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Date : 20061128

Dossier : T-588-06

Référence : 2006 CF 1440

Edmonton (Alberta), le 28 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

TINT KING OF CALIFORNIA INC.

demanderesse

et

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 et le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

APPLICATION

[1]               La Cour statue sur l'appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) d'une décision par laquelle le registraire des marques de commerce (le registraire) a radié la marque de commerce TINT KING (la marque) en vertu de l'article 45 de la Loi. La marque a été enregistrée le 21 avril 1989 par le seul dirigeant et administrateur de la demanderesse, Allen Elliot Starkman (M. Starkman). Les démarches visant à faire radier la marque ont été entreprises par le cabinet Borden Ladner Gervais LLP pour le compte d'un intéressé. Un avis d'instance daté du 14 juin 2005 enjoignant à la demanderesse de produire un affidavit indiquant que la marque avait été employée au Canada au cours des trois années précédentes a été envoyé à l'adresse domiciliaire de M. Starkman. Toutefois, comme Mme Penney Dawn Starkman, la veuve de M. Starkman, l'explique dans son affidavit, M. Starkman est mort du cancer en décembre 2004 au terme d'une longue maladie, et au cours de la période de deuil suivant le décès de son mari, Mme Starkman n'avait pas lu la correspondance d'affaires adressée à la demanderesse, de sorte qu'elle n'a pris connaissance qu'en novembre 2005 de la lettre du 20 octobre 2005 dans laquelle le registraire avisait M. Starkman de la radiation de la marque. La veuve de M. Starkman n'a pas réussi à retrouver la lettre précédente, qui était datée du 14 juin 2005 et qui donnait à M. Starkman le préavis de trois mois exigé. Toutefois, une fois qu'elle a été mise au courant de la teneur de la lettre, Mme Starkman a introduit la présente instance en vue de démontrer que la marque avait effectivement été employée au cours des trois années précédentes.

 

[2]               Le défendeur a indiqué qu'il ne déposerait pas d'observations dans le présent appel.

 

QUESTION EN LITIGE

1.      La demanderesse a-t-elle présenté une preuve acceptable d'emploi qui satisfait aux exigences de l'article 45 de la Loi?

ANALYSE

La loi

[3]               Les articles 45 (anciennement l'article 44) et 56 de la Loi sont rédigés en ces termes :

 

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

 

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

 

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

 

(4) Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l’enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l’avis visé au paragraphe (1) a été donné.

 

 

 

(5) Le registraire agit en conformité avec sa décision si aucun appel n’en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il agit en conformité avec le jugement définitif rendu dans cet appel.

 

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

 

(2) L’appel est interjeté au moyen d’un avis d’appel produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale.

 

(3) L’appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par courrier recommandé, une copie de l’avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la plainte et à toute autre personne qui avait droit à un avis de cette décision.

 

(4) Le tribunal peut ordonner qu’un avis public de l’audition de l’appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu’il juge opportune.

 

 

    (5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

 

 

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

 

 

 

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

 

 

(4) When the Registrar reaches a decision whether or not the registration of a trade-mark ought to be expunged or amended, he shall give notice of his decision with the reasons therefore to the registered owner of the trade-mark and to the person at whose request the notice referred to in subsection (1) was given.

 

(5) The Registrar shall act in accordance with his decision if no appeal therefrom is taken within the time limited by this Act or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

 

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 

 

 

(2) An appeal under subsection (1) shall be made by way of notice of appeal filed with the Registrar and in the Federal Court.

 

(3) The appellant shall, within the time limited or allowed by subsection (1), send a copy of the notice by registered mail to the registered owner of any trade-mark that has been referred to by the Registrar in the decision complained of and to every other person who was entitled to notice of the decision.

 

(4) The Federal Court may direct that public notice of the hearing of an appeal under subsection (1) and of the matters at issue therein be given in such manner as it deems proper.

 

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

 

Moyens d'appel

[4]               La demanderesse se fonde sur l'arrêt Austin Nichols & Co. (faisant aussi affaires sous le nom commercial de Orangina International Co.) c.  Cinnabon, Inc., [1998] 4 C.F. 569, 231 N.R. 362 (C.A.) pour soutenir qu'on devrait lui permettre de présenter en appel des éléments de preuve dont ne disposait pas le registraire lorsqu'il a décidé de radier la marque. Dans l'arrêt Austin Nichols, la Cour d'appel explique ce qui suit, au paragraphe 13 :

Les derniers mots du paragraphe 56(5) font clairement ressortir que la Cour siège en appel d'une décision du registraire. En donnant à la Cour toute la discrétion « dont le registraire est investi », le législateur reconnaît que la Cour qui siège en appel devrait être en mesure de trancher les questions en litige comme si elles lui étaient soumises pour la première fois […]

 

[5]               Il s'ensuit que le propriétaire d'une marque de commerce déposée a, en appel, la même possibilité de déposer des éléments de preuve que celle qu'il avait devant le registraire.

