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Date : 20061130

Dossier : IMM‑2814‑06

Référence : 2006 CF 1451

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

IBRAHIM MOHAMMAD AL HUSIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La demande d’asile présentée par le demandeur a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en raison de l’exclusion prévue par la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. La Commission a estimé qu’elle avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun et qu’il n’avait pas purgé sa peine afférente à ce crime avant d’arriver au Canada. Il s’agit ici du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un Jordanien qui, alors qu’il fréquentait un collège aux États‑Unis, s’était lié d’amitié avec un groupe de présumés trafiquants de méthamphétamine. Aux fins du présent contrôle judiciaire, les événements qui ont conduit à son arrestation et à la déclaration de culpabilité prononcée contre lui aux États‑Unis sont les circonstances à retenir.

 

[3]               Le demandeur a prétendu qu’un ami lui avait offert la somme de 1 000 $ pour qu’il reçoive cinq boîtes et les remette à une personne qui le rencontrerait à une station‑service. La personne en question donnerait au demandeur un sac qu’il conserverait jusqu’à ce qu’une quatrième personne vienne le prendre.

 

[4]               Le 15 mars 2000, le demandeur fut arrêté après avoir déposé les boîtes et reçu le sac des gens à la station‑service. Le sac contenait 81 000 $; les boîtes contenaient de grandes quantités de pseudoéphédrine.

 

[5]               Le demandeur a plaidé coupable (no contest) en réponse à un chef de possession d’éphédrine et d’acide hydriotique, infraction punie par la loi de l’État de Californie, le California Health and Safety Code. Il a été condamné à un (1) an de réclusion dans une prison de l’État et à cinq (5) ans de probation.

 

[6]               Après son élargissement en mars 2001, le demandeur a été arrêté par les services fédéraux de l’Immigration et de la Naturalisation, puis expulsé vers la Jordanie. Malgré son expulsion, la Cour de l’État aurait décerné un mandat d’arrêt contre lui pour violation involontaire de l’ordonnance de probation par suite de son départ du pays.

 

[7]               La Commission n’a pas considéré le fond de la demande d’asile parce que, selon elle, la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés était applicable lorsqu’elle avait des « raisons sérieuses » de penser qu’un demandeur d’asile avait commis un crime grave de droit commun :

Article 1. Définition du mot « réfugié »

 

 

F.         Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

 

b)        qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

[8]               La Commission a reconnu que, dans la présente affaire, le niveau requis de preuve n’atteignait pas celui de la prépondérance de la preuve, puisqu’il s’agissait de « raisons sérieuses ».

 

[9]               La Commission a aussi tenu compte de la disposition du California Health and Safety Code à l’égard de laquelle le demandeur avait plaidé coupable :

[traduction]

11383c)(1)              Quiconque, dans l’intention de fabriquer de la méthamphétamine ou l’un de ses analogues… est en possession d’éphédrine ou de pseudoéphédrine… commet une infraction…

 

[10]           Selon le demandeur, il n’existait au Canada aucune disposition correspondant à celle des États‑Unis en vertu de laquelle le demandeur avait été condamné. Dans cet argument, il était conforté par un document de Citoyenneté et Immigration Canada où l’on pouvait lire ce qui suit :

[traduction] Les deux personnes concernées ont été soumises à une enquête au regard d’un complot formé avec des complices en vue de la fabrication de méthamphétamine et de la distribution de pseudoéphédrine. L’affaire concernait plusieurs personnes qui étaient impliquées dans un commerce aux États‑Unis et au Canada. Le problème, c’est que la possession de pseudoéphédrine n’est pas illégale au Canada, mais qu’elle l’est aux États‑Unis, lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire que ce produit serait employé dans la fabrication d’une substance réglementée, plus précisément la méthamphétamine.

 

[11]           La Commission a conclu que, même s’il n’existait pas au Canada de disposition équivalente, l’article 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la LRCDAS) fait de la fabrication de méthamphétamine un acte criminel. La Commission a jugé aussi que, selon l’alinéa 21(1)b) du Code criminel du Canada, participe à une infraction « quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre » – en l’occurrence, la fabrication de méthamphétamine.

 

[12]           L’analyse faite par la Commission a pour conséquence que les actes commis par le demandeur, et à l’égard desquels il a plaidé « coupable » (le mot employé par la Commission) constitueraient un acte criminel au Canada. La Commission a jugé qu’une peine de six (6) ans signalait un crime grave, même si l’incarcération n’a été que d’un (1) an.

 

[13]           S’agissant de savoir si le demandeur avait purgé sa peine, la Commission a jugé que la raison pour laquelle il n’avait pu la purger – à savoir son expulsion – constituait une excuse hors de propos. Il demeurait qu’il n’avait pas purgé sa peine. La Commission s’est référée à un arrêt de la Cour d’appel, Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390, [2000] A.C.F. n° 1180 (QL), arrêt qui, selon elle, signifiait clairement que, lorsqu’une personne a purgé sa peine pour le crime grave dont elle a été reconnue coupable, l’exclusion prévue par la section Fb) de l’article premier de la Convention ne s’applique pas.

