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Date : 20061116

Dossier : IMM‑7269‑05

Référence : 2006 CF 1385

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

SYED MASOOD RAZA, PERVEEN MASOOD RAZA,

SYED SALMAN MASOOD RAZA

et SYED OMAIR RAZA, représenté par son tuteur à l’instance,

SYED MASOOD RAZA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Les demandeurs contestent la décision rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) le 24 octobre 2005, selon laquelle ils ne seraient pas en danger s’ils retournaient au Pakistan parce qu’ils pourraient obtenir la protection de l’État dans ce pays. Ils prétendent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a évalué le risque de persécution auquel ils sont exposés dans ce pays et lorsqu’il a appliqué les règles relatives à la réception de nouveaux éléments de preuve qui sont prévues à l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Les demandeurs, des citoyens du Pakistan appartenant à la minorité chiite de ce pays, sont arrivés au Canada le 26 mars 2003 après avoir passé neuf ans aux États‑Unis. Ils ont revendiqué la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au Canada en raison des préjudices subis par le demandeur principal, Syed Masood Raza, à cause de sa participation active aux affaires religieuses et commerciales de leur communauté.

 

[3]               Le 26 novembre 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État et elle a rejeté leur demande. La Commission a constaté que des changements importants étaient survenus au Pakistan depuis le départ des demandeurs, entre autres un changement de régime, et que le gouvernement Musharraf avait pris des mesures pour contrôler la violence sectaire, notamment en interdisant l’organisation sunnite Sipah‑e‑Sahaba, le principal instrument de persécution mentionné par les demandeurs. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée le 5 mai 2005.

 

[4]               La demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en cause en l’espèce a été présentée le 24 juin 2005. Au soutien de leur demande, les demandeurs ont produit une lettre et deux affidavits postérieurs au rejet de leur demande d’asile, ainsi qu’une série d’articles de BBC News, de CBC News et de CNN tirés d’Internet, qui étaient également postérieurs à la décision relative à leur demande d’asile. Ils ont également produit des documents scolaires concernant les deux fils de la famille; ces documents n’ont toutefois pas été pris en compte parce que l’agent a jugé qu’ils n’étaient pas utiles pour évaluer les risques auxquels la famille serait exposée si elle retournait au Pakistan.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[5]               L’agent a constaté que les risques décrits dans la demande d’ERAR étaient identiques à ceux qui avaient été évoqués devant la Commission. Il a mentionné que les demandeurs avaient eu la possibilité, dans leur demande d’ERAR, de présenter de nouveaux éléments de preuve afin de répondre aux conclusions de la Commission, mais que la preuve produite était insuffisante. Il a conclu que la situation dans le pays n’avait pas changé de manière significative depuis que la Commission avait entendu la demande des demandeurs.

 

[6]               En ce qui concerne la lettre et les deux affidavits, l’agent n’a pas estimé que ces éléments de preuve étaient nouveaux. Il a écrit dans son analyse qu’il s’agissait [traduction] « essentiellement d’une répétition des renseignements » présentés à la Commission. L’agent a noté également que les documents [traduction] « ne faisaient état d’aucun nouveau risque » et que les demandeurs n’avaient pas expliqué pourquoi les documents n’avaient pas pu être présentés à la Commission. En outre, l’agent a estimé que les auteurs de ces documents n’étaient pas des sources d’information objectives car il s’agissait respectivement de la sœur du demandeur principal, d’un ami de la famille et du coordonnateur de l’Imam Bargha local de la famille.