 

[6]               Certains autres éléments font toutefois obstacle à l'instruction d'un appel fondé sur l'article 56 en l'espèce, du fait que les lettres envoyées par le registraire en vertu de l'article 45 sont restées sans réponse et que l'affidavit original soumis à la Cour n'a pas été souscrit au nom de l'unique dirigeant et administrateur de la demanderesse, M. Starkman, mais bien par Mme Starkman.  Le jugement Roebuck c. Canada (Registraire des marques de commerce), 15 C.P.R. (3d) 113, 13 C.I.P.R. 75 (C.F. 1re inst.), appuie l'argument que l'omission de Mme Starkman de répondre aux lettres relatives à la radiation peut être excusée. Dans l'affaire Roebuck, le juge Martin a fait preuve de clémence envers le demandeur, qui n'avait pas reçu l'avis de radiation à cause d'un changement d'adresse. Le juge Martin explique, à la page 3, que l'article 44 (maintenant l'article 45) [traduction] « n'a pas pour objet de servir de procédure pour trancher les litiges entre des intérêts opposés ». Le fait que les éléments de preuve soumis à la Cour n'avaient pas été présentés au registraire ne rend pas l'appel irrecevable. J'estime donc en l'espèce que le fait que Mme Starkman n'a pas ouvert son courrier pendant sa période de deuil ne la rendait pas irrecevable à introduire un appel fondé sur l'article 56 au nom de la demanderesse.

 

[7]               Dans le jugement Roebuck, le juge Martin affirme également, à la page 3, que l'affidavit déposé à l'appui d'un appel fondé sur l'article 56 peut être souscrit par un tiers. Cet argument a été confirmé pour la première fois par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Registraire des marques de commerce) c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 60 N.R. 380 (C.A.F.) à la page 5. En conséquence, bien que le nom de Mme Starkman ne figure pas comme administratrice ou actionnaire de la demanderesse, en tant qu'exécutrice testamentaire de M. Starkman, elle aura le droit de déposer un affidavit à l'appui du présent appel interjeté en vertu de l'article 56.

 

[8]               Conformément aux principes énoncés dans l'arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey, (1995), 63 C.P.R. (3d) 498, à la page 494, en ce qui concerne les cas dans lesquels il y a lieu d'accorder une prorogation de délai, j'estime que la demanderesse a démontré qu'il convient en l'espèce d'accorder la prorogation de délai qu'elle réclame.

 

Preuve d'emploi

[9]               L'article 2 de la Loi définit l'emploi comme suit : « À l'égard d'une marque de commerce, tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services. »

[10]           La demanderesse doit donc fournir une preuve de l'emploi de la marque en liaison avec ses marchandises ou ses services au Canada au cours des trois années précédentes, conformément à l'article 45 de la Loi. Mme Starkman a fourni comme preuve les pièces suivantes : a) une publicité de la firme publiée dans un  annuaire téléphonique de la ville de Toronto pour la période de décembre 2001 à décembre 2002; b) une publicité publiée dans un annuaire téléphonique de la région de York pour la période d'août 2002 à août 2003; c) une publicité de janvier 1984 dans laquelle on trouve la dénomination Tint King; d) une copie d'une facture récente.

 

[11]           On trouve dans le jugement Footlocker Group Canada Inc. c. Steinberg (2004), 35 C.P.R. (4th) 443, 2004 CF 717, au paragraphe 73 (QL), les indications suivantes qui sont utiles lorsqu'il s'agit d'examiner une preuve d'emploi :

La jurisprudence établit que le fardeau qui incombe au propriétaire d'une marque de commerce dans le cadre d'une procédure intentée en vertu de l'article 45 se limite à fournir une preuve d'emploi suffisante pour éviter la radiation. Elle établit également que la preuve par affidavit n'a pas à être parfaite. Dans Gesco Industries Inc., précité, le juge Wetston a affirmé que « la preuve présentée au registraire doit établir les faits à partir desquels on peut déduire logiquement qu'il y a eu "emploi" ou "'emploi dans la pratique normale du commerce" ».

 

[12]           La décision du juge Martineau dans l'affaire Swabey Ogilvy Renault c. Vêtements Golden Brand Ltée, (2002), 19 C.P.R. (4th) 516, 2002 CFPI 458, au paragraphe 7, vient renforcer l'argument que « l'article 45 constitue une procédure sommaire destinée à débarrasser le registre des marques de commerce des marques tombées en désuétude et qui constituent, du moins peut-on le prétendre en quelque sorte, du "bois mort" ». Le titulaire de la marque de commerce n'a pas à fournir une « surabondance de preuves » et le critère d'emploi est peu exigeant.