 

III.       ANALYSE

[14]           Il y a deux questions en litige dans cette procédure de contrôle judiciaire :

a)         La déclaration de culpabilité forme‑t‑elle le fondement nécessaire de l’exclusion du demandeur aux termes de la section Fb) de l’article premier?

b)         Dans l’affirmative, le demandeur a‑t‑il purgé sa peine, ce qui lui permettrait d’échapper à l’application de la section Fb) de l’article premier?

 

A.        Le crime grave de droit commun

[15]           Je fais mien le raisonnement suivi dans le jugement Médina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 62, [2006] A.C.F. n° 86 (QL), selon lequel la question de savoir si la section F de l’article premier de la Convention devrait s’appliquer dans un cas donné est en général une question mixte de droit et de fait, qui appelle donc l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cependant, sur ce premier point, la conclusion selon laquelle la déclaration de culpabilité prononcée aux États‑Unis était fondée sur une infraction pour laquelle l’équivalent canadien est la complicité est une question de droit, qui appelle l’application de la norme de la décision correcte.

 

[16]           La décision de la Commission s’appuie sur son interprétation de l’article 21 du Code criminel, ainsi formulé :

21. (1) Participent à une infraction :

21. (1) Every one is a party to an offence who

a) quiconque la commet réellement;

 

(a) actually commits it;

 

b) quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;

 

(b) does or omits to do anything for the purpose of aiding any person to commit it; or

 

c) quiconque encourage quelqu’un à la commettre.

 

(c) abets any person in committing it.

 

(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, participe à cette infraction.

(2) Where two or more persons form an intention in common to carry out an unlawful purpose and to assist each other therein and any one of them, in carrying out the common purpose, commits an offence, each of them who knew or ought to have known that the commission of the offence would be a probable consequence of carrying out the common purpose is a party to that offence.

 

[17]           Le principe juridique de base en matière de complicité est exposé dans l’arrêt R. v. Mammolita (1983), 9 C.C.C. (3d) 85 (C.A. Ont.), au paragraphe 16 :

[traduction]

Abstraction faite de sa responsabilité en tant qu’auteur principal d’une infraction, une personne peut être déclarée coupable d’entrave délibérée en vertu de l’alinéa 387(1)c) si elle s’est rendu complice d’une autre personne dans la perpétration de l’infraction. Pour qu’il y ait responsabilité au titre de la complicité :

 

(i)            il doit y avoir une action ou une omission d’aide ou d’encouragement;

 

(ii)           le complice doit agir ou omettre d’agir en sachant que l’acte criminel sera commis ou qu’il est en train de l’être;

 

(iii)          le complice doit agir ou omettre d’agir dans le dessein (c’est‑à‑dire avec l’intention) d’aider ou d’encourager l’auteur principal dans la perpétration de l’acte criminel.

 

(Non souligné dans l’original)

 

[18]           Un élément essentiel de l’infraction de complicité est l’exécution effective de l’acte à l’égard duquel on prétend qu’il y a eu complicité. Ce principe est examiné davantage dans l’ouvrage de Stuart, Canadian Criminal Law: A Treatise, 4e éd. (Toronto: Carswell, 2001), page 609 :

[traduction] … l’auteur effectif doit avoir commis l’actus reus de l’acte criminel avant que quiconque puisse être déclaré complice… Cette règle particulière concernant l’actus reus commis par l’auteur principal est un vestige de la règle anglaise de common law selon laquelle la responsabilité d’un complice dérive de celle de l’auteur principal.

 

[19]           La Commission a commis une erreur en disant que l’infraction commise aux États‑Unis équivalait à l’infraction canadienne de complicité. Dans la loi américaine, il n’était pas exigé que la méthamphétamine soit effectivement fabriquée. Il n’a pas été établi que la substance a été fabriquée à partir de la matière fournie par le demandeur.

 

[20]           La Commission a rendu sa décision en concluant à l’équivalence des infractions, une conclusion qui à mon avis ne peut être maintenue. Par conséquent, la décision doit être infirmée sur ce chef.

 

B.         La peine

[21]           Les parties soulèvent aussi la question de savoir si le demandeur avait purgé sa peine. Sur ce point, les parties s’accordent aussi à dire qu’il s’agit là d’une question importante qui mérite d’être certifiée.

 

[22]           Le demandeur invoque l’arrêt Chan pour dire que les situations sont les mêmes et que, même si les peines respectives n’ont pu être purgées par l’intéressé pour cause d’expulsion, l’intéressé ne pouvait pas être déclaré interdit de territoire au titre de la section Fb) de l’article premier.

