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Date :  20061220

Dossier :  T-1-06

Référence : 2006 CF 1523

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2006

En présence de Monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

ANDRÉ GAGNÉ

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l’encontre d’une décision de  Monsieur Mario Marchand, Gestionnaire du Centre fiscal de Shawinigan-Sud, de l’Agence du revenue du Canada (le défendeur). Dans cette décision, datée du 2 décembre 2005, ce dernier a refusé de rouvrir certaines années fiscales afin d’accepter des pertes d’entreprise du demandeur, et ce, en vertu du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).  Le demandeur se représente lui-même.

I.          Questions en litige

[2]               Est ce que le défendeur a erré en refusant d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 152(4.2) de la Loi?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est négative. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

II.        Contexte factuel

[4]               Au cours de sa vie professionnelle, le demandeur a acquis diverses expériences dans ses propres petites et moyennes entreprises (P.M.E.) et celles de son père. Par exemple, entre 1975 et 1993, le demandeur a eu des postes de conseiller, adjoint administratif et directeur de projets. De 1994 à 1996, il a été consultant auprès de George S. May Int. Co.

 

[5]               En 1996, le demandeur devient consultant à son compte et selon son expression « sous l’image de marque » Force G. Cette entreprise n’a pas d'entité légale. Pendant la même année, il devient actionnaire dans la compagnie CYBEC CANADA INC. dirigée par Monsieur Hubert Sicard. Cette deuxième entreprise est enregistrée auprès du Registraire des Entreprises Système CIDREQ avec le numéro de matricule : 1145952348. Ces deux P.M.E. cessent leurs activités deux ans plus tard : Force G à la fin de l’année 1998 et quant à CYBEC, elle est radiée d’office le 9 mai 1998. Le demandeur retourne alors chez George S. May Int. Co. en janvier 1999.

 

[6]               Il produit ses déclarations d’impôts pour les années 1996, 1997, 1998, 1999, 2000 en 2004.  En juin 2004, il reçoit un Avis de cotisation lui accordant des dépenses en tant que travailleur autonome pour les années 1996 à 2000 sauf que ses dépenses de bureau à domicile pour l’entreprise CYBEC CANADA INC lui sont refusées. Voulant savoir les raisons de ce refus, le demandeur déclenche une série de révision de toutes ses déclarations, donnant les résultats suivants :

a)      lettre datée du 8 avril 2005 de Madame Martine Bérubé concernant les déclarations de revenus pour les années 1996 à 2000 : elle l'informe que le défendeur se propose de faire la correction suivante : refuser la perte d’entreprise de 16 592 $ accordée en 2004 pour les années 1996 à 2000;

b)      lettre datée du 8 juillet 2005, Madame Marie Josée Kroft confirmant la décision de refuser la perte d’entreprise de 16 592 $.  Cette lettre mentionne que les renseignements et documents soumis par le demandeur ne permettent pas de déterminer que ces dépenses ont été encourues dans le but de gagner un revenu d’entreprise;

c)      Avis de cotisation daté du 1 septembre 2005 pour l'année 2000 n'inclut pas les dépenses réclamées pour pertes d’entreprises;

d)      révision du dossier par Monsieur Robert Villemure qui conclut le 1er décembre 2005 que la décision est raisonnable et conseille qu’elle soit maintenue;

e)      décision par Monsieur Marchand le 2 décembre 2005 confirmant le refus d'accepter les pertes d’entreprise du demandeur. Ce dernier fait alors la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

III.       Décision en question

[7]               La décision du 2 décembre 2005 maintient la décision du 8 juillet 2005 de refuser les pertes d’entreprises réclamées par le demandeur soit :

1999 = 261 $

 

1998 = 103 $

 

1997 = 3 452 $

 

1996 = 6 892 $

 

[8]               Quant à l'année 1996, elle est prescrite selon le défendeur puisque la demande a été déposée hors délai. Le défendeur indique qu'il n'exercera pas son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 152(4.2) parce que le demandeur n’a pas fourni tous les documents pour justifier sa réclamation.

