Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

 

Date : 20061207

Dossier : IMM-2577-06

Référence : 2006 CF 1464

Montréal (Québec), le 7 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

FADI EL DOUKHI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) à la suite de la décision prise par un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (l'agent) statuant qu'il n'existait pas suffisamment de motifs permettant de dispenser M. Fadi El Doukhi (le demandeur) de l'obligation d'obtenir un visa de résident permanent à l'étranger pour des motifs d'ordre humanitaire conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

 

I.  Les faits

[2]               Le demandeur est un Palestinien apatride. Il est né en 1976 en Arabie saoudite, où il a vécu jusqu'en 1996. De 1996 à 1998, il a étudié en Jordanie. En 1998, il a tenté de retourner en Arabie saoudite, où ses parents résidaient encore, mais il s'est vu refuser l'entrée étant donné que, selon le droit de l'Arabie saoudite, toutes les personnes qui ont atteint l'âge de la majorité ont besoin d'un permis de travail afin d'être autorisées à entrer dans ce pays. L'entrée en Arabie saoudite lui ayant été refusée, le demandeur s'est rendu au Liban, au camp de réfugiés Ein el‑Hilweh, où il est demeuré avec ses grands‑parents paternels.

 

[3]               En l'an 2000, le demandeur s'est installé dans les Émirats arabes unis. Au mois de juin 2001, il est retourné au camp de réfugiés Ein el‑Hilweh, au Liban. Le 31 juillet 2001, le demandeur a quitté le Liban et s'est installé au Texas pour étudier l'anglais. Au mois de décembre 2001, le demandeur a appris que son père ne paierait plus ses études aux États‑Unis parce qu'il était malade. En outre, à peu près à ce moment‑là, le demandeur a appris qu'il ne pouvait pas continuer à étudier aux États‑Unis à cause de changements apportés à la politique, touchant les étudiants étrangers, à la suite des attaques du 11 septembre 2001.

 

[4]               Même si son statut d'étudiant a été révoqué, le demandeur est resté aux États‑Unis jusqu'au 19 décembre 2002. Pendant son séjour d'environ 16 mois aux États‑Unis, le demandeur n'a pas pris de mesures afin d'obtenir l'asile et il n'a pas pris de mesures afin d'obtenir un type quelconque de statut pendant la période d'environ un an où il était illégalement aux États‑Unis. Le 19 décembre 2002, le demandeur est entré au Canada en passant par le poste frontalier, à Philipsburg (Québec), et il a demandé l'asile à titre de réfugié.

 

[5]               Le 24 décembre 2003, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté la demande d'asile que le demandeur avait présentée à titre de réfugié.

 

[6]               Le 22 avril 2004, la Cour a rejeté la demande d'autorisation que le demandeur avait présentée en vue de demander le contrôle judiciaire de la décision rendue par la CISR. Le 20 avril 2006, la demande du demandeur fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (la demande CH) a été rejetée par l'agent, et le 21 avril 2006 le même agent a rejeté la demande que le demandeur avait soumise en vue d'un examen des risques avant renvoi (l'ERAR).

 

[7]               La demande CH a donné lieu à la décision qui est ici visée par le contrôle judiciaire.

 

[8]               Il importe également de noter que le demandeur affirme qu'après avoir appris le rejet de sa demande d'asile à titre de réfugié, au mois de décembre 2003, il a été atteint d'une grave crise dépressive qui l'a empêché de fonctionner normalement et qui, à son paroxysme, l'a amené à vivre dans les rues de Montréal et à tenter de se suicider. Le demandeur affirme également être encore affecté de ce trouble.

 

II.  Les questions en litige

 

(1)   Quelles sont les normes de contrôle applicables aux questions soulevées dans le présent contrôle judiciaire?

(2)   L'agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de tenir compte de l'état d'apatride du demandeur dans son évaluation de la demande CH?

(3)   L'agent a‑t‑il violé l'équité procédurale en tirant des conclusions relatives aux événements qui se sont produits après la présentation de la demande CH sans avoir donné au demandeur la possibilité de soumettre des éléments de preuve pertinents?

