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Date : 20070119

Dossier : T-416-06

Référence : 2007 CF 32

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

MICHAEL DANIEL MYMRYK

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 301 des Règles concernant la pratique et la procédure à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale (DORS/98‑106) (les Règles des Cours fédérales), à l’égard de la décision rendue le 27 septembre 2005 par L. Ménard, du Service correctionnel du Canada (SCC), relativement au grief au troisième palier déposé par le demandeur. Ce dernier, un détenu, se représente lui‑même et a comparu en personne avec la permission de la Cour.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]               La demande soulève les questions suivantes :

a)      Le défendeur a-t-il commis une erreur de fait ou de droit en parvenant à sa décision concernant le grief au troisième palier déposé par le demandeur?

b)      La Cour a-t-elle compétence pour accorder certaines des mesures de redressement demandées?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie.

 

LE CONTEXTE

[4]               Le demandeur purge une peine d’emprisonnement à perpétuité à l’Établissement Montée Saint‑François, à Laval, au Québec. Il a vécu en semi‑liberté à la Maison Saint-Léonard.

 

[5]               Le 29 septembre 2003, la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) a suspendu la semi‑liberté du demandeur après que du métabolite de la cocaïne (benzoylecgonine) eut été découvert dans l’échantillon d’urine A107802. Ce résultat contrevenait à la condition spéciale de la semi‑liberté qui interdisait au demandeur de consommer des substances intoxicantes. Le demandeur a d’abord expliqué qu’il s’était fait piquer le doigt accidentellement par quelqu’un avec une seringue. Il a ensuite prétendu que l’analyse d’urine, qui avait été effectuée par le Laboratoire Maxxam Analytique (Maxxam), était invalide parce que le protocole de dépistage n’avait pas été suivi.

 

[6]               Le 23 décembre 2003, le demandeur a contesté les résultats de l’analyse d’urine lors de la première audience devant la CNLC qui a suivi la suspension de sa semi‑liberté. Lors de la deuxième audience devant la CNLC le 18 février 2004, il a été convenu, à la demande du demandeur, que l’échantillon A107802 ferait l’objet d’une nouvelle analyse. À la fin d’avril, le défendeur a suggéré que cette nouvelle analyse soit confiée au laboratoire Gamma Dynacare. Une somme de 188 $ a été retirée du compte du demandeur, et un chèque a été émis à Maxxam, mais n’a jamais été encaissé. Il ressort d’un courriel interne du défendeur que le demandeur allait porter plainte parce qu’il avait appris que Gamma Dynacare était un sous‑traitant de Maxxam et n’avait pas l’indépendance nécessaire.

 

[7]               Le demandeur croyait également que les médicaments qu’il avait pris tout juste avant de fournir l’échantillon qui s’est avéré positif avaient contribué à ce prétendu faux résultat. Le demandeur a appris, en avril 2004, que le registre de la Maison Saint‑Léonard dans lequel étaient consignés les médicaments administrés avait été détruit.

 

[8]               Le 30 juin 2004, l’agent de libération conditionnelle du demandeur a annoncé à celui‑ci et à la CNLC que l’échantillon avait fait l’objet d’une nouvelle analyse, mais que Gamma Dynacare ne disposait pas de la technologie nécessaire pour effectuer l’analyse de manière appropriée. La preuve démontre que l’échantillon d’urine n’a jamais fait l’objet d’une nouvelle analyse.

 

[9]               Le 29 octobre 2004, la CNLC a révoqué la semi‑liberté du demandeur pour diverses raisons, notamment les résultats positifs de l’analyse d’urine et le dépôt d’une accusation d’agression armée. Le tribunal pénal a, par la suite, sursis à cette accusation parce que l’enregistrement magnétoscopique de l’incident avait été détruit et ne pouvait donc pas être produit. L’incident qui avait mené au dépôt de cette accusation était survenu lorsque le demandeur avait été arrêté à la suite de la révocation de sa semi‑liberté.

