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Date : 20061215

Dossier : T-612-06

Référence : 2006 CF 1505

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

RENOVA HOLDINGS LTD., JOHN JACKSON et DAVE BOUCHARD, agissant chacun en leur propre nom et au nom de toutes les personnes qui ont été producteurs ou qui sont actuellement producteurs et qui résident ou ont résidé dans la région désignée entre le 5 juillet 1935 et aujourd’hui

 

demandeurs

 

 

et

 

 

LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir en vertu du paragraphe 318(4) des Règles des Cours fédérales une ordonnance enjoignant aux défendeurs de produire les éléments matériels et documents demandés dans leur avis de demande.

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire découle des motifs d’ordonnance et de l’ordonnance rendus par le juge Edmond Blanchard le 25 janvier 2006 dans l’affaire Renova Holdings Ltd. c. Canada (Commission canadienne du blé), 2006 CF 71. Dans cette ordonnance, le juge Blanchard a suspendu l’action intentée par les demandeurs le 8 février 2002. L’action avait été intentée contre les défendeurs pour usage inapproprié par la Commission canadienne du blé (la Commission) de fonds communs provenant de la vente de grains produits par les demandeurs. Le juge Blanchard a suspendu l’action parce que les demandeurs doivent d’abord contester la légalité des agissements de la Commission au moyen d’une demande de contrôle judiciaire compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Grenier c. Canada, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, 262 D.L.R. (4th) 337, 344 N.R. 102.

[3]               Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire résulte directement de l’ordonnance du juge Blanchard portant que les demandeurs doivent présenter une demande de contrôle judiciaire afin de contester la légalité de la pratique suivie par la Commission et suspendant par ailleurs l’action en dommages‑intérêts dans l’attente d’une décision finale sur la demande de contrôle judiciaire.

Contexte

[4]               Le 28 mars 2006, les demandeurs ont déposé un avis de demande de contrôle judiciaire. Ils allèguent que la Commission n’a pas tenu de comptes distincts comme l’exigent les articles 7 et 33 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. 1985, ch. C‑24, et qu’elle a irrégulièrement déduit certaines dépenses d’un compte distinct, en violation du mandat qui lui est conféré par la loi.

[5]               Le juge Blanchard a résumé la situation des parties aux paragraphes 3 et 4 des motifs d’ordonnance qu’il a rendus dans la décision Renova, précitée :

Les demandeurs, une société et des individus, sont des « producteurs » de blé au sens défini dans la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. 1985, ch. C‑24 (la Loi) dans la « région désignée », telle qu’elle est définie dans la Loi. Dans la présente instance, la région désignée comprend le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et le district de Peace River en Colombie‑Britannique.

 

La Commission défenderesse est une commission créée en vertu de la Loi; elle est chargée de commercialiser le blé et l’orge, y compris le blé et l’orge produits dans la région désignée. Le procureur général est désigné pour représenter la Couronne défenderesse (Sa Majesté la Reine du chef du Canada), conformément à la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R. 1985, ch. C‑50, article 23.

 

[6]               Ainsi qu’ils l’ont indiqué dans leur avis de demande, les demandeurs cherchent à obtenir la production des documents suivants en vertu de l’article 317 des Règles :

[Traduction] Les états financiers annuels et relevés [de la Commission] indiquant les dépenses qu’elle a imputées à des comptes distincts visés à l’article 36, pour des pertes subies en vertu du paragraphe 7(3), et des dépenses autres que celles qui sont autorisées en vertu de l’alinéa 33(1)a) de la Loi sur la Commission canadienne du blé, ainsi que tout autre document pertinent se rapportant à la question en litige dans la demande [les documents demandés].

 

[7]               La Commission s’est initialement opposée à la production des documents demandés en invoquant plusieurs motifs. Toutefois, lors de l’audition de la requête et après que la Cour eut exprimé son avis préliminaire, les parties ont convenu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils avaient qualité pour agir ou qu’ils avaient le droit de solliciter le contrôle judiciaire pour chacune des années remontant jusqu’à 1935, qu’une demande de contrôle judiciaire peut s’appliquer à un « comportement » et que la présente demande de contrôle judiciaire n’a pas été présentée hors délai parce qu’elle avait été ordonnée par le juge Blanchard lorsqu’il a suspendu l’action initiale qui avait été intentée en l’espèce en vue de permettre le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.

