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Date : 20061220

Dossier : T-516-06

Référence : 2006 CF 1536

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

MING ZHAO

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision du 24 janvier 2006 (la décision) par laquelle un juge de la citoyenneté a refusé d’accorder au demandeur la citoyenneté canadienne au motif que ce dernier ne satisfaisait pas à la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur a quitté la Chine et est arrivé au Canada le 23 octobre 2000 en tant que résident permanent. Il a tout d’abord vécu à Toronto. À cette époque, son épouse est allée aux États-Unis pour terminer ses études supérieures. En mai 2001, le demandeur a été admis à l’Université de Windsor pour y suivre ses études de baccalauréat.

 

[3]               En août 2001, l’épouse du demandeur a terminé ses études supérieures et est revenue vivre à Toronto.

 

[4]               En septembre 2001, le couple a déménagé à Windsor (Ontario) afin que le demandeur puisse fréquenter l’Université de Windsor. Son épouse est entrée au service du bureau de Deloitte Consulting, à Détroit. Elle a fait tous les jours la navette entre Windsor et Détroit, et elle a travaillé à cet endroit jusqu’en février 2002. Pendant environ un mois, le demandeur l’a conduite au travail. Il soutient que des timbres étaient parfois apposés dans son passeport pour ces déplacements, même si ceux-ci étaient d’une durée de moins d’une heure. En novembre 2001, le couple s’est installé dans un appartement à Windsor, d’où l’épouse a pu prendre l’autocar jusqu’à Détroit.

 

[5]               En juin 2002, l’épouse du demandeur est rentrée en Chine pour prendre soin de son père malade et, après le décès de ce dernier, pour vivre avec sa mère.

 

[6]               Le demandeur a obtenu son baccalauréat de l’Université de Windsor en juin 2002 et, en juillet 2002, il a déménagé à Toronto, où il a vécu jusqu’en août 2003.

 

[7]               En septembre 2002, son épouse a obtenu un emploi au bureau d’Accenture Consulting à Beijing (Chine) et elle a commencé à travailler dans cette ville.

 

[8]               En janvier 2003, le demandeur a rendu visite à sa famille en Chine pendant une période d’environ un mois.

 

[9]               En mars 2003, le demandeur a trouvé un emploi dans une usine de fabrication de moteurs Honda à Windsor.

 

[10]           En mai 2003, l’épouse du demandeur est venue au Canada pour 10 jours.

 

[11]           En août 2003, le demandeur a commencé ses études supérieures à Pittsburgh (Pennsylvanie, États-Unis), à l’Université Carnegie-Mellon. Chaque fois qu’il avait un congé, dit-il, il retournait à Windsor ou à Toronto. Son épouse lui a de nouveau rendu visite en décembre 2003, pour Noël.

 

[12]           Après avoir obtenu sa maîtrise, le demandeur est retourné à Toronto en août 2004.

 

[13]           En septembre 2004, le demandeur est retourné à Pittsburgh pour y suivre une formation en génie logiciel et il est revenu après 10 jours.

 

[14]           Le demandeur a demandé la citoyenneté canadienne le 23 octobre 2004; il a indiqué dans sa demande qu’il ne s’était absenté du pays que 360 jours pendant la période de quatre ans applicable. Il est retourné à Pittsburgh pour y suivre un autre cours en génie logiciel et a demandé de suivre un cours facultatif offert par l’Université Carnegie-Mellon.

 

[15]           En juin 2005, le demandeur et son épouse ont divorcé.

 

[16]           En juillet 2005, le demandeur est revenu à Toronto pour travailler, et c’est là qu’il vit depuis ce temps.

 

[17]           L’audience relative à sa demande de citoyenneté a eu lieu en septembre 2005, et le demandeur s’est vu refuser la citoyenneté le 24 janvier 2006.

 

LA DÉCISION

 

[18]           Le juge de la citoyenneté a conclu que lorsqu’il existe des circonstances spéciales ou exceptionnelles, il n’est pas nécessaire que le demandeur soit physiquement présent au pays pendant la totalité des 1 095 jours que prescrit la Loi. Par contre, a-t-il estimé, une absence trop longue du Canada, même temporaire, pendant le délai minimal prévu par la Loi est contraire à l’objet des conditions de résidence. Il a conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves à l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle ce dernier avait résidé au Canada pendant la période qu’exige l’alinéa 5(1)c), et ce, pour les trois raisons suivantes :

 

a)                  le demandeur n’a fourni qu’une preuve d’emploi de trois mois pendant toute la période requise;

b)                  les documents émanant du ministère de la Santé et des Soins de longue durée (le « dossier de santé ») que le demandeur a fournis faisaient état de peu d’activité (dont plusieurs longues périodes d’inactivité entre deux périodes d’activité);

c)                  il y a eu de nombreuses opérations dans le compte en devises américaines du demandeur.