[13]           Mais revenons-en au cas qui nous occupe. Si l'on applique les principes susmentionnés aux faits de l'espèce, Mme Starkman a-t-elle présenté des preuves suffisantes pour étayer son affirmation que la marque a été employée au cours des trois années précédentes? Compte tenu du nombre de succursales canadiennes de la demanderesse qui sont énumérées au paragraphe 4 de l'affidavit original (on compte onze établissements au Canada, ainsi qu'une succursale au Costa Rica), la preuve soumise à l'appui de la demande est un peu mince. À l'audience, l'avocat a demandé que l'affaire soit ajournée sine die pour lui permettre de fournir des éclaircissements au sujet de l'emploi de la marque. J'ai accordé l'ajournement à la condition qu'il me cite des textes à l'appui de sa demande de présentation de documents complémentaires. Il a donné suite à ma demande par lettre datée du 24 octobre 2006.

 

Présentation de nouveaux éléments de preuve

[14]           Voici le texte de l'article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106, que l'avocat de la demanderesse cite dans ses observations :

312. Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

 

312.  With leave of the Court, a party may

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307; […]

[15]           Les articles 306 et 307 des Règles précisent les conditions que tout demandeur ou défendeur doit remplir dans le cas d'un affidavit standard.

 

[16]           Le paragraphe 84(2), dont voici le texte, se rapporte également à la question :

(2) La partie qui a contre-interrogé l’auteur d’un affidavit déposé dans le cadre d’une requête ou d’une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l’autorisation de la Cour.

 

84(2) A party who has cross-examined the deponent of an affidavit filed in a motion or application may not subsequently file an affidavit in that motion or application, except with the consent of all other parties or with leave of the Court.

[17]           Dans le jugement Robert Mondavi Winery c. Spagnol’s Wine & Beer Making Supplies Ltd. (2000), 10 C.P.R. (4th) 331 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 21 et 22, le juge Heneghan s'est dit d'avis que, malgré le fait que les articles 84 et 312 des Règles devraient donner lieu à des interprétations similaires, le paragraphe 84(2) des Règles est censé viser les questions qui sont soulevées lors du contre-interrogatoire et qu'on ne pouvait prévoir en faisant preuve de diligence raisonnable. L'article 312 semble avoir une portée plus large et semblerait s'appliquer au cas qui nous occupe.

[18]           L'arrêt de principe en ce qui concerne l'interprétation de l'article 312 des Règles est la décision du juge Nadon de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein (2002), 299 N.R. 244, 2002 CAF 503, dans laquelle la Cour d'appel a confirmé le jugement par lequel le juge Rouleau, de la Cour fédérale, avait prorogé le délai imparti à la défenderesse pour produire un affidavit plus ample et plus précis dans le cadre d'un appel portant sur une marque de commerce au motif que l'avocat de l'intimée ne connaissait pas très bien le domaine des marques de commerce et qu'il aurait été injuste de priver la défenderesse de ses droits pour le seul motif de l'insuffisance de l'affidavit. L'intimée n'avait pas demandé d'ajournement et n'avait pas démontré qu'elle ne pouvait obtenir plus tôt les éléments de preuve en question.

[19]           La Cour d'appel fédérale a fait droit à l'appel au motif que l'intimée n'avait pas satisfait au critère de l'article 312 des Règles. Voici ce que la Cour déclare, aux paragraphes 8 et 9 :

[…] Exceptionnellement, la règle 312 prévoit qu'une partie peut, avec l'autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires. Aux termes de cette règle, la Cour peut autoriser le dépôt d'affidavits complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

i)     Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)    Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii)    Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse […]

De plus, lorsqu'il sollicite l'autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu'il cherche à produire n'étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible […]

 

[20]           Par ailleurs, dans l'arrêt Mazhero c. Canada (Conseil des relations industrielles) (2002), 292 N.R. 187, 2002 CAF 295, le juge Evans précise qu'il est important que tout affidavit ou dossier supplémentaire ne porte pas sur des documents qui auraient pu être communiqués à une date antérieure et qu'il ne retarde pas indûment le déroulement de l'instance.

 

[21]           Les faits de l'affaire Atlantic Engraving sont similaires à ceux de la présente espèce. Il ressort de cet arrêt qu'il est loisible aux parties de demander l'autorisation de déposer des documents complémentaires même à l'audience (même si, dans cette affaire, c'était la Cour et non les parties qui avait pris l'initiative). Dans le cas qui nous occupe, les trois premiers facteurs énumérés par le juge Nadon dans l'arrêt Atlantic Engraving sont facilement respectés. La situation de la demanderesse suscite notre sympathie et mérite une certaine clémence de notre part. Par ailleurs, la Cour a besoin d'un plus grand nombre d'éléments de preuve pour bien évaluer si la marque a été employée et, enfin, il est difficile de voir comment la présentation d'autres éléments de preuve pourrait causer un préjudice à la partie adverse lorsque celle-ci n'a pas pris part à l'appel et n'a produit aucun document.

