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Date : 20061219

Dossier : IMM-1541-06

Référence : 2006 CF 1495

ENTRE :

Chy DEUK

 

Partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT

 

Le juge Pinard

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) rendue le 27 février 2006, refusant la demande parrainée de résidence permanente au Canada présentée par l’épouse du demandeur.

 

[2]          En décembre 2000, Chy Deuk (le demandeur) a rencontré Linda Pen au Cambodge et ils se sont mariés en janvier 2001.

[3]          Le demandeur a déposé une demande de parrainage de son épouse en avril 2001 mais cette demande a été refusée par B. Mischuk, du Haut Commissariat du Canada à Singapour en décembre 2001. L’agent Mischuk a conclu qu’il s’agissait d’un mariage contracté principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada et non pour vivre en permanence avec son conjoint.

 

[4]          Le 18 mars 2003, la SAI a rejeté l’appel logé contre la décision de l’agent Mischuk en concluant que le demandeur n’avait pas démontré que son épouse n’était pas une personne qui s’est mariée principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada selon le paragraphe 4(3) du Règlement sur l’immigration, 1978, DORS/78-172.

 

[5]          En avril 2004, un autre agent des visas a rejeté une nouvelle demande de parrainage. Lors du dépôt de cette demande que l’affaire soit réentendue, l’épouse du demandeur a remis à l’agent des visas des preuves de communications par téléphone, des lettres, des photos, des transferts d’argent ainsi qu’une copie du billet d’avion utilisé par le demandeur lors de son voyage au Cambodge en août 2003.

 

[6]          Le 27 février 2006, la SAI a rejeté l’appel à l’encontre de cette décision au motif qu’il y avait chose jugée en l’espèce. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

* * * * * * * * * * * *

[7]          Cette affaire soulève la question suivante : la SAI a-t-elle fait une erreur en concluant qu’il n'existait pas de circonstances exceptionnelles justifiant la non-application du principe de la chose jugée?

 

[8]          Le demandeur concède que les trois critères nécessaires pour la doctrine de la chose jugée sont présents. La décision rendue par la SAI lors du premier appel était finale, les parties sont les mêmes et la question en litige est la même. Le demandeur soutient que même si toutes les conditions d’application du principe de la chose jugée sont réunies, le principe ne doit pas s’appliquer s’il existe des circonstances spéciales (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460 et Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242). De plus, le demandeur soumet que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Danyluk a déjà statué qu’on ne doit pas appliquer la doctrine de la chose jugée de façon mécanique.

 

[9]          Somme toute, le demandeur soutient qu’il existait en l’espèce des conditions spéciales justifiant un réexamen du dossier sans appliquer la doctrine de la chose jugée.

 

[10]      Pour sa part, le défendeur plaide que les trois conditions nécessaires pour la doctrine de la chose jugée telles que déclarées par la Cour suprême de Canada dans l’affaire Danyluk, ci-dessus, sont présentes dans ce dossier.

 

[11]      Le défendeur ne nie pas que le dépôt d’une nouvelle preuve constitue une source d’exception au principe de la chose jugée, mais il soutient que cette preuve devait établir l’intention des époux au moment du mariage et non pas leurs intentions en 2006 (le défendeur réfère à Mohammed c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1442 et Kaloti c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2000] 3 C.F. 390).

 

[12]      Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAI d’appliquer la doctrine de la chose jugée fondée sur sa conclusion que la nouvelle preuve déposée par le demandeur n’établissait pas le caractère authentique du mariage contracté en janvier 2001.

 

* * * * * * * * * * * *

 

[13]      Au sujet de la doctrine de la chose jugée, la Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit, dans l’affaire Danyluk, ci-dessus, au paragraphe 25 :

     Les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question  déjà tranchée ont été énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité, p. 254 :

 

(1)  que la même question ait été décidée;

(2)  que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3)  que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

 

 

 

[14]      Dans la présente affaire, les parties sont d’accord que ces trois conditions sont toutes rencontrées et que le dépôt d’une nouvelle preuve constitue une source d’exception au principe de la chose jugée.

 

[15]      La norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SAI quant à l’existence de circonstances particulières justifiant une dérogation à la doctrine de la chose jugée est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Mohammed, supra, mon collègue le juge Shore a énoncé :

[19]     La question de savoir s’il existe des circonstances spéciales ou particulières justifiant la non-application du principe de la chose jugée est une question purement factuelle, qui relève donc de l’expertise du décideur administratif. Par conséquent, la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable de l’erreur est de mise.

 

 

 

[16]      Les faits dans l’affaire Mohammed sont semblables aux faits en l’espèce : la demanderesse avait fait deux demandes de parrainage qui ont été refusées et deux fois elle en a appelé à la SAI. La nouvelle preuve dans l’affaire Mohammed incluait des photographies, des communications entre les époux, des lettres de référence et des documents indiquant les affaires bancaires des époux. Dans Mohammed, la cour a déterminé que la SAI pouvait, à bon droit, conclure que ces documents étaient « self-serving » et que cette nouvelle preuve n’était pas déterminante. La preuve déposée en l’espèce est de même nature.

 

[17]      En effet, les nouvelles preuves considérées par la SAI consistaient en des photos, des copies de transferts d’argent et des comptes de téléphone. Dans le premier appel devant la SAI, il y avait aussi des copies de transferts d’argent et des comptes de téléphone. Le demandeur reproche à la SAI de ne pas avoir considéré la nouvelle preuve. Je ne suis pas d’accord. Il est clair de la décision que la SAI a considéré la preuve comme nouvelle mais qu’elle a trouvé qu’elle n’était pas une preuve déterminante parce qu’elle n’était pas suffisante pour établir le caractère authentique du mariage contracté en janvier 2001. À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour la SAI, dans les circonstances, de juger la nouvelle preuve comme non déterminante.

 

[18]      De plus, les notes de l’agent des visas indiquent qu’il y avait une grande différence d’âge entre le demandeur et son épouse et que les fréquentations entre les époux ont été très courtes.

 

[19]      Considérant que la nouvelle preuve déposée par le demandeur n’était pas décisive et qu’il n’existe pas de circonstances exceptionnelles justifiant la non-application du principe de la chose jugée, non seulement le demandeur a-t-il fait défaut de démontrer que la décision en cause, quant à l’appréciation des faits, est manifestement déraisonnable, mais celle-ci m’apparaît au contraire tout à fait raisonnable. Dans les circonstances, on ne peut parler de violation de l’équité procédurale, aucune erreur de droit n’ayant été établie dans l’application du principe de la chose jugée.

 

[20]      La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 19 décembre 2006

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1541-06

 

INTITULÉ :                                       Chy DEUK c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 novembre 2006

 

MOTIFS DE JUGEMENT :             Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 décembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Éveline Fiset                                  POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Michel Pépin                                 POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Éveline Fiset                                                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 


 

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