Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20061214

Référence : 2006 CF 1502

Dossier : IMM-1201-06

 

ENTRE :

JAGROOP SINGH BRAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

Dossier : IMM-1202-06

 

ENTRE :

RAVINDER SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

Dossier : IMM-1203-06

 

ENTRE :

RAKESH KUMAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

Dossier : IMM-1204-06

 

ENTRE :

ARJINDER KAUR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGHES

 

[1]               Dans ces quatre instances, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision collective rendue par un membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié mais se rapportant à chacun d'entre eux. Dans cette décision, datée du 1er mars 2006, il a été conclu que chacun des demandeurs avait contrevenu aux conditions du permis de travail qui lui avait été délivré et que chaque demandeur devait donc être exclu du Canada. Les circonstances factuelles dans chaque cas sont identiques, de sorte qu'un seul exposé des motifs sera rendu pour les quatre instances.

 

[2]               Les demandeurs sont des adultes de sexe masculin qui sont citoyens de l'Inde. Ils ont demandé et obtenu des permis de travail temporaires les autorisant à venir au Canada et à y travailler. Un premier permis de travail a été délivré en juillet 2004 et un autre permis l'a été en juin 2005. Le permis de travail délivré en juin 2005 qui est ici en cause était rédigé comme suit :

[traduction]

 

TITRE. DE VOYAGE            :                               :               PASSEPORT

VISÉ PAR UN CAUTIONNEMENT                 :               NON

EMPLOYEUR                                                       :               BOMBAY PARADISE

PROFESSION                                                      :               CUISINIERS

LIEU DE L'EMPLOI                                            :               CALGARY

FRAIS                                                                    :               FPD

CONDITIONS :

1.                   SAUF AUTORISATION, IL EST INTERDIT AUX TITULAIRES DE FRÉQUENTER UN ÉTABLISSEMENT D'ENSEIGNEMENT QUEL QU’IL SOIT ET DE SUIVRE DES COURS DE FORMATION GÉNÉRALE, THÉORIQUE OU PROFESSIONNELLE;

2.                   LES TITULAIRES NE SONT PAS AUTORISÉS À OCCUPER UN EMPLOI AUTRE QUE CELUI QUI EST MENTIONNÉ;

3.                   LES TITULAIRES NE SONT PAS AUTORISÉS À TRAVAILLER POUR UN EMPLOYEUR AUTRE QUE CELUI QUI EST MENTIONNÉ;

4.                   LES TITULAIRES NE SONT PAS AUTORISÉS À TRAVAILLER À UN ENDROIT AUTRE QUE CELUI QUI EST MENTIONNÉ;

5.                    LES TITULAIRES DOIVENT QUITTER LE CANADA AU PLUS TARD LE 30 MAI 2006.

 

 

Les seules différences entre ce dernier permis de travail et celui qui avait été délivré antérieurement étaient la date à laquelle l'intéressé devait quitter le pays et l'endroit mentionné, soit l'Alberta plutôt que Calgary.

 

[3]               En fin de compte, les demandeurs sont entrés au Canada et se sont rendus à Calgary. Lorsqu'ils sont arrivés à Calgary, ils ont constaté que l'on était en train de construire le restaurant Bombay Paradise et que les travaux étaient loin d'être terminés. Le propriétaire de cette entreprise était une société à numéro exploitée par un certain Vic. Celui-ci a placé les demandeurs dans un autre établissement appelé Bombay Sweet House & Restaurant. Apparemment, le propriétaire de cet établissement n'était pas le même que celui du Bombay Paradise, et ce, même si les chèques de paye émis en faveur des demandeurs provenaient de la société à numéro qui était propriétaire du Bombay Paradise. Au Sweet House, les demandeurs ont été embauché comme cuisiniers et comme confiseurs et ils ont toujours continué à travailler à cet endroit.

