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Date : 20061218

Dossier : IMM-5373-06

Référence : 2006 CF 1512

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

ROBERT GENE CLARK

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête visant à obtenir une ordonnance de sursis à la mesure d’expulsion prise contre le demandeur le 19 septembre 2006. Le demandeur a 59 ans, il a toujours vécu au Canada et ses parents sont citoyens canadiens de naissance.

Contexte

[2]               Le demandeur, un homme de 59 ans, est actuellement incarcéré au pénitencier de Prince Albert en Saskatchewan. Le 3 avril 2006, il a été déclaré coupable des infractions suivantes :

1.      production de cannabis (marihuana), en contravention du paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances;

2.      possession du produit obtenu du trafic de cannabis (marihuana) pour une valeur excédant cinq mille dollars, en contravention du paragraphe 354(2) et de l’alinéa 355a) du Code criminel;

3.      possession, en vue d’en faire le trafic, d’une quantité de cannabis (marihuana) excédant trois kilogrammes, en contravention du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances;

4.      complot en vue de commettre un acte criminel (deux chefs d’accusation), en contravention de l’alinéa 465(1)c) du Code criminel;

5.      contrebande d’alcool des États-Unis en vue de le revendre au Canada, en contravention du paragraphe 999(9) de la Customs Excise Act.

La peine maximale pour cette série de condamnations est l’emprisonnement à vie. Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de 30 mois. Il aura droit à la libération conditionnelle en février 2007 et sera alors expulsé vers les États-Unis.

[3]               Le 14 juin 2006, le délégué du ministre a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, où il déclare que le demandeur est un étranger ou un résident permanent dont on a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire. Le 19 septembre 2006, le délégué du ministre a pris une mesure d’expulsion portant que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité.

[4]               La question que soulève la demande de contrôle judiciaire sous-jacente est celle de savoir si l’agent chargé du renvoi a commis une erreur en prenant la mesure d’expulsion contre le demandeur. Ce dernier prétend qu’il est citoyen du Canada et que la mesure d’expulsion prise contre lui est de ce fait invalide.

La citoyenneté du demandeur

[5]               La mère et le père naturels du demandeur étaient tous les deux citoyens canadiens de naissance. Au moment de la naissance du demandeur, le 5 juin 1947, ses parents vivaient sur une ferme dans une région rurale du Manitoba, à proximité de la frontière des États‑Unis. À l’époque, l’établissement médical le plus proche se trouvait à Westhope, au Dakota du Nord, à environ dix milles. Comme il n’y avait pas de système de santé public au Canada à l’époque, les parents du demandeur ont décidé de se rendre à l’établissement médical le plus proche au Dakota du Nord pour la naissance du demandeur, comme ils l’avaient fait pour chacun de leurs enfants. Après la naissance du demandeur, la famille est revenue à sa ferme au Manitoba.

[6]               Le demandeur déclare qu’il ignorait que sa naissance devait être inscrite pour que le Canada le considère comme un citoyen canadien. Pendant toute sa vie, le demandeur a cru qu’il était effectivement un citoyen du Canada. Ses parents ont reçu du gouvernement des chèques d’allocations familiales pour tous leurs enfants. Le demandeur votait aux élections canadiennes et a fourni des éléments de preuve provenant d’Élections Canada confirmant qu’il était un électeur inscrit.

[7]               Le demandeur affirme qu’il a été informé pour la première fois qu’il n’était pas citoyen canadien le 14 juin 2006, lorsqu’il a reçu le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés déclarant qu’il était interdit de territoire en raison de sa déclaration de culpabilité.

Les dispositions législatives régissant la citoyenneté du demandeur

[8]               Le demandeur s’appuie sur l’alinéa 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29, qui prévoit :

PARTIE I

LE DROIT À LA CITOYENNETÉ

Citoyens

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :[…]

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi.

PART I

THE RIGHT TO CITIZENSHIP

Persons who are citizens

3. (1) Subject to this Act, a person is a citizen if

[…]

(e) the person was entitled, immediately before February 15, 1977, to become a citizen under paragraph 5(1)(b) of the former Act.