 

[10]           La CNLC a considéré que la détérioration de la conduite du demandeur à la suite de la suspension de sa semi‑liberté constituait toujours un risque inacceptable pour la collectivité. Le demandeur a interjeté appel de la révocation de sa semi‑liberté, mais la Section d’appel de la CNLC a conclu, le 19 avril 2005, qu’il n’avait présenté aucun motif justifiant son intervention et la modification de la décision de la CNLC. Celle‑ci ne croyait pas les deux explications données par le demandeur au sujet de la présence de cocaïne dans son urine. La Section d’appel a indiqué :

[traduction] D’abord, il est important de comprendre que la Commission n’a pas la compétence requise pour mener ses propres enquêtes et procéder à une nouvelle analyse des échantillons d’urine. Ces tâches relèvent du SCC. Le mandat de la Commission consiste à évaluer le risque sur la foi de l’information à sa disposition au moment de la décision.

 

 

[11]           Le 18 août 2005, le demandeur a reçu une lettre du défendeur lui annonçant que l’échantillon d’urine avait été détruit parce que les résultats originaux de l’analyse dataient de septembre 2003 et que le laboratoire ne conserve les échantillons présumés positifs que pendant 12 mois.

 

[12]           Le 16 septembre 2005, la CNLC a de nouveau refusé de rétablir la semi‑liberté du demandeur. Ce dernier n’a pas interjeté appel de cette décision, mais il a déposé des griefs auprès du SCC concernant l’analyse de son échantillon d’urine.

 

[13]           En ce qui concerne le processus de grief, le grief au deuxième palier a été rejeté en partie le 30 mars 2005. Le SCC a remboursé au demandeur, comme celui‑ci le demandait, la somme de 188 $ représentant les frais de la nouvelle analyse. Il a toutefois rejeté les allégations du demandeur au sujet de la validité des résultats de l’analyse et a mentionné ce qui suit :

[traduction] À la lumière de l’information recueillie au cours de notre étude exhaustive, nous avons de bonnes raisons de croire que vous avez consommé de la cocaïne avant de fournir un échantillon d’urine le 23 septembre 2003. Alors que vous avez affirmé au surveillant clinique du CRC Saint‑Léonard que vous n’aviez pris aucun médicament, vous avez dit le contraire à l’échantillonneur. Ce dernier a écrit sur le formulaire « Analyse d’urine – Chaîne de possession » que vous aviez pris du « docusate de sodium » et de l’« Emtec » au cours des deux semaines précédant l’analyse d’urine. Or, si vous aviez pris ces médicaments, c’est un opiacé et non de la cocaïne qui aurait été découvert dans votre urine. Le surveillant clinique nous a assuré que l’échantillon d’urine avait été prélevé conformément à […] la Directive du Commissaire (DC) 566‑11.

 

[14]           Le 29 avril 2005, le SCC a reçu le grief déposé par le demandeur relativement à cette décision. Dans ce grief, le demandeur :

a)      interjetait appel de la décision de la CNLC de révoquer sa semi‑liberté;

b)      affirmait que Gamma Dynacare était en mesure d’analyser un échantillon dilué;

c)      contestait le processus de dépistage de cocaïne et le processus de confirmation utilisés par Maxxam;

d)      mettait en doute la clarté du processus qui avait causé des retards inutiles;

e)      demandait que les frais lui soient remboursés avec intérêts.

 

[15]           Le 27 septembre 2005, le SCC a maintenu en partie ce grief au troisième palier et a conclu ce qui suit :

a)      l’appel de la décision de la CNLC est rejeté parce que la décision d’incarcérer de nouveau le demandeur ne relève pas de la compétence du SCC;

b)      Gamma Dynacare n’est pas en mesure d’analyser un échantillon dilué en conformité avec le protocole de dilution spécifique du SCC; en conséquence, les prétentions du demandeur à cet égard sont rejetées;

c)      même si l’échantillon d’urine avait fait l’objet d’une nouvelle analyse conformément à la Directive du Commissaire (DC) 566‑11, annexe B, cet échantillon aurait toujours été positif parce que les DC 566‑10 et 566‑11 prévoient les niveaux appropriés de dépistage et de confirmation utilisés par le laboratoire; en conséquence, cet aspect du grief du demandeur a été réglé;

d)      le SCC a donné raison au demandeur pour ce qui des retards inutiles et il allait recommander que les deux DC en cause soient clarifiées;

e)      les frais de la nouvelle analyse ont été remboursés avec intérêts.

 

[16]           C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[17]           L’alinéa 4g) ainsi que les articles 90 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), décrivent les caractéristiques d’un système efficace de recours auquel ont accès tous les délinquants. Ces dispositions sont libellées ainsi :

But du système correctionnel

Purpose of correctional system

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

 

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

 

Principes de fonctionnement

Principles that guide the Service

4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

 

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

 

[...]