 

[22]           La question de savoir si l'on aurait pu obtenir les éléments de preuve plus tôt pose toutefois problème. Il ressort toutefois des faits de l'espèce qu'il n'y a aucune raison logique qui justifierait d'appliquer de façon rigide ce facteur. Rien ne permet en effet de penser que la demanderesse chercher à scinder sa preuve. En fait, elle n'a aucun intérêt ou avantage à le faire. Qui plus est, il existe des cas dans lesquels cette exigence a été interprétée avec souplesse. À ce propos, la demanderesse cite la décision Larson-Radok c. Ministre du revenu national, [2000] 3 C.T.C. 163, 2000 DTC 6322, dans laquelle, aux paragraphes 6 et 7, le protonotaire Hargrave déclare ce qui suit, après avoir signalé que l'affidavit complémentaire satisfaisait aux trois premières conditions prévues à l'article 312 des Règles :

La difficulté vient de ce qu'un affidavit complémentaire ne devrait pas traiter de documents qui auraient pu être produits à une date antérieure. Cependant, je ne crois pas que ce concept doive être appliqué servilement, lorsqu'il s'agit d'une erreur commise par inadvertance par l'avocat, que l'autre partie n'a pas été induite en erreur par celle-ci et qu'elle pourrait porter préjudice aux demandeurs. L'avocat et son client ne sont pas toujours une seule entité, et l'oubli d'un avocat n'entraîne pas toujours de conséquence inévitable pour son client […] Dans la présente instance, pour que justice soit rendue, un affidavit complémentaire s'impose.

 

[23]           Bien que la décision Larson-Radok soit axée sur le fait que l'avocat des demandeurs n'avait pas suivi les instructions de ces derniers, la situation de la demanderesse dans le cas qui nous occupe permet également de penser qu'en l'espèce, un affidavit complémentaire s'impose « pour que justice soit rendue ». Comme les intérêts de la justice ne seront aucunement compromis si l'on autorise le dépôt d'un affidavit complémentaire, il semblerait qu'il y ait lieu pour la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de la demanderesse et d'admettre l'affidavit complémentaire de Mme Starkman.

 

[24]           Il convient toutefois de signaler que l'article 312 des Règles porte sur la présentation, non pas d'arguments juridiques, mais d'affidavits complémentaires. Ainsi, il a été jugé, dans certaines décisions, que les mémoires déposés en réponse et des dossiers complémentaires ne peuvent contenir de moyens de droit (voir l'arrêt Vrabek c. R, [1997] 2 C.T.C. 261 (C.A.F.) et le jugement Bayer A.G. v. Apotex Inc. (1998), 156 F.T.R. 303, 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.) conf. pour d'autres motifs à 2001 CAF 263, autorisation de pourvoi refusée à [2001] C.S.C.R. no 556). Dans le cas qui nous occupe, le seul argument juridique se trouve dans une lettre qui a été réclamée par la Cour et qui fournit des renseignements au sujet du droit de la demanderesse de déposer des éléments de preuve complémentaires et précise l'objet de ces éléments de preuve. Qui plus est, le droit de tenir compte des observations complémentaires semble être couvert par l'article 313 des Règles, dont l'avocat de la demanderesse n'a pas parlé dans ses observations. L'article 313 des Règles dispose :

313.  Si la Cour estime que les dossiers des parties sont incomplets, elle peut ordonner le dépôt de documents ou d’éléments matériels supplémentaires, y compris toute partie de la transcription de témoignages qui n’a pas été déposée.

 

 

313.  Where the Court considers that the application records of the parties are incomplete, the Court may order that other material, including any portion of a transcript, be filed.

 

[25]           Les tribunaux se sont peu penchés sur cette disposition. Toutefois, dans le jugement Société canadienne de perception de la copie privée c. Fuzion Technology Corp. (2005), 47 C.P.R. (4th) 265, 2005 CF 1557, le juge Hughes a interprété de façon très large l'article 313 et ses dispositions connexes en le regroupant avec l'article 312. Au paragraphe 7, il explique que « [l]es articles 312 et 313 permettent de déposer des affidavits complémentaires, d'effectuer des contre-interrogatoires et de déposer des documents et d'autres pièces ». L'article 313 a également été invoqué dans le jugement Haddad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 690, pour remédier au dépôt tardif de documents émanant d'un juge de la citoyenneté dans le cadre d'un appel d'une décision du juge de la citoyenneté.

 

[26]           J'estime donc que les circonstances de l'espèce justifient l'admission en preuve de l'affidavit complémentaire de Mme Starkman ainsi que des observations formulées à l'appui par son avocat.

 

Preuve d'emploi

[27]           L'article 45 de la Loi oblige le titulaire de la marque à démontrer que celle-ci a été employée à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement à un moment quelconque au cours des trois années précédant la date de l'avis. Dans le cas qui nous occupe, la date de l'avis est le 14 juin 2005.