 

Le juge de la citoyenneté a également déclaré de façon générale que [traduction] « malheureusement, vous n’avez pas fourni suffisamment de preuves que vous résidiez physiquement au Canada pendant la période applicable de 4 ans ».

 

[19]           Le juge de la citoyenneté a examiné de plus s’il convenait d’appliquer les paragraphes 5(3) et (4) de la Loi, mais il a noté que le demandeur n’avait fourni aucun élément à l’appui d’une telle recommandation et il a refusé d’en formuler une.

 

[20]           Le juge de la citoyenneté a également mentionné dans ses motifs que le demandeur n’avait pas de liens familiaux au Canada.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[21]           Le présent appel soulève trois questions :

 

1.                  Quelle est l’étendue du dossier disponible pour examen au stade du contrôle?

2.                  Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision du juge de la citoyenneté selon laquelle il n’y avait pas assez de preuves pour conclure que le demandeur avait résidé au Canada pendant la période requise?

3.                  Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas assez de preuves pour établir que le demandeur avait résidé au Canada pendant la période requise?

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

 

[22]           Le demandeur soutient qu’il y a suffisamment de preuves à l’appui de sa prétention selon laquelle il a résidé au Canada pendant la période requise et que, compte tenu des circonstances, les trois principales raisons qu’a invoquées le juge de la citoyenneté pour rejeter sa demande de citoyenneté sont déraisonnables.

 

[23]           Premièrement, le demandeur fait valoir qu’en tant que nouvel immigrant il a eu de la difficulté à trouver un emploi, surtout quand il a dû passer près de deux ans à l’université pendant ses quatre premières années de vie au Canada. Il a passé le reste du temps à chercher du travail et à préparer ses périodes d’études.

 

[24]           Quant au manque d’activité relevé dans son dossier de santé, il soutient qu’il était en bonne santé et avait rarement besoin de consulter un médecin.

 

[25]           Enfin, dit-il, les opérations relevées dans son compte bancaire en devises américaines sont raisonnables eu égard aux circonstances suivantes :

a.                   il n’a d’abord amené que de l’argent américain au Canada et devait donc le changer souvent;

b.                  son épouse travaillait pour une entreprise des États-Unis et était rémunérée en dollars américains, déposés dans leur compte en devises américaines;

c.                   les dépôts faits en mai 2003 et en janvier 2004 sont des sommes d’argent que son épouse a amenées avec elle lors de ses visites; ces sommes ont été utilisées en août 2003 et en janvier 2004 sous forme de traites en devises américaines pour payer ses études supérieures;

d.                  en dernier lieu, comparativement à son compte en devises canadiennes, son compte en devises américaines fait état de peu d’opérations.

 

Le défendeur

 

Objection préliminaire – Le dossier soumis à la Cour

 

[26]           Le défendeur soutient que plusieurs pièces jointes au dossier de demande contiennent des documents qui n’ont pas été fournis au juge de la citoyenneté : les pièces B à F, des parties des pièces G et H, la totalité des pièces I et J, ainsi que des parties des pièces K, M et O. Selon le défendeur, il ressort de la jurisprudence applicable qu’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) n’entraîne pas une nouvelle audition et que, dans le présent appel, la Cour n’est autorisée à prendre en compte que le dossier certifié. Les nouveaux éléments de preuve et les observations connexes ne sont donc pas admissibles.

 

La norme de contrôle

 

[27]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

Le bien-fondé de la demande

 

[28]           Le défendeur signale qu’il incombe au demandeur de convaincre le juge de la citoyenneté qu’il répond aux conditions de la Loi, y compris la condition de résidence. Le mot « résidence » n’est pas défini au paragraphe 2(1) de la Loi mais, d’après la jurisprudence, pour pouvoir compter une année d’absence durant la période requise de quatre ans, il faut qu’il y ait eu une présence physique importante au Canada. Le critère de la résidence est formulé de différentes façons, mais, selon la jurisprudence, le demandeur doit montrer à l’aide de faits objectifs qu’il a établi initialement sa résidence au Canada et qu’il a maintenu celle-ci pendant toute la période applicable.