[. . .]

g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

(g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;

[...]

 

[. . .]

 

Procédure de règlement

Grievance procedure

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

 

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

 

Accès à la procédure de règlement des griefs

Access to grievance procedure

91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

 

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[18]           Pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce, je dois d’abord procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle des quatre facteurs définis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

a)         La présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel

[19]           Le SCC est régi par la Loi, laquelle ne renferme pas de clause privative. Cependant, les articles 4, 90 et 91 exigent que le SCC offre à tous les délinquants un système de recours équitable, rapide et accessible. De plus, le SCC dispose de directives, notamment les Directives du commissaire (DC), qui énoncent clairement les objectifs des procédures à suivre relativement aux griefs. En particulier, la DC 81, intitulée « Plaintes et griefs des délinquants », explique comment faire en sorte que les griefs des délinquants soient traités promptement et équitablement. La DC 566-11 a trait au protocole à suivre pour l’analyse d’échantillons d’urine dans la collectivité.

 

[20]           Ainsi, il existe de multiples mécanismes d’examen interne qui permettent aux détenus de déposer des griefs, comme le demandeur l’a fait en l’espèce. Toutefois, le silence de la loi rend ce premier facteur neutre dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle globale et exige que la cour de révision fasse preuve de retenue lorsque la décision est fondée sur les faits. En l’espèce, le demandeur allègue que le protocole d’analyse n’a pas été suivi, une question qui repose essentiellement sur les faits.

b)         L’expertise du tribunal relativement à celle de la Cour

[21]           Le législateur ayant conféré aux autorités responsables de la gestion et de l’entretien des établissements correctionnels fédéraux et des personnes qui y sont détenues une expertise et une formation étendues dans le domaine, la cour de révision doit faire preuve d’une grande retenue. Le juge George Addy a le mieux expliqué la situation dans la décision Re Cline (1981), no du greffe T‑894‑81 (C.F. 1re inst.) :

J’aimerais ajouter que, sauf dans les cas clairs et non équivoques d’injustice sérieuse où il y a mauvaise foi ou partialité, les juges, en règle générale, doivent résister à la tentation de faire usage dans l’atmosphère solennelle et feutrée du prétoire de leur sagesse ex officio et de substituer leur propre jugement à celui des administrateurs expérimentés des prisons. Ces derniers sont littéralement sur la ligne de feu, chargés par la société de la tâche extraordinairement difficile et peu enviable de maintenir l’ordre et la discipline parmi des centaines de criminels reconnus qui, comme catégorie, ne sont pas en général réputés comme les membres de la société les plus disciplinés et les plus stables émotionnellement et qui, du simple fait de leur incarcération, sont privés de plusieurs de leurs droits les plus fondamentaux. De même, les tribunaux devraient éviter d’énoncer des règles de conduite détaillées à l’adresse de ces administrateurs car ils n’ont que fort peu de connaissances pratiques des problèmes que soulèvent le maintien de la sécurité des prisons en général et les cas de tension spécifiques, de pression et de danger qui existent dans une prison quelconque ou dans une situation donnée. De telles règles devraient être laissées au législateur ou mieux encore à ceux qui ont les connaissances requises auxquels le législateur confierait la tâche d’édicter la réglementation pertinente.

 

c)         L’objet de la loi

[22]           L’article 3 de la Loi décrit l’objet du système correctionnel fédéral. Cet objet est double : protéger le public et réadapter les délinquants. L’imposition de conditions aux détenus en liberté conditionnelle est indispensable à la réalisation de ce double objectif. Pour faire en sorte que des conditions comme la condition spéciale qui a été imposée au demandeur soient respectées, l’analyse d’urine, à titre d’exemple, est utilisée pour obtenir des résultats objectifs concrets dans le but d’assurer l’intégrité du régime de libération conditionnelle et de protéger l’intérêt supérieur du délinquant, sans créer un risque inacceptable pour la collectivité. Cet exercice exige non seulement un examen minutieux des faits, mais également l’application appropriée de divers principes directeurs et politiques, notamment la Loi, les DC et les Instructions permanentes. Comme la juge McLachlin l’a mentionné dans Dr Q, précité, ce troisième facteur de l’analyse donne « lieu à plus de déférence ».

d)         La nature de la question

[23]           La nature de la question en litige exige que la Cour fasse preuve d’une grande retenue. Non seulement la décision rendue au troisième palier dépend largement des faits, mais aussi elle est fondée sur un examen des procédures suivies par Maxxam lors de son analyse de l’échantillon d’urine A107802. De plus, une évaluation de la capacité de Gamma Dynacare d’effectuer la nouvelle analyse de l’échantillon dilué A107802 a été effectuée. Ainsi, la nature de la question exige une certaine expertise technique et plus qu’une simple connaissance générale de la technique de dépistage à utiliser.