 

 

[9]               L’alinéa 5(1)b) de l’ancienne Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1970, ch. C-19, prévoit :

Personne née après le 31 décembre 1945

 

5. (1) Une personne née après le 31 décembre 1946 est un citoyen canadien de naissance,

 

[…]

 

b) si elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si

 

(i) son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien, et si

(ii) le fait de sa naissance est inscrit, en conformité des règlements, au cours des deux années qui suivent cet événement ou au cours de la période prolongée que le Ministre peut autoriser en des cas spéciaux.

Person born after December 31, 1946

 

5. (1) A person born after the 31st day of December 1946 is a natural-born Canadian citizen,

 

 

[…]

 

(b) if he is born outside Canada elsewhere than on a Canadian ship, and

 

(i) his father, or in the case of a child born out of wedlock, his mother, at the time of that person’s birth, is a Canadian citizen, and

(ii) the fact of his birth is registered, in accordance with the regulations, within two years after its occurrence or within such extended period as the Minister may authorize in special cases.

[10]           L’inscription de la naissance du demandeur n’a pas eu lieu au cours des deux années suivant le fait ainsi que l’exige l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne Loi. Toutefois, le demandeur fait valoir que la jurisprudence de la Cour fédérale appuie la position selon laquelle son droit à la citoyenneté ne dépend pas de l’inscription et qu’en outre, les dispositions sur la perte automatique de la citoyenneté de l’ancienne Loi ne sont pas applicables contre lui.

[11]           Dans la décision Taylor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1053, le juge Luc Martineau a conclu que la perte automatique de la citoyenneté accomplie par la Loi ne pouvait pas être appliquée à l’encontre de M. Taylor parce que cela était contraire au principe de l’application régulière de la loi et contrevenait aux droits garantis par les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits et par l’article 7 de la Charte :

¶249 Le simple fait que la perte automatique de la citoyenneté ait été « prescrite par une règle de droit » ne signifie pas qu’elle respecte davantage le principe de l’application régulière de la loi si elle peut avoir comme conséquence de priver une personne de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne (voir Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité). La loi ou le règlement devrait prévoir une forme d’avis approprié qui soit donné à la personne concernée. Toutefois, ce n’est pas le rôle de la Cour de corriger les lacunes actuelles et passées des lois ou des règlements. Il suffit de déclarer que la perte automatique de la citoyenneté ne pouvait pas et ne peut toujours pas être appliquée à l’encontre du demandeur parce qu’elle était et continue d’être contraire au principe de l’application régulre de la loi et qu’elle contrevient aux droits garantis par les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration des droits ainsi que par l’article 7 de la Charte.

 

[Non souligné dans l’original.]

[12]           Le défendeur a déposé un avis d’appel à l’encontre de la décision Taylor et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale n’a pas encore été rendu. Pour les besoins de la présente requête, il n’est pas nécessaire de trancher de manière décisive si le demandeur a droit à la citoyenneté canadienne malgré les dispositions de la Loi sur la citoyenneté qui visent à lui interdire le droit à la citoyenneté parce que le fait de sa naissance n’a pas été inscrit dans le délai prescrit. Les parties font également savoir que le demandeur a présenté une demande de preuve de citoyenneté et que le défendeur a prescrit des « directives intérimaires » qui interdisent les décisions en matière de citoyenneté dans les cas tels que celui du demandeur, dans l’attente de l’issue de la requête adressée à la Cour d’appel fédérale pour obtenir un sursis dans la décision Taylor de la Cour fédérale. En effet, la situation du demandeur sur le plan de la citoyenneté et, par conséquent, la validité de la mesure d’expulsion prise contre lui, demeurent en suspens en raison de facteurs hors de son contrôle.

Analyse

[13]           Trois conditions doivent être remplies pour obtenir une ordonnance de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi : il existe une question sérieuse que la Cour doit trancher; la partie qui demande le sursis subirait un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé; la prépondérance des inconvénients doit jouer en faveur de la partie qui demande le sursis de sorte qu’elle subira le préjudice le plus grave par suite du refus d’accorder le sursis : Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1988] A.C.F. n° 587; 86 N.R. 302; 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.).