 

[4]               Le ministre a appris que les demandeurs travaillaient pour un employeur qui, croyait‑il, n'était pas celui qui était désigné dans le permis de travail. Une mesure d'exclusion a donc été prise, étant donné qu'il a été jugé qu’il y avait eu contravention à l'alinéa 40(6)a), à l'article 41 et au paragraphe 29(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Une fois cette mesure prise, une enquête a été tenue le 1er mars 2006. Il s'agissait lors de l'enquête de déterminer si chacun des demandeurs était interdit de territoire en vertu de l'article 41 de la LIPR au motif qu'il avait contrevenu au paragraphe 29(2) de cette loi. L'article 41 et le paragraphe 29(2) sont rédigés comme suit :

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

[…]

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and…

 

29(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

29(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

 

[5]               L'enquête a eu lieu à Calgary le 1er mars 2006; à la fin de l'enquête, le commissaire a fait connaître sa décision oralement, à savoir que les dispositions en question avaient été enfreintes et qu'une mesure d'exclusion serait prise. Une transcription de l'enquête, et notamment de la décision orale rendue à la fin de celle-ci, a été fournie en tant que motifs et décision de la Commission. La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[6]               À l'audience, les demandeurs ont fait valoir qu'ils sont peu instruits et ne connaissent pas la loi. Ils ont été recrutés en Inde par « Vic » pour venir travailler au Canada. À leur arrivée, on leur a dit que le restaurant « Paradise » n'était pas encore ouvert, mais que Vic possédait un autre établissement, le « Sweet House », où ils pourraient travailler jusqu'à ce que le « Paradise » ouvre ses portes. C'est ce qu'ils ont fait. Ils n'étaient pas au courant des modalités d'entrée au Canada et des conditions auxquelles ils pouvaient travailler. Ils faisaient confiance à Vic. Ils ignoraient qu'ils contrevenaient aux conditions de leur permis de travail et en fait, ils ne voulaient pas contrevenir à ces conditions.

 

[7]               Le commissaire a dit ce qui suit au sujet de la thèse des demandeurs :

[traduction] On peut se demander si l'un d'entre vous s'est rendu compte que vous travailliez pour quelqu'un pour lequel vous n'étiez pas censés travailler. Mais vous êtes néanmoins tenus de connaître les conditions de votre admission au Canada. L'ignorance de la loi n'est jamais une excuse valable. Vous deviez savoir que vous étiez autorisés à travailler uniquement au Bombay Paradise.

 

Et lorsque vous avez décidé de travailler dans un restaurant différent, même si c'est le propriétaire du Bombay Paradise qui vous y a envoyés, vous aviez l'obligation de déterminer si vous étiez effectivement autorisés à travailler à cet endroit. Et bien sûr, en fin de compte, vous êtes allés travailler à un endroit et pour un employeur sans être autorisés à le faire. Vous devez subir les conséquences qui en découlent. Il importe peu que vous ayez su ou non que vous alliez enfreindre la Loi lorsque vous êtes allés travailler au Sweet House. Vous étiez tenus de déterminer si, de fait, l'endroit et les conditions de votre emploi étaient conformes à l'autorisation qui vous avait été accordée.

 

[8]               Les demandeurs soutiennent devant la Cour que cette conclusion était erronée. Ils prétendent que l'article 41 de la LIPR ne crée pas une infraction de responsabilité absolue, mais qu'un élément de mens rea doit être présent. Ils affirment qu'une interprétation appropriée de la LIPR permet les erreurs et les malentendus et qu'un pouvoir discrétionnaire devrait être exercé à cet égard. Ainsi, ils se fondent sur les lignes directrices publiées par le gouvernement à l'intention des fonctionnaires chargés d'appliquer ces dispositions. Ces lignes directrices disent ce qui suit au sujet de l'évaluation de la question de l'interdiction de territoire :

L'agent ne doit pas oublier qu'il peut s'agir de personnes qui n'ont pas respecté la Loi sciemment (c.‑à‑d. intentionnellement) ou sans le savoir. Voilà pourquoi l'agent doit examiner soigneusement l'ensemble des circonstances et porter une attention spéciale à l'intention de la personne, avant de recommander une mesure d'exécution. Il est possible que l'infraction soit assez innocente; toutefois, il est possible qu'elle ait été commise sciemment et délibérément.

 

L'agent doit formuler une recommandation ou prendre une décision, si cela relève de sa compétence, concernant la mesure d'exécution appropriée à prendre, en gardant à l'esprit la personnalité, l'intention, la motivation de la personne ainsi que d'autres facteurs tout aussi importants qui ont amené celle‑ci à enfreindre la Loi.

