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Date : 20061220

Dossier : IMM-1460-06

Référence : 2006 CF 1515

ENTRE :

BALLA DAVID DIARRA

 

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE LIMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT

 

Le juge Pinard

 

[1]   Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), rendue le 3 mars 2006, qui a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur présentée au Canada pour des considérations humanitaires soumise le 18 août 2003.

 


[2]   Le demandeur, monsieur Balla David Diarra, âgé de 22 ans, est né dans le cercle de Kati, localité située près de Bamako, au Mali. Il est issu d’une union à l’extérieur des liens du mariage. Le demandeur a vécu avec sa mère jusqu’à l’âge de 7 ans et ensuite chez son oncle et sa tante où il allègue avoir été victime d’abus physiques et psychologiques de la part de cette dernière.

 

[3]   Le demandeur est arrivé au Canada le 5 septembre 2001 et a revendiqué le statut de réfugié du fait de son appartenance à un groupe social, soit les enfants illégitimes du Mali. Cette demande a été rejetée le 12 septembre 2002 (alors qu’il était âgé de 17 ans) en raison de l’existence d’une possibilité raisonnable de refuge interne dans les villes de Mopti ou de Ségou au Mali.

 

[4]   Le 18 août 2003, le demandeur a soumis une demande de résidence permanente présentée au Canada pour des considérations humanitaires.

 

[5]   Le 3 mars 2006, l’agent d’immigration a rejeté cette demande, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.  La norme de contrôle

[6]   Il est bien établi que semblable demande de dispense d’une mesure d’exception est de nature purement discrétionnaire. À ce titre, la norme de contrôle applicable est la norme de raisonnable simpliciter. Cette norme a été articulée par le juge Iacobucci dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, comme suit, aux pages 776 et 777 :


. . . Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. [. . .] En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. . . .

 

[7]   À l’aide de la méthode pragmatique et fonctionnelle, cette même Cour a statué dans l’arrêt Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que le pouvoir discrétionnaire conféré à l’agent d’immigration devait être considéré avec une certaine déférence :

[51]     Comme je l'ai dit précédemment, la loi et le règlement délèguent un très large pouvoir discrétionnaire au ministre dans la décision d'accorder une dispense pour des raisons d'ordre humanitaire. Le règlement dit que « [l]e ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense [. . .] ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière ». Ce langage témoigne de l'intention de laisser au ministre une grande latitude dans sa décision d'accorder ou non une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

 

[. . .]

 

[59]     Le deuxième facteur est l'expertise du décideur. En l'espèce, le décideur est le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ou son représentant. Le fait que, officiellement, le décideur soit le ministre est un facteur militant en faveur de la retenue. Le ministre a une certaine expertise par rapport aux tribunaux en matière d'immigration, surtout en ce qui concerne les dispenses d'application des exigences habituelles.

 

[. . .]

 


[62]     Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d'en arriver à la norme d'examen appropriée. Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

II.  Le contexte législatif

 

[8]   La décision que le demandeur cherche à faire annuler a été rendue en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi) (autrefois le paragraphe 114(2)).

 

[9]   Or, cette disposition constitue une mesure d’exception discrétionnaire. Ainsi que noté par le juge Iacobucci dans l’affaire Chieu c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84 :

[64]     . . . la demande faite au ministre en vertu du par. 114(2) est essentiellement un plaidoyer auprès de l’exécutif en vue d’obtenir un traitement spécial qui n’est même pas explicitement envisagé par la Loi. . . . 

 

 

 

[10]                       En effet, le fait de devoir obtenir un visa d’immigrant à l’extérieur du Canada est une exigence du paragraphe 11(1) de la Loi et l’octroi d’une dispense en vertu du paragraphe 25 de la Loi demeure un processus exceptionnel. Le paragraphe 25(1) de la Loi énonce que le ministre peut accorder la résidence permanente ou une exemption d’une obligation de la Loi s’il est satisfait qu’il existe des motifs humanitaires ou d’intérêt public qui justifient cette décision :



25. (1) Le ministre doit, sur demande dun étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, sil estime que des circonstances dordre humanitaire relatives à l’étranger compte tenu de lintérêt supérieur de lenfant directement touché ou lintérêt public le justifient.