 

[7]               Pour ce qui est des articles, l’agent a fait remarquer que, même s’ils [traduction] « sont postérieurs à la décision de la CISR, ils sont de nature générale, ils ne font aucune mention des demandeurs et ils ne parlent pas des aspects importants de la demande ». L’agent a ajouté que, bien qu’il en ait tenu compte dans le cadre de l’examen de la situation prévalant au Pakistan, ces articles ne renfermaient aucun [traduction] « nouvel élément de preuve sur l’existence de nouveaux risques propres aux demandeurs qui sont apparus depuis la décision de la Commission ». Il a écrit ce qui suit :

 

[traduction] Leur nom ne figure dans aucun des documents, et aucun des documents ne contredit les conclusions importantes de la Commission. Les documents relatent des actes de violence criminelle aussi bien que sectaire et terroriste commis au hasard. J’estime que tous les citoyens du Pakistan sont confrontés à ce genre de situation. À mon avis, ces documents ne prouvent pas que le demandeur court personnellement un risque plus grand que tout autre citoyen.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               De manière générale, la Cour doit décider en l’espèce si la décision de l’agent était raisonnable. Les parties ont cependant abordé les deux questions particulières suivantes dans leurs observations :

 

1. L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a appliqué les règles relatives à la réception de nouveaux éléments de preuve qui sont prévues à l’alinéa 113a) de la LIPR?

 

2. L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne prenant pas en considération la preuve des préjudices subis par des personnes placées dans une situation semblable au Pakistan pour décider si les demandeurs risquaient d’être persécutés s’ils étaient renvoyés dans ce pays?

 

LE CADRE LÉGISLATIF

 

[9]               Le paragraphe 112(1), les alinéas 113a) et c) et les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), prévoient ce qui suit :

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[…]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle

 

[10]           Les agents d’ERAR possèdent des connaissances spécialisées en matière dexamen des risques et leurs conclusions sont généralement dictées par les faits, ce qui explique que celles‑ci doivent faire l’objet d’une retenue considérable : Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 256 F.T.R. 53, au paragraphe 16 (Selliah). Les conclusions de fait tirées par un agent d’ERAR, y compris celles qui concernent le poids à accorder à la preuve qui lui a été présentée, réclament une retenue judiciaire considérable : Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101, au paragraphe 19 (Yousef). À moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu’il ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire : Augusto c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 673, [2005] A.C.F. no 850, au paragraphe 9.

 

[11]           Dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, 272 F.T.R. 62, j’ai conclu, après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle applicable aux questions de fait tranchées par un agent d’ERAR devrait généralement être celle de la décision manifestement déraisonnable, la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable, et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte.

 

[12]           Le juge Martineau a statué dans Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 C.F. 387, 2005 CF 374, au paragraphe 51, que, lorsque la décision d’un agent d’ERAR est examinée « dans sa totalité », la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Voir aussi Nadarajah c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 713, [2005] A.C.F. no 895, au paragraphe 13; Kandiah c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1057, 48 Imm. L.R. (3d) 23, au paragraphe 6; Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, [2005] A.C.F. no 1560, au paragraphe 23.

 

1.         Les règles relatives aux nouveaux éléments de preuve

 

 

[13]           Les demandeurs prétendent que l’agent n’a pas appliqué les règles appropriées pour déterminer ce qui constituait de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR. En ce qui concerne la lettre et les deux affidavits, l’avocat des demandeurs a reconnu à juste titre que l’agent pouvait leur accorder peu de valeur. On a néanmoins fait valoir que, comme ces documents avaient été créés après l’audition de la demande d’asile et après la décision rendue quant à cette demande, il s’agissait de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) et ils auraient dû être pris en considération.

 

[14]           En outre, les demandeurs soutiennent que l’on devrait interpréter l’alinéa 113a) comme s’il permettait l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve pour trois motifs différents. Selon eux, si les éléments de preuve sont « survenus depuis le rejet » de leur demande d’asile par la Commission, la loi ne les oblige pas à expliquer pourquoi ces éléments de preuve n’étaient pas alors normalement accessibles ou pourquoi il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’ils les aient présentés à la Commission avant que celle‑ci statue sur leur demande d’asile. Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur de droit en exigeant une telle explication.

