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Date : 20061128

Dossier : IMM‑7264‑05

Référence : 2006 CF 1436

ENTRE :

NIGHAT SHAHEEN,

SABA MUMTAZ,

NABEEL MUMTAZ

ET NIDA MUMTAZ

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l'audience, tenue le 14 novembre 2006, de la demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 16 novembre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'avaient qualité ni de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger. 

 

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont citoyens pakistanais. Saba Mumtaz, Nabeel Mumtaz et Nida Mumtaz sont respectivement la fille et les fils jumeaux de Nighat Shaheen (la demanderesse principale). Les demandeurs fondent leur revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger sur les éléments suivants : leur religion, l'Islam sunnite; les opinions politiques qu'on leur attribue du fait que le mari de la demanderesse principale et père des trois jeunes demandeurs a été membre du Sepah‑e‑Sehaba (le SSP); et enfin, leur appartenance à un groupe social, soit la famille d'un membre du SSP menacé de persécution par une organisation extrémiste chiite, le Tehrik‑e‑Jafariah (le TJP).

 

[3]               La demanderesse principale affirme être née à Jhelum (Pakistan) et y avoir vécu avec ses enfants – qu'elle y a élevés – à toutes les époques pertinentes. Elle prétend que son mari a été enlevé par le TJP le 3 mars 1999. Dès qu'ils eurent appris l'enlèvement, les demandeurs sont allés se réfugier chez un ami du mari de la demanderesse principale. Ils soutiennent que le TJP les a recherchés durant leur bref séjour chez cette personne.

 

[4]               Les demandeurs se sont ensuite réfugiés chez la sœur et le beau-frère de la demanderesse principale à Multan. Ils y sont restés environ 15 jours.

 

[5]               Les demandeurs affirment que le fils aîné de la demanderesse, qui résidait à Lahore, a aussi été enlevé pendant leur séjour à Multan. Craignant pour leur vie, les demandeurs ont alors quitté la maison de la sœur de la demanderesse principale pour chercher un nouveau refuge.   

 

[6]               Ils ont trouvé ce nouveau refuge à Karachi, où ils sont restés environ quatre mois. La demanderesse principale affirme que, pendant cette période, un de ses fils demandeurs a fait l'objet d'une tentative d'enlèvement.

 

[7]               S'estimant en danger partout au Pakistan, les demandeurs se sont enfuis de ce pays pour le Canada le 19 juillet 1999. Pas plus au moment de l'arrivée des demandeurs au Canada en juillet 1999 que quand elle a établi l'exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels en septembre de la même année, la demanderesse principale ne savait où se trouvaient son mari et son fils aîné ni ce qui leur était arrivé.

 

[8]               Les demandeurs soutiennent que les enlèvements distincts du mari et du fils aîné de la demanderesse principale ont été dûment signalés à la police, mais que celle‑ci n'a pas effectué d'enquête digne de ce nom. La demanderesse principale a déclaré que son mari avait été tué par le TJP le ou vers le 18 mars 2002. Elle a produit son certificat de décès devant la SPR le 14 novembre 2005.

 

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la troisième des décisions dont la demande d'asile des demandeurs a fait l'objet, de la part de la SPR et de l'organisme qui l'a précédé, la SSR. La demande d'asile a d'abord été entendue le 5 juin 2000 par la SSR, qui l'a rejetée. Cette décision de rejet a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour, qui l'a annulée par ordonnance en date du 18 juin 2001. La SSR a alors entendu de nouveau l'affaire et a rendu encore une fois une décision défavorable aux demandeurs, le 12 mars 2002. Cette deuxième décision négative a elle aussi fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour, qui l'a annulée par ordonnance en date du 17 décembre 2003.

 

DÉCISION CONTRÔLÉE

[10]           La SPR, dans la décision contrôlée, prend acte des deux auditions antérieures de la revendication du statut de réfugié formée par les demandeurs et des décisions y afférentes de notre Cour ordonnant un réexamen.

 

[11]           La SPR constate que « [l]a principale question en l'espèce est la crédibilité ».

Le tribunal [explique‑t‑elle] avait des doutes quant à la crédibilité de la preuve substantielle du demandeur d'asile principal, qui n'ont pas joué en sa faveur. J'estime que du fait qu'en général, le témoignage de la demandeure d'asile ne m'apparaît pas vraisemblable, il existe une raison suffisante de réfuter la présomption de véracité.