  25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Ministers own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

[11]                       À mon avis, la décision de l’agent d’immigration de CIC n’est pas déraisonnable. Celle-ci s’est appuyée sur la preuve déposée par le demandeur au moment où elle a rendu sa décision. En outre, cette décision n’est pas fondée uniquement sur l’absence de passeport et des autres documents requis; l’agent a aussi fait une analyse complète du dossier et a déterminé qu’il n’y avait pas de motifs humanitaires justifiant de dispenser le demandeur de l’obligation statutaire de demander un visa d’immigrant avant de venir au Canada.

 

III.  Les documents d’identité du demandeur

A.     Nouvelle preuve

[12]                       Il appert que le demandeur a voulu parfaire son dossier en déposant devant cette Cour des documents d’identité, tels son passeport, qui n’étaient pas devant l’agent d’immigration lors de sa prise de décision. Or, il est bien établi que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, cette Cour ne peut considérer que la preuve qui était devant l’agent d’immigration au moment de la demande (Herrada c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1003, aux paragraphes 27 et 28). Ces documents ne peuvent donc être pris en considération dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

B.La demande de passeport


[13]                       À mon avis, dans le présent cas, l’agent d’immigration était en droit de demander, comme preuve d’identité, le passeport du demandeur. D’abord, tel qu’il est mentionné aux alinéas 50(1)a) et b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, (le Règlement) l’étranger qui cherche à obtenir la résidence permanente au Canada doit détenir un passeport ou un titre de voyage qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant. Ici, le défendeur souligne que l’agent d’immigration a expliqué au demandeur les raisons pour lesquelles elle ne pouvait accepter la copie d’extrait de naissance et un livret scolaire en raison des exigences stipulées au paragraphe 50(1) du Règlement. De plus, l’agent d’immigration a avisé le demandeur à plusieurs reprises de l’importance de fournir les documents d’identité pour l’étude de son dossier.

 

[14]                       Dans la décision Vairamuthu c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1557 (1re inst.) (QL), la Cour a conclu que la preuve d’identité est un élément essentiel à considérer dans l’étude d’une demande de résidence permanente pour des considérations humanitaires, telles que prévues dans la Loi et le Règlement, et l’agent d’immigration ne peut passer outre cette exigence. L’agent d’immigration n’a donc pas erré en invoquant le manque de preuve sur l’identité du demandeur pour rejeter la demande de ce dernier et, compte tenu des avertissements donnés au demandeur, n’a d’aucune façon violé les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale.

 


[15]                       Enfin, il est important de souligner que l’agent d’immigration n’est pas lié par les décisions antérieures de la Section de la protection des réfugiés. Il appartient à cet agent d’apprécier et de décider d’une demande en se basant sur la preuve présentée devant lui et en tenant compte des exigences prévues à la Loi et aux règlements. Cette Cour se doit de respecter la décision de l’agent d’immigration sauf si cette décision n’est pas raisonnable, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

IV.  L’appréciation des facteurs pertinents par l’agent

[16]                       Tel que mentionné dans la décision Herrada, ci-dessus, aux paragraphes 29 et 30, l’examen d’une demande au sens du paragraphe 25(1) de la Loi comprend deux évaluations distinctes. Dans le cadre de la première évaluation, le décideur doit déterminer si le demandeur l’a convaincu qu’une dispense d’obtenir sa demande de résidence permanente de l’extérieur est justifiée. Une dispense est justifiée lorsque le demandeur démontre que ses circonstances personnelles sont telles qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente hors du Canada.

 

[17]                       La seconde évaluation consiste à déterminer si le demandeur est admissible à la résidence permanente au Canada.

 


[18]                       En l’espèce, le demandeur allègue que l’agent d’immigration a erré car elle n’a pas considéré certains facteurs dans l’étude de sa demande de résidence, tels : (1) le parrainage de monsieur Mamadou L. Sow; (2) ses antécédents scolaires et professionnels; (3) la présence de sa demi-sœur et ses petits neveux au Canada; (4) les lettres de soutien des organismes communautaires et de son employeur au Canada. Toutefois, je considère que les motifs invoqués par le demandeur ne constituent pas, en eux-mêmes, des difficultés inhabituelles, excessives ou injustifiées requérant de faire exception au régime général obligeant tout étranger à demander la résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada.