 

[15]           Les demandeurs s’appuient à cet égard sur Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 111, [2005] A.C.F. no 115 (Mendez).

 

[16]           Les demandeurs prétendent également que, comme les articles tirés d’Internet qui ont été produits font référence à des événements qui sont survenus jusqu’en mai 2005, il s’agit de nouveaux éléments de preuve des circonstances objectives existant au Pakistan à la date de la demande d’ERAR. Selon eux, la décision de rejeter cette preuve était donc manifestement déraisonnable.

 

[17]           Les défendeurs soutiennent que les affidavits et la lettre contiennent des déclarations générales semblables à celles sur lesquelles était fondée la demande d’asile originale. Selon eux, la présente affaire est différente de Mendez parce que la conclusion tirée par l’agent d’ERAR dans cette affaire, selon laquelle toute la preuve du demandeur était antérieure à la décision de la Commission, était erronée puisque l’un des éléments de preuve était clairement « survenu » après la décision de la Commission. La Cour a conclu que l’agent d’ERAR n’avait « pas compris ce fait puisqu’il a mis cette lettre dans la même catégorie » que les éléments de preuve antérieurs à la décision (au paragraphe 18).

 

[18]           J’aimerais ajouter qu’il ressort également clairement des motifs de la Cour dans Mendez que les nouveaux éléments de preuve en question étaient essentiels à la demande du demandeur car ils concernaient directement la conclusion de la Commission selon laquelle ce dernier ne serait pas en danger en tant qu’homosexuel porteur du VIH au Mexique. Dans ces circonstances, la Cour a conclu que le fait que l’agent d’ERAR n’avait pas pris ces éléments de preuve en considération était manifestement déraisonnable. Fait à noter, la question de savoir si une demande d’asile peut être accueillie pour des motifs sanitaires en application du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR ne semble pas avoir été soulevée.

 

[19]           L’avocat des demandeurs a reconnu franchement que le seul appui qu’il a pu trouver pour sa prétention selon laquelle l’alinéa 113a) de la LIPR doit être lu de manière disjonctive figure dans la phrase suivante tirée du paragraphe 17 de Mendez :

L’alinéa 113a) exige qu’une décision soigneuse soit rendue à l’égard de l’admissibilité de la preuve quant aux trois motifs prévus. [Non souligné dans l’original.]

 

[20]           L’avocat soutient qu’il faut lire simplement la disposition et l’interpréter comme si elle permettait l’admissibilité de trois types distincts de nouveaux éléments de preuve :

 

1. les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande par la Commission;

2. les éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet;

3. les éléments de preuve qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur ait présentés au moment du rejet.

 

[21]           Ce n’est qu’à l’égard des deux derniers types, selon l’avocat, qu’il faut expliquer pourquoi les éléments de preuve n’ont pas été présentés à la Commission puisque l’agent d’ERAR doit déterminer s’il était raisonnable de ne pas les présenter. Le terme « survenus » employé relativement au premier type d’éléments de preuve doit signifier en fait que les éléments de preuve ont été créés après la date de la décision de la Commission. Par conséquent, les affidavits et la lettre, même s’ils n’ont peut‑être pas une grande valeur, devaient être pris en considération car il s’agissait de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a). L’agent pouvait leur accorder peu de poids, mais pas les ignorer.

 

[22]           Il faut se rappeler que le rôle de l’agent d’ERAR n’est pas de revoir les conclusions de fait et les conclusions relatives à la crédibilité qui ont été tirées par la Commission, mais bien d’examiner la situation actuelle. Lorsqu’il évalue les « nouvelles informations », ce n’est pas seulement la date du document qui est importante, mais également la question de savoir si l’information est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment : Selliah, précitée, au paragraphe 38. Lorsque des renseignements [traduction] « récents » (c.‑à‑d. des renseignements postérieurs à la décision initiale) font simplement écho à des renseignements produits antérieurement, il est peu probable que l’on conclut que la situation dans le pays a changé. La question est de savoir s’il y a de nouveaux renseignements « essentiels » : Yousef, précitée, au paragraphe 27.