 

[12]           La SPR poursuit en ces termes :

La question déterminante en l'espèce est l'élément objectif de la crainte fondée de persécution, en l'occurrence par qui les demandeurs d'asile craignent d'être persécutés s'ils retournent au Pakistan.

 

[13]           La SPR se déclare préoccupée par l'insuffisance de la preuve corroborante produite par les demandeurs, étant donné en particulier qu'il s'est écoulé presque six années depuis leur arrivée au Canada, qu'on a déjà rendu à leur égard deux décisions défavorables (encore que la Cour fédérale ait prononcé leur renvoi pour réexamen à l'issue de demandes de contrôle judiciaire) et qu'ils ont donc eu l'occasion de se familiariser avec les motifs de méfiance de la SSR.

 

[14]           La SPR examine ensuite le point de savoir si l'État pakistanais est en mesure de protéger les demandeurs. Tout en reconnaissant le caractère imparfait de la protection offerte par cet État aux personnes qui se trouvent dans la situation des demandeurs, la SPR conclut cet examen dans les termes suivants :

Le tribunal établit, selon la prépondérance des probabilités, que le Pakistan s'est doté d'un système judiciaire, d'une force de police civile et d'une armée fédérale capables de protéger ses citoyens.

 

[15]           La SPR se demande ensuite s'il existe des « raisons impérieuses » d'accorder aux demandeurs le statut de réfugié au sens de la Convention dans le contexte de l'évolution de la situation au Pakistan. Elle conclut que, étant donné l'évolution des circonstances, sa constatation que les demandeurs ne sont pas crédibles, et le fait qu'ils n'ont pas été personnellement témoins d'atrocités et n'ont pas subi personnellement d'expériences « épouvantables » ou « atroces », ces raisons impérieuses sont absentes. Enfin, la SPR prend acte du rapport psychologique produit devant elle sur la demanderesse principale, fait observer que ce rapport est fondé sur les renseignements communiqués par la demanderesse principale elle-même et conclut que, ayant déjà constaté que cette dernière n'est pas crédible, « le tribunal n'estime pas que le rapport psychologique corrobore la preuve de la cause des symptômes [constatés dans ce rapport] que la demandeure d'asile a fournie ».

 

[16]           La SPR formule enfin les conclusions suivantes :

Du fait que le demandeur d'asile n'a pas été considéré comme un témoin crédible, le tribunal est convaincu que la demande d'asile n'est pas fondée subjectivement et que par ailleurs, l'État fournit une protection qui sans être parfaite est adéquate; le tribunal est donc convaincu que la demande d'asile n'est pas objectivement fondée.

 

L'analyse qui précède ne convainc pas le tribunal que la preuve produite aux fins de la demande d'asile établit qu'il existe une possibilité raisonnable ou sérieuse que les demandeurs d'asile soient persécutés pour l'un des motifs prévus dans la Convention ou qu'ils soient exposés au risque d'être soumis à la torture ou à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peine cruels et inusités s'ils retournent au Pakistan.

 

QUESTIONS EN LITIGE ET PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

[17]           L'avocate des demandeurs, dans le mémoire déposé au nom de ses clients, ne met qu'une seule question en litige : 

[TRADUCTION] La [SPR] a‑t‑elle commis une erreur de droit en refusant de prendre en considération et/ou en interprétant mal la preuve produite devant elle lorsqu'elle a conclu que la demanderesse [principale] n'était pas crédible?

 

Dans le cadre de cette question, l'avocate a formulé des observations sur les points suivants :

-         la décision touchant la crédibilité des demandeurs;

-         les conclusions de la SPR relatives à l'enlèvement du mari et du fils aîné de la demanderesse principale et à la mort supposée du mari;

-         la décision de n'accorder aucun poids au certificat de décès produit à l'égard du mari de la demanderesse principale;

-         le fait que la demanderesse principale n'ait pas mis à jour l'exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels, en particulier pour ce qui concerne les menaces dont les demandeurs auraient fait l'objet de la part du TJP depuis leur arrivée au Canada;

-         les constatations de la SPR concernant l'absence d'éléments de preuve relatifs aux mesures prises par la police par suite des déclarations préliminaires signalant les deux enlèvements et le fait que ni les demandeurs ni leurs parents ou amis au Pakistan n'aient suivi les effets de ces déclarations;

-         les conclusions de la SPR touchant la protection de l'État, l'absence de « raisons impérieuses » et le poids à accorder au rapport psychologique déposé au nom de la demanderesse principale.