 

[29]           Pour ce qui est des observations du demandeur sur les périodes d’inactivité relevées dans son dossier de santé, le défendeur fait remarquer que le demandeur a eu recours au système de soins de santé pour divers maux à 10 occasions distinctes, mais qu’il y a d’importantes périodes d’inactivité, dont une de 9 mois, deux de 8 mois, deux de 4 mois et une de 2 mois.

 

[30]           Le défendeur soutient aussi qu’un minimum d’emploi ou l’absence d’emploi est un facteur pertinent pour déterminer si la personne satisfait ou non à la condition de résidence, surtout lorsque l’absence d’emploi n’est pas le seul facteur.

 

[31]           Le défendeur soutient enfin qu’il ressort du dossier certifié que le demandeur a fourni au juge de la citoyenneté très peu de preuves sur les opérations menées dans son compte en devises canadiennes, et que ce n’est que maintenant qu’il explique les opérations de son compte en devises américaines. Vu le manque de preuves soumises au juge de la citoyenneté sur ce point, le demandeur ne peut pas réfuter les conclusions du juge.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[32]           La décision d’attribuer ou non la citoyenneté est confiée à un juge de la citoyenneté nommé par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 26 de la Loi. Les conditions à remplir pour obtenir la citoyenneté sont énoncées à l’article 5 de la Loi. La période de résidence est l’une de ces conditions et elle est régie par l’alinéa 5(1)c) :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

[…]

 

[…]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner :

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[...]

[…]

 

[33]           L’article 14 de la Loi décrit le processus d’évaluation. Le processus d’appel d’une décision du juge de la citoyenneté est prévu au paragraphe 14(5) :

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées en vue de :

 

14. (1) An application for

 

a) l’attribution de la citoyenneté, au titre du paragraphe 5(1);

 

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1),

 

b) la conservation de la citoyenneté, au titre de l’article 8;

 

(b) a retention of citizenship under section 8,

 

c) la répudiation de la citoyenneté, au titre du paragraphe 9(1);

 

(c) a renunciation of citizenship under subsection 9(1), or

 

d) la réintégration dans la citoyenneté, au titre du paragraphe 11(1).

 

(d) a resumption of citizenship under subsection 11(1)

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

 

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

 

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefore.

 

[…]

 

[…]

 

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

 

(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

 

a) de l’approbation de la demande;

 

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

 

 

 

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

 

[34]           Aux termes de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, la Cour fédérale a compétence exclusive pour entendre les appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi. L’alinéa 300c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) dispose que les appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi doivent être instruits comme s’il s’agissait d’une demande.

 

ANALYSE

 

Quelle est l’étendue du dossier disponible pour examen au stade du contrôle?

[35]           Selon l’alinéa 300c) des Règles, l’appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté qui est interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi est instruit comme s’il s’agissait d’une demande. Dans l’ancien système, il s’agissait d’un nouveau procès, et le demandeur avait le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve. Cependant, il a été conclu dans plusieurs décisions qu’un appel comme celui dont je suis saisi en l’espèce ne peut être instruit que sur la foi du dossier soumis au juge de la citoyenneté. Voir, par exemple, la décision du juge Rothstein dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chan (1998), 150 F.T.R. 68, 44 Imm. L.R. (2d) 23, au paragraphe 3 (C.F. 1re inst.) et celle du juge Rouleau dans Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1210, au paragraphe 2 (C.F. 1re inst.) (QL). Voir aussi la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hung (1998), 47 Imm. L.R. (2d) 182, [1998] A.C.F. no 1927,au paragraphe 8 (C.F. 1re inst.) (QL), dans laquelle le juge Rouleau conclut explicitement qu’aucun nouvel élément de preuve ne doit être soumis à la Cour. Enfin, le juge de Montigny fait renvoi à toutes ces affaires dans une décision récente : Lama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 461, au paragraphe 21, où il conclut que seule la preuve soumise au juge de la citoyenneté peut être prise en compte dans le cadre d’un appel.

