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Date : 20061220

Dossier : IMM-235-06

Référence : 2006 CF 1524

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

AMAPOLA DEL ALBA SEPULVEDA SOTO

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si l’agente qui a rejeté la demande de résidence permanente présentée par Mme Sepulveda depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire s’est montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des deux enfants canadiens de Mme Sepulveda, comme elle en avait l’obligation. Pour les motifs énoncés ci-après, malgré les observations fort judicieuses présentées par l’avocat du ministre, j’ai conclu que l’agente ne s’était pas acquittée de son obligation. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

 

[2]        Mme Sepulveda est une citoyenne du Chili qui est venue au Canada en juin 2000 avec un visa de visiteur. Depuis l’expiration de ce visa, elle est demeurée au Canada sans statut juridique. En juin 2002, Mme Sepulveda a épousé un citoyen canadien, M. Brian Lang. Mme Sepulveda et son époux sont maintenant les parents de jumeaux, nés en mars 2003. M. Lang est actuellement dans l’impossibilité de parrainer la demande de résidence permanente de Mme Sepulveda, étant inhabile à le faire en raison d’une condamnation au criminel pour voies de fait (voir l’alinéa 133(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227). Selon l’avocate de Mme Sepulveda, cette inhabilité doit prendre fin en octobre 2008. M. Lang a informé l’agente qu’il appuie la demande de son épouse et qu’il la parrainerait si ce n’était de son inhabilité.

 

[3]        Les observations présentées à l’appui de la demande de Mme Sepulveda fondée sur des motifs d’ordre humanitaire portaient essentiellement sur les conséquences qu’aurait sur ses enfants l’obligation soit de quitter le Canada avec leur mère, soit de demeurer au Canada avec leur père. M. Lang est un charpentier à son compte. Mme Sepulveda s’occupe de la maison et prend soin des enfants. Il a notamment été souligné que M. Lang travaille généralement 12 heures par jour, six jours par semaine, et qu’il n’est donc pas en mesure de prendre soin des enfants sur une base quotidienne.

 

[4]        Avant d’analyser les motifs de l’agente, j’examinerai certains principes de droit bien établis s’appliquant aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire lorsque l’intérêt des enfants est en jeu :

 

  • La décision de l’agent doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.
  • « [P]our que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable ». Voir : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75.

 

  • La présence d’enfants ne dicte pas la décision à prendre. Il appartient à l’agent de décider du poids qu’il convient d’accorder à ce facteur, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle de la cour de révision de réévaluer la preuve présentée à l’agent.

 

  • Les directives ministérielles, qui se trouvent maintenant au chapitre 5 du guide sur le traitement des demandes au Canada (IP 5), peuvent servir à décider si les motifs d’un agent sont raisonnables, car elles « sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir » conféré par ce qui est maintenant le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Voir : Baker, au paragraphe 72.

 

  • Les directives du guide IP 5 qui sont pertinentes pour la présente affaire comprennent notamment les suivantes :

5.19      Intérêt supérieur de l’enfant

 

[…]

 

En général, les facteurs liés au bien-être émotif, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération, lorsqu’ils sont soulevés. Voici quelques exemples de facteurs qui peuvent être soulevés par le demandeur :

 

•     l’âge de l’enfant;

 

•     le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur CH;

 

•     le degré d’établissement de l’enfant au Canada;

 

•     les liens de l’enfant avec le pays concerné par la demande CH;

 

•     les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant;

 

•     les conséquences sur l’éducation de l’enfant;

 

•     les questions relatives au sexe de l’enfant.

 

[…]

 

12.10      Séparation des parents et des enfants

 

Le renvoi du Canada d’une personne sans statut peut avoir des répercussions sur les membres de la famille qui ont juridiquement le droit d’y séjourner (c.‑à‑d. résidents permanents ou citoyens canadiens). À l’exception d’un époux ou d’un conjoint, les membres de la famille ayant statut juridique peuvent comprendre les enfants, les parents et la fratrie, notamment. Une longue séparation des membres de la famille peut créer des difficultés qui peuvent justifier une décision CH favorable.

 

Dans l’évaluation des cas de ce type, l’agent doit peser les intérêts divers et importants en jeu :

 

•      l’intérêt du Canada (compte tenu de l’objectif législatif de maintenir et de protéger la santé, la sécurité et l’ordre dans la société canadienne);

 

•      l’intérêt de la famille (compte tenu de l’objectif de la Loi de faciliter la réunification familiale);

 

•      le contexte de tous les membres de la famille, notamment les intérêts et la situation des enfants à charge apparentés à la personne sans statut;

 

•      le contexte particulier de l’enfant du demandeur (âge, besoins, santé, développement affectif);

 

•      la dépendance financière que supposent les liens familiaux;

 

•      le degré de difficulté par rapport au contexte personnel du demandeur (voir les définitions, Section 6.6., Motifs d’ordre humanitaire ou considérations humanitaires).

 

[5]        Quant à la décision de l’agente, sa prise en considération de l’intérêt des enfants, dans son intégralité, est la suivante :

[traduction] Les jumeaux de la demanderesse ont presque 3 ans. Je n’ai aucune information devant moi indiquant qu’ils reçoivent des services médicaux ou éducatifs spécialisés qui ne sont disponibles qu’au Canada. La décision de laisser les enfants au Canada avec leur père ou de les amener au Chili est une décision qui devra être prise par la demanderesse et son époux. Je souligne que les enfants sont jeunes et n’ont pas encore commencé leur éducation formelle; ils ont la possibilité de revenir au Canada lorsqu’ils seront plus âgés. Comme leur père déclare qu’il pourvoit à leurs besoins ici, il est à espérer qu’il continuera de le faire quel que soit l’endroit où ils vivront. La possibilité que M. Lang rende visite aux enfants au Chili est aussi une option pour maintenir le lien entre les garçons et leur père.

 

[6]        À mon humble avis, ces motifs ne pèsent pas les divers intérêts en jeu comme le prescrit l’article 12.10 du guide IP 5.

 

[7]        Il est vrai que l’agente a souligné le jeune âge des enfants. Par contre, les facteurs liés à leur bien‑être émotif, social et culturel et leur degré de dépendance à l’égard de leurs parents n’ont pas été pris en considération, contrairement à ce que prescrit l’article 5.19 du guide IP 5. Il était oiseux pour l’agente de faire remarquer qu’une décision défavorable aurait pour conséquence que les enfants seraient forcés de demeurer au Canada avec leur père ou de se rendre au Chili avec leur mère. Il manquait une évaluation des conséquences de l’une ou l’autre possibilité sur les enfants.

 

[8]        L’agente n’était pas tenue de rendre une décision favorable. Elle devait par contre, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, considérer l’intérêt des enfants comme un facteur important. En l’espèce, elle a omis de le faire comme le prescrit la directive ministérielle dans le guide IP 5.

 

[9]        Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[10]      Les avocats n’ont présenté aucune question aux fins de certification, et je suis convaincue que la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                      IMM-235-06

 

INTITULÉ :                                                   AMAPOLA DEL ALBA SEPULVEDA SOTO

                                                                         c.       

                                                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 12 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                           LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

CYNTHIA MANCIA                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

JAMIE TODD                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mancia and Mancia                                          

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.                                             

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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