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Date : 20070119

Dossier : T-1411-04

Référence : 2007 CF 38

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

SPORTS INTERACTION

demanderesse

et

 

TREVOR JACOBS

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente affaire bilingue est une nouvelle décision quant à la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par M. Jacques Marchessault, un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). Dans sa décision datée du 30 juin 2004, l’arbitre a conclu que le défendeur avait été injustement congédié et, compte tenu de la nature de l’infraction, il a ordonné à la demanderesse de le réintégrer dans son emploi, avec les avantages sociaux, et ce, à compter du septième mois suivant la date de son congédiement.

 

L’HISTORIQUE DES PROCÉDURES

[2]               À la suite de son congédiement le 28 mars 2003, le défendeur a déposé deux plaintes pour congédiement injuste contre son employeur (la demanderesse). Il a déposé une plainte auprès de la Commission des normes du travail et il a déposé l’autre plainte en vertu de l’article 240 du Code.

 

[3]               Le 20 octobre 2003, la Commission des normes du travail a informé le défendeur que son dossier était clos car son employeur relevait de la compétence fédérale et non pas de la compétence provinciale. N’ayant reçu aucune opposition de la part de la demanderesse, l’arbitre fédéral a estimé qu’il était l’instance compétente pour entendre l’affaire. Dans la décision détaillée qu’il a rendue après une audience de sept jours, l’arbitre a annulé le congédiement, a imposé une suspension de quatre mois et a ordonné la réintégration du défendeur après le septième mois suivant son congédiement. La demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire.

 

Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale

[4]               La demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre a été entendue par la Cour fédérale le 17 janvier 2005 et une décision a été rendue le 26 janvier 2005 (voir Jacobs c. Sports Interaction, [2005] A.C.F. no 150 (QL), 2005 CF 123). Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a prétendu que la décision de l’arbitre était manifestement déraisonnable. Elle a de plus prétendu que, en vertu de l’article 88 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, l’arbitre n’avait pas compétence pour entendre l’affaire.

 

[5]               Le juge qui a entendu la demande n’a pas traité les questions de fonds qui seraient déterminantes quant à l’issue de l’affaire. Il n’a plutôt fondé sa décision que sur une analyse de la compétence constitutionnelle en matière de relations de travail comme en témoigne le renvoi à l’article 88 de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse et a déclaré invalide la décision rendue par l’arbitre le 30 juin 2004. Le défendeur a interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel fédérale.

 

La décision rendue par la Cour d’appel fédérale

[6]               La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel (voir Jacobs c. Sports Interaction, [2006] A.C.F. no 490 (QL), 2006 CAF 116). La Cour a souligné que ni l’appelant ni l’intimée n’ont contesté la compétence de l’arbitre lorsqu’ils ont comparu devant lui. Il a également été mentionné que, le matin de l’audience, l’avocat de la demanderesse a déposé une lettre émanant du procureur général du Canada mentionnant qu’il avait reçu une copie de la demande de contrôle judiciaire et qu’il n’avait pas l’intention de comparaître à l’instance.

 

[7]               La Cour d’appel fédérale a jugé qu’il s’agissait d’un avis insuffisant qui ne répondait pas aux exigences de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Elle a également jugé qu’un argument fondé sur l’article 88 de la Loi sur les Indiens déclenche automatiquement l’examen du partage des compétences. Il ne convenait donc pas que le juge qui a entendu la demande parle de l'inapplicabilité du Code sur le plan constitutionnel en l'absence de l'avis de question constitutionnelle qui doit être signifié au procureur général du Canada, ainsi qu’aux procureurs généraux des dix provinces et des trois territoires.

 

[8]               C'est pour cette raison que la Cour d'appel fédérale a annulé la décision du juge qui a entendu la demande et a renvoyé l'affaire à la Cour fédérale pour nouvelle audition après qu'un avis aura été régulièrement donné par la demanderesse en conformité avec l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[9]               Ayant acquis la conviction que la demanderesse a donné un avis de question constitutionnelle en bonne et due forme (voir l'annexe A), la Cour doit décider si elle doit examiner la question constitutionnelle et les autres questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a)      La Cour devrait‑elle répondre à la question constitutionnelle?

b)      L'arbitre a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en rendant sa décision?