 

[36]           Il semble donc que le demandeur n’a le droit de se fonder que sur la preuve fournie dans le dossier certifié et que tous renseignements additionnels qu’il a inclus dans son dossier de demande à la Cour doivent être radiés. Cela signifie que l’on ne peut pas prendre en considération les relevés de téléphone cellulaire, les relevés d’appels téléphoniques locaux et interurbains, les relevés d’Internet et les relevés de paiements des services publics du demandeur. En outre, la Cour ne peut prendre en considération les documents concernant le compte en devises canadiennes, le compte en devises américaines, le compte Visa, ainsi que les activités scolaires et professionnelles du demandeur qui s’ajoutent aux informations fournies au juge de la citoyenneté. Au vu des observations qui ont été faites en l’espèce par le demandeur ainsi que par l’avocat du défendeur, il m’apparaît que c’est principalement à cause d’un dossier incomplet que le demandeur a eu de la difficulté à prouver sa résidence d’une manière satisfaisante pour le juge de la citoyenneté. Le demandeur a immigré au pays depuis un temps relativement court, son anglais n’est pas parfait et il ne semble pas avoir saisi le besoin de s’acquitter du fardeau de présenter au juge de la citoyenneté un tableau complet de sa situation; il a pensé qu’il pouvait se fier au juge pour demander les informations nécessaires. Cela est regrettable, car je crois qu’un dossier complet aurait présenté un tableau fort différent au juge de la citoyenneté.

 

Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

 

[37]           De façon générale, il ressort de la jurisprudence que la décision d’un juge de la citoyenneté est de nature administrative. Ainsi, par suite de la décision rendue dans l’arrêt Canada (Direction des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, 209 N.R. 20, l’appel prévu au paragraphe 14(5) de la Loi est assujetti à une analyse pragmatique et fonctionnelle de même qu’aux normes de contrôle correspondantes.

 

[38]           Par ailleurs, il ressort clairement de la majeure partie de la jurisprudence que le paragraphe 14(5) prévoit la tenue d’un appel et non l’exercice d’un contrôle judiciaire, et ce, même si les procédures sont introduites par voie de demande aux termes de l’article 300 des Règles. Comme l’a indiqué le juge Pinard dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sun (2000), 191 F.T.R. 62, [2000] A.C.F. no 812, au paragraphe 2 (C.F. 1re inst.), la seule importance qu’il convient d’attribuer au fait que l’appel est introduit par voie de demande est que les appels interjetés en vertu de la Loi sont instruits d’un point de vue procédural de la même façon qu’une demande de contrôle judiciaire. Le juge Lutfy (alors juge puîné) a également abondé dans ce sens dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, [1999] A.C.F. no 410 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9. Même s’il existe des décisions dans lesquelles il a été considéré que le mandat de la cour, aux termes du paragraphe 14(5) de la Loi, est de procéder à un contrôle judiciaire (voir par exemple Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobvin (2000), 190 F.T.R. 102, 10 Imm. L.R. (3d) 302, au paragraphe 43), il semble que l’opinion prédominante soit que j’ai affaire à un appel prévu par la loi.

 

[39]           Une grande partie de la jurisprudence dans ce domaine s’articule autour de l’interprétation juste du terme « résidence » figurant à l’alinéa 5(1)c), ce qui a entraîné des divergences de point de vue. Dans les décisions Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85, au paragraphe 6, et Morales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), Imm. L.R.(3d) 284, 2005 CF 778, au paragraphe 6, la Cour a conclu que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une décision fondée sur les conditions de résidence est celle de la décision raisonnable. Dans la décision Chen, le juge Phelan a fait mention de plusieurs causes récentes où l’on est arrivé à cette conclusion. Dans la décision Morales, le juge Shore a expliqué que la question de savoir si une personne satisfait à la condition de résidence prévue par la Loi est une question mixte de fait et de droit et qu’il convient de faire preuve d’une certaine retenue à l’égard des décisions des juges de la citoyenneté en raison de leurs connaissances et de leur expérience particulières.

 

[40]           En fait, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472, au paragraphe 7, le juge MacKay expose les facteurs de l’approche pragmatique et fonctionnelle en concluant que la norme appropriée est celle de la décision raisonnable :

À mon avis, à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la décision raisonnable simpliciter, mais la Cour n’a pas à faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision du juge de la citoyenneté. Cette norme tient à l’appréciation de la situation, y compris la disposition de la Loi qui permet d’interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté, à la nature de la question à juger lorsqu’on est en présence d’une question de droit et de fait dans laquelle l’application du droit est plus importante que la détermination des faits, et à l’expertise de la Cour relativement à celle du juge de la citoyenneté lorsqu’il s’agit de trancher des questions où l’application de la loi prévaut.