(4)   L'agent a-t-il commis une erreur de droit en appliquant le critère préliminaire à employer dans le contexte d'un ERAR au lieu du critère préliminaire applicable dans le contexte d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire?

(5)   L'agent a-t-il commis une erreur en concluant que le renvoi du demandeur au Liban ne causerait pas à celui‑ci de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées?

 

III.  Analyse

 

(1)   Quelles sont les normes de contrôle applicables aux questions soulevées dans le présent contrôle judiciaire?

 

[9]               Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, pages 857 et 858, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision d'un représentant du ministre de rejeter une demande CH est celle de la décision raisonnable simpliciter. L’arrêt Baker a été rendu en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, mais la jurisprudence de la Cour indique que la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter s'applique également aux décisions rejetant les demandes CH présentées en vertu de la LIPR (Voir Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1192, paragraphe 13; Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 967, paragraphe 7; Dharamraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 674). Par conséquent, la cinquième question sera examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[10]           Les deuxième et troisième questions soulèvent toutes deux des arguments fondés sur l'équité procédurale. Elles seront donc examinées selon la norme de la décision correcte étant donné que la Cour d'appel fédérale a conclu que toutes les allégations concernant l'équité procédurale doivent être examinées selon cette norme (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, paragraphe 46).

 

[11]           Enfin, la quatrième question sera examinée selon la norme de la décision correcte étant donné que la Cour a conclu que, dans les demandes CH, les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon cette norme (Yun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1062, paragraphe 8; Masanganise c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 993, paragraphe 4).

 

(2)   L'agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de tenir compte de l'état d'apatride du demandeur dans son évaluation de la demande CH?

 

[12]           Le demandeur soutient que le gouvernement a créé une attente légitime voulant que l'état d'apatride soit pris en compte pendant l'examen par l'agent de la demande CH. Cet argument est fondé sur ce qu'ont écrit M. Vitto Vassallo, directeur régional, Opérations, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), et M. Albert Deschamps, directeur général intérimaire, CIC (région du Québec), à la Coalition contre la déportation des réfugiés palestiniens (la Coalition), en réponse à la demande que la Coalition avait faite pour que l'état d'apatride soit considéré comme une condition suffisante pour qu'il soit possible de conclure que le renvoi du Canada constituerait une difficulté inhabituelle, injustifiée ou démesurée. Dans sa lettre, M. Vassallo disait ce qui suit (dossier du demandeur, affidavit de Jordan Topp, pièce C, page 73) :

[traduction] [...] l'état d'apatride est un facteur à prendre en compte dans une demande CH, mais l'agent doit prendre en considération toutes les circonstances de l'affaire en vue d'arriver à une décision au cas par cas.

 

Par ailleurs, dans sa lettre, M. Deschamps disait ce qui suit (dossier du demandeur, affidavit de Jordan Topp, pièce D, page 74) :

[traduction] Nos agents d'immigration ont reçu une formation et sont tenus de prendre en compte toute difficulté inhabituelle, injustifiée ou démesurée, et bien que l'état d'apatride soit un facteur à prendre en compte dans une demande CH, nos agents doivent également prendre en considération toutes les circonstances de l'affaire en vue d'arriver à une décision au cas par cas.

 

[13]           Le demandeur soutient que les lettres de M. Vassalo et de M. Deschamps respectivement, dans lesquelles il est déclaré que l'état d'apatride est un facteur à prendre en compte dans une demande CH, sont des déclarations de la part du gouvernement indiquant que l'état d'apatride doit être pris en considération dans l'évaluation des demandes CH. Par conséquent, de l'avis du demandeur, l'omission, par l'agent, de tenir compte de l'état d'apatride dans l'évaluation de la demande CH constituerait une violation de l'équité procédurale selon la doctrine de l'attente légitime.

 

[14]           La doctrine de l'attente légitime est fondée sur le principe selon lequel les pratiques régulières des décideurs doivent être suivies étant donné qu'il serait inéquitable de la part des décideurs d'agir en violation d’assurances données en matière de procédure. En outre, la Cour suprême du Canada a reconnu que, lorsqu'il est conclu à l'existence d'une attente légitime, le fait de ne pas agir conformément aux assurances données en matière de procédure constituerait un manquement à l'équité procédurale (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 26).