 

[11]           La Cour refuse de répondre à la question constitutionnelle. La réponse à la deuxième question est négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

L'HISTORIQUE

[12]           Le défendeur, Trevor Jacobs, a travaillé pour la demanderesse du 26 septembre 1999 au 28 mars 2003, date à laquelle il a pratiquement été congédié sur‑le‑champ après que l'on eut découvert, le 27 mars 2003, une série de messages MSN dégradants et déplorables qui ont été échangés entre le défendeur et un collègue, M. Donald Phillips. Ces messages injurieux étaient très inquiétants, non seulement parce qu'ils visaient Tina Stacey, la seule femme occupant un poste de cadre permanent sur la réserve où la demanderesse exerçaient ses activités de jeu en ligne, mais également parce qu'ils comprenaient des messages menaçants de méfait.

 

[13]           La lettre de congédiement a été écrite par Tina Stacey qui a donné les raisons suivantes quant au congédiement de M. Jacobs :

[Traduction]

 

La présente décision est fondée sur votre comportement envers la société et envers votre supérieure, à savoir

 

1.      vous vous êtes servi indûment, sans droit, de la connexion Internet de la société durant vos heures de travail;

 

2.      vous avez, grâce à la connexion Internet de l'employeur, et durant vos heures de travail, tenu des propos irrespectueux, intimidants, obscènes et déloyaux envers votre supérieure immédiate et envers la société;

 

3.      votre rendement au travail s'est détérioré considérablement depuis le licenciement de votre petite amie à Sports Interaction et il est devenu insatisfaisant.

 

 

[14]           Avant son congédiement, le défendeur était un employé exemplaire qui n'avait jamais reçu aucun avertissement, n'avait jamais été réprimandé et n'avait jamais fait l'objet de quelque mesure disciplinaire que ce soit de la part de sa supérieure ou de son employeur. Il était l'employé qui possédait le plus d'ancienneté et il travaillait comme gestionnaire hiérarchique au moment de son congédiement.

 

LA DÉCISION DE L'ARBITRE

[15]           L'arbitre a conclu que la demanderesse avait eu raison de s'inquiéter, mais qu'elle n'avait pas mené une enquête en bonne et due forme sur l'incident. Elle a agi à la hâte, d'une manière dure, et a sanctionné l'infraction trop sévèrement. Toutefois, étant donné la gravité du comportement du défendeur, l'arbitre a annulé le congédiement et l'a remplacé par une suspension de quatre mois. De plus, l'arbitre a ordonné la réintégration du défendeur à compter du septième mois suivant son congédiement du 28 mars 2003 et a ordonné à la demanderesse de le dédommager pour la perte de salaire et d'avantages sociaux qu'il a subie.

 

[16]           L'arbitre a fondé sa décision sur la preuve documentaire ainsi que sur les témoignages des personnes qui ont comparu devant lui au cours des sept jours d'audience. À cet égard, l'arbitre a conclu que le principal témoin de l'employeur, Tina Stacey, [Traduction] « manquait généralement de crédibilité ». En revanche, il a conclu ce qui suit quant au défendeur qui a témoigné longuement : [Traduction] « Il m’a semblé être un jeune homme sérieux qui se conduit bien et qui s'exprime clairement et j’ai préféré son témoignage à celui des témoins de la société ».

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[17]           Le défendeur a déposé une plainte en vertu de l'article 240 du Code, lequel est ainsi libellé :

Plainte

Complaint to inspector for unjust dismissal

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

Délai

Time for making complaint

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre­vingt­dix jours qui suivent la date du congédiement.

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

Prorogation du délai

Extension of time

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l’intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d’un fonctionnaire qu’il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

 

 

(3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority.

 

[18]           Le Code comprend une clause privative rigoureuse à l'article 243, lequel est ainsi libellé :

Caractère définitif des décisions

Decisions not to be reviewed by court

243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

Interdiction de recours extraordinaires

No review by certiorari, etc.

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

 

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit, or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

 

[19]           Le défendeur a également déposé une plainte auprès de la Commission des normes du travail en vertu de l'article 24 de la Loi sur les normes du travail (la loi québécoise), L.R.Q. ch. N‑1.1. Cet article prévoit ce qui suit :

Plainte de congédiement.

Complaint of dismissal.

124.  Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l’adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.

124.  An employee credited with two years of uninterrupted service in the same enterprise who believes that he has not been dismissed for a good and sufficient cause may present his complaint in writing to the Commission des normes du travail or mail it to the address of the Commission des normes du travail within 45 days of his dismissal, except where a remedial procedure, other than a recourse in damages, is provided elsewhere in this Act, in another Act or in an agreement.

