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Date : 20061201

Dossier : IMM‑354‑06

Référence : 2006 CF 1452

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

FELICIA CHIAMAK EDOKWE

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 1er décembre 2005 par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (la demande CH) que la demanderesse avait présentée sous le régime du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

Le contexte

[2]                        La demanderesse est citoyenne nigériane. Elle est arrivée au Canada le 17 juillet 2002 comme participante aux célébrations de la Journée mondiale de la jeunesse. Elle a présenté le 18 septembre 2002 une demande d’asile qui a été rejetée le 2 juin 2004. Elle a alors demandé l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés, qui lui a été refusée le 8 septembre 2004. Elle a ensuite déposé une demande CH le 21 mars 2005. Cette demande a été rejetée le 1er décembre 2005. C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision contrôlée

[3]                        L’agent d’immigration saisi a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé l’existence de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une dérogation au paragraphe 11(1) de la Loi, qui dispose que l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander les visas et autres documents requis par règlement. En outre, l’agent d’immigration n’était pas convaincu que la demanderesse subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle était tenue de demander la résidence permanente à partir de l’étranger.

La législation applicable

[4]                        La législation applicable à la présente espèce est la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Le paragraphe 25(1) de la Loi est libellé comme suit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

La question en litige

[5]                        La seule question en litige dans la présente espèce est le point de savoir si l’agent d’immigration a commis une erreur en rejetant la demande CH de la demanderesse.

La norme de contrôle

[6]                        La norme de contrôle applicable aux décisions des demandes CH est la norme de la décision raisonnable, ainsi que l’a conclu la Cour suprême du Canada au paragraphe 62 de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 :

[…] Je conclus qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l’absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d’appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d’aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[Non souligné dans l’original.]

 

La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l’a fait sur la base de la preuve produite. Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme si elle est fondée sur une explication défendable, même non convaincante aux yeux de la cour de révision : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247.

Analyse

[7]                        La demanderesse a soutenu à l’audience que l’agent d’immigration avait commis les erreurs suivantes :

1.                  L’agent n’a pas tenu compte des lettres des employeurs et des clients de la demanderesse. Ces lettres témoignaient de leur appui à la demande CH de cette dernière.

2.                  L’agent a rejeté l'affirmation de la demanderesse comme quoi elle était employée par Elliot Family Care Ltd. parce que la lettre de cette entreprise ne précisait pas son salaire.

3.                  L’agent a rejeté l'argument de la demanderesse selon lequel elle n’avait pas de rapports avec sa famille pour des raisons personnelles. Il a fait observer que la demanderesse n’avait pas expliqué pourquoi sa famille – qui est nombreuse – ne lui donnait pas son soutien.

4.                  L’agent n’a pas pris en considération l’état de vulnérabilité dans lequel la demanderesse avait déclaré se trouver du fait de son sexe dans le contexte des troubles qui affligent le Nigeria et de la violence dont les femmes y sont en général victimes, ainsi que du fait de son sérieux état pathologique.

 

[8]                        Le défendeur fait valoir qu’il incombe à l’auteur d’une demande CH d’établir les motifs qui fondent celle‑ci et que, dans la présente espèce, la demanderesse n’a pas communiqué à l’agent d’immigration d’éléments suffisamment convaincants pour justifier une dérogation aux dispositions générales du paragraphe 11(1) de la Loi. Le défendeur soutient en outre que l’agent d’immigration n’a pas refusé ou omis de prendre en considération les éléments de preuve produits par la demanderesse, mais qu’il a plutôt conclu que ces éléments ne justifiaient pas que soit accueillie la demande de résidence permanente de la demanderesse sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire.

[9]                        Le défendeur met l’accent sur les conclusions suivantes de l’agent d’immigration :

1.                  La lettre d’emploi de la société Elliot Family Care Ltd. produite par la demanderesse ne précisait pas le salaire de cette dernière.

2.                  La demanderesse n’a pas produit d’éléments attestant qu’elle ait des économies ou des actifs.

3.                  La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi sa famille proche au Nigeria, qui est nombreuse, ne pourrait ou ne voudrait pas l’aider si elle était obligée de demander la résidence permanente à partir de l’étranger.

 

[10]                    Je souscris à la thèse du défendeur selon laquelle l’agent d’immigration n’a pas omis de prendre en considération les éléments de preuve énumérés par la demanderesse. Il était raisonnablement loisible à l’agent d’immigration d’évaluer les éléments de preuve produits et d’en tirer des conclusions de fait. Vu les éléments de preuve dont il disposait, je ne puis conclure au caractère déraisonnable d’aucune de ses constatations de fait. Comme nous l’avons expliqué à l’audience, la Cour ne considère pas que l’agent d’immigration ait rejeté la lettre d’Elliot Family Care Ltd. en tant que preuve de l’emploi de la demanderesse au motif que cette lettre ne précisait pas la rémunération de cette dernière. Il a plutôt fait observer que cette lettre ne précisait pas le salaire de la demanderesse et que celle‑ci, par ailleurs, n’avait produit aucun élément tendant à établir qu’elle possédait des actifs ou des économies. La question des économies et du salaire est pertinente à l’égard du point de savoir si la demanderesse a réussi son établissement économique au Canada, qui est un des critères à prendre en considération dans la décision d’une demande CH.

[11]                    À l’audience, l’avocat de la demanderesse a informé la Cour que sa cliente avait donné naissance à un enfant au Canada et qu'il lui faudrait retourner au Nigeria en situation de parent unique. Cet élément ne faisait pas partie du dossier examiné par l’agent d’immigration, et le défendeur s’est opposé à sa prise en considération par la Cour. À l’audience, la Cour a fait observer en remarque incidente que l’intérêt supérieur d’un enfant né au Canada doit être mis en balance avec l’obligation d’intérêt public de ne pas favoriser le contournement de la législation sur l’immigration en permettant aux personnes sans statut juridique d’en obtenir un en ayant un enfant au Canada. Quoi qu’il en soit, l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être pris en considération dans la présente espèce, étant donné que l’agent d’immigration n’était pas saisi de cette question.

Conclusion

[12]                    L’agent d’immigration n’a pas commis d’erreur donnant lieu à révision en rejetant la demande CH de la demanderesse. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Aucune question ne sera donc certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                            IMM‑354‑06

 

INTITULÉ :                           FELICIA CHIAMAK EDOKWE

 

                                                et

 

                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                                 L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 28 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS

DU JUGEMENT :                 LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :          LE 1ER DÉCEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Danish Munir                                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laurence Cohen & Associates                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

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