Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20061215

Dossier : T-1872-05

Référence : 2006 CF 1504

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

DUMITRU COZMA

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le demandeur cherche à faire rouvrir les dossiers 2004‑1494 et 2004‑1732 concernant des plaintes qu’il a déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Le demandeur agit pour son propre compte.

 

QUESTION EN LITIGE

[2]               La Cour doit‑elle ordonner à la Commission canadienne des droits de la personne de rouvrir et de mener à bonne fin deux dossiers se rapportant à des plaintes déposées par le demandeur contre Citoyenneté et Immigration Canada?

 

[3]               Pour les brefs motifs qui suivent, il faut répondre à cette question par la négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Le demandeur, un citoyen canadien originaire de Roumanie, a cherché à parrainer sa femme, qui était en Roumanie, pour qu’elle puisse venir au Canada. Toutefois, la demande de visa a initialement été refusée.

 

[5]               Le demandeur allègue avoir été traité d’une façon humiliante et discriminatoire par le personnel de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à l’ambassade du Canada à Bucarest, en Roumanie, lorsqu’il a tenté de faire venir sa femme au Canada. Il affirme notamment qu’on l’a traité comme un citoyen de deuxième classe, qu’on lui a menti, qu’on lui a refusé des services en temps opportun parce qu’il n’était pas un citoyen né au Canada et qu’il n’était ni d’origine française ni d’origine anglaise. Le demandeur allègue en outre avoir été traité de cette façon non professionnelle parce qu’il venait de se marier ou qu’il était marié depuis moins de 18 mois. Par suite de ces difficultés, le demandeur a déposé deux plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne le 18 novembre 2004 (2004‑1494) et le 11 février 2005 (2004‑1732) afin de protester contre le traitement inacceptable de la demande de visa de sa femme.

[6]               La Commission a décidé de ne pas examiner la première plainte parce que le demandeur n’avait pas épuisé la procédure d’appel devant CIC. Le 28 février 2005, le demandeur a exercé avec succès les moyens d’appel dont il pouvait se prévaloir devant CIC et sa femme a obtenu un visa l’autorisant à venir le rejoindre au Canada, ce qu’elle a fait en août 2005.

 

[7]               Même si l’affaire a été menée à terme avec succès, le demandeur s’est de nouveau adressé à la Commission le 12 avril 2005 et a demandé que son dossier soit rouvert. Pour des raisons de procédure, une seconde plainte a été ouverte, laquelle était essentiellement fondée sur les mêmes faits et mettait en cause les mêmes parties, conformément à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi); le demandeur alléguait dans sa plainte la discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique, la situation de famille et l’état matrimonial.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[8]               La Commission a enquêté sur les allégations contenues dans les plaintes et elle a conclu que la preuve soumise ne semblait pas étayer les allégations du demandeur. De plus, l’enquêteure a conclu que CIC avait fourni une explication raisonnable et non discriminatoire au sujet des événements qui avaient causé des difficultés et un retard au demandeur.

 

[9]               L’enquêteure a fait savoir que, compte tenu de la preuve et du redressement déjà accordé, les plaintes ne justifiaient pas le renvoi de l’affaire au Tribunal canadien des droits de la personne. Les deux plaintes ont donc été rejetées. Le demandeur a reçu une copie du rapport de l’enquêteure et a eu la possibilité de répondre.

 

[10]           Le 23 septembre 2005, la Commission a décidé de fermer les deux dossiers, conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, étant donné le redressement substantiel qui avait été accordé au demandeur. Malgré tout, le demandeur insiste pour que le dossier soit rouvert parce qu’il n’a pas déposé les plaintes afin de faire venir sa femme au Canada, mais qu’il voulait plutôt poursuivre CIC à cause du comportement non professionnel de son personnel.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[11]           Les articles 3 et 5 de la Loi traitent respectivement des motifs de distinction illicite et de l’applicabilité à la prestation de services.

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

 

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

 

a) d’en priver un individu;

 

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

 

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

[…]

 

 

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

 

 

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

 

[12]           Le sous‑alinéa 44(3)b)(i) indique le motif de la décision de la Commission de ne pas instruire les plaintes du demandeur. Ce passage est rédigé comme suit :

44. […]

Suite à donner au rapport

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

[…]

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié

[…]

44. […]

Action on receipt of report

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission:

 

[…]

 

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

[…]

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[13]           Je dois d’abord décider de la norme de contrôle pertinente qui s’applique à la décision de la Commission de rejeter les plaintes en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. Une analyse des quatre facteurs établis dans l’arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, nous permet de décider de la norme de contrôle à employer dans un cas similaire.