 

[23]           En l’espèce, même si la preuve des demandeurs a été créée après la décision relative à la demande d’asile, il n’y a rien dans la lettre, dans les affidavits ou dans les articles qui est sensiblement différent de l’information qui avait été présentée à la Commission. Comme l’agent l’a affirmé, la lettre et les affidavits [traduction] « parlent seulement des aspects de la situation des demandeurs que la Commission a pris en considération », [traduction] « ne font état d’aucun nouveau risque » et constituent [traduction] « essentiellement une répétition des renseignements présentés à la Commission ». Dans ces circonstances, il n’était pas manifestement déraisonnable que l’agent se demande pourquoi ces éléments de preuve n’avaient pas été présentés précédemment. En ce qui concerne les articles en particulier, l’agent a souligné qu’ils sont [traduction] « de nature générale » et qu’ils ne [traduction] « parlent pas des aspects importants de la demande ».

 

[24]           Ces conclusions pouvaient être tirées par l’agent sur la foi de la preuve dont il disposait et elles recevaient de l’expertise de ce dernier en matière d’examen des risques. En conséquence, la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

 

2. L’évaluation des renseignements concernant la situation dans le pays

 

[25]           Les demandeurs allèguent que, lorsqu’il a déterminé si les renseignements concernant la situation dans le pays révélaient de nouveaux risques, l’agent a eu tort d’exiger que les renseignements soient [traduction] « propres aux demandeurs », après avoir considéré que la preuve relative aux risques auxquels seraient confrontées des personnes placées dans une situation semblable était insuffisante. Les demandeurs prétendent que, pour satisfaire aux exigences de l’article 113 de la LIPR, un demandeur peut prouver les risques auxquels il serait exposé à son retour dans son pays d’origine en démontrant qu’il appartient à un groupe faisant l’objet de persécution ou de traitements cruels et inusités – ce qu’on appelle la norme de la « personne placée dans une situation semblable » : Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250, [1990] A.C.F. no 454 (C.A.), aux paragraphes 17 et 18 (Salibian).

 

[26]           Les demandeurs prétendaient en outre que l’agent avait commis une erreur lorsqu’il avait conclu que les articles parlaient d’un risque [traduction] « auquel tous les citoyens du Pakistan sont confrontés ». Ils font valoir que les documents font expressément état de l’incapacité du gouvernement du Pakistan à protéger la communauté chiite contre les actes de violence sectaire, et que ce sont les chiites qui sont en danger. Ils prétendent donc que l’agent a commis une erreur en rejetant la preuve pertinente au regard des risques auxquels ils seraient exposés et en saisissant mal ce qu’est la violence sectaire.

 

[27]           Les défendeurs soutiennent que les demandeurs devaient faire la preuve d’un risque personnalisé et qu’ils ne l’ont pas fait. L’agent doit examiner les risques auxquels serait exposé un demandeur donné s’il retournait dans le pays dont il a la nationalité ou dans le pays où il avait sa résidence habituelle. Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n’ont produit aucune preuve d’un risque personnalisé respectant l’esprit de l’article 113 de la LIPR.

 

[28]           La procédure d’ERAR n’est pas une deuxième audition de la demande d’asile. Cette procédure a pour objet d’examiner les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audition de cette demande et la date du renvoi : Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32, [2004] A.C.F. no 27, au paragraphe 11.

 

[29]           L’agent d’ERAR qui examine les nouveaux risques doit tenir compte des articles 96 à 98 de la LIPR. Les articles 96 et 97 exigent que le risque soit personnalisé, c’est‑à‑dire qu’il concerne la personne qui demande l’asile. C’est ce que montre clairement l’emploi du terme « personnellement » à l’article 97. Dans le cas de l’article 96, la preuve relative à des personnes placées dans une situation semblable peut mener à la conclusion que le demandeur « crai[nt] avec raison d’être persécuté ». Cela étant dit, seuls les « nouveaux éléments de preuve » sont pris en considération dans le cadre d’une demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté, comme il a été expliqué ci‑dessus.