Défaut.

Exception.

Si la plainte est soumise dans ce délai à la Commission des relations du travail, le défaut de l’avoir soumise à la Commission des normes du travail ne peut être opposé au plaignant.

If the complaint is filed with the Commission des relations du travail within this period, failure to have presented it to the Commission des normes du travail cannot be set up against the complainant.

 

[20]           De plus, la demanderesse met en doute la compétence de l'arbitre pour entendre l'affaire, compte tenu de l'article 88 de la Loi sur les Indiens qui est ainsi libellé :

Lois provinciales d’ordre général applicables aux Indiens

General provincial laws applicable to Indians

88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi fédérale, toutes les lois d’application générale et en vigueur dans une province sont applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou règlement administratif pris sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou sous son régime.

88. Subject to the terms of any treaty and any other Act of Parliament, all laws of general application from time to time in force in any province are applicable to and in respect of Indians in the province, except to the extent that those laws are inconsistent with this Act or any order, rule, regulation or by-law made thereunder, and except to the extent that those laws make provision for any matter for which provision is made by or under this Act.

 

 

 

L'ANALYSE

La question en litige no 1 : La Cour devrait‑elle répondre à la question constitutionnelle?

 

[21]           D'entrée de jeu, la preuve démontre que l'arbitre ne s'est pas fait demander de se pencher sur la question de sa compétence d'entendre l'affaire. Le défendeur a choisi de poursuivre l'affaire en vertu de l'article 240 du Code à la suite de la décision de la Commission des normes du travail selon laquelle il ne s'agissait pas d'une question qui relevait de la compétence des provinces parce que l'employeur était une société relevant de la compétence fédérale. Après avoir été informé de la décision de la Commission, la demanderesse n'a formulé aucune objection et n'a pas mis en doute la compétence de l'arbitre.

 

[22]           Par conséquent, l'arbitre ne s'est pas penché sur la question de sa compétence lorsqu’il a rendu sa décision. Dans l'affaire qui nous occupe, la demanderesse n'a pas fourni ou n’a pas fourni assez de renseignements concernant son acte constitutif et ses affaires nous permettant de faire une analyse équitable et approfondie des motifs de sa prétention selon laquelle l'arbitre n'avait pas compétence pour entendre l'affaire. Le seul et unique élément mentionné dans la décision de l'arbitre concernant l'exploitation de l'entreprise de la demanderesse figure au paragraphe 1, à la page 12 du volume 1 du dossier de la demanderesse :

[Traduction]

 

Je dois décider si Trevor Jacobs a été injustement congédié par son ancien employeur, Sports Interaction, une société exploitant un établissement de pari sur une réserve indienne à Kahnawake (Québec).

 

[Non souligné dans l'original.]

           

[23]           D’après la preuve limitée qui a été soumise, il semble que Sports Interaction ne soit pas une entreprise de jeu ordinaire possédant les caractéristiques traditionnelles d'une maison de jeu. Comme l'affirme la demanderesse, ses activités comprenaient, notamment, l’exploitation d'un site de paris sportifs en ligne. Un examen des transcriptions du contre‑interrogatoire sur affidavit de Tina Stacey et des pièces A et B produites à l'appui de son affidavit révèle que les employés fournissaient des services de pari en ligne au public. De plus, on ne sait trop si la société de la demanderesse est immatriculée au Québec ou constituée en société en vertu de la loi fédérale. En fait, rien ne permet d’écarter la possibilité que Sports Interaction ait été constituée en société au niveau international ou qu’elle exerce des activités à l'échelle interprovinciale.  

 

[24]           J'ai examiné attentivement les arguments de la demanderesse ainsi que les décisions qu'elle invoque. J'ai également examiné attentivement le raisonnement de mon collègue qui a déjà entendu l'affaire. J'abonde dans le même sens que lui que la jurisprudence établie  consacre le principe selon lequel « les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine ».