[8]               Au cours de l’argumentation, les parties ont convenu que l’exercice 2002 serait probablement représentative de la pratique contestée de la Commission et que la production des documents devait se limiter aux états financiers annuels et aux relevés de l’année 2002 indiquant les dépenses imputées aux comptes distincts tenus en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé.

Dispositions des règles

[9]               Le paragraphe 317(1) des Règles des Cours fédérales prévoit une façon pour les parties d’obtenir les documents ou éléments matériels qui sont en la possession de l’office fédéral :

Avis à l’office fédéral

317. (1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l’office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

Material from tribunal

317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

L’article 318 des Règles exige que l’office fédéral à qui une demande de transmission visée à l’article 317 des Règles a été signifiée transmette, dans un délai de 20 jours, les documents et éléments matériels au greffe et à la partie qui en a fait la demande. Le paragraphe 318(4) des Règles autorise la Cour à ordonner que les documents ou les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe :

Documents à transmettre

318. (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

 

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

 

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

 

Opposition de l’office fédéral

(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

 

Directives de la Cour

(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

 

Ordonnance

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

Material to be transmitted

318. (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

 

 

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

 

(b) where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

 

Objection by tribunal

(2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

 

Directions as to procedure

(3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).

 

 

Order

(4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

Question en litige

[10]           La question soulevée dans la présente requête est celle de savoir si le demandeur a droit à une ordonnance portant que les documents et éléments matériels doivent être transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

Analyse

[11]           Il ressort de l’examen de l’historique des procédures en l’espèce que les demandeurs ont initialement intenté une action en déposant une déclaration dans laquelle ils alléguaient un manquement à une obligation fiduciaire, la négligence, une faute et un abus dans l’exercice d’une charge publique.

[12]           Selon la théorie des demandeurs, la Commission a illicitement employé les fonds provenant des comptes communs tenus au profit des producteurs de la région désignée. Ces fonds ont servi à couvrir les dépenses associées à la délivrance de permis d’exportation, de permis de transport interprovinciaux et de permis pour la transformation du grain à des personnes et à des sociétés établies à l’extérieur et à l’intérieur de la région désignée. Les demandeurs soutiennent qu’en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé, seules les dépenses engagées pour la vente de produits provenant de la région désignée peuvent être déduites des fonds communs perçus grâce à ces ventes. Les demandeurs veulent tenir la Commission responsable envers les producteurs à l’égard des fonds qui, à leur avis, ont été irrégulièrement déduits des comptes communs.

[13]           La demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs n’indique pas une décision précise de la Commission à l’égard de laquelle le contrôle est demandé. Il y est plutôt déclaré ce qui suit :

[Traduction] ... à l’égard de l’omission de la Commission canadienne du blé de tenir des comptes distincts comme l’exige l’article 36 de la Loi sur la Commission canadienne du blé et, conformément à l’article 7 et à l’article 33 de la Loi, à l’égard de la déduction illicite des dépenses du compte distinct contrairement à la loi et en violation du mandat que lui confère la loi.

 

[14]           Les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales portant que les agissements des défendeurs sont invalides ou illicites.

[15]           Il ressort de l’avis de demande que les demandeurs contestent les activités de la Commission liées à la déduction de dépenses des comptes communs au lieu de contester une ordonnance ou une décision distincte de la Commission. Le contenu approprié du dossier de l’office est donc lié, à mon avis, à la gestion des comptes par la Commission pendant la période où les demandeurs ont été directement touchés par de telles activités, et ce, parce que le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales exige que la demande de contrôle judiciaire soit présentée par le procureur général du Canada ou « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Si, par exemple, aucun des demandeurs n’était directement touché par la gestion des comptes en 1935 parce qu’aucun d’entre eux n’avait de droit sur les comptes communs de la Commission à ce moment‑là, les documents financiers de la Commission de 1935 ne feraient clairement pas partie du dossier de l’office en vertu de l’article 317 des Règles. Ces documents seraient inutiles et n’auraient rien à voir avec la réparation demandée et avec les motifs invoqués par les demandeurs, et ils ne pourraient pas influer sur la décision de la Cour. Les tribunaux judiciaires ont toujours statué que de tels documents ne peuvent pas faire l’objet d’une recherche à l’aveuglette dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Dans la décision Bradley‑Sharpe c. Banque Royale du Canada, 2001 CFPI 1130, le juge Blais a rejeté une requête visant la production de documents en vertu de l’article 317 des Règles pour le motif que la demande de documents était trop générale et constituait une communication ou une recherche à l’aveuglette; voir également Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.); Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) (1997), 131 F.T.R. 298 (C.F. 1re inst.); Terminaux portuaires du Québec Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail) (1993), 17 Admin. L.R. (2d) 16, 164 N.R. 60 (C.A.F.).