 

            i)          Clause privative/droit d’appel

[14]           La Loi ne renferme pas de clause privative et ne prévoit pas de droit d’appel. Ce facteur est donc neutre.

 

            ii)         Expertise du tribunal

[15]           La Loi charge les enquêteurs d’enquêter sur les plaintes. L’article 43 énonce les larges pouvoirs de ces enquêteurs, qui acquièrent une certaine compétence et une certaine expertise conformément au Règlement. Les enquêteurs recueillent les renseignements auprès des parties pertinentes, ils interrogent les témoins, ils remettent des rapports aux parties pour qu’elles puissent présenter leurs observations par écrit avant de préparer un rapport à l’intention de la Commission en vue de faire savoir à celle‑ci si un conciliateur doit être nommé pour régler l’affaire, si la plainte doit être renvoyée à un tribunal canadien des droits de la personne ou si la plainte doit être rejetée. Ce facteur commande un degré élevé de retenue.

 

            iii)        L’objet de la Loi

[16]           La Loi vise à empêcher la discrimination dans la prestation de services et en matière d’emploi compte tenu des motifs de distinction illicite qu’elle prévoit. L’enquêteur doit examiner les plaintes, évaluer la preuve et la crédibilité des témoins et appliquer les principes de la Loi afin de déterminer si les allégations sont fondées et justifient un renvoi au Tribunal canadien des droits de la personne. Ce facteur commande un degré de retenue moins élevé.

 

            iv) La nature du problème

[17]           Si, d’une part, la question est purement factuelle, la Cour fera preuve d’énormément de retenue à l’égard de la décision contestée. Si, d’autre part, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, la Cour manifestera moins de retenue. Enfin, s’il s’agit uniquement d’une question de droit, la cour saisie de la demande de contrôle ne fera preuve d’aucune retenue à l’égard de la décision. En l’espèce, aucun élément de droit n’est présent puisque, à ce stade peu avancé de l’examen préalable, l’enquêteure met entièrement l’accent sur la collecte et l’examen des faits qui sont à l’origine de la plainte. Cela étant, la Cour manifestera un degré élevé de retenue envers la décision de l’enquêteure.

 

[18]           Se fondant sur cette analyse pragmatique et fonctionnelle, la Cour adopte la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable puisqu’il n’y a aucun élément de droit dans le travail de l’enquêteur lorsqu’il s’agit de rassembler les renseignements, de les évaluer et de faire une recommandation à la Commission. En outre, et en règle générale, le législateur ne voulait pas que les tribunaux judiciaires tels que la Cour fédérale en l’espèce s’empressent d’intervenir dans les décisions de la Commission.

 

[19]           Dans l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), le juge Décary a dit ce qui suit au paragraphe 38 :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d’expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances », qui ne laissent aucun doute quant à l’intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent à divers degrés, des questions de fait, de droit et d’opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

 

 

La Commission devrait‑elle rouvrir les plaintes déposées par le demandeur?

[20]           Afin de répondre à cette question, je dois me demander si la décision de l’enquêteure était manifestement déraisonnable lorsqu’elle a recommandé à la Commission de rejeter les plaintes.

 

[21]           Il faut répondre par la négative. Je ne peux absolument rien trouver dans les deux rapports qui justifie l’intervention de la Cour. En ce qui concerne le premier rapport, l’enquêteure n’a pas commis d’erreur en recommandant le rejet de la plainte (2004‑1494) pour le motif que le redressement substantiel susceptible d’être accordé avait déjà été obtenu en l’espèce. De même, bien qu’il soit peut‑être regrettable que le demandeur ait eu à subir un retard et des maladresses administratives de la part du personnel de CIC à l’ambassade du Canada à Bucarest, l’enquêteure était convaincue que ces erreurs administratives n’étaient pas fondées sur un motif de distinction illicite justifiant le renvoi de l’affaire au Tribunal ou exigeant la nomination d’un conciliateur. Je ne peux moi non plus rien trouver qui soit manifestement déraisonnable dans cette décision.

 

[22]           Je ne suis donc pas convaincu que le demandeur a démontré que l’enquêteure était arrivée à une décision manifestement déraisonnable.

 

 

                                                            JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1872-05

 

INTITULÉ :                                                   DUMITRU COZMA

                                                                        c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dumitru Cozma

(pour son propre compte)

POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Speers

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dumitru Cozma

(pour son propre compte)

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.