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Date : 20061130

Dossier : T-2126-05

Référence : 2006 CF 1455

ENTRE :

JOHANNE LÉPINE

demanderesse

et

 

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

et

LA COMMISSAIRE À LA PROTECTION

DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

défenderesses

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une requête de la demanderesse afin essentiellement que soient tranchées en sa faveur diverses objections soulevées par la défenderesse, la Banque de Nouvelle-Écosse (la Banque), lors des interrogatoires sur affidavits de deux des affiants produits par la Banque dans le cadre de sa réponse au mérite à l’encontre d’une demande de contrôle judiciaire déposée en décembre 2005 par la demanderesse.

[2]               Cette demande de contrôle judiciaire requiert que cette Cour se penche essentiellement sur toute question qui a fait l’objet d’une plainte en septembre 2004 de la part de la demanderesse auprès du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (la Commissaire).

[3]               La formulation de la plainte de la demanderesse auprès de la Commissaire rend cette plainte difficile à saisir.  Toutefois, je pense que la Commissaire la résume bien lorsqu’au début de son rapport final du 2 novembre 2005 elle indique ce qui suit :

Dans votre plaine reçue à notre bureau le 22 septembre 2004, vous alléguez qu’un ou plusieurs employés de la Banque de Nouvelle-Écosse aurait obtenu, sans votre consentement, vos renseignements personnels sur un ou plusieurs de vos comptes.  Les renseignements obtenus auraient par la suite été communiqués à une partie tierce dans le but d’entreprendre des procédures judiciaires de saisies.

[4]               Dans la partie « Plainte et enquête » de son rapport final, la Commissaire indique comme suit ce que son enquête lui a permis d’établir :

Plainte et enquête

                        En juin 2004, la Banque mena son enquête qui révéla qu’un gestionnaire pour la région du Québec a accédé à votre profil de client onze fois aux dates suivantes : 2004-01-16, 2004-01-19, 2004-01-20, 2004-01-21, 2004-02-11.  Selon les informations reçues, le profil d’un client contient des informations sur l’ensemble de ses relations avec la Banque : numéros de comptes et soldes, cartes de crédit, hypothèque, etc.

                        Ce faisant, l’employé en question a constaté que vous aviez contracté une hypothèque à l’encontre d’une propriété.  L’employé a indiqué à plusieurs reprises au cours de l’enquête menée par la Banque qu’il n’avait communiqué les informations obtenues à aucune personne à l’exception du Directeur de la succursale.

                        La Banque nous a informés que des mesures disciplinaires avaient été prises contre l’employé fautif.

[5]               Dans la partie « Conclusions » de son rapport final, la Commissaire résume et limite ainsi les constatations qui lui permettent de conclure que la plainte de la demanderesse est fondée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques L.C. 2000, ch.5 (la Loi) :

Conclusions

                        Dans sa réponse à notre avis de plainte, la Banque a confirmé qu’un de leurs employés avait accédé à votre profil sans votre consentement.  L’employé a indiqué ne pas avoir communiqué les renseignements obtenus à des tiers, à l’exception du Directeur de la succursale.  À la suite de son enquête interne, la Banque a pris des mesures disciplinaires contre l’employé visé.

                        En conséquence, je conclus que votre plainte est fondée.

[6]               Dans sa demande de contrôle judiciaire déposée en décembre 2005, la demanderesse, outre une conclusion en dommages intérêts, appert s’adresser à la Cour afin que la Banque modifie certaines de ses approches au niveau institutionnel.

[7]               À titre d’exemple, la demanderesse requiert que la Banque démontre à l’avenir un plus grand respect de la Loi et qu’elle modifie ses mesures administratives et techniques entourant l’usage du système informatique qui permet aux employés de la Banque de visualiser le profil d’un client, tel la demanderesse (voir à cet effet les deux premiers remèdes recherchés par la demanderesse à sa demande de contrôle).

[8]               En réponse à cette demande de contrôle, la Banque a, entre autres, produit l’affidavit de Richard Groot, un directeur de la Banque pour l’est du Canada et l’affidavit de John Mair, gestionnaire sénior de la Banque au niveau sécurité et enquêtes.

Analyse

[9]               Il est reconnu qu’une partie procédant à un contre-interrogatoire sur affidavit ne possède pas toute la latitude qu’elle aurait si elle procédait au contre-interrogatoire au préalable de la partie adverse.

[10]           Tel qu’il est rappelé dans les extraits suivants tirés de l’arrêt Imperial Chemical Industries Plc v. Apotex Inc. (1988), 23 C.P.R. (3d) 362, en page 366 puis en page 368, les questions posées lors d’un contre-interrogatoire sur affidavit doivent se restreindre soit aux fins pour lesquelles l’affidavit fut souscrit, soit porter sur la crédibilité de l’affiant :

A party cross-examining his opponent's affidavit is not entitled to cover all matters that may be said to be in issue in the action. Rather, the range of inquiry is limited to the issue in respect of which the affidavit was filed or to the credibility of the witness. Moreover, the question must be a fair question in the sense of evincing a bona fide intention directed to these ends, rather than being something in the nature of a fishing expedition. See Weight Watchers Int'l Inc. v. Weight Watchers of Ontario Ltd. (No. 2) (1972), 6 C.P.R. (2d) 196; Bally-Midway Mfg. Co. v. M.J.Z. Electronics Ltd. (1983), 75 C.P.R. (2d) 160; and Boots Co. PLC v. Apotex Inc. (1983), 76 C.P.R. (2d) 265.