 

 

[41]           De la même façon, dans Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005) 40 Imm. L.R. (3d) 259, 2005 CF 861, aux paragraphes 10 à 13, le juge Mosley s’est reporté à la décision qu’il avait rendue dans Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1752, où il a conclu que la question de savoir si une personne a satisfait à la condition de résidence prévue par la Loi est une question mixte de fait et de droit et que les décisions des juges de la citoyenneté appellent une certaine retenue car ces derniers ont l’expérience et la connaissance des affaires qui leur sont soumises. Il a donc conclu que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. C’est ce que confirme aussi la décision de la juge Snider dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693.

 

[42]           Par contre, il a été conclu dans un certain nombre de décisions que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte. Ces décisions suivent le raisonnement exposé dans la décision Lam, précitée, au paragraphe 33, où le juge Lutfy (alors juge puîné) a déclaré que l’interprétation appropriée de l’alinéa 5(1)c) doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte, mais que lorsqu’un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l’alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. Il convient de faire preuve de retenue envers les connaissances et l’expérience particulières du juge de la citoyenneté.

 

[43]           Aux paragraphes 18 à 31 de la décision Lam, le juge Lutfy examine lui aussi en détail les facteurs qui s’appliquent à une analyse pragmatique et fonctionnelle. Il fait remarquer, au sujet du premier facteur, que  le droit d’appel conféré par la Loi est exhaustif et non subordonné à une autorisation, et que la décision du juge de la Cour fédérale n’est pas susceptible d’appel. Cela suggère un faible degré de retenue. Deuxièmement, aux termes du paragraphe 26(1) de la Loi, tout citoyen peut être nommé juge de la citoyenneté. Rien n’est mentionné au sujet d’un processus de présélection. Ce facteur dénote lui aussi un faible degré de retenue. Le juge Lutfy exprime l’avis qu’un juge de la citoyenneté a la même « expertise relative » pour déterminer si la condition de résidence a été remplie. Troisièmement, l’objet de la Loi est exposé dans les exigences et les procédures de demande relatives à la citoyenneté. Le fait que le législateur a délégué l’évaluation initiale à un tribunal administratif peut dénoter qu’une norme autre que celle de la décision correcte s’impose. Enfin, le juge Lutfy conclut également que la question de savoir si un demandeur satisfait aux conditions de résidence prévues pour obtenir la citoyenneté est une question mixte de fait et de droit. Il conclut son analyse comme suit, au paragraphe 31 :

 

En l'espèce, les facteurs objectifs ayant trait au rôle du juge de la citoyenneté appelé à se prononcer sur la condition en matière de résidence exigent une retenue plus grande que la norme de la décision correcte. Comme le juge de la citoyenneté est saisi d'une question de fait et de droit, la norme, encore une fois en termes objectifs, peut aller jusqu'à la décision déraisonnable simpliciter. J'hésite toutefois à tirer une conclusion aussi définitive dans l'état actuel des choses.

[Non souligné dans l’original.]

 

Bien qu’il ait appliqué la norme de la décision correcte dans la décision Lam, le juge Lutfy a néanmoins considéré qu’il était possible dans certains cas que la norme de contrôle applicable soit peut-être davantage celle de la décision raisonnable. Voir aussi Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002) 20 Imm. L.R. (3d) 104, 2002 CFPI 346.

 

[44]           Plus récemment, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xiong, (2004) 38 Imm. L.R. (3d) 316, 2004 CF 1129, au paragraphe 12, le juge Phelan a appliqué la norme de la décision correcte. Cependant, selon le juge Phelan dans la décision Chen, cette décision ne consiste pas à savoir si la condition de résidence a été remplie; elle est plutôt fondée sur le principe qu’un juge de la citoyenneté doit déterminer, en premier lieu, si un demandeur a établi sa résidence et, en second lieu, s’il a maintenu cette résidence (il est question plus loin de ce critère à deux volets). Omettre de déterminer l’un ou l’autre de ces deux aspects est une erreur de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

 

[45]           En résumé, il semble que la Cour tend à privilégier la norme de la décision raisonnable. Selon moi, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’application des facteurs que comporte l’analyse pragmatique et fonctionnelle conduit au même résultat. Le juge de la citoyenneté déclare que la preuve est insuffisante pour étayer la demande de citoyenneté, mais il signale aussi qu’il a pris en considération la manière plus souple d’interpréter la résidence et qu’il lui a été impossible de conclure que le demandeur satisfaisait à cette norme, ce qui sous-entend qu’il a pris en compte l’interprétation juridique de la résidence et qu’il l’a appliquée aux faits de l’espèce. Cela semble constituer une question mixte de fait et de droit, ce qui implique une certaine retenue, mais non une retenue complète. Les autres facteurs demeurent en grande partie inchangés par rapport à l’analyse qui a été faite plus tôt. Étant donné que certains facteurs appellent une certaine retenue et d’autres moins, je conclus que la norme appropriée est celle de la décision raisonnable.