 

[28]           La fiche d'enregistrement de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada pour la marque de commerce TINT KING de la demanderesse (annexe B de l'affidavit original de Mme Starkman) énumère plusieurs des marchandises vendues, lesquelles se rapportent de façon générale à des accessoires d'automobile, notamment à du matériel servant au teintage de glaces; la marque est également enregistrée en liaison avec des services automobiles, dont le teintage des glaces, la location, l'entretien et la réparation et le nettoyage. La demanderesse doit donc fournir des éléments de preuve au sujet de l'emploi de la marque tant en ce qui concerne les marchandises qu'en ce qui a trait aux services énumérés au registre.

 

[29]           Dans le cas qui nous occupe, les seuls éléments de preuve soumis pour démontrer l'emploi de la marque sont trois factures de vente, une facture en blanc et trois annonces publicitaires. L'annonce de 1984 ne fait pas état d'un emploi de la marque au cours des trois années précédentes et on ne peut donc pas en tenir compte dans le présent appel.

 

Emploi en liaison avec des marchandises

[30]           Le paragraphe 4(1), dont le texte suit, régit l'emploi d'une marque relativement à des marchandises.

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

[31]           Dans le jugement Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store (1998), 81 C.P.R. (3d) 203, 147 F.T.R. 54 (C.F. 1re inst.) modifié pour d'autres motifs à (1998), 147 F.T.R. 54, 81 C.P.R. (3d) 203, le juge Teitelbaum a passé en revue les conditions qui doivent être réunies pour établir qu'une marque de commerce est employée à l'égard de marchandises. À la page 218 de sa décision, le juge Teitelbaum cite ses propres motifs dans un jugement précédent, White Consolidated Industries Inc. c. Beam of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 94 (C.F. 1re inst.) où il expliquait ce qui suit :

Pour établir qu'une marque de commerce est employée à l'égard de marchandises, les conditions suivantes doivent exister à la date du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises :

1.         Il doit s'agir d'une marque de commerce définie à l'article 2 [de la Loi sur les marques de commerce], c'est-à-dire une marque employée pour distinguer les marchandises;

2.         La marque doit être liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est donné;

3.         Le transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises doit avoir lieu dans la pratique normale du commerce.

 

[32]           La mention d'une marque de commerce sur une facture peut ou non être considérée comme un emploi en liaison avec les marchandises décrites dans cette facture. La principale considération est celle de savoir si la marque de commerce est employée comme marque de commerce pour décrire les marchandises énumérées dans la facture donnant ainsi à la personne à qui sont transférées les marchandises un avis suffisant de cet emploi. La jurisprudence semble quelque peu flottante à cet égard. Il semble que la question de savoir si l'apposition d'une marque de commerce sur une facture constitue un emploi de cette marque de commerce en liaison avec des marchandises soit la plupart du temps tranchée en fonction de l'endroit où la marque est inscrite sur la facture. Si la marque de commerce est apposée dans la partie supérieure de la facture mais non dans le corps de la facture, l'emploi n'est la plupart du temps pas considéré comme un emploi en liaison avec les marchandises facturées. L'agente d'audience principale D. Savard, de la Commission des oppositions des marques de commerce (COMC), explique ce qui suit dans l'affaire Moffat & Co. c. Conagra, Inc. (1993), 52 C.P.R. (3d) 564 (C.O.M.C.) :

[Traduction]

En ce qui concerne les marchandises, en l'occurrence le poisson, il semble, d'après la preuve, que le mot « Conagra » ne figure que sur les factures correspondant aux ventes de ce produit. La marque de commerce est inscrite dans la partie supérieure des factures accompagnée d'un logo ou comme un des éléments du nom de la compagnie. À mon avis, ce type d'emploi ne semble pas permettre d'identifier des marchandises mais plutôt le titulaire de l'enregistrement ou son entreprise. Il s'agit donc de l'emploi d'un nom commercial ou le logo apposé sur les factures constitue tout au plus un emploi d'une marque de commerce en liaison avec des services.

 

[33]           Dans l'affaire Sterling & Affiliates c. A.C.B. Dejac SA (1994), 58 C.P.R. (3d ) 540 (C.O.M.C.), l'agente d'audience D. Savard a expliqué que la mention de la marque de commerce dans la partie supérieure de la facture ne démontre pas que la marque était employée en liaison avec les marchandises au moment de leur transfert dans la pratique normale du commerce, mais plutôt qu'elle était employée en tant qu'appellation commerciale. L'agente d'audience D. Savard a expliqué qu'il faut faire la distinction entre l'inscription d'une marque dans la partie supérieure d'une facture et les cas dans lesquels la marque se retrouve dans le corps de la facture avec la description du produit (voir, par exemple, le jugement Gordon A. MacEachern Ltd. c. National Rubber Co. (1963), 41 C.P.R. 149, 39 D.L.R. (2d) 668 (Cour de l'Éch.) dans lequel le juge Noël de la Cour de l'Échiquier dit ce qui suit, à la page 157 :

[Traduction]

Or, la question de savoir si une ou plusieurs factures portant l'inscription de la marque de commerce en liaison avec des marchandises sont associées à tel point qu'avis de liaison était de ce fait donné au séquestre est, évidemment, une question de fait.