 

[24]           Ayant examiné les quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, je conclus que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. 

 

Question I : Le défendeur a-t-il commis une erreur de fait ou de droit en parvenant à sa décision concernant le grief au troisième palier déposé par le demandeur?

[25]           D’abord, je suis d’accord avec le défendeur que c’est à la CNLC qu’il incombe au bout du compte de révoquer la semi‑liberté du demandeur. Cette décision peut être portée en appel non pas au moyen de la procédure de grief, mais plutôt par le dépôt d’un appel auprès de la Section d’appel de la CNLC, même si le défendeur produit une partie de la preuve. Au lieu d’interjeter appel de la décision du 16 septembre 2005, le demandeur a inclus cette question dans son grief au troisième palier. Le SCC n’a pas la compétence requise pour décider s’il y a lieu de maintenir le demandeur en détention. Je ne vois rien de manifestement déraisonnable dans la décision du SCC lorsqu’il dit :

[traduction] Étant donné que les décisions rendues par la Commission nationale des libérations conditionnelles ne relèvent pas du Service correctionnel du Canada et, par conséquent, ne peuvent faire l’objet de griefs dans le cadre du système de recours du SCC, cette partie de votre grief est rejetée.

 

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[26]           Le SCC a aussi rejeté la prétention du demandeur selon laquelle Gamma Dynacare est en mesure d’analyser un échantillon dilué en conformité avec le protocole de dilution du SCC. Cette décision n’est pas seulement une conclusion de fait : elle repose sur le protocole de dilution élaboré par le SCC. Par conséquent, je m’en remets au SCC et à son expertise dans le domaine. La preuve ne démontre pas que Gamma Dynacare était en mesure de procéder à une nouvelle analyse en conformité avec le protocole de dilution du SCC. Le demandeur ne m’a pas convaincu que cette partie de la décision était manifestement déraisonnable.

 

[27]           Le troisième point a trait aux [traduction] « niveaux de dépistage et de confirmation ». Maxxam a été contacté et a confirmé que, si le laboratoire avait effectué le dépistage au moyen de la méthode décrite à l’annexe B de la DC 566-11, l’échantillon d’urine du demandeur aurait tout de même été positif. Je ne vois rien de manifestement déraisonnable dans la réponse que le SCC a donnée à cette partie du grief du demandeur.

 

[28]           Le quatrième point concernait la [traduction] « Procédure de nouvelle analyse ». La réponse du SCC indique :

[traduction] Le Service de recours des délinquants a examiné les Directives du Commissaire 566‑10 et 11 et constate que la procédure de nouvelle analyse n’est pas claire, ce qui peut causer et, dans votre cas, a causé des retards inutiles et ainsi peut porter atteinte au droit du délinquant à une nouvelle analyse de son échantillon d’urine. Ce service recommandera donc à la Direction de la sécurité d’apporter des éclaircissements aux deux DC en question. Par conséquent, cette partie de votre grief est accueillie.

 

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[29]           Compte tenu des circonstances en l’espèce, la Cour est d’avis que le SCC aurait dû aller plus loin sur ce point. C’est le SCC qui a donné au demandeur le nom d’un laboratoire pouvant effectuer la nouvelle analyse. C’est également l’agent de libération conditionnelle du demandeur qui a fait savoir à la CNLC que l’échantillon d’urine avait été analysé par un autre laboratoire. Il ressort de la preuve que cette déclaration n’était pas exacte. Le demandeur a été informé en août 2005 que son échantillon d’urine avait été détruit parce que les résultats originaux dataient de septembre 2003 et que le laboratoire conserve les échantillons présumés positifs pendant 12 mois seulement. Il aurait été très facile pour le SCC d’envoyer un courriel ou une lettre au laboratoire pour lui demander de conserver l’échantillon d’urine jusqu’à ce que toutes les questions aient été réglées.