 

[25]           Il existe cependant des exceptions à cette règle générale; l'une de ces règles dépend de la nature des activités de l'employeur. Si, par exemple, la nature des activités ou la question en litige fait partie intégrante de la compétence fédérale prévue dans la Loi constitutionnelle de 1867, alors les relations de travail peuvent relever de la compétence fédérale (voir Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, à la page 130; Québec (Commission du salaire minimum) c. Construction Montcalm Inc., [1979] 1 R.C.S. 754, aux pages 8 et 9; Toronto Electric Commissioners c. Snider et al., [1925] A.C. 396, (1925) 2 D.L.R. 5; Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement d'Amérique, [1980] 1 R.C.S. 1031, aux pages 9 et10; et Reference re : Industrial Relations and Disputes Investigation Act (Canada), [1955] R.C.S. 529) (l'Affaire des débardeurs).

 

[26]           Je suis toutefois enclin à abonder dans le même sens que l'avocate du défendeur qui porte à l'attention de la Cour les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Northern Telecom Ltd., susmentionné, dans lequel Northern Telecom n'a pas contesté la compétence de la Commission lors de l'audience. La Cour suprême a conclu ce qui suit :

[...] La décision par laquelle on détermine si une exploitation accessoire fait partie intégrante de l'entreprise fédérale doit être, pour citer l'arrêt Arrow Transfer, « un jugement à la fois fonctionnel, pratique sur le caractère véritable de l'entreprise active. » Ou, pour reprendre les mots du juge Beetz dans Montcalm, pour déterminer la nature de l'exploitation, « il faut considérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'"entreprise active" sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels » et l'évaluation de ces « activités normales ou habituelles » exige des conclusions de fait assez complètes. Ces conclusions de fait prennent encore plus d'importance lorsque le litige porte sur des entreprises à la fois fédérales et provinciales, nécessitant une analyse poussée et attentive du lien entre l'exploitation accessoire et l'exploitation principale.

 

La lecture du dossier révèle l'absence quasi totale de preuve concernant les faits pertinents, nécessaires à la solution d'un litige aussi délicat. En réalité, le dossier est tellement incomplet que la Cour ne peut trancher l'importante question de la compétence constitutionnelle en matière de relations de travail concernant les employés travaillant pour le service de l'installation de Telecom.

 

Cette absence de preuve est presque entièrement attribuable à la position équivoque de Telecom devant le Conseil. L'avocat de Telecom a attiré l'attention du Conseil sur le fait que la réponse de Telecom à la requête du syndicat ne laissait aucunement entendre que le Conseil n'était pas compétent. L'avocat a assuré le Conseil, tout en faisant une « réserve », que « l'intimée ne contestera pas la compétence du Conseil » et a répété « nous ne contesterons pas la compétence du Conseil ». Comme Telecom n'a pas contesté la compétence du Conseil, ni Telecom ni le syndicat n'ont fait la preuve des faits pertinents à la question constitutionnelle et présenté d'argumentation sur cette question devant le Conseil. Aucune preuve supplémentaire n'a été présentée à la Cour d'appel fédérale lors de la demande d'examen et d'annulation de la décision du Conseil présentée en vertu de l'art. 28.

 

Je suis donc enclin à penser qu'en l'absence de preuve des faits essentiels, cette Cour serait malavisée de tenter de résoudre la question d'ordre constitutionnel sous-entendue dans la question sur laquelle l'autorisation d'appel a été accordée. Il ne faut pas oublier qu'un litige constitutionnel ne s'arrête pas aux intérêts privés des deux parties devant la Cour. [...]

 

 

[27]           Je reconnais également que le simple fait que les activités de la société soient en grande partie menées par des Indiens sur une réserve indienne ne fait pas automatiquement de la présente affaire une affaire qui relève de la compétence fédérale. Comme Peter Hogg le souligne dans Constitutional Law of Canada, édition feuilles mobiles (Toronto : Thomson Carswell, 2004), à l'alinéa 21.8b) :

[Traduction]

 

L'Affaire des débardeurs a été suivie dans de nombreuses décisions subséquentes où on se demandait si une unité de négociation d'employés faisait partie intégrante d'une entreprise qui relève de la compétence fédérale. Le lien exigé avec l’entreprise fédérale est d’ordre fonctionnel ou opérationnel. Le fait que l'employeur est une société exploitée par des Indiens et que l'entreprise soit située sur une réserve indienne n'a pas pour conséquence de faire relever les employés de la compétence fédérale si leur travail ne consiste qu'à fabriquer des souliers.

 

[28]           Toutefois, comme il a déjà été mentionné, les activités de jeu en ligne exercées par la demanderesse comportent un volet national et un volet international car elles comportent des télécommunications qui les font peut‑être relever du domaine de la compétence fédérale.

