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Date : 20061204

Dossier : T‑2068‑05

Référence : 2006 CF 1458

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

KASIA KOWALLSKY

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Kasia Kowallsky a commencé à travailler à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) en janvier 1997. En avril 1998, on lui a attribué un poste de préposée au service aux usagers, de niveau CR‑04. En 2001, CIC a entrepris un processus d'examen de la classification de ses postes. Ce processus a entraîné la promotion au niveau CR‑05 de certains postes, mais pas celui de Mme Kowallsky. Cette dernière a déposé plusieurs griefs relatifs au processus de reclassification. En 2004, CIC a offert à Mme Kowallsky de la muter à un autre poste, aussi de niveau CR‑04. Elle a accepté cette offre, mais en précisant qu'elle le faisait [TRADUCTION] « sous réserve » de l'issue de son grief et de son appel en cours. Elle a aussi déposé une plainte portant que cette mutation contrevenait à l'article 34.3 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33 (les dispositions applicables sont reproduites en annexe).

[2]               Un agent de révision a examiné et rejeté la plainte de Mme Kowallsky concernant sa mutation. Il a conclu que celle‑ci était régulière, que le directeur de Mme Kowallsky était autorisé à la décider et qu'elle était conforme à la politique de CIC. Mme Kowallsky a alors demandé l'examen de cette décision par un enquêteur de la Commission de la fonction publique. En 2005, l'enquêteuse saisie a conclu qu'elle n'était pas autorisée à instruire la plainte de Mme Kowallsky, étant donné que cette plainte se fondait en substance sur les mêmes motifs que les griefs déposés par la demanderesse relativement au processus de reclassification. Mme Kowallsky soutient que l'enquêteuse a commis une erreur en n'examinant pas sa plainte au fond et me demande d'ordonner à un autre enquêteur de le faire.

 

[3]               Je ne vois aucune erreur dans la décision de l'enquêteuse, mais j'estime qu'elle aurait dû ajourner l'affaire jusqu'à l'issue de la procédure de grief. En conséquence, j'accueillerai en partie la présente demande de contrôle judiciaire.

I.  La question en litige

[4]               L'enquêteuse a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas compétence sur la plainte de Mme Kowallsky?

II.  Analyse

 

[5]               Il m'est permis d'infirmer la décision de l'enquêteuse si je conclus qu'elle a commis une erreur de droit.

a)  La décision de l'enquêteuse

 

[6]               La décision de l'enquêteuse se fonde principalement sur sa conclusion que la procédure des plaintes concernant les mutations n'est pas destinée à l'examen des questions afférentes aux relations professionnelles, y compris les questions qui touchent la classification des postes. En outre, elle estimait que, si elle instruisait la plainte, il lui faudrait examiner et trancher des questions qui faisaient l'objet de griefs déposés antérieurement par Mme Kowallsky. Elle craignait que l'instruction de la plainte n'entraîne la possibilité de décisions contradictoires et ne sape l'autorité des gestionnaires dans le cadre de la procédure de griefs.

 

b)  La compétence de l'enquêteur sur les plaintes relatives aux mutations

 

[7]               Le fonctionnaire fédéral qui est muté peut déposer une plainte auprès de l'administrateur général compétent au motif que la mutation est illégale ou qu'elle constitue un abus de pouvoir [paragraphe 34.3(1)]. Le plaignant qui n'est pas satisfait de la décision de l'administrateur général peut renvoyer la plainte à la Commission de la fonction publique, qui nomme un enquêteur pour l'instruire [paragraphe 34.4(1)]. L'enquêteur doit donner au fonctionnaire et à l'administrateur général la possibilité d'être entendus, et il doit établir un rapport écrit assorti de ses conclusions [paragraphes 34.4(3) et (4)]. La question centrale reste celle de savoir si la mutation est illégale ou constitue un abus de pouvoir.