 

[15]           Cela dit, les déclarations de M. Vassalo et de M. Deschamps ne peuvent pas être considérées comme constituant une déclaration du gouvernement au sujet de la façon dont les demandes CH seront tranchées, et ce, principalement parce que les lettres ont été envoyées aux seules fins du rejet de la demande de la Coalition de tenir compte de l'état d'apatride en soi comme condition suffisante permettant de conclure qu'un demandeur fera face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s'il doit demander un visa de résident permanent à l'étranger, soit le critère préliminaire requis aux fins de l'octroi d'une demande CH (Guide sur le traitement des demandes au Canada 5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire, section 5.1). Par conséquent, les lettres ne peuvent pas être qualifiées de déclarations « claires, nettes et explicites » au sujet de la procédure que les agents du ministre doivent suivre lorsqu'ils évaluent des demandes CH, comme l'exige la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (voir S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 131).

 

[16]           Même si les lettres étaient censées être des déclarations au sujet de la procédure à suivre dans l'évaluation des demandes CH, on peut se demander si M. Vassallo et M. Deschamps sont autorisés à lier, sur le plan de la procédure, tous les représentants qui évaluent des demandes CH. Cela est particulièrement vrai compte tenu du fait que le ministre publie les Guides sur le traitement des demandes au Canada précisément en vue d'énoncer la procédure que ses représentants doivent suivre lorsqu'ils examinent des demandes en matière d'immigration et de statut de réfugié. Par conséquent, en reconnaissant que les lettres rédigées par des employés de CIC peuvent dicter la procédure que les représentants doivent suivre en évaluant les demandes, on se trouverait à enlever toute utilité aux Guides sur le traitement des demandes au Canada. En outre, en reconnaissant que les lettres de MM. Vassallo et Deschamps dictaient la procédure à suivre aux fins de l'évaluation des demandes CH, on se trouverait à permettre que les lettres portent atteinte au pouvoir discrétionnaire de tous les agents qui se prononcent sur des demandes CH.

 

[17]           Contrairement aux assertions du demandeur, il est clair que l'agent a tenu compte du fait que le demandeur était apatride. L'agent a noté la citoyenneté du demandeur comme étant celle d'un [traduction] « apatride » (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 14), et il a ajouté (dossier du tribunal, demandes CH, notes au dossier, page 15) : [traduction] « Le demandeur est un apatride âgé de 30 ans, qui est inscrit à titre de réfugié palestinien auprès de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies (l'UNRWA) au Liban. » En outre, l'agent a procédé à une analyse fort approfondie de la situation à laquelle le demandeur fera face à son retour au Liban en sa qualité de réfugié palestinien vivant dans un camp de réfugiés, analyse qui, à mon avis, pouvait uniquement être effectuée si l'agent savait que par définition les réfugiés palestiniens sont apatrides.

 

[18]           Compte tenu des motifs susmentionnés, l'application de la doctrine de l'attente légitime n'a pas été enclenchée.

 

(3)   L'agent a‑t‑il violé l'équité procédurale en tirant des conclusions relatives aux événements qui se sont produits après la présentation de la demande CH sans avoir donné au demandeur la possibilité de soumettre des éléments de preuve pertinents?

 

[19]           Le demandeur fait valoir que son droit d'être entendu a été violé parce qu'il n'a jamais été invité à soumettre une mise à jour de son dossier, et ce, même si l'agent avait tiré des conclusions défavorables importantes au sujet des événements qui s'étaient censément produits entre le moment où la demande CH avait initialement été présentée et le moment où il avait rendu sa décision.

 

[20]           Il importe de noter que, les [traduction] « conclusions défavorables importantes » se rapportent à la grave crise dépressive du demandeur et au traitement qu'il a subi. Étant donné que la crise dépressive a commencé trois mois avant le dépôt initial de la demande CH, le demandeur ne peut s'en prendre qu'à lui‑même pour avoir omis de soumettre tout renseignement concernant son état. Il est bien établi dans le contexte des demandes CH qu'il incombe au demandeur de soumettre tous les renseignements pertinents à l'appui de sa cause. En l'espèce, le demandeur a omis de le faire. Par conséquent, on ne saurait imputer à l'agent l'omission, par le demandeur, de fournir des renseignements pertinents.