 

[30]           En l’espèce, l’agent a conclu, sur la foi de l’ensemble de la preuve, que les demandeurs avaient décrit [traduction] « les mêmes risques que ceux qui avaient été évoqués devant la SPR ». C’est en déterminant si la preuve révélait l’existence de nouveaux risques que l’agent a fait remarquer que les demandeurs n’étaient pas nommés dans les articles. Si, par exemple, les demandeurs avaient été personnellement nommés, les articles auraient pu constituer de nouveaux renseignements « importants ». L’agent n’a donc pas commis une erreur en tentant de trouver dans les documents la preuve que les risques s’étaient accrus ou que les demandeurs étaient personnellement exposés à de « nouveaux » risques, notamment en cherchant la mention de leurs noms. L’agent a clairement examiné la teneur générale des documents et a conclu finalement qu’ils ne renfermaient pas de nouveaux renseignements importants dont ne disposait pas la Commission.

 

[31]           À mon avis, les commentaires de l’agent selon lesquels les articles [traduction] « relatent des actes de violence criminelle aussi bien que sectaire et terroriste commis au hasard » et [traduction] « tous les citoyens du Pakistan sont confrontés à ce genre de situation » avaient seulement pour but de renforcer l’évaluation de l’information qui, selon l’agent, était [traduction] « de nature générale » et n’était pas nouvelle. La demande d’asile présentée précédemment repose sur le fait que les chiites continuent d’être la cible des militants sunnites. L’agent n’a pas mis ce fondement en doute et l’a bien compris. Même si l’on peut dire que l’agent a commis une erreur en parlant simultanément dans ses motifs de violence sectaire et de risque généralisé auquel sont exposés tous les citoyens du Pakistan, la conclusion selon laquelle les articles ne renferment aucun « nouvel élément de preuve » des risques auxquels les demandeurs seraient personnellement exposés l’emporterait sur toute erreur à cet égard car l’agent cherchait des éléments de preuve de « nouveaux » risques qui allaient au‑delà des conclusions de la Commission dans ce contexte. Plus particulièrement, l’agent cherchait des éléments de preuve qui justifieraient le réexamen de la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État, et il n’en a trouvé aucun. Considérée dans l’ensemble, l’approche adoptée par l’agent n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[32]           La preuve présentée par les demandeurs confirme qu’il existe des risques au Pakistan, notamment le risque que les chiites soient victimes d’actes de violence commis par des militants sunnites. Cela étant dit, les mêmes éléments de preuve indiquent que l’État prend des mesures pour arrêter et détenir ces militants. Rien ne réfute clairement la présomption de protection de l’État énoncée par la Commission. La décision de l’agent n’était pas déraisonnable dans l’ensemble.

 

Questions certifiées

 

[33]           Comme les parties ont demandé du temps pour décider s’il y a lieu de proposer des questions de portée générale, les avocats devront signifier et déposer leurs observations concernant la certification dans les sept jours suivant la réception des présents motifs de jugement. Chaque partie disposera ensuite de trois jours pour signifier et déposer sa réponse aux observations de l’autre partie, après quoi le jugement sera délivré.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM‑7269‑05

 

INTITULÉ :                                                       SYED MASOOD RAZA,

                                                                            PERVEEN MASOOD RAZA,

                                                                            SYED SALMAN MASOOD RAZA

                                                                            et SYED OMAIR RAZA, représenté par son tuteur à l’instance, SYED MASOOD RAZA

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 27 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 16 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton                                                    POUR LES DEMANDEURS

 

Bernard Assan                                                     POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton                                                    POUR LES DEMANDEURS

Mamann et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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