[30]           Par conséquent, la Cour estime qu’il convient de renvoyer l’affaire à l’analyste au troisième palier et suggère fortement que la réponse concernant la [traduction] « Procédure de nouvelle analyse » soit modifiée afin d’y ajouter ce qui suit :

a)         Une lettre sera envoyée à la CNLC lui demandant d’apporter une correction dans son dossier afin d’indiquer que la déclaration [traduction] « votre échantillon d’urine a été analysé par un autre laboratoire », faite par l’agent de libération conditionnelle en juin 2004, est incorrecte. La même lettre mentionnera que votre échantillon d’urine a été détruit sans votre consentement, de sorte que la nouvelle analyse que vous avez demandée n’a pas pu être effectuée.

b)         Une copie de la lettre adressée à la CNLC sera versée à votre dossier.

[31]           Le cinquième point a trait aux frais de la nouvelle analyse. Comme les sommes qui avaient été retirées du compte du demandeur lui ont été remboursées, cette question est réglée.

 

Question II : La Cour a-t-elle compétence pour accorder certaines des mesures de redressement demandées?

La norme de contrôle

[32]           Cette question ayant trait à la compétence de la Cour, il s’agit d’une question de droit. Il est bien établi en droit que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit est celle de la décision correcte. Il n’est cependant pas nécessaire d’appliquer l’analyse pragmatique et fonctionnelle (voir Dr Q, précité), car certaines des questions ne concernent pas la décision du SCC. En fait, le demandeur sollicite certaines mesures de redressement, auxquelles le défendeur a le droit de s’opposer, notamment les suivantes :

a)      que l’information concernant l’échantillon d’urine A107802 soit retirée de son dossier;

b)      que les conditions de sa semi‑liberté soient rétablies;

c)      que des dommages‑intérêts lui soient versés (le demandeur a toutefois dit, à l’audience, qu’il ne réclamait pas de dommages‑intérêts);

d)      que des sanctions disciplinaires soient prises contre les agents du SCC.

 

[33]           Le défendeur prétend que la Cour n’a pas la compétence requise pour accorder les mesures de redressement que sollicite le demandeur. Il attire l’attention de la Cour sur le paragraphe 18(3) et l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 :

Recours extraordinaires : offices fédéraux

Extraordinary remedies, federal tribunals

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

[...]

 

[. . .]

 

Exercice des recours

Remedies to be obtained on application

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

 

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

 

Demande de contrôle judiciaire

Application for judicial review

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

[...]

[. . .]

Pouvoirs de la Cour fédérale

Powers of Federal Court

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to

do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

Motifs

Grounds of review

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

Vice de forme

Defect in form or technical irregularity

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

(5) If the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Federal Court may

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

(b) in the case of a defect in form or a technical irregularity in a decision or an order, make an order validating the decision or order, to have effect from any time and on any terms that it considers appropriate.

 

[34]           La Cour conclut qu’elle n’a pas la compétence requise pour accorder les mesures de redressement mentionnées au paragraphe 32. Elle n’a pas l’expertise nécessaire pour dicter au SCC ce qui devrait et ne devrait pas être inclus dans le dossier d’un détenu, en particulier lorsque les résultats de l’analyse des échantillons dilués n’ont pas été contredits pas une analyse subséquente. De plus, comme l’avocat du défendeur l’affirme avec raison, la Cour ne peut ordonner le versement de dommages‑intérêts dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Par ailleurs, la question de la sanction qu’il y aurait lieu d’infliger aux membres du personnel du SCC à cause de leur prétendue conduite non professionnelle est régie par des règles de discipline internes.

 

[35]           Par conséquent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée, sauf pour ce qui est de la réponse concernant la [traduction] « Procédure de nouvelle analyse » qui a été donnée au grief au troisième palier du demandeur. L’affaire sera renvoyée à l’analyste qui a examiné le grief au troisième palier afin qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. L’affaire est renvoyée à l’analyste qui a examiné le grief au troisième palier afin qu’il rende une nouvelle décision sur la question de la [traduction] « Procédure de nouvelle analyse » en conformité avec les présents motifs.

2.                  Il n’y aura pas d’ordonnance à l’égard des dépens.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-416-06

 

INTITULÉ :                                                   MICHAEL DANIEL MYMRYK

                                                                        c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 11 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Daniel Mymryk                                    POUR LE DEMANDEUR

(Se représentant lui‑même)

 

Dominique Guimond                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Daniel Mymryk                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

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