 

[29]           La Cour est d'avis qu'il ne serait guère judicieux de répondre à la question constitutionnelle parce que la preuve quant aux faits d'ordre constitutionnel est insuffisante. Dans l'arrêt Northern Telecom, précité, le juge Dickson a affirmé ce qui suit à la page 140 :

Telecom n'a pas soulevé la question constitutionnelle devant le Conseil; elle n'a pas non plus prétendu que le Conseil manquait de données de base essentielles pour conclure qu'il était compétent. En l'absence de toute contestation sérieuse de sa compétence, le Conseil a rapidement tranché la question et présumé qu'il était compétent. Par son attitude, Telecom a effectivement privé la Cour siégeant en révision de la preuve des faits essentiels pour parvenir à une conclusion valable sur la question constitutionnelle.

 

Après une analyse poussée des treize volumes de la preuve, un dossier que la Cour n'avait pas lors de l'autorisation d'appel, je conclus que la Cour n'est pas en mesure de trancher nettement la question constitutionnelle. Ce sera donc pour une autre fois et je suis en conséquence d'avis de rejeter le pourvoi pour l'unique motif que d'après le dossier, l'appelante n'a pas réussi à démontrer que le Conseil canadien des relations de travail avait commis une erreur donnant lieu à l'annulation de sa décision.

 

[30]           Je suis confronté à la même situation en l'espèce. Le dossier n'est pas complet. Si l'affaire avait été soulevée devant l'arbitre, il aurait eu l'occasion de s'attarder à toutes les questions pertinentes quant à une décision portant sur une question d'ordre constitutionnelle (Moulton c. MCQ Handling Inc. et Charles Moulton, 2003 CFPI 762, [2003] A.C.F. no 984 (QL), au paragraphe 31).

 

La question en litige no 2. L'arbitre a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en rendant sa décision?

La norme de contrôle

[31]           Il n'est pas nécessaire de passer à l'étape de l'analyse pragmatique et fonctionnelle établie par la Cour suprême du Canada dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 21. En fait, dans une affaire semblable de plainte de congédiement injuste déposée en vertu de l'article 240 du Code, mon collègue le juge James Russell, dans Lesy c. Action Express Ltd., 2003 CF 1455, [2003] A.C.F. no 1900 (QL), a conclu ce qui suit au paragraphe 25 :

 

Il a été statué que la norme de contrôle à appliquer aux décisions rendues par les arbitres désignés conformément au paragraphe 242(1) du Code est celle de la décision manifestement déraisonnable lorsque la question est une question de fait qui relève des pouvoirs de l’office (Lamontagne c. Climan Transportation Services, [2000] A.C.F. no 2063 (2747-7173 Québec Inc.) (C.F. 1re inst.)).

 

[32]           J'adopte le même raisonnement en raison de la clause privative rigoureuse prévue à l'article 243 du Code, et lorsque, comme en l'espèce, les questions sont de nature purement factuelle, la Cour n'interviendra que s'il peut être établi qu'il y a eu une erreur manifestement déraisonnable dans la décision de l'arbitre.

 

La décision de l’arbitre était‑elle manifestement déraisonnable?

[33]           L'avocat de la demanderesse prétend que l'arbitre a pris sa décision sans tenir compte d'éléments de preuve pertinents très importants et que, en conséquence, celle‑ci violait la règle audi alteram partem et était donc contraire aux principes de la justice naturelle. La demanderesse prétend notamment que l'arbitre a mis une partie aux prises avec l'autre et a préféré le témoignage du défendeur qui diminuait l'importance des transcriptions des messages MSN ainsi que le caractère sérieux de leur contenu. La demanderesse prétend de plus qu'il était injuste que l'arbitre ne tienne pas compte de sa position, laquelle était fondée sur le contenu littéral de ces messages.

 

[34]           Le défendeur prétend que la décision de l'arbitre n'était pas manifestement déraisonnable et qu’elle doit être confirmée. Après avoir examiné attentivement la preuve documentaire, l'arbitre a procédé à l'analyse de la preuve présentée par les témoins des deux parties et a conclu que le principal témoin de la demanderesse n'était pas crédible. L'arbitre a affirmé qu'elle [Traduction] « semblait craindre qu'elle aurait des problèmes avec son patron si elle ne prenait pas la part de Sports Interaction ».