Ayant décidé que la preuve de plusieurs ventes ou transferts d'articles ou de marchandises a été rapportée devant la Cour et que, dans tous les cas, des factures ont été envoyées aux acheteurs, qui les ont reçues, je n'ai aucun mal à conclure que la réception de ces factures, sur lesquelles était apposée la marque de commerce, en liaison avec les marchandises, dans la pratique normale du commerce de la compagnie demanderesse constitue une preuve suffisante d'avis et d'emploi au sens du paragraphe 4(1) de la Loi et qu'en conséquence, la marque de commerce est « liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée ».

 

[34]           Par ailleurs, dans l'affaire Goudreau Gage Dubuc & Martineau c. Niagara Mist Marketing, Ltd. (1997), 78 C.P.R. (3d) 255 (C.O.M.C.), le titulaire de l'enregistrement avait soumis des factures qui, selon ce qu'il affirmait, faisaient état de la vente d'un certain nombre de produits vendus sous la marque de commerce en litige. L'agente d'audience D. Savard a expliqué que, parce que les marques de commerce étaient apposées sur le côté droit de la facture sans être associées à une adresse, on pouvait concevoir qu'elles se rapportent à des marchandises :

[Traduction]

Je constate que les marques de commerce ne sont pas identifiées dans le corps des factures en regard de chacun des produits, mais que les mots NIAGARA MIST figurent dans la partie supérieure des factures, tant du côté gauche que du côté droit. Bien que j'estime que les mots NIAGARA MIST qui sont inscrits du côté gauche et qui sont suivis d'une adresse municipale seraient probablement perçus comme identifiant l'expéditeur des marchandises, je ne suis pas convaincue que les mots NIAGARA MIST inscrits sur le côté droit ne seraient pas perçus comme une marque de commerce permettant de distinguer les marchandises du titulaire de la marque. Si l'on tient compte du fait qu'aucun des produits énumérés dans les factures n'est identifié par une marque de commerce déterminée et du fait que M. Prentice a affirmé que la compagnie titulaire de la marque est également celle qui fabrique les produits, je suis disposée à accepter que l'emploi qui est ainsi fait de la marque de commerce satisfait aux exigences du paragraphe 4(1) de la Loi, en ce sens qu’avis est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

[35]           Ainsi, la considération principale semble être, dans le cas des factures, de savoir si les marchandises elles-mêmes sont associées à la marque de commerce ou si la marque de commerce qui figure sur la facture semble être associée au distributeur, auquel cas elle constitue plutôt la preuve d'un emploi en liaison avec des services. Dans le cas des factures qui ont été soumises en preuve en l'espèce, la marque se trouve dans la partie supérieure de la facture, juste en dessous de l'adresse du titulaire de la marque. J'estime donc que l'emploi de la marque dans les factures déposées en preuve peut légitimement être considéré comme une preuve d'emploi en rapport avec des services et qu'elle ne constitue pas une preuve acceptable d'un emploi en liaison avec les marchandises de la demanderesse.

[36]           Dans l'affaire Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 8 F.T.R. 310, 13 C.P.R. (3d) 289, le juge McNair s'est dit d'avis que la preuve d'une seule vente effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire, dans la mesure où il s'agit d'une véritable transaction commerciale et où cette vente n'est pas perçue comme ayant été conçue délibérément pour protéger l'enregistrement de la marque de commerce.

 

[37]           La liste de marchandises énumérées dans l'enregistrement de la demanderesse est assez longue. Suivant certaines décisions, le titulaire de l'enregistrement n'a pas à établir l'emploi de chaque article entrant dans une catégorie donnée : il suffit de faire la preuve de l'emploi pour quelques articles appartenant à une des grandes catégories de marchandises. Ainsi que la juge Tremblay-Lamer l'a fait observer dans le jugement Moffat & Co. c. Westinghouse Air Brake Co. (2001), 14 C.P.R. (4th) 257, 2001 CFPI 1061, au paragraphe 22 :

En appel, la demanderesse soutient qu'il suffit de faire la preuve d'un emploi en liaison avec certaines des marchandises lorsque les marchandises enregistrées tombent sous le coup d'une seule grande catégorie et que certaines des marchandises sont des composantes des appareils faisant partie de cette catégorie. Plus précisément, les nouveaux éléments de preuve démontrent que les marchandises enregistrées peuvent être désignées comme une catégorie générale de marchandises, en l'occurrence des équipements de chemin de fer ou des pièces servant à la construction d'équipements de chemin de fer.