 

Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas assez de preuves pour établir que le demandeur avait résidé au Canada pendant la période requise?

 

[46]           Selon la décision Maharatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 405, au paragraphe 5 (1re inst.)(QL), il incombe au demandeur de convaincre le juge de la citoyenneté qu’il a été présent au Canada pendant la période exigée par la Loi. On note dans la jurisprudence des points de vue divergents quant au critère à appliquer pour déterminer si la condition de la résidence a été remplie.

 

[47]           Le juge de la citoyenneté déclare ce qui suit : [traduction] « Après avoir examiné avec soin la totalité de la documentation que vous avez fournie, j’ai conclu que vous ne répondez pas à la condition que prévoit l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté ». Le juge signale les trois secteurs lacunaires mentionnés plus tôt. Il ajoute ensuite : [traduction] « malheureusement, vous n’avez pas fourni suffisamment de preuves que vous résidiez physiquement au Canada pendant la période applicable de 4 ans ». Il signale également ce qui suit :

 

[traduction] Selon une certaine jurisprudence de la Cour fédérale, il n’est pas obligatoire que le demandeur de la citoyenneté ait été physiquement présent au pays pendant la période entière de 1 095 jours lorsqu’il y a des circonstances spéciales ou exceptionnelles. Cependant, je suis d’avis qu’une trop longue absence du Canada, même temporaire, durant la période minimale de résidence prescrite par la Loi, comme c’est le cas en l’espèce, est contraire à l’objet des conditions de résidence de la Loi.

 

 

[48]           D’après la lettre fournie par le juge de la citoyenneté pour exposer son raisonnement, il semble que ce dernier a pris en considération la jurisprudence divergente de la Cour au sujet du critère juridique de la résidence, qu’il a retenu l’approche plus souple et qu’il l’a appliquée pour conclure que, vu l’insuffisance de preuves produites, les circonstances du demandeur donnaient à penser que celui-ci ne répondait pas à ce critère. Pour cette raison, il est nécessaire de traiter brièvement de la jurisprudence divergente de la Cour et d’examiner ensuite l’application des faits de l’espèce à cette jurisprudence.

 

[49]           La résidence n’est pas un terme défini de la Loi. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale, l’établissement de la résidence est essentiellement un processus à deux volets : Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 447, au paragraphe 13. Le premier volet est une décision préliminaire qui porte sur la question de savoir si – et quand – la résidence a été établie. Si cette condition préliminaire est remplie, le second volet consiste à déterminer si la période de résidence du demandeur correspond au nombre total de jours exigé par la Loi. La divergence d’opinions que l’on relève au sein de la Cour fédérale a trait à ce second volet. En l’espèce, il ne semble pas que le juge de la citoyenneté ait considéré que le premier volet posait un problème. Le demandeur a obtenu le droit d’établissement au Canada le 23 octobre 2000. Bien qu’il n’ait pas fourni de preuves démontrant qu’il a résidé au Canada entre la date où il a obtenu le droit d’établissement et le début de l’année 2001, il ne semble pas y avoir non plus de preuves dans son passeport qu’il a quitté le pays au cours de cette période. L’élément litigieux de la demande du demandeur semble être le fait de savoir si ce dernier satisfait au second élément du critère, c’est-à-dire la durée de résidence.

 

[50]           La Cour fédérale a établi trois critères généraux, et un juge de la citoyenneté peut adopter et appliquer celui des trois qu’il choisit, pourvu que cela soit fait correctement : So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 733, au paragraphe 29. Selon le premier critère, une personne ne peut résider en un lieu où elle n’est pas physiquement présente. Il est donc nécessaire qu’un éventuel citoyen fasse la preuve qu’il a été physiquement présent au Canada pendant la période exigée. Cette condition résulte de la décision rendue dans Re Pourghasemi (1993), 60 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259, au paragraphe 3 (C.F. 1re inst.), où le juge Muldoon souligne à quel point il est important qu’un éventuel nouveau citoyen s’intègre dans la société canadienne. Deux autres critères opposés représentent une approche plus souple à l’égard de la résidence. Premièrement, dans la décision Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3d) 243 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow a conclu que la notion de résidence implique plus qu’un simple calcul de jours. Il a conclu que la résidence dépend de la mesure dans laquelle une personne, en pensée ou en fait, s’établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances. La question consiste donc à savoir si les liens qu’a le demandeur dénotent que le Canada est son chez-soi, indépendamment de ses absences du pays.