[16]           En même temps, comme le juge Blais l’a reconnu au paragraphe 16 de la décision Bradley‑Sharpe, précitée, le demandeur doit obtenir les éléments nécessaires afin de prouver les motifs du contrôle judiciaire allégués dans l’avis de demande. En l’absence de ces documents, les demandeurs, en l’espèce, ne pourraient pas bien plaider leur demande au fond. Dans la décision Bradley‑Sharpe, le juge Blais a invité le demandeur à présenter une autre requête comportant une liste de documents plus précise et plus détaillée. En l’espèce, comme l’avocat des demandeurs l’a reconnu à l’audience, il devrait être possible de débattre le bien‑fondé de la demande à partir des documents se rapportant à un seul exercice au cours duquel la défenderesse a procédé aux déductions contestées. L’avocat des demandeurs a également convenu que, s’il y avait un seul exercice qui serait probablement représentatif de la pratique contestée de la défenderesse, ce serait l’exercice 2002 au cours duquel la Commission a engagé des frais élevés pour se défendre dans l’affaire de l’ALENA. Je limiterais donc la production aux états financiers et relevés de dépenses demandés pour l’exercice 2002.

[17]           La Commission soutient que l’article 317 des Règles ne s’applique pas lorsque la demande de contrôle judiciaire porte sur une politique ou une pratique et non sur une ordonnance ou une décision. Toutefois, il ressort clairement de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476, que le contrôle judiciaire peut s’appliquer à des pratiques ou à des politiques.

[18]           Étant donné qu’il est possible de demander le contrôle judiciaire de politiques et pratiques administratives, ainsi que l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Krause, précité, il ne conviendrait pas de refuser aux demandeurs l’accès aux documents et éléments matériels dont ils ont besoin pour établir les motifs de contrôle. La pratique ou politique pourrait être présentée par la Commission de bien des façons, notamment sous la forme d’un exposé. Toutefois, en l’espèce, la façon la plus logique et la plus commode consiste pour la Commission à produire le relevé se rapportant à l’exercice 2002, qui, comme les parties en ont convenu, est probablement représentatif de la pratique contestée de la Commission.

Conclusion

[19]           Pour les motifs susmentionnés, les demandeurs ont droit à une ordonnance enjoignant à la Commission de transmettre au greffe une copie certifiée conforme des états financiers et des relevés de dépenses se rapportant à l’exercice 2002. Une ordonnance sera rendue en ce sens.

 

Modification de l’intitulé

[20]           L’avocat des demandeurs a présenté oralement une requête, sur consentement, en vue de faire modifier l’intitulé de façon à supprimer le nom du demandeur Ron Duffy.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  L’intitulé est modifié pour supprimer le nom de Ron Duffy.

2.                  La requête visant la production de documents est accueillie en partie.

3.                  La Commission doit transmettre au greffe une copie certifiée conforme des états financiers et des relevés se rattachant aux dépenses imputées aux comptes distincts applicables à la région désignée pour l’exercice 2002.

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-612-06

 

INTITULÉ :                                                   RENOVA HOLDINGS LTD. et al.

                                                                        c.

                                                                        LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

                                                                        et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Yaholnitsky

POUR LES DEMANDEURS

 

Thor Hansell

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard S. Yaholnitsky

Merchant Law Group

Yorkton (Saskatchewan)

POUR LES DEMANDEURS

 

Thor Hansell

Aikins, MacAulay et Thorvaldson

Winnipeg (Manitoba)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ)

 

POUR LE DÉFENDEUR

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

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