 

[38]           Force est toutefois de constater que la jurisprudence est flottante sur ce point. Dans certains cas, la Cour a été plus stricte et a exigé la preuve d'un emploi relativement aux marchandises. Ainsi, dans l'arrêt John Labatt Ltée c. Rainier Brewing Co. (1984), 80 C.P.R. (2d) 228, 54 N.R. 296 (C.A.F.), le juge Stone dit ce qui suit :

À mon avis, le fait que les autres marchandises indiquées tombent dans un groupe de marchandises qui se rapportent d'une façon quelconque à la bière n'est pas suffisant pour garder intact l'enregistrement. Il aurait pu en être ainsi si l'intimée avait également démontré que la marque de commerce était employée au Canada à l'égard de chacune de ces autres marchandises. 

 

[39]           Comme il me semble qu'en l'espèce, la preuve d'un emploi relativement à des marchandises n'a pas été faite, il n'est pas nécessaire que des marchandises soient associées suffisamment à d'autres pour satisfaire aux exigences prescrites en faisant la preuve pour un seul bien.

 

[40]           En ce qui concerne les annonces publicitaires, en principe, la preuve selon laquelle les marchandises auxquelles la marque de commerce est liée ont été annoncées au Canada n'est pas suffisante pour établir l'emploi de la marque de commerce (voir le jugement J.C. Penney Co. c. Gaberine Clothing Co. (2001), 213 F.T.R. 189, 2001 CFPI 1333, aux paragraphes 75 et 76).

 

[41]           Je constate que l'avocat de la demanderesse se fonde sur l'arrêt Ridout & Maybee srl c. Omega SA (Omega AG (Omega Ltd) (2005), 343 N.R. 226, 2005 CAF 306, qui consacre selon lui le principe que la Cour ne peut changer le libellé du registre dans le cas des appels interjetés des décisions fondées sur l'article 45. Cela ne semble toutefois pas être ce que la Cour fédérale disait dans l'affaire Ridout. Il semble que le juge Létourneau s'insurge non pas contre le fait que la Cour ordonne la modification du registre, mais bien contre l'interprétation que la Cour donne du libellé de l'enregistrement, et plus précisément contre sa façon de qualifier les catégories de marchandises. Le juge Létourneau explique, au paragraphe 4, qu'il est loisible au juge de la Cour fédérale de constater l'utilisation de la marque à l'égard des biens précisés sous l'une ou l'autre catégorie.

[42]           En conclusion, à mon avis, la demanderesse n'a pas fait la preuve d'un emploi à l'égard des marchandises énumérées.

 

Emploi en rapport avec des services

[43]           Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services lorsque les conditions prévues au paragraphe 4(2) sont réunies :

4(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

 

4(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

[44]           Une simple publicité, non accompagnée de l'exécution de services concrets, ne peut à elle seule prouver l'emploi d'une marque de commerce (voir le jugement Cornerstone Securities Canada Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (C.F. 1re inst.) [1994] A.C.F. n1713, au paragraphe 9) .Toutefois, dans l'affaire Sunshine Village Corp (Re), [1996] C.O.M.C. n219, l'agente d'audience D. Savard a expliqué que les annonces publiées au moment des faits peuvent être suffisantes pour prouver l'emploi d'une marque en liaison avec des services.

 

[45]           Il semble que faire de la publicité par le truchement d'annuaires téléphoniques soit reconnu comme un moyen de faire une preuve d'emploi. Dans l'arrêt Foodcorp Ltd. c. Chalet Bar B Q (Canada) Inc., (1982), 47 N.R. 172, 66 C.P.R. (2d) 56 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a expliqué que l'on pouvait probablement faire la preuve de l'emploi au moyen d'inscriptions dans un annuaire téléphonique. Au paragraphe 29, le juge en chef Thurlow explique ce qui suit :

L'emploi invoqué consistait dans les inscriptions dans divers annuaires téléphoniques de villes. L'avocat de l'intimée a fait valoir qu'une inscription d'une marque de commerce constitue une annonce des services du restaurant en liaison avec la marque de commerce, au sens du paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce. Non sans réserve, je suis enclin à penser qu'il peut en être ainsi lorsque la marque elle-même est ce qui est inscrit.

 

[46]           Dans ses décisions les plus récentes, la Commission a expliqué que les annuaires téléphoniques constituent une preuve concluante d'emploi, du moins dans le cas de la procédure de radiation prévue à l'article 45. Dans l'affaire Bum Wrap Clothing Ltd. (1995), 63 C.P.R. (3d) 564 (C.O.M.C.), on avait déposé en preuve une photocopie d'une annonce commerciale valable pour un an dans un annuaire téléphonique. L'agente d'audience D. Savard a expliqué ce qui suit :

[Traduction]

[…] La photographie d'un magasins de vêtements sur la devanture duquel est inscrite la marque de commerce et la publicité se trouvant dans l'édition de 1992 de l'annuaire du téléphone de Penticton, dans lequel on trouve les mots THE BUM WRAP à la rubrique « vêtements » constitue une preuve d'emploi de la marque de commerce dans la publicité de services enregistrés […]

[…]

[…] En l'espèce, il ressort de la preuve que la marque de commerce annoncée dans l'annuaire du téléphone de Penticton en liaison avec des services au cours de la période en cause établir que la marque de commerce a également été employée dans l’exécution de ces services pendant la période en cause.