 

[21]           À ce sujet, dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 38, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'agent qui examine une demande CH n'est pas tenu d'obtenir des éléments de preuve ou d'informer le demandeur des lacunes de sa cause. Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit (Owusu, précité, paragraphe 8) :

[...] puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites.

[Non souligné dans l'original.]

 

 

En outre, plus récemment, le juge Shore a dit ce qui suit, aux paragraphes 19 et 20 de la décision Hamzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1108 :

[19]         Une décision fondée sur des considérations d'ordre humanitaire constitue une mesure d'exception, discrétionnaire par surcroît. L'existence d'une demande fondée sur des considérations humanitaires constitue un moyen additionnel et spécial d'obtenir une dispense d'application des lois canadiennes sur l'immigration, lesquelles sont par ailleurs d'application universelle (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457 (QL), au paragraphe 15).

 

[20]         C'est donc au demandeur qu'il incombe de convaincre l'agent de l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier une décision favorable. La décision du fonctionnaire de l'immigration de ne pas recommander au ministre d'accorder la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR n'enlève aucun droit à l'intéressé et ne l'empêche pas de présenter à l'étranger une demande de résidence permanente au Canada.

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[22]           Par conséquent, comme le montre clairement la jurisprudence, le fait que l'agent n'a pas invité le demandeur à soumettre d'autres éléments de preuve au sujet de sa demande CH ne constitue pas un manquement à l'équité procédurale.

 

 

(4)   L'agent a-t-il commis une erreur de droit en appliquant le critère préliminaire à employer dans le contexte d'un ERAR au lieu du critère préliminaire applicable dans le contexte d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire?

 

[23]           Le demandeur fait valoir que l'agent a commis une erreur en appliquant le critère préliminaire applicable dans le contexte de l'ERAR au lieu de celui qui s'applique aux demandes CH. Dans le contexte des demandes CH, le demandeur, pour avoir gain de cause, doit démontrer qu'il subirait « des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » s'il était contraint de demander un visa de résident permanent à l'étranger (Guide sur le traitement des demandes au Canada 5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire, article 5.1). Par contre, dans le contexte d'un ERAR, le demandeur doit démontrer, pour que sa demande d'ERAR soit accueillie, qu'il est exposé à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées s'il est renvoyé dans son pays d'origine. La jurisprudence établit clairement que le décideur qui applique le critère préliminaire plus rigoureux applicable aux ERAR dans le contexte d'une demande CH commet une erreur de droit et que la Cour doit intervenir (voir Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 316; Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1327; Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 1045).

 

[24]           À titre de preuve montrant que l'agent a appliqué le critère préliminaire plus rigoureux applicable aux ERAR au lieu du critère moins exigeant applicable aux demandes CH, le demandeur signale la page 3 des demandes CH notes au dossier, où l'agent dit ce qui suit (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 16) :

[traduction] [...] la preuve documentaire objective n'étaye pas les conclusions du demandeur, selon lesquelles la nature et la gravité de la situation constituent de la persécution, ou que les politiques ou pratiques de l'État libanais constituent de la persécution contre les Palestiniens.

 

Le demandeur signale également la page 5 des demandes CH notes au dossier, où l'agent dit ce qui suit (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 18) :

[traduction] La situation dans les camps de réfugiés est défavorable, et le gouvernement libanais se livre à certaines discriminations d'ordre juridique à l'égard des réfugiés palestiniens parce qu'ils ne sont pas citoyens libanais, mais la situation n'est pas grave au point de constituer une persécution ou elle n'est pas de nature à constituer de la persécution.