 

[19]                       Par ailleurs, le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, s’il devait présenter sa demande hors du Canada dans le présent cas. Il appartient au demandeur de soulever et de prouver les motifs humanitaires au soutien de sa demande, tel qu’édicté par la Cour d’appel fédérale dans Owusu c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2004] 2 R.C.F. 635, au paragraphe 8 :

. . . Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n'a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l'intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l'agente n'ait d'autre choix que d'en tenir compte.

 

 

 

[20]                       À mon avis, l’agent d’immigration a soupesé tous les facteurs pertinents à la demande du demandeur, y incluant ceux qui ont été invoqués par ce dernier.

 

[21]                       En outre, l’agent a considéré les éléments suivants, dans sa décision :

- le bégaiement dont aurait souffert le demandeur est un handicap mineur qui se serait de plus amélioré à la suite des traitements qu’il a suivis. De plus, la preuve ne révèle pas que le demandeur continue toujours à suivre ses traitements et que l’interruption de ceux-ci constituerait une atteinte importante à sa santé physique et mentale;

 


-     la crainte du demandeur d’être vendu comme enfant-esclave n’a pas été reconnue par la Section de la protection des réfugiés. Le tribunal a plutôt conclu que le demandeur craignait les mauvais traitements de sa tante Jacqueline. De plus, étant maintenant âgé de 22 ans, le demandeur ne peut plus invoquer cette crainte s’il devait retourner dans son pays d’origine.

 

 

 

[22]                       Finalement, les reproches du demandeur en ce qui a trait à l’appréciation de la preuve faite par l’agent d’immigration de CIC ne sont pas valables. Il est important de souligner qu’il ne revient pas à la Cour de se substituer à l’agent de CIC à cet égard (voir, par exemple, Mann c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 567) :

[11]     Je tiens à signaler le plaidoyer éloquent qu'a fait l'avocate du demandeur et à souligner la sympathie qu'inspire, à mon avis, le cas du demandeur. Cette sympathie découle en particulier de la longue période que le demandeur a passée au Canada, des difficultés qu'il a rencontrées et qu'il a, selon toute vraisemblance, surmontées pendant qu'il se trouvait au Canada, de la nouvelle relation qu'il a nouée au Canada et de l'enfant canadien qui est issu de cette relation et du fait que le demandeur est évidemment maintenant plus près de ses parents et amis canadiens qu'il ne l'est probablement des membres de sa famille qui vivent en Inde, compte tenu surtout de sa longue absence de l'Inde et de la procédure de divorce qu'il a entamée en Inde. Ceci étant dit, je ne puis conclure que la fonctionnaire de l'Immigration a ignoré ou mal interprété les éléments de preuve portés à sa connaissance, qu'elle a tenu compte d'éléments non pertinents ou qu'elle n'a pas tenu compte de l'intérêt de l'enfant né au Canada du demandeur. Je suis convaincu qu'il ressort des notes de la fonctionnaire de l'Immigration dont j'ai déjà cité des extraits que celle-ci a tenu compte de tous les facteurs portés à sa connaissance par le demandeur et dont elle devait tenir compte. Le fait que j'aurais pu apprécier différemment ces facteurs ne constitue pas une raison qui justifierait de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

[23]                       Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis que les conclusions de l’agent d’immigration de CIC ne sont pas déraisonnables et, en conséquence, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 20 décembre 2006


COUR FIDIRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1460-06

 

INTITULI :                                       BALLA DAVID DIARRA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETI ET DE L MMIGRATION

 

LIEU DE L UDIENCE :                    Montr l (Qu ec)

 

DATE DE L UDIENCE :                  Le 21 novembre 2006

 

MOTIFS DE JUGEMENT :             Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 d embre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sangar Salif                                   POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Caroline Doyon                             POUR LA PARTIE DIFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sangar Salif                                                                  POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montr l (Qu ec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DIFENDERESSE

Sous-procureur g  al du Canada

 

 

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