Question sérieuse

[14]           À mon avis, l’argument du demandeur est fondé. De toute façon, le demandeur a soulevé une question sérieuse comme l’exige le critère à trois volets permettant d’accorder un sursis en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales. Si le demandeur est citoyen du Canada, il s’ensuit nécessairement que la mesure d’expulsion est invalide.

Préjudice irréparable

[15]           Le préjudice irréparable immédiat que fait valoir le demandeur est que la mesure d’expulsion dont il fait l’objet l’a empêché d’être admissible à la semi-liberté accélérée et à l’absence temporaire sans escorte, auxquelles il aurait autrement eu droit en vertu du paragraphe 128(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 :

Conséquences de la libération conditionnelle ou d’office et permission de sortir sans escorte

Mesure de renvoi

128. […]

 (4) Malgré la présente loi ou la Loi sur les prisons et les maisons de correction, l’admissibilité à la libération conditionnelle totale de quiconque est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est préalable à l’admissibilité à la semi-liberté ou à l’absence temporaire sans escorte.

Effect of Parole, Statutory Release or Unescorted Temporary Absence

 

Removal order

128. […]

 (4) Despite this Act or the Prisons and Reformatories Act, an offender against whom a removal order has been made under the Immigration and Refugee Protection Act is ineligible for day parole or an unescorted temporary absence until the offender is eligible for full parole.

 

 

[16]           Le demandeur soutient également qu’en raison de la mesure d’expulsion, les autorités pénitentiaires ont réévalué son niveau de sécurité qui est passé de sécurité minimale à sécurité moyenne, ce qui a empêché son transfèrement à l’établissement à sécurité minimale de Riverbend.

[17]           J’estime que l’exécution de la mesure d’expulsion constitue un préjudice irréparable pour le demandeur. En particulier, s’il réussit à établir sa citoyenneté, l’exécution de la mesure d’expulsion porterait atteinte prima facie au droit que lui reconnaît l’article 6 de la Charte d’entrer et de demeurer au Canada. Le défendeur soutient qu’il y a absence de préjudice irréparable du fait que la date d’exécution de la mesure d’expulsion n’a pas été fixée et il prétend que la requête a été présentée prématurément. Je ne suis pas de cet avis. La mesure d’expulsion qui a été prise a entraîné une conséquence grave pour le demandeur, soit son inadmissibilité automatique à la semi-liberté à laquelle il aurait autrement été admissible. Il ne suffit pas de répondre, comme l’a fait valoir le défendeur, que des dommages-intérêts peuvent indemniser le demandeur pour toute incarcération illicite potentielle dans le cas où la mesure d’expulsion serait déclarée invalide. La perte de liberté d’une personne ne peut pas toujours être adéquatement compensée par des dommages-intérêts. Je suis convaincu que les circonstances donnent lieu à un préjudice irréparable pour le demandeur advenant le cas où le sursis serait refusé.

Prépondérance des inconvénients

[18]           Le sursis à la mesure d’expulsion entraîne un préjudice minimal pour le défendeur. Le demandeur vit au Canada depuis 59 ans. J’estime que la prépondérance des inconvénients joue en faveur du demandeur.

Conclusion

[19]           Pour les motifs qui précèdent, la requête est accueillie. Une ordonnance intérimaire sursoyant à la mesure d’expulsion jusqu’à la décision finale sur la demande de contrôle judiciaire sous-jacente sera prononcée. De plus, comme en ont convenu les parties, l’intitulé de la cause sera modifié pour que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit désigné comme l’autorité responsable.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Il est sursis à la mesure d’expulsion prise contre le demandeur jusqu’à la décision sur la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

2.                  L’intitulé de la cause est modifié pour que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit désigné comme défendeur au lieu du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       IMM-5373-06

 

INTITULÉ :                                                      Robert Gene ClarK

                                                                           c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              Le 15 décembre 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 18 décembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Veeman

 

POUR LE DEMANDEUR

Glennys Bembridge

Crystal Warde

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roe & Company

313-220, 3e Avenue Sud

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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