 

IV.       Dispositions Législatives Pertinentes

[9]               Le paragraphe 152(4.2) de la Loi est inscrit dans un régime législatif connu sous le nom de « dossier équité », qui confère au défendeur le pouvoir discrétionnaire d'effectuer un ajustement aux déclarations, même si la période de trois ans est expirée. Cette disposition permet donc au ministre d'octroyer une diminution des impôts payables ou rembourser un contribuable lorsque ce dernier n'est pas en mesure de respecter les délais établis par la loi. Les extraits pertinents du paragraphe 152(4.2) sont les suivants :

152. (4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable -- particulier, autre qu'une fiducie, ou fiducie testamentaire -- pour une année d'imposition le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l'année ou la réduction d'un montant payable par le contribuable pour l'année en vertu de la présente partie, le ministre peut, sur demande du contribuable:

 

a) établir de nouvelles cotisations concernant l'impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l'année en vertu de la présente partie;

[. . .]

152. (4.2) Notwithstanding subsections 152(4), 152(4.1) and 152(5), for the purpose of determining, at any time after the expiration of the normal reassessment period for a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a testamentary trust in respect of a taxation year,

(a) the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for that year, or

 

(b) a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for that year, the Minister may, if application therefor has been made by the taxpayer,

(c) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year, and

[. . .]

 

V.        Analyse

La norme de contrôle

 

[10]           Il faut d’abord établir la norme de contrôle applicable à la révision de la décision sous étude. L’analyse des quatre facteurs énoncés dans Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, permet de déterminer si la norme de contrôle applicable à la décision contestée est la décision correcte, la décision raisonnable ou la décision manifestement déraisonnable :

 

i)          clause privative/droit d'appel

[11]           La Loi ne contient aucune clause privative ni un droit d'appel. La décision en question peut donc faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale.

 

 

ii)         l'expertise du tribunal

[12]           Les déclarations de revenus reposent sur des faits dont la révision est confiée aux autorités fiscales. Ces dernières doivent les examiner à la lumière des stipulations de la Loi.  En ce qui concerne la partie de la Loi « dossier équité », le Parlement reconnaît la complexité des questions fiscales et c’est la raison pour laquelle le législateur accorde au Ministre une discrétion lui permettant un certain degré de flexibilité dans l’application de certaines dispositions. Ceci exige donc une grande déférence de la Cour à moins qu'il s'agisse d'une question de droit, ou d'une question mixte de droit et de fait.

 

iii)        l'objet de la loi

[13]           L’objet du « dossier équité » est de rendre accessible aux citoyens(es) un allègement malgré que le recours est prescrit afin d'être cotisé à nouveau et obtenir une diminution des impôts payables ou obtenir un remboursement d'impôt. Cet objectif exige moins de déférence.

 

            iv) la nature du problème

[14]           S’il s'agit d'une question purement factuelle, une plus grande déférence à l'égard de la décision contestée s’impose. S'il s'agit d'une question mixte de faits et de droit, la déférence serait moins grande. Finalement s'il s'agit d'une question de droit, il n'y a pas de déférence de la part de la Cour qui est appelée à rendre une décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[15]           Suite à l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la Cour adopte la norme de contrôle de la décision raisonnable car il s'agit essentiellement de questions mixtes de faits et de droit. En effet, les autorités fiscales sont appelées à faire une analyse des documents fournis par le demandeur afin de déterminer si les conditions sont réunies pour engager le pouvoir discrétionnaire du Ministre. La Cour n’interviendra que si la décision est fondée sur une explication déraisonnable. La Cour doit vérifier si les motifs de la décision sont soutenables (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 56).

 

[16]           Dans Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. no 714 (C.A.) (QL), paragraphes 3 à 7, la Cour d'Appel fédérale a utilisé la norme de contrôle de la décision raisonnable. Il s’agissait d'un agent du fisc, qui avait refusé d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 152(4.2) de la Loi.

 

Est-ce que le défendeur a erré en refusant d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 152(4.2) de la Loi?

[17]           Je suis d'accord avec l'argumentation du défendeur que seule l’année 1996 est prescrite et peut être visée par le paragraphe 152(4.2). En effet, il appert que la cotisation de1996 a été émise le 27 mars 1997.  

 

[18]           Les autres années, c’est-à-dire 1997, 1998 et 1999 ne sont pas visées par le présent contrôle judiciaire puisque les cotisations ont été émises le 9 août 2004 et le 7 septembre 2004 et n'étaient pas prescrites à la date de demande. En ce qui concerne l’année 2000, le demandeur était dans les délais lorsqu’il a déposé une opposition à l’Avis de cotisation, le 23 novembre 2005.