 

[25]           Avant de se demander si cette preuve montre que l'agent a appliqué le critère préliminaire plus rigoureux applicable aux ERAR au lieu de celui qui s'applique aux demandes CH, il est essentiel de noter que le demandeur a soulevé la question de la persécution dans les observations qu'il a présentées à l'appui de la demande CH pour indiquer qu'il ferait face à des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ». C'est ce que démontrent les passages suivants de la lettre en date du 21 mars 2005 que le demandeur a soumise à l'appui de la demande de résidence permanente qu'il a présentée depuis le Canada, laquelle était fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (dossier du demandeur, pages 19 à 45) :

[traduction] Pendant ce temps, il a également été exposé à de graves difficultés. La situation, dans le camp de réfugiés Ein el‑Hilweh, était telle que sa sécurité et sa vie étaient en danger. M. El Doukhi, qui était un réfugié palestinien au Liban, y a été victime de persécution de la part de l'État libanais. [...]

[Non souligné dans l'original.]

(Dossier du demandeur, page 20, paragraphe 5)

 

La discrimination cumulative à laquelle l'État libanais se livre à l'égard des réfugiés palestiniens constitue de la persécution [...]

(Dossier du demandeur, page 23, paragraphe 20)

 

En tirant cette conclusion, la CISR a omis de tenir compte de la persécution et de la triste situation auxquelles fait face M. El Doukhi, lesquelles sont bien étayées dans divers rapports portant sur le camp de réfugiés Ein El‑Hilweh et sur le Liban.

(Dossier du demandeur, page 24, paragraphe 23)

 

[...] La CISR a commis une erreur de droit en omettant de considérer la façon dont le gouvernement libanais traite les réfugiés palestiniens comme constituant de la persécution à l'égard de M. El Doukhi.

(Dossier du demandeur, page 25, paragraphe 28)

 

 

[26]           Compte tenu des observations que le demandeur a lui-même présentées au sujet du risque de persécution auquel il est exposé, il est à mon avis logique que l'agent procède à une analyse pour établir si le demandeur fera face à de la persécution s'il est renvoyé au Liban. En outre, l'agent pouvait à juste titre employer le mot « persécution » dans sa décision, même s'il avait devant lui une demande CH. J'ai lu la décision de l'agent et je remarque que l'agent n'a pas employé le mot « persécution » ni procédé à une analyse pour établir si la persécution existe, si ce n'est pour répondre à la thèse du demandeur selon laquelle celui‑ci ferait face à de la persécution en sa qualité de réfugié palestinien vivant dans un camp de réfugiés au Liban. Par conséquent, il était acceptable pour l'agent, même si c'était dans le contexte d'une demande CH, d'arriver à la conclusion suivante (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 17) :

[traduction] [...] le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que la situation, dans le camp, donnerait lieu à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. La situation, dans les camps de réfugiés, est défavorable, et le gouvernement libanais se livre à certaines discriminations d'ordre juridique à l’égard des réfugiés palestiniens parce qu'ils ne sont pas citoyens libanais, mais la situation n'est pas grave au point de constituer une persécution ou elle n'est pas de nature à constituer de la persécution.

 

Cela dit, la lecture de la décision de l'agent dans son ensemble montre clairement que le critère préliminaire approprié a été appliqué. L'agent réitère à maintes reprises le critère préliminaire applicable aux demandes CH et il applique cette norme à son examen de la preuve factuelle :

[traduction] J'ai pris connaissance des documents que le demandeur a soumis ainsi que de la preuve documentaire objective et j'accorde plus de poids à cette dernière, étant donné qu'elle tend à tirer des conclusions de fait objectives fondées sur une observation et sur une expertise directes. Enfin, je note que le demandeur n'a pas cherché à obtenir l'asile pendant la période de seize mois qu'il a passée aux États‑Unis; cela semble incompatible avec une crainte subjective de persécution telle que celle que le demandeur allègue. Compte tenu des renseignements dont je dispose, je conclus que le demandeur n'est pas exposé à un risque tel que cela donne lieu à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

Encore une fois à la même page, l'agent dit ce qui suit (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 18) :