 

c)  L’exposé des faits présenté par Mme Kowallsky à l'enquêteuse

 

[8]               La plus grande partie de l’exposé des faits de Mme Kowallsky porte sur le caractère défectueux du processus de reclassification. On n'y trouve qu'une seule plainte touchant la mutation même. Mme Kowallsky a demandé à l'enquêteuse d'examiner la question suivante :

 

[TRADUCTION] L'employeur a‑t‑il contrevenu à la Loi ou au Règlement en imposant la rétrogradation par voie de mutation à des personnes qui auraient rempli les conditions requises pour la reclassification et la nomination […] si l'employeur n'avait pas omis d'informer qui de droit des postes qu'occupaient, et des tâches que remplissaient, ces personnes avant, pendant et après l'Examen national de la classification?

 

[9]               Il me semble que la question de Mme Kowallsky est en réalité celle de savoir si l'employeur, après avoir commis des irrégularités dans la reclassification et refusé à certains fonctionnaires une promotion au niveau CR‑05, a essayé d'éviter les conséquences de sa faute en mutant ces fonctionnaires à des postes parallèles de niveau CR‑04. Il est évident que la validité de la plainte de Mme Kowallsky touchant sa mutation est subordonnée à celle de ses allégations relatives au processus de reclassification. Pour décider si la mutation contrevenait à la Loi, l'enquêteuse devrait d'abord établir si Mme Kowallsky et ses collègues se sont vu refuser illégitimement la reclassification de leurs postes du fait d'irrégularités commises dans le processus.

 

d)  Conclusion

 

[10]           Dans ce contexte, l'enquêteuse a eu raison de conclure qu'il ne lui appartenait pas de trancher des questions qui faisaient l'objet de griefs distincts en cours d'examen. Mme Kowallsky n'a pas allégué de manière indépendante l'irrégularité de la mutation : celle‑ci ne pouvait être déclarée irrégulière, le cas échéant, qu'une fois établie l'irrégularité du processus de reclassification. Et c'était là l'objet de procédures distinctes.

 

[11]           Si les prétentions de Mme Kowallsky touchant la reclassification étaient rejetées, sa plainte relative à la mutation s'avérerait dénuée de fondement. Cependant, si elle faisait accueillir son grief en prouvant que le processus de reclassification a été mal conçu et exécuté, sa plainte relative à la mutation pourrait encore conserver une certaine validité. Elle pourrait, par exemple, faire valoir que cette mutation constituait un moyen de contourner les erreurs censément commises dans le processus de reclassification et de réduire au minimum la durée de l'augmentation de traitement à laquelle elle aurait pu autrement avoir droit.

 

[12]           En conséquence, l'enquêteuse a eu raison de ne pas examiner les questions qui faisaient l'objet de griefs distincts. Cependant, Mme Kowallsky devrait avoir la possibilité de faire valoir, dans le cas où ses griefs seraient accueillis, que la mutation était illégale ou constituait un abus de pouvoir. L'enquêteuse aurait dû ajourner la procédure (comme elle l'avait d'abord envisagé) jusqu'à ce que Mme Kowallsky obtienne une décision finale touchant ses griefs. En conséquence, j'ordonnerai le réexamen par un enquêteur de la plainte de Mme Kowallsky concernant sa mutation, mais seulement sous réserve que soient accueillis ses griefs relatifs à la reclassification. Étant donné le succès partagé des parties à la présente espèce, je n'adjugerai pas de dépens.

 

 

JUGEMENT

            LA COUR STATUE :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. Si Mme Kowallsky obtient gain de cause dans ses griefs relatifs à la reclassification, un enquêteur réexaminera le point de savoir si sa mutation enfreignait le paragraphe 34.3(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Annexe

Loi sur la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33

 

Plainte

 

34.3 (1) Le fonctionnaire qui est muté, ainsi que tout autre fonctionnaire du service où il l'a été peut, dans le délai et selon les modalités fixés par le Conseil du Trésor, déposer une plainte auprès de l'administrateur général compétent au motif que la mutation n'est pas autorisée par la présente loi ou n'a pas été effectuée conformément à celle-ci, ou qu'elle constitue un abus de pouvoir.