 

[51]           Le juge Reed a décrit la troisième approche qui, en fait, n’est qu’une extension du critère formulé par le juge Thurlow. Dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 59 F.T.R. 27 (C.F. 1re inst.), le juge Reed conclut que la question dont la Cour est saisie consiste à savoir si le Canada est le pays dans lequel un requérant a centralisé son mode d’existence. Il faut à cette fin  prendre plusieurs facteurs en considération :

 

1.                  Le requérant était-il été physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2.                  Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3.                  La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu’il n’est qu’en visite?

4.                  Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5.                  L’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

6.                  Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

Le principe général est que la qualité de la résidence au Canada doit être plus importante qu’ailleurs. Voir aussi Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 21 Imm. L.R. (3d) 104, 2002 CFPI 346.

 

[52]           Dans la présente espèce, le juge de la citoyenneté a évalué les éléments de preuve que le demandeur a fournis et a conclu que ces derniers étaient insuffisants pour étayer sa prétention selon laquelle il avait résidé au pays pendant la période requise, et ce, pour trois raisons : a) très  peu de preuves d’emploi; b) des périodes d’inactivité dans son dossier de santé; c) de nombreuses opérations dans son compte en devises américaines. Le juge de la citoyenneté a conclu que la présence physique n’était pas nécessaire mais que, au vu des faits de l’espèce, il n’y avait aucune circonstance spéciale qui justifierait une conclusion de résidence.

 

L’absence de preuves d’emploi

 

[53]           Dans le dossier certifié, il y a des preuves qui étayent l’argument du demandeur selon lequel il a fréquenté l’université pendant environ deux ans. Voir, par exemple, les pages 57, 70, 71, 86 et 88 du dossier certifié du tribunal. Le demandeur ne nie pas qu’il n’a travaillé que trois mois, mais il a fourni des preuves à l’appui de sa prétention selon laquelle il étudiait. Il n’y a rien à l’alinéa 5(1)c) qui prévoit que, pour être résident, il faut que le demandeur ait un emploi. En fait, il ressort de la preuve du demandeur que ce dernier a fréquenté l’Université de Windsor depuis l’automne 2001 jusqu’à l’été 2002, et cela étaye sa prétention selon laquelle il a résidé au Canada durant cette période. De la même façon, les documents qu’il fournit pour montrer qu’il a étudié à Pittsburgh corroborent ses explications de ses absences du pays.

 

Peu d’activité d’après le ministère de la Santé et des Soins de longue durée

 

[54]           À mon avis, l’explication du demandeur à cet égard est tout à fait raisonnable. Il était déraisonnable pour le juge de la citoyenneté de conclure en partie que le demandeur ne résidait pas au Canada parce qu’il y avait des périodes d’inactivité dans son dossier médical. Il était déraisonnable aussi de conclure que la présence de périodes d’inactivité dans les déclarations médicales d’une personne dénote que cette dernière n’était pas présente au pays. Comme le reconnaît le défendeur, le demandeur n'a eu recours au système de soins de santé qu’à dix occasions distinctes. Selon moi, le recours aux services de santé n’est pas assez concentré pour que l’on puisse inférer que des périodes d’inactivité sur le plan des soins de santé sont assimilables à des absences du pays.

 

De nombreuses opérations dans le compte en devises américaines

 

[55]           Le demandeur a expliqué ces opérations de manière crédible. Malheureusement, une bonne part des éléments qui étayeraient sa prétention, y compris l’offre d’emploi de son épouse et ses relevés bancaires canadiens, ne peuvent pas être considérés comme des éléments de preuve dans la présente demande car ils n’ont pas été fournis au juge de la citoyenneté. Cependant, le fait qu’il étudiait à Pittsburgh (cette preuve a été soumise au juge de la citoyenneté) étaye l’explication du demandeur au sujet des traites bancaires d’un montant élevé.

