiciaire de cette décision a été refusée le 28 octobre 2004.

 

[2]        Le 30 avril 2005, le demandeur, séparément du reste de la famille, a demandé qu’un examen des risques avant renvoi (ERAR) soit effectué. En résumé, sa demande était fondée sur le fait qu’il serait [traduction] « placé en détention à son arrivée au Venezuela et forcé de subir de la torture et d’autres mauvais traitements cruels en prison ». Dans une décision datée du 28 juin 2005, un agent d’ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas en danger s’il retournait au Venezuela. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

La question en litige

[3]        Il ressort des plaidoiries que la question en litige en l’espèce est plutôt limitée. Plus particulièrement, il s’agit de décider si l’agent d’ERAR a mal compris les conclusions de la SPR et a, en conséquence, omis d’examiner les prétentions formulées par le demandeur dans la demande d’ERAR. La question se rapporte à la remarque suivante contenue dans la décision de l’agent d’ERAR :

[traduction] La preuve documentaire fait mention des représailles exercées contre les membres de la famille des personnes qui sont témoins d’actes répréhensibles commis par des policiers, mais cette question a été soumise à la SPR et aucune preuve n’a été produite à l’appui.

 

[4]        Le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur susceptible de révision en ne déterminant pas que ses parents n’avaient pas vu des policiers commettre des actes répréhensibles.

La norme de contrôle

[5]        La question en litige en l’espèce est une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, c’est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui s’appliquera (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, au paragraphe 19).

 

Analyse

a) La demande d’ERAR

[6]        Le point de départ de la présente analyse est la demande d’ERAR. Quels risques ont été exposés par le demandeur? Il ressort clairement des observations présentées à l’agent d’ERAR que le demandeur craint de faire l’objet d’une arrestation et d’une détention arbitraires et d’être soumis à des conditions d’emprisonnement pénibles. Le demandeur ne pouvait pas prétendre, au soutien de sa demande d’asile, qu’il a vu des policiers commettre des actes répréhensibles puisque seuls ses parents ont allégué avoir été témoins de tels actes. Pour démontrer qu’il serait arrêté et détenu arbitrairement comme ses parents, le demandeur soutenait que le rapport de 2004 du Département d’État des États-Unis, daté du 28 février 2005, révélait qu’il serait exposé aux mêmes risques que ses parents. Le rapport mentionne en particulier :

[traduction] Partout dans le pays, des témoins d’actes de violence commis par les forces de sécurité ont déclaré que les membres de leur famille avaient été harcelés, menacés ou assassinés par la suite.

 

[7]        Ainsi, cette affirmation avait pour objet d’établir un lien entre, d’une part, le demandeur et, d’autre part, ses parents et la crainte des conditions d’emprisonnement. De plus, il ressort clairement du résumé contenu dans la demande d’ERAR qu’[traduction] « en résumé, les conditions d’emprisonnement au Venezuela sont abominables au point de susciter cette crainte authentique ». Un lien ayant été établi par le demandeur entre sa demande et celle de ses parents, sa demande est entièrement subordonnée à la conclusion que ses parents risquent d’être emprisonnés.

 

b) La décision de l’agent d’ERAR

[8]        J’examinerai maintenant la décision de l’agent d’ERAR. La remarque contestée par le demandeur se trouve dans un long paragraphe.

[traduction] Le demandeur est maintenant âgé de vingt-deux ans et vit au Canada depuis quinze ans. Il n’a jamais été accusé d’un crime au Venezuela. Aucun mandat d’arrêt n’a été lancé contre lui. La SPR disposait d’une preuve concernant l’intérêt que porte la police à ses parents, mais elle a conclu que cette preuve ne permettait pas de conclure que ces derniers n’auraient pas droit à un procès équitable ou qu’ils avaient été persécutés dans le passé. Le conseil a déposé des documents en preuve afin de démontrer les arrestations arbitraires, les mauvaises conditions d’emprisonnement, la corruption et les autres problèmes semblables qui existent au Venezuela. Quoique ces faits soient reconnus, le demandeur n’a pas réussi à établir l’existence d’un risque personnalisé. Ayant quitté le pays à l’âge de sept ans, il n’est pas recherché par les autorités publiques. La preuve documentaire fait mention des représailles exercées contre les membres de la famille des personnes qui sont témoins d’actes répréhensibles commis par des policiers, mais cette question a été soumise à la SPR et aucune preuve n’a été produite à l’appui. Les allégations de torture n’ont pas été jugées crédibles ou dignes de foi. Le tribunal a conclu que la cour criminelle pouvait traiter équitablement leur défense sur le fond. Le tribunal n’a pas considéré que les membres de la famille étaient en danger en raison des démêlés de leurs parents avec la justice. Il n’a été présenté aucune nouvelle preuve qui aurait une incidence importante sur cette conclusion. Je ne suis pas convaincu qu’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté par la police au Venezuela à cause des accusations en matière de stupéfiants déposées contre ses parents. De plus, il ne court pas un risque sérieux d’être torturé, d’être tué ou d’être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités.