 

[9]               L'avocat du ministre affirme, avec raison, qu'en premier lieu il n'y a rien dans le dossier qui indique que ces lignes directrices n'ont pas été suivies et qu'en second lieu, même si elles n'ont pas été suivies, il n'existe aucune sanction que la Cour pourrait imposer en conséquence. L'avocate des demandeurs soutient de son côté que les lignes directrices devraient aider la Cour à interpréter les dispositions de la loi. Compte tenu des conclusions que j'ai tirées, j’estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner ce point.

 

[10]           La question fondamentale qui se posait devant le commissaire lors de l'enquête et devant l'agent qui a pris la mesure d'exclusion était de savoir s'il y avait eu manquement aux conditions du permis de travail. Or, le permis de travail, qui a été reproduit plus haut, disait simplement ceci :

[traduction

 

EMPLOYEUR                                       :               BOMBAY PARADISE

LIEU DE L'EMPLOI                             :               CALGARY

 

[11]           Les faits montrent clairement que les demandeurs étaient employés à Calgary et étaient rémunérés par le Bombay Paradise, un nom commercial de la société à numéro. Le Shorter Oxford Dictionary, cinquième édition, définit le mot « employer » (employeur) comme suit :

[traduction] Personne employant [...] par exemple [...] personne ou organisation qui rémunère quelqu'un pour effectuer un travail sur une base régulière ou contractuelle.

 

 

[12]           Or, le Bombay Paradise rémunérait les demandeurs. Ces derniers travaillaient à Calgary. Aucune condition du permis de travail n'a été enfreinte.

 

[13]           Selon l'avocat du ministre, les conditions du permis de travail doivent être interprétées à la lumière de la demande de permis y afférente et des lettres versées au dossier. Or, la demande et certaines lettres indiquent une adresse municipale précise pour le Bombay Paradise. Ce n'est pas l'adresse de l'établissement où les demandeurs travaillaient, au Bombay Sweet House.

 

[14]           Je refuse de retenir la position du ministre lorsqu'il affirme qu'il faut examiner la demande et toutes les lettres pertinentes afin d'attribuer un sens au permis de travail et de lui donner effet. Ce refus est fondé sur deux raisons. En premier lieu, le permis doit être lu et compris par lui‑même sans qu'il soit nécessaire de se reporter à d'autres éléments. En effet, les intéressés n'ont pas toujours facilement accès à ces autres éléments. Il se peut que certains éléments ne puissent pas être trouvés, comme des discussions orales et d'autres éléments du même genre qui pourraient également influer sur l'interprétation à donner au permis. Cela n'est pas souhaitable. Il devrait être possible à toutes les personnes concernées de comprendre un permis à première vue, et non simplement au travailleur ou à l'État.

 

[15]           Le refus est également fondé sur une autre raison : le ministre est celui qui, par l'entremise de ses représentants, prépare le permis. Le ministre a les ressources nécessaires pour faire en sorte que le permis soit complet et compréhensible, à défaut de quoi, il ne peut pas invoquer des ambiguïtés qu'il a lui‑même créées pour arriver à une interprétation qui lui est favorable. C'est la règle contra proferentum qui s'applique également à l'interprétation d'un contrat. En effet, si le contrat est préparé par une partie, toute ambiguïté doit être interprétée à l'encontre des intérêts de cette partie.

 

[16]           Par conséquent, je conclus que les demandeurs n'ont pas contrevenu aux conditions de leurs permis de travail. C'est le Bombay Paradise qui est leur employeur et qui les rémunère. Les demandeurs travaillent à Calgary. Par conséquent, la mesure d'exclusion est annulée et l'affaire est renvoyée pour être tranchée par un membre différent de la Commission.

 

[17]           Comme les avocats en conviennent, cette question particulière, à savoir l'interprétation des conditions précises d'un permis de travail, ne semble pas avoir déjà été examinée par les tribunaux judiciaires. Je certifierai donc la question suivante :

Dans quelle mesure les personnes ayant la responsabilité de déterminer s’il y a eu contravention aux conditions d'un permis de travail peuvent‑elles examiner autre chose que le texte du permis lui‑même afin de résoudre toute ambiguïté apparente?

 

[18]           Aucuns dépens ne seront adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  IMM-1201-06, IMM-1202-06

                                                                        IMM-1203-06, IMM-1204-06

 

INTITULÉ :                                                   JAGROOP BRAR, RAVINDER SINGH,

                                                                        RAKESH KUMAR, ARJINDER KAUR

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lori O'Reilly

POUR LES DEMANDEURS

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet O'Reilly

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.