[traduction] Peu de membres de la famille du demandeur sont au Liban, mais le demandeur n'a pas de famille au Canada, et il n'a pas soumis de preuve à l'appui de l'allégation selon laquelle il a noué « d'étroits liens émotifs, économiques et familiers avec sa collectivité ici au Canada ». Je me rends bien compte que le demandeur préférerait demeurer au Canada pour y soumettre sa demande et qu'un retour au Liban présente jusqu'à un certain point des inconvénients inhérents au réétablissement, mais, compte tenu des renseignements qu'il a soumis, le demandeur n'a pas démontré qu'il s'est dans une bonne mesure intégré, ou qu'il a noué des liens tels que son retour au Liban l'exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

[27]           Par conséquent, la prétendue preuve signalée par le demandeur ne démontre pas que l'agent a appliqué le critère préliminaire plus rigoureux applicable aux ERAR au lieu du critère préliminaire moins exigeant applicable aux décisions CH. La lecture de la décision dans son ensemble montre clairement que la décision de l'agent a été rendue dans le contexte de l'évaluation des facteurs pertinents invoqués par le demandeur, et il faut démontrer que ces facteurs ont été évalués à l'aide du critère préliminaire approprié applicable aux demandes CH, à savoir l'existence de « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ».

 

(5)   L'agent a-t-il commis une erreur en concluant que le renvoi du demandeur au Liban ne causerait pas à celui‑ci de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées?

 

[28]           Le demandeur affirme que, étant donné que l'agent a conclu que [traduction] « le gouvernement libanais se livre à certaines discriminations d'ordre juridique à l’égard des Palestiniens » (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 17), que [traduction] « la situation générale des réfugiés palestiniens au Liban est de fait défavorable et difficile pour la majorité des Palestiniens » (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 17) et que [traduction] « les autorités libanaises harcèlent et détiennent les Palestiniens » (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 17), il était déraisonnable pour l'agent de conclure que le demandeur ne ferait pas face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s'il était renvoyé au camp de réfugiés Ein el‑Hilweh au Liban.

 

[29]           Il importe de noter que la jurisprudence émanant de la Cour a établi qu'un décideur, dans une affaire d'immigration, n'est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve qui ont été produits et que ce n'est que lorsqu'une preuve contredit sa conclusion qu'il doit en reconnaître l'existence (Thavachelvam c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1604, paragraphe 13; Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, paragraphe 56). En l'espèce, l'agent a reconnu la preuve documentaire qui contredisait ses conclusions. Ainsi, l'agent dit ce qui suit (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 17) :

[traduction] La preuve documentaire objective corrobore en partie les documents soumis par le demandeur, dans la mesure où elle indique que la situation générale des réfugiés palestiniens au Liban est de fait défavorable et difficile pour la majorité des Palestiniens. Elle indique également que, dans les efforts qu'elles font pour surveiller les groupes militants armés palestiniens qui se livrent à des activités depuis les camps de réfugiés, les autorités libanaises harcèlent et arrêtent des Palestiniens. [...]

 

 

[30]           En outre, l'omission de mentionner la déclaration publique du mois d'avril 2004 d'Amnistie internationale (dossier du demandeur, déclaration publique d'Amnistie internationale en date du 13 avril 2004, [traduction] « Recommandations du comité des N.U. au Liban : Nécessité de prendre des mesures efficaces pour protéger les droits de la personne des réfugiés palestiniens », page 57) n'est pas fatale. La déclaration publique du mois d'avril 2004 d'Amnistie internationale reprend le rapport de 2003 du CERD dont l'agent a expressément fait mention dans sa décision (dossier du tribunal, demandes CH, notes au dossier, page 18). Comme je l'ai dit dans mon analyse de la première question, la norme de contrôle applicable aux décisions CH est celle de la décision raisonnable simpliciter. En d'autres termes, la Cour, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, peut uniquement annuler une décision CH défavorable si « les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 56). En l'espèce, il me semble que l'agent a tenu compte de divers facteurs et de la preuve mise à sa disposition pour conclure que le demandeur ne ferait pas face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s'il devait déposer sa demande de résidence permanente depuis l'étranger.

 

[31]           Les parties ont été invitées à proposer des questions à certifier, mais elles ont refusé d'en proposer.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

-       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

-       Aucune question n'est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2577-06

 

INTITULÉ :                                                   FADI EL DOUKHI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 28 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 DÉCEMBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Jared Will

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jared Will

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.