 

[9]        J’examinerai maintenant la décision de la SPR.

 

c) La décision de la SPR

[10]      L’agent d’ERAR s’est servi de la décision de la SPR comme point de départ. La SPR avait conclu que, en date du 9 juin 2004 (la date de sa décision), les membres de la famille ne seraient pas exposés à une menace à leur vie, au risque de peines cruelles et inusitées ou au risque d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés au Venezuela. De manière générale, la SPR a exprimé de sérieux doutes au sujet de la crédibilité des parents. Elle a cependant conclu en particulier :

 

  • que les parents pouvaient s’attendre à ce que la poursuite découlant du mandat d’arrêt lancé contre eux, qui est toujours en vigueur, soit équitable;

 

  • qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que les parents soient « arrêtés dès leur retour et emprisonnés sur-le-champ, et [soient] soumis à un long processus de détention ou détenus indéfiniment ».

 

[11]      Les demandes des enfants, notamment celle du demandeur, étaient fondées sur celles de leurs parents, et la preuve n’a pas démontré que les enfants couraient des risques particuliers. En d’autres termes, les risques rattachés au fait d’être un membre de la famille d’une personne qui a été témoin d’actes répréhensibles commis par des policiers auraient pu être définis et examinés lors de l’audience devant la SPR.

 

d) L’objet de l’ERAR

[12]      Il est bien établi qu’un ERAR n’a pas pour objet de servir d’appel d’une décision de la SPR (Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32, au paragraphe 11; Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1101, au paragraphe 21 (C.F.); Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 949, au paragraphe 14 (C.F.)). La décision de la SPR doit être considérée comme définitive en ce qui concerne la question de la protection sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), sous réserve seulement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur serait exposé à des risques nouveaux, différents ou additionnels qui n’auraient pas pu être envisagés au moment de la décision de la SPR. Ainsi, l’agent d’ERAR n’est pas tenu d’examiner les risques qui sont maintenant allégués par le demandeur. J’examinerai maintenant les faits de la demande d’ERAR.

 

(e) L’application aux faits de la présente demande

[13]      Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue : a) que l’agent d’ERAR a bien compris la décision de la SPR et b) que la décision de l’agent d’ERAR est valide selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[14]      Il y a trois raisons, à mon avis, pour lesquelles l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a écrit : [traduction] « La preuve documentaire fait mention des représailles exercées contre les membres de la famille des personnes qui sont témoins d’actes répréhensibles commis par des policiers, mais cette question a été soumise à la SPR et aucune preuve n’a été produite à l’appui. »

 

Ces raisons sont les suivantes :

 

  1. l’agent d’ERAR a bien compris la décision de la SPR;

 

  1. la preuve relative au fait d’avoir été témoin d’une transaction de stupéfiants aurait pu être présentée à la SPR et examinée par celle-ci;

 

  1. vu que le demandeur fonde sa demande d’ERAR sur les risques courus par ses parents, la SPR a rejeté le risque d’arrestation et d’emprisonnement arbitraires.

 

[15]      En premier lieu, je ne suis pas convaincue que la remarque faite par l’agent d’ERAR, lorsque considérée dans le contexte global de la décision relative à l’ERAR, traduit une mauvaise compréhension de la décision de la SPR. Je conviens qu’il peut y avoir certains doutes au sujet de l’exactitude de cette remarque; la SPR n’a pas dit expressément qu’elle ne croyait pas le récit fait par les parents de l’incident au cours duquel ils avaient vu des policiers commettre des actes répréhensibles. Ainsi, on peut considérer que la SPR a cru ce récit. En conséquence, je suis convaincue que l’agent d’ERAR n’a pas interprété la décision de la SPR de manière déraisonnable.