 

[18]           L'avocate du défendeur a simplement fait valoir que la SPR n'avait commis aucune erreur donnant lieu à révision dans sa décision, notamment qu'elle n'avait commis aucune erreur de cette nature en se basant sur le fait que les demandeurs n'avaient pas complété l'exposé circonstancié contenu dans le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse principale et n'avaient pas non plus étayé leur demande d'asile d'éléments de preuve documentaire corroborante durant la longue période où la SPR et la SSR avaient été saisies de cette affaire, et que la SPR était raisonnablement fondée à conclure comme elle l'a fait touchant le caractère suffisant de la protection de l'État et l'absence de « raisons impérieuses » d'accueillir ladite demande d'asile, ainsi qu'à rejeter l'existence d'un lien entre le rapport psychologique et la version des faits de la demanderesse principale en conséquence de sa conclusion relative à la non-crédibilité de cette version.

 

ANALYSE

[19]           Comme nous le disions plus haut, la SPR et la SSR avant elle ont été saisies trois fois de la demande d'asile des demandeurs. Les deux premières fois, la SSR avait trouvé à redire à la preuve produite par les demandeurs à l'appui de leurs prétentions. Pour une raison ou pour une autre, les demandeurs, malgré les occasions que leur en ont fournies les décisions antérieures de notre Cour, n'ont guère pris de mesures pour étayer leurs prétentions, notamment en demandant l'aide de leurs parents et amis restés au Pakistan pour mettre leur preuve à jour. La troisième fois que les demandeurs ont saisi le tribunal de première instance, qui était en l'occurrence la SPR, ils ont produit pour l'essentiel les mêmes éléments de preuve qu'aux deux autres auditions. On voit mal comment le résultat pourrait les surprendre.

 

[20]           J'estime établi que la SPR avait connaissance des motifs pour lesquels notre Cour avait annulé les décisions antérieures défavorables aux demandeurs.

 

[21]           Mis à part la question de la protection de l'État, la décision contrôlée se fonde sur l'absence de crédibilité des demandeurs, soit le simple refus de croire leur version des faits. On n'a pas essayé d'expliquer à notre Cour pourquoi les demandeurs n'auraient pas pu étayer de preuves leur tragique histoire – pourquoi, en fait, ils semblent n'avoir pas même essayé de le faire.

 

[22]           Je rejette l'argumentation de l'avocate des demandeurs selon laquelle la SPR n'aurait pas pris en considération les directives que notre Cour lui a déjà données relativement aux demandes d'asile en cause et n'y aurait pas ajouté créance. Il appert de l'exposé des motifs de la SPR qu'elle était consciente des décisions antérieures de notre Cour touchant lesdites demandes, et j'estime établi qu'elle n'a en aucune manière refusé de tenir compte des directives qu'elles contenaient.

 

[23]           Suivant le critère de la décision manifestement déraisonnable – dont je constate qu'il est le critère applicable à la présente espèce, au motif que la décision contrôlée repose dans une large mesure sur la crédibilité des prétentions des demandeurs, étant donné la minceur du dossier de la preuve –, je conclus qu'il était loisible à la SPR de décider dans le sens où elle l'a fait.

 

[24]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. 

 

[25]           Les avocates ont été avisées de la conclusion de la Cour à la clôture de l'audience. Elles ont toutes deux répondu par la négative à la question de savoir si elles souhaitaient proposer une question à la certification. Aucune question ne sera donc certifiée.

 

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

 

 

Le 28 novembre 2006

Ottawa (Ontario)

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑7264‑05

 

 

INTITULÉ :                                       NIGHAT SHAHEEN, SABA MUMTAZ,

                                                            NABEEL MUMTAZ ET NIDA MUMTA1Z

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 14 NOVEMBRE 2006 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 NOVEMBRE 2006      

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Krassina Kostadinov                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Angela Marinos                                                POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :              

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                             POUR LES DEMANDEURS             

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                             POUR LE DÉFENDEUR

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