 

Voir aussi la décision El Toro Restaurant & Pizzeria Ltd. (Re) (1996), 70 C.P.R. (3d) 346 (C.O.M.C.).

[47]           Dans le cas qui nous occupe, comme l'avis est daté du 14 juin 2002, seuls l'annuaire couvrant la période de décembre 2001 à décembre 2002 et celui d'août 2002 à août 2003 peuvent être utilisés pour faire la preuve d'un emploi au cours de la période visée. L'une de ces annonces concerne la succursale de Mississauga de la demanderesse et l'autre, celle d'Oshawa. Ces deux annuaires constituent un commencement de preuve d'emploi au cours de la période en cause. Ils tendent également à démontrer que les services fournis consistent en une foule d'accessoires pour automobiles, notamment du matériel servant au teintage.

 

[48]           Pour ce qui est des factures, le fait que la marque soit apposée sur des factures, des enveloppes et des cartes professionnelles peut constituer un emploi de la marque en liaison avec des ventes d'automobiles et une entreprise d'entretien et de réparation. Dans l'affaire Campbell Ford Sales Ltd., [1996] C.O.M.C. no 117 (QL) citée par la demanderesse, l'agent d'audience C.R. Vandenakker explique ce qui suit, au paragraphe 9 :

[Traduction]

En l'espèce, le titulaire de la marque soutient que la marque de commerce est employée et ce, depuis plusieurs années. Pour corroborer cette affirmation, il a annexé des copies de factures représentatives dont les dates correspondent à la période en cause. La marque de commerce THE HOME OF THE “HASSLE-FREE LOANER” est apposée directement sur ces factures, qui portent sur des services d'entretien. Le titulaire de la marque a également annexé une carte sur laquelle la marque de commerce est inscrite en toutes lettres. Il affirme que cette carte est remise à tous les clients intéressés à se procurer un véhicule neuf ou une voiture d'occasion pour laquelle la garantie n'a pas encore expirée. À mon avis, cette preuve suffit à démontrer que la marque est employée dans l’exécution de services au sens du paragraphe 4(2) de la Loi.

 

[49]           Dans la décision Accessoires d’Autos Nordiques Inc., [2005] C.O.M.C. no 163 (QL), l'agente d'audience D. Savard discute, au paragraphe 26, de la distinction qu'il faut établir entre les factures pour établir l'emploi en liaison avec des marchandises et/ou des services :

Le fait que la marque soit apposée sur la partie supérieure des factures, ou sur une enseigne sur le devant du commerce de la titulaire ou sur les sacs qui servent à emporter un ou plusieurs articles vendus aux clients ne permet pas en l’espèce d’établir le genre de liaison qui doit exister entre la marque de commerce et ces marchandises conformément au paragraphe 4(1) […] si l’on considère que la titulaire opère son commerce sous la marque de commerce NORDIQUES, il est fort probable que l’emploi ou l’exposition de la marque de commerce sur les enseignes du magasin, les sacs et les factures seraient considérées comme constituant un emploi de la marque de commerce en liaison avec le commerce de la titulaire […]

 

[50]           J'estime donc qu'en l'espèce, les factures jointes à l'affidavit complémentaire de Mme Starkman, notamment celles qui renvoient aux annuaires téléphoniques, constituent une preuve suffisante d'emploi en rapport avec les services qui ont été identifiés. Il ressort de ces décisions qu'une surabondance de preuves n'est pas nécessaire pour démontrer l'emploi. Il suffit de démontrer que tous les éléments constitutifs de l'emploi sont réunis. Or, j'estime que la demanderesse a fait cette preuve en l'espèce. Ajoutées aux renseignements que l'on trouve dans les annuaires téléphoniques, les factures démontrent effectivement que la marque a été employée en liaison avec l'exécution de services de teintage de glaces d'automobiles et avec la vente d'accessoires d'automobile. Il est moins certain que les documents soumis en preuve suffisent à démontrer que des services de location d'automobiles ont effectivement été fournis mais, à mon avis, on peut considérer que ces services entrent dans la catégorie plus générale des services.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  L'appel est accueilli en partie. La décision du registraire en ce qui concerne la radiation des marchandises du registre est confirmée, mais la marque est rétablie en ce qui concerne les services énumérés dans le registre.

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-588-06

 

INTITULÉ :                                       TINT KING OF CALIFORNIA INC. c.

                                                            REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE ET AL.

 

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 15 AOÛT 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michael R. Carey

 

POUR LA DEMANDERESSE

(personne n'a comparu)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Macdonald Sager Manis LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

S/O

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

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