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Date : 20070103

Dossier : IMM-2736-06

Référence : 2007 CF 6

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE Phelan

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD ASHRAF SIDDIQUI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire pose une question de courtoisie ou de cohérence entre les conclusions de fait de commissaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés qui sont basées exactement sur les mêmes preuves. Dans un cas, un commissaire a décidé qu’une organisation ne se livrait pas au terrorisme tandis que dans le présent cas, sur la base de la même preuve, le commissaire a conclu que l’organisation se livrait au terrorisme.

 

 

II.         LES FAITS

[2]               Le demandeur est né au Pakistan dans une famille mohajir (le terme pakistanais pour « réfugié »). Pendant qu’il fréquentait le collège, il a assisté aux réunions d’une organisation estudiantine mohajir, laquelle est ultérieurement devenue le Mouvement Mohajir Quomi (MQM).

 

[3]               Le demandeur soutient que le MQM avait à l’origine pour but de défendre les Mohajirs contre la discrimination des Sindhs et des Punjabis, majoritaires au Pakistan.

 

[4]               En 1990, le MQM s’est scindé en deux : le  MQM‑A (le groupe principal auquel le demandeur a continué d’appartenir) et le MQM‑H (l’aile dissidente).

 

[5]               Selon le témoignage du demandeur, en 1992 les forces gouvernementales pakistanaises ont pris des mesures de répression contre le MQM et d’autres groupes dissidents. Il a été obligé de se cacher et n’a travaillé pour le MQM‑A que lors de l’élection de 1993. Pendant cette élection, il a été kidnappé par le MQM‑H et détenu pendant cinq jours.

 

[6]               Le MQM‑H a continué à le surveiller et il aurait été obligé de lui payer 3 000 roupies par mois afin d’éviter d’autres préjudices physiques. En 1994, après des exigences de payer encore plus d’argent, il s’est caché et s’est enfui vers le Canada où il a revendiqué le statut de réfugié.

 

[7]               Le 15 février 1999, le demandeur a été reconnu réfugié.

 

[8]               Le 18 juin 2001, il a présenté une demande de résidence permanente et, en tant qu’époux d’une Canadienne, il a demandé d’être exempté des exigences relatives au visa d’immigrant. Pendant ce processus, il a été interviewé par deux agents relativement à son engagement dans le MQM‑A.

 

[9]               L’un des agents a rédigé un rapport en se fondant sur le paragraphe 34(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Il y soutenait que le demandeur était interdit de territoire pour des motifs de sécurité pour « être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un  acte […] » pouvant être le renversement d’un gouvernement par la force et de terrorisme.

 

[10]           La cause du demandeur a été renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié laquelle a conclu que le demandeur était membre du MQM‑A (un élément que le demandeur avait immédiatement admis) et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A se livrait à des actes de terrorisme entre 1990 et 1992 (un élément vivement contesté par le demandeur).

 

III.       ANALYSE

[11]           La conclusion selon laquelle le MQM‑A se livrait au terrorisme ou du moins qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que c’était le cas était basée exclusivement sur la preuve documentaire, principalement un ensemble de documents qui comprenait des documents de la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[12]           Pour parvenir à la conclusion qu’il existe des « motifs raisonnables de croire » qu’une organisation se livre au terrorisme, le juge Lemieux a conclu que le fardeau de la preuve qui pèse sur le ministre exige que des précisions soient données sur qui, quoi, quand, où et dans quelles circonstances l’organisation visée peut être désignée comme se livrant au terrorisme. Voir (Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [2003] A.C.F. n° 540 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[13]           Lors de l’audition du demandeur par la Commission, un autre commissaire, dans une décision relative à Javed Memon (A5-00256), avait analysé le même ensemble de documents que celui dont la Commission disposait relativement au demandeur et il était parvenu à la conclusion que la preuve était insuffisante pour donner des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A se livrait au terrorisme entre 1990 et 1992.

 

[14]           Les parties en présence devant la Cour ont toutes les deux confirmé que l’ensemble de la preuve documentaire dans les deux affaires était le même et que la question à trancher était la même.

 

[15]           Dans les motifs détaillés que la Commission a exposés relativement à la raison pour laquelle elle a fait droit aux arguments du défendeur sur les motifs raisonnables de croire et dans son analyse de la preuve documentaire, la Commission ne fait aucune référence au raisonnement adopté dans la cause Memon et elle n’explique pas non plus sur quel fondement sa décision diffère de celle de la cause Memon.

 

 

[16]           Les parties s’accordent à dire que la norme de contrôle pour savoir si une organisation se livre à certaines activités est la décision manifestement déraisonnable, mais cette norme de contrôle ne permet pas de résoudre la présente affaire (même si la Cour acceptait cette norme).

 

[17]           Il n’y a pas d’exigence légale stricte selon laquelle les commissaires doivent suivre les conclusions de fait d’un autre commissaire. C’est particulièrement vrai lorsque l’une des normes faisant appel au caractère « raisonnable » est en jeu : des personnes raisonnables peuvent raisonnablement être en désaccord.

 

[18]           Ce qui nuit à la décision de la Commission c’est l’omission de s’exprimer sur les conclusions contradictoires de la décision Memon. Il se pourrait bien que le commissaire ne fût pas d’accord avec les conclusions de la décision Memon et il pourrait avoir de bonnes et solides raisons pour cela. Toutefois, le demandeur a droit, pour des raisons d’équité, à une décision complète, à une explication sur les raisons pour lesquelles le commissaire en cause, après avoir analysé les mêmes documents portant sur la même question, a pu parvenir à une conclusion différente.

 

[19]           L’omission d’expliquer le fondement de cette conclusion différente nuit à l’intégrité des décisions de la Commission et leur donne un goût d’arbitraire qui n’est sans doute ni voulu, ni acceptable.

 

 

[20]           Vu les circonstances, la décision de la Commission ne remplit pas le critère de précision exposé dans la décision Fuentes.

 

[21]           Par conséquent, la décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire est manifestement déraisonnable et viole les principes d’équité. Elle sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour un nouvel examen. Vu les raisons pour lesquelles le contrôle judiciaire est accueilli, il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE : la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                  IMM-2736-06

 

INTITULÉ :                                                 MOHAMMAD ASHRAF SIDDIQUI

                                                                      c.

                                                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                      ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                           Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                          LE 21 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 3 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Darryl W. Larson

 

POUR LE DEMANDEUR

R. Keith Reimer

Scott Nesbitt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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