 

[23]           Selon l’arrêt Chan, il est clair qu’une personne qui a purgé sa peine ne peut être exclue au titre de la section Fb) de l’article premier, mais l’on ne sait pas si Chan avait en fait accompli sa période de probation, bien qu’il semble qu’il fut expulsé après avoir été libéré, mais avant d’avoir achevé sa période de probation.

 

[24]           L’argument avancé est que l’arrêt Chan permet d’affirmer que le fait que la période de probation ne soit pas achevée ne fait pas obstacle à l’admission au Canada si l’accomplissement de la période de probation a été rendue impossible pour cause d’expulsion.

 

[25]           En l’espèce, il est clair que la période de probation imposée au demandeur en vertu de la loi de l’État de Californie a été rendue impossible en raison d’une décision des autorités fédérales américaines. La délivrance d’un mandat d’arrêt ne signifie rien d’autre que la non‑conformité du demandeur aux conditions de sa probation.

 

[26]           Le défendeur fait valoir que la portée de l’arrêt Chan a été amoindrie par un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] A.C.F. n° 565 (QL). Certains passages de cet arrêt peuvent donner l’impression que l’arrêt Chan devrait être suivi avec circonspection, mais il convient de noter que dans l’arrêt Zrig, au paragraphe 64, la Cour d’appel écrivait que l’arrêt Chan n’intéressait pas les points qui devaient être décidés dans l’affaire dont elle était saisie :

À mon avis, notre décision dans Chan, supra, n’aide nullement l’appelant puisqu’en l’espèce, il n’a été ni accusé ni condamné pour les crimes pour lesquelles la Section du statut l’a tenu responsable à titre de complice par association.

 

[27]           Dans le jugement Médina, le juge Noël a estimé qu’en ne purgeant pas, pour cause d’expulsion, le reste de sa peine d’emprisonnement (le demandeur avait purgé 52 mois d’une peine d’emprisonnement de 60 mois) et sa période de probation, le demandeur n’avait pas, de ce fait, purgé sa peine.

 

[28]           Une simple lecture de l’arrêt Chan indique qu’en l’espèce, le demandeur n’a pas purgé sa peine, et la conclusion de la Commission était donc juste.

 

[29]           Le point qui reste obscur est celui de savoir si une mesure d’expulsion a pour effet d’achever la peine imposée ou plutôt de l’amputer de telle sorte qu’elle ne puisse jamais être achevée. Si la section Fb) de l’article premier de la Convention a en partie pour objet de faire en sorte qu’une personne qui a purgé intégralement sa peine puisse devenir admissible, alors cet objet sera contrarié par une mesure d’expulsion dont l’effet sera de rendre impossible l’accomplissement d’une peine.

 

[30]           La solution pourrait simplement consister à dire que la période d’interdiction de territoire correspond à la période non purgée de la peine imposée, mais c’est là ignorer que, surtout au regard de la probation, l’intéressé est soumis à des conditions de comportement dont l’observation est impossible à déterminer.

 

[31]           Comme cet aspect relatif à la peine requiert des éclaircissements, je certifierai les questions suivantes :

1.         Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de la section F de l’article premier de la Convention?

2.         Si la réponse à la question 1 est affirmative, quand et dans quelles conditions une peine est‑elle réputée purgée, et en particulier peut‑elle être réputée purgée par l’effet d’une mesure d’expulsion?

 

[32]           Les parties n’ont pas soulevé la question de savoir si le crime commis dans la présente affaire était grave, et j’ai donc admis, sans trancher la question, qu’il l’était.

 

[33]           La Cour relève aussi que la Commission ne s’est pas prononcée sur le fond de la demande d’asile. Comme l’indique l’arrêt Chan, c’est là la ligne de conduite à observer.

 

IV.       DISPOSITIF

[34]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera accordée, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvelle décision.

 

[35]           Les questions suivantes sont ici certifiées :

1.         Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de la section F de l’article premier de la Convention?

2.         Si la réponse à la question 1 est affirmative, quand et dans quelles conditions une peine est‑elle réputée purgée, et en particulier peut‑elle être réputée purgée par l’effet d’une mesure d’expulsion?

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

 

a)         La demande de contrôle judiciaire est accordée, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvelle décision.

 

            b)         Les questions suivantes sont certifiées :

1.         Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de la section F de l’article premier de la Convention?

2.         Si la réponse à la question 1 est affirmative, quand et dans quelles conditions une peine est‑elle réputée purgée, et en particulier peut‑elle être réputée purgée par l’effet d’une mesure d’expulsion?

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2814‑06

 

 

INTITULÉ :                                       IBRAHIM MOHAMMAD AL HUSIN

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Blake Hobson

 

                        POUR LE DEMANDEUR

Cheryl Mitchell

 

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HOBSON ET COMPAGNIE

Avocats

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

                        POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

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