 

Examen global de la preuve

 

[56]           Pour ce qui est du caractère suffisant de la preuve considérée dans sa totalité, il est vrai qu’il y a des lacunes dans le dossier. Le demandeur a quelques justificatifs concernant des baux. Son passeport ne comporte pas beaucoup de déplacements inexpliqués. Il peut prouver qu’il a fréquenté l’Université de Windsor et il a toujours produit ses déclarations de revenus. Il a fourni son passeport complet, de même que ses dossiers de santé, une copie de ses permis de conduire canadien et américain et son numéro d’assurance sociale. Les observations qu’il a faites en faveur de sa demande de citoyenneté sont cohérentes et sincères. Cependant, bien que les éléments de preuve fournis ne permettent pas de conclure que le demandeur a été présent au Canada pendant la totalité de la période requise sauf 360 jours, le juge de la citoyenneté semble s’être trompé, selon moi, en ne concluant pas que le demandeur satisfaisait quand même à la condition de résidence après avoir dûment examiné les éléments de preuve à sa disposition et utilisé l’approche souple à l’égard de la résidence qu’il semble avoir retenue dans son raisonnement. En ce qui concerne les six facteurs énumérés dans la décision Koo, je suis d’avis que le demandeur a démontré qu’il a centralisé son mode de vie au Canada.

 

[57]           Si l’on examine brièvement les facteurs énumérés dans la décision Koo, il est vrai que le demandeur n'a pas de famille au Canada. Cependant, il n’est retourné à Taïwan qu’une seule fois depuis son départ de ce pays. Il est divorcé et n’a pas d’enfants, de sorte que ses parents et son frère sont sa famille la plus proche. Les voyages qu’il a faits semblent indiquer qu’il ne quitte le Canada que temporairement et qu’il y revient parce qu’il s’agit de son chez-soi. La preuve étaye également son affirmation selon laquelle il a séjourné au Canada durant de longues périodes, même s’il n’atteint pas le nombre requis de jours, et sa période d’absence la plus longue avait pour but la poursuite de ses études. Enfin, ses attaches avec le Canada semblent plus importantes que celles qu’il peut avoir avec tout autre pays. Rien ne montre qu’il a travaillé aux États-Unis ou à Taïwan, ou qu’il a essayé de s’établir à l’extérieur du Canada.

 

[58]           Le demandeur a constitué un important dossier de documentation qui, même s’il est inadmissible aux fins de la présente demande pour les motifs indiqués, sera d’une grande utilité lorsque l’on réexaminera cette affaire.

 

[59]           La Cour reconnaît qu’il incombe au demandeur d’établir qu’il satisfait aux exigences de la Loi. Cependant, je crois qu’il y a bel et bien eu une erreur susceptible de révision en l’espèce car les facteurs sur lesquels la décision a été axée ont été décontextualisés dans une mesure déraisonnable.

 

[60]           Par exemple, lorsqu’il a décidé d’examiner les opérations dans les comptes bancaires, le juge de la citoyenneté n’a demandé que les relevés américains. En ce qui concerne le travail, le juge a fait remarquer qu’il n’y avait eu que trois mois d’emploi au Canada, sans situer ce fait dans le contexte global de ce qui figurait dans le dossier : le demandeur avait immigré depuis peu de temps au pays, ses compétences linguistiques étaient assez faibles, il n’était pas en mesure de trouver du travail et il s’était empressé de s’instruire de la manière la plus efficace possible afin de devenir un membre à part entière de la communauté canadienne. Le Canada a toujours été le centre d’intérêt du demandeur.

 

[61]           On commettra une injustice en l’espèce si l’affaire n’est pas réexaminée et si le demandeur ne se voit pas donner l’occasion de présenter un dossier complet afin de démontrer qu’il est bel et bien admissible en vertu de la Loi. Je suis conscient qu’il est déjà arrivé que la Cour attribue directement la citoyenneté. Voir, par exemple, la décision Taylor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1053. Je ne crois pas qu’une telle mesure conviendrait en l’espèce, parce que je conclus qu’en rendant sa décision, le juge de la citoyenneté a omis de tenir compte de la totalité des éléments de preuve qu’il avait en main et, en particulier, du contexte général dans lequel s’inscrit la demande du demandeur. Il y a des questions de preuve qui doivent être réévaluées par rapport à un dossier complet, dont je ne dispose pas dans le cadre de la présente demande.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour un nouvel examen.

 

 

 

 

« James Russell »

                    Juge

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-516-06

 

INTITULÉ :                                       MING ZHAO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 DÉCEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ming Zhao                                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

 

David Joseph                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

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