(...)

(...) if we were dealing with an examination for discovery, where the test of relevancy involves a consideration of what might reasonably be supposed to contain information likely to assist the party in advancing his own case and in damaging the case of his adversary. The same broad standard of relevancy is not an appropriate test of relevancy for cross-examination of an affidavit. In my opinion, the learned prothonotary erred in law in treating these questions as being properly relevant to the issue in respect of which the affidavit was filed or as going to the credibility of the witness. I consider that they are unfair and oppressive questions in the nature of a fishing expedition, and nothing more.

(Je souligne.)

[11]           Les objections 1 à 3 de l’interrogatoire de M. Groot et reproduits aux représentations écrites de la demanderesse portent toutes sur des questions qui directement ou indirectement visaient à connaître l’identité de l’employé fautif ayant transmis à l’interne les renseignements personnels portant sur la demanderesse.

[12]           Ces objections sont maintenues puisque l’identité de l’employé fautif déborde carrément du cadre et des fins visées par les affidavits de messieurs Groot et Mair.  De plus et sans en décider ici puisque cette question pourrait être abordée par la Cour au mérite, l’identité de cet employé ne serait vraisemblablement pas un renseignement personnel à la demanderesse, mais bien un renseignement personnel propre à cet employé.

[13]           Ces motifs appuient également le fait que la demanderesse ne pourra recevoir le texte complet de la pièce RG-1 de l’affidavit de monsieur Groot qui est la lettre disciplinaire envoyée à l’employé fautif.  J’ai revu le texte intégral de la pièce RG-1 (qui sera gardée sous pli confidentiel à la Cour pour une période de 30 jours, pour être ensuite détruite à moins d’appel de ma décision) et je suis satisfait que les parties qui ont été hachurées l’ont été de façon raisonnable afin que l’identité de l’employé fautif ne soit pas divulguée directement ou indirectement.

[14]           Quant  aux objections 6 à 8 du même interrogatoire, elles visent des questions qui ont été répondues sous réserve.  En application de la règle 95 des Règles des Cours fédérales, elles n’ont pas ici à être tranchées et feront l’objet d’une attention, s’il y a lieu, du juge au mérite.

[15]           Quant à l’interrogatoire de M. Mair, les objections 1 et 2 visent ici également des questions qui ont été répondues sous réserve.  En application de la règle 95, elles n’ont pas ici à être tranchées et feront l’objet d’une attention, s’il y a lieu, du juge au mérite.

[16]           Quant à l’objection 3, elle se base au départ sur une prémisse, soit le verrouillage du compte de la demanderesse, qui n’a pas été établie positivement lors de l’interrogatoire de M. Mair.  Partant, la question que recouvre l’objection 3 est de nature hypothétique et elle n’aura donc pas à recevoir réponse.

[17]           En ce qui a trait à la demande d’interrogatoire du directeur de la succursale de la Banque à qui à l’époque l’employé fautif aurait transmis les renseignements portant sur la demanderesse, cette demande est refusée puisque cette personne n’a pas produit d’affidavit, que les trois affidavits produits par la Banque en réponse sont largement suffisants et que cette demande est carrément superflue et impertinente dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[18]           Tel que l’a rappelé ma collègue Tabib comme suit dans l’arrêt Autodata Ltd.  v.  Autodata Solutions Co., [2004] F.C.J. No 1653, une demande de contrôle judiciaire est circonscrite par un cadre relativement serré :

19        However, a cross-examination on affidavit is not a discovery, and an application is not an action. An application is meant to proceed expeditiously, in summary fashion. For that reason, discoveries are not contemplated in applications. Parties cannot expect, nor demand, that the summary process mandated for applications will permit them to test every detail of every statement made in affidavits or in cross-examinations against any and all documents that may be in the opposing party's possession. If a party is not required to "accept" a witness' bald assertion in cross-examination, it is however limited in its endeavours to test that assertion to the questions it may put to the witness and the witness' answers in the course of the cross-examination. To the extent documents exist that can buttress or contradict the witness' assertion, production may only be enforced if they have been listed, or sufficiently identified, in a direction to attend duly served pursuant to Rule 91(2)(c) (see Bruno v. Canada (Attorney General), [2003] F.C.J. 1604). I reiterate: a cross-examination on an affidavit is the direct testimonial evidence of the witness, not a discovery of the party.

[19]           En conséquence, les remèdes 1 à 4 formulés à l’avis de requête de la demanderesse sont rejetés.  La requête de la demanderesse sera donc rejetée avec dépens.

[20]           Quant à l’échéancier à suivre à l’avenir dans ce dossier, il sera le suivant :

1.                  Applicant’s Record to be served and filed on or before December 29, 2006;

2.                  Respondent’s Record to be served and filed on or before January 29, 2007;

3.                  Applicant to serve and file a Requisition for Hearing Date on or before February 19, 2007.

 

“Richard Morneau”

Protonotaire

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                               T-2126-05

 

INTITULÉ :                             JOHANNE LÉPINE

demanderesse

et

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

et

LA COMMISSAIRE À LA PROTECTION

DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

défenderesses

 

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À MONTRÉAL SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                         LE 30 NOVEMBRE 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Me Daniel Ovidia

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me David E. Platts

 

POUR LA DÉFENDERESSE

BANQUE DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

 

Me Nathalie Daigle

 

POUR LA DÉFENDERESSE

LA COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Daniel Ovidia

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

BANQUE DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

 

Me Nathalie Daigle

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

LA COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

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