 

[16]      La SPR n’a pas accepté de nombreux aspects du récit des parents. Elle parle, tout au long de ses motifs, du manque de renseignements dignes de foi. Selon une interprétation raisonnable de la décision, la SPR ne croyait pas que les parents avaient été témoins d’actes répréhensibles commis par des policiers. En conséquence, elle a conclu que les parents avaient été détenus parce qu’ils étaient soupçonnés d’être impliqués dans le trafic de substances illégales et elle a examiné les risques en se fondant sur cette conclusion. En d’autres termes, la SPR a rejeté l’allégation selon laquelle les parents avaient été témoins d’une transaction de stupéfiants impliquant des policiers. Compte tenu de cette interprétation, l’agent d’ERAR n’a pas commis une erreur lorsqu’il a dit que cette question [traduction] « a été soumise à la SPR et aucune preuve n’a été produite à l’appui ». Selon cette interprétation – qui n’est pas déraisonnable – la question avait en fait été soumise à la SPR et n’était pas étayée.

 

[17]      Même si je suppose que l’agent d’ERAR a eu tort d’affirmer que l’allégation selon laquelle les parents avaient été témoins d’actes répréhensibles commis par des policiers [traduction] « a été soumise à la SPR et aucune preuve n’a été produite à l’appui », il y a deux autres raisons de ne pas annuler cette décision. Comme je l’ai mentionné précédemment, la question de l’existence d’un risque propre aux enfants pouvait et aurait dû être soumise à la SPR. Il ressort des motifs de la SPR que ce risque n’a pas été invoqué devant elle ou qu’il a été rejeté par celle-ci. De toute façon, il est clair que ce risque, s’il existe, existait également au moment de l’audience de la SPR. Il est tout simplement trop tard pour invoquer ce risque [traduction] « différent ». Bien que l’agent d’ERAR n’ait pas mentionné expressément que le demandeur n’avait pas invoqué précisément ce risque devant la SPR, un examen additionnel n’aiderait pas la cause du demandeur puisque l’agent d’ERAR serait tenu de rejeter ce risque particulier au motif qu’il en avait été question, ou aurait dû en être question, devant la SPR.

 

[18]      Finalement – et c’est le plus important – le risque global décrit par le demandeur n’était pas différent de celui qui a été défini et directement traité par la SPR. Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur craint qu’[traduction] « en résumé, les conditions d’emprisonnement au Venezuela soient abominables au point de susciter cette crainte authentique ». Il s’ensuit que les conditions d’emprisonnement doivent être prises en compte seulement si le demandeur sera arrêté et détenu arbitrairement pendant une longue période. C’est exactement ce que la SPR a examiné dans sa décision au regard des parents. La SPR a conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que les parents soient arrêtés dès leur retour, emprisonnés sur-le-champ et soumis à un long processus de détention ou détenus indéfiniment. L’ERAR n’étant pas un appel de la décision de la SPR, les conclusions de celle-ci sont définitives. Je ne relève aucune erreur lorsque je considère le long paragraphe tiré de la décision de l’agent d’ERAR dans ce contexte. En résumé, il n’est pas déraisonnable de conclure que le demandeur, qui se fonde sur son lien avec ses parents, ne risque pas plus d’être emprisonné que ces derniers. Comme nous pouvons le voir dans ses motifs, l’agent d’ERAR a examiné la question de savoir si le demandeur avait fait la preuve de l’existence d’un risque personnalisé et a conclu que ce n’était pas le cas. Bref, l’agent d’ERAR a compris et examiné les prétentions du demandeur. À mon avis, aucune erreur susceptible de révision n’a été commise en l’espèce.

 

Conclusion

[19]      Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Je conviens avec les parties qu’aucune question ne doit être certifiée en l’espèce.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

            1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

          « Judith A. Snider »

________________________

                     Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-4690-05

 

INTITULÉ :                                                       RASANATH ESCALONA PEREZ

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 2 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 15 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Russ Makepeace                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Tamrat Gebeyehu                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Russ Makepeace                                                 POUR LE DEMANDEUR

Makepeace Romoff

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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