 

[19]           La décision contestée est basée sur la recommandation de M. Villemure. Ce dernier avait devant lui l’ensemble des dossiers. Il a aussi analysé les lettres reçues du demandeur et a eu des communications téléphoniques avec lui. Il en est arrivé à la conclusion que le demandeur n’exploitait pas d’entreprises sous le nom de « Force G », donc les dépenses réclamées ne pouvaient être accordées. 

 

[20]           Le demandeur a fourni de nombreuses pièces justificatives que M. Villemure a trouvées inappropriées puisque ces documents n’étaient pas des originaux et de nombreux documents ne dévoilaient pas de dates. 

 

[21]           En outre, M. Villemure s’est appuyé sur la Circulaire d’information 92-3 (IC-92-3), paragraphe 10,  intitulée « Lignes directrices concernant l’émission de remboursements en dehors de la période normale des trois ans » qui stipule que le contribuable qui fait une demande après le délai de trois ans doit fournir tous les documents appropriés. 

 

[22]           Le paragraphe 12 de la circulaire définit les documents appropriés que le contribuable doit fournir. Il s’agit des renseignements suivants :

12.       Les contribuables doivent soumettre, selon le cas, les renseignements suivants à l’appui de leur déclaration ou de leur demande :

 

a)      les reçus officiels ou les copies certifiées conformes des reçus (p. ex., reçus pour frais de scolarité, pour cotisations à un REÉR, pour dons de charité);

 

b)      les copies de feuillets de renseignements (p. ex., feuillets T3, T4, T5);

 

c)      des notes explicatives ou un état des calculs relatifs aux dépenses déduites ou aux déductions demandées;

 

d)      les preuves de paiement (p. ex., chèques payés pour les loyers, lettre du propriétaire).

 

[23]           Quant à la jurisprudence, dans Morrissette c. La Reine [2005] A.C.I. no 136, 2005 CCI 187, aux paragraphes 46 et 47, Monsieur le juge Tardif de la Cour canadienne de l’impôt a écrit ceci :

46          Le bon fonctionnement de notre système fiscal repose sur le principe de l'auto cotisation. Le contribuable y joue donc un rôle déterminant, l'État prenant pour acquis que ses citoyens sont en mesure d'assumer cette responsabilité et les obligations inhérentes.

 

47          Pour assumer convenablement cette responsabilité, les citoyens, particulièrement lorsqu'ils exploitent une entreprise, doivent mettre en place un système comptable permettant de déterminer précisément quels sont les revenus imposables; cela implique une comptabilité complète permettant d'établir la provenance de tous les revenus, mais aussi les dépenses, le tout complété par la disponibilité de toutes les pièces justificatives pertinentes.

 

 

[24]           Je suis d’avis qu’il était tout à fait raisonnable pour les autorités fiscales de refuser les demandes du demandeur en l’absence de pièces justificatives appropriées qui auraient permis de distinguer clairement entre les dépenses personnelles du demandeur de celles de son emploi ainsi que celles réclamées pour l’entreprise Force G.  En outre, sans preuve claire telle qu’un compte bancaire ou un numéro de matricule pour l'entreprise Force G, il n’était pas déraisonnable pour le défendeur de refuser les pertes d’entreprises revendiquées par le demandeur.

 

[25]           Il ne s'agit pas ici de savoir si la Cour en serait venu à une autre conclusion mais il faut considérer si la décision du 2 décembre 2005 est appuyée par la preuve.

 

[26]           Il n'y a pas de justification suffisante pour que la Cour intervienne ici compte tenu de tous les éléments qui étaient présents devant le décideur.

 

[27]           Le défendeur n’insiste pas pour obtenir les frais.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1-06

 

INTITULÉ :                                       ANDRÉ GAGNÉ ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 28 novembre 2006

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 décembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

André Gagné                                                                POUR LE DEMANDEUR

(se représente lui-même)

 

Kim Sheppard                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

André Gagné                                                                POUR LE DEMANDEUR

(se représente lui-même)

Montréal, (Québec)

 

John Sims, C.R.                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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