Exceptions

  (2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à la mutation d'un fonctionnaire du groupe de la direction ni à celle d'un fonctionnaire d'un groupe professionnel ou d'un secteur de ce groupe visés par les règlements d'application du paragraphe 37.1(2).

Révision

  (3) Sur réception de la plainte, l'administrateur général révise la mutation selon les modalités fixées par le Conseil du Trésor et, selon les résultats, prend les mesures de redressement qu'il juge indiquées, y compris l'annulation de la mutation.

Services

  (4) L'administrateur général peut, pour l'application du paragraphe (1), préciser la notion de service. Ajouté 1992, ch. 54, art. 22.

 

Renvoi à la Commission

 

  34.4 (1) Le fonctionnaire qui n'est pas satisfait des résultats obtenus à la suite d'une plainte déposée en application du paragraphe 34.3(1) peut, dans le délai prévu par règlement de la Commission, renvoyer la plainte à la Commission.

 

 

 

 

[…]

 

Conduite de l'enquête

  (3) L'enquêteur procède de la manière déterminée par la Commission et donne à l'auteur du renvoi, au fonctionnaire muté et à l'administrateur général l'occasion d'être entendus.

 

Rapport

  (4) Au terme de l'enquête, l'enquêteur établit un rapport assorti de ses conclusions et recommandations touchant la mutation et le fait parvenir à l'auteur du renvoi, au fonctionnaire muté et à l'administrateur général. Ajouté 1992, ch. 54, art. 22.

 

Public Service Employment Act, R.S.C. 1985, c. P-33

 

Complaint to deputy head

 

34.3 (1) An employee who is deployed and any other employee in the work unit to which the deployment is made may, within such period and in such manner as the Treasury Board may provide for, complain to the deputy head concerned that the deployment was not authorized by, or made in accordance with, this Act or constituted an abuse of authority.

 

Exceptions

  (2) Subsection (1) does not apply in respect of the deployment of an employee who is in the executive group or who occupies a position in an occupational group or part thereof in respect of which regulations have been made under subsection 37.1(2).

Action by deputy head

  (3) On receiving a complaint under subsection (1), the deputy head shall review the deployment in such manner as the Treasury Board may direct and, after considering the results of the review, shall take such corrective action, including revocation of the deployment, as the deputy head considers appropriate.

Work units

  (4) A deputy head may specify work units for the purposes of subsection (1). Added 1992, c. 54, s. 22.

 

Referral to the Commission

 

  34.4 (1) An employee who lodged a complaint under subsection 34.3(1), or whose deployment is the subject of such a complaint, and who is not satisfied with the disposition of the complaint or any corrective action taken in respect thereof, may, within the period provided for by the regulations of the Commission, refer the complaint to the Commission

 

 

 

Conduct of investigation

  (3) An investigator designated under subsection (2) shall conduct the investigation in such manner as the Commission may prescribe and give the employee who referred the complaint to the Commission, the employee who was deployed and the deputy head an opportunity to be heard.

Report

  (4) On completion of the investigation, the investigator shall prepare and send to the employee who referred the complaint to the Commission, the employee who was deployed and the deputy head a report in writing setting out such findings and recommendations with respect to the deployment as the investigator sees fit. Added 1992, c. 54, s. 22.

 

 

 

 


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       T‑2068‑05       

 

INTITULÉ :                                      KOWALLSKY

                                                           c.

                                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 17 AOÛT 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O'REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 DÉCEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

                                                                                               

                                                                        Kasia Kowallsky          POUR LA DEMANDERESSE (PLAIDANT       POUR ELLE-MÊME)

                                                                                               

 

Graham Stark                                                   POUR LE DÉFENDEUR

                                                                               

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kasia Kowallsky                                              POUR LA DEMANDERESSE (PLAIDANT Vancouver (Colombie‑Britannique)                                    POUR ELLE-MÊME)

                                                                                               

tOTTT

 

John H. Sims, c.r..                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)                                          

 

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