 

[35]           En revanche, l'arbitre a estimé que le défendeur était un témoin crédible et il a souligné ce qui suit :

[Traduction]

 

M. Jacobs a fait un long témoignage quant aux conversations en ligne, quant aux mots utilisés dans celles‑ci et quant à l'objet qu’elles visaient. Il m'a semblé être un jeune homme sérieux qui se conduit bien et qui s'exprime clairement, et j'ai préféré son témoignage à celui des témoins de la société. [...]

 

 

[36]           Le défendeur souligne en outre que l'arbitre n'a pas violé la règle audi alteram partem car il a analysé la gravité de l'infraction, il a examiné ligne par ligne chacune des conversations en ligne et il a conclu, comme l'avocat de la demanderesse l'a si judicieusement affirmé, que c’était plus que des paroles en l'air. L'arbitre a conclu :

[Traduction]

 

La « conversation » entre M. Jacobs et un certain Donald Phillips, qui figure à la pièce E-1 comprend tout de même des propos grossiers, choquants, insultants et parfois menaçants à l'égard de Mlle Stacey et de la société. La pièce E-2 comprend le même genre de propos.

 

 

[37]           Un examen attentif de la décision de l'arbitre révèle que celui‑ci a apprécié les faits qui lui ont été soumis et qu'il a conclu qu'il y avait eu congédiement injuste non seulement parce que l'infraction mineure commise par le défendeur s'était produite pendant une courte période de temps au cours de laquelle il régnait un malaise généralisé au sein du milieu de travail en raison de changements qui s’étaient produits dans le milieu de travail, mais également parce que le défendeur était la seule personne parmi quatre autres personnes qui avait été congédiée, et ce, promptement. L'arbitre a toutefois conclu que la culture de l'entreprise se prêtait à ce genre de propos et qu'aucune politique de l'entreprise ne réglementait ou n'interdisait l'utilisation du service de messagerie électronique MSN durant les heures de travail. En effet, l'arbitre a conclu que le fait que le défendeur ait conversé en ligne pendant les heures de travail n'a eu aucune incidence sur sa fiche de travail.

 

[38]           En tant que juge chargé du contrôle, il ne m'appartient pas de tirer une conclusion différente de celle qui a été tirée par l'arbitre. Mon rôle consiste à examiner cette décision et à déterminer si l'arbitre, compte tenu des faits pertinents qui lui ont été soumis, pouvait en arriver à cette décision. Après avoir fait cela et après avoir apprécié l'ensemble des documents qui ont été soumis à l'arbitre, y compris les transcriptions des contre‑interrogatoires relatifs aux affidavits du défendeur et de Tina Stacey, pour la demanderesse, je suis convaincu qu'il était loisible à l'arbitre d'arriver à la décision à laquelle il est arrivé car il a examiné l'ensemble de la preuve et il a reproché au défendeur son comportement répréhensible et indigne de sa profession tout en reconnaissant que la demanderesse avait violé les règles des mesures disciplinaires progressives en exprimant une réaction, on le comprend, très vive, avant de réfléchir au contenu des messages. Voilà pourquoi je suis convaincu que la décision de l'arbitre n'était pas manifestement déraisonnable et devrait être confirmée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE A

(Telle que déposée par les avocats de la demanderesse.)

 

 

T-1411-04

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

ENTRE :

 

SPORTS INTERACTION

 

demanderesse

 

et

 

TREVOR JACOBS

 

défendeur

 

 

AVIS DE QUESTION CONSTITUTIONNELLE

 

            La demanderesse a l'intention de mettre en doute l'applicabilité ou les effets sur le plan constitutionnel des articles 2 et 167 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, et de l'article 88 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. ch. I-5.

 

            La question sera débattue à une date qui sera fixée par l'administrateur judiciaire.

 

            Les faits pertinents qui ont donné lieu à la question constitutionnelle sont les suivants :

 

            Le défendeur travaillait pour la demanderesse à sa place d'affaires située sur le territoire des Mohawks de Kahnawake. À la suite de son congédiement, le défendeur a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail. Un arbitre a été nommé et a été saisi de l'affaire.

 

            Ce qui suit est le fondement juridique de la question constitutionnelle :

 

            L'arbitre n'avait pas compétence pour être saisi de l'affaire. En vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, les relations de travail relèvent généralement de la compétence provinciale. Aucun aspect des activités de la demanderesse aurait pu faire relever ses relations de travail de la compétence fédérale, sauf le fait que ces relations ont eu lieu sur le Territoire des Mohawks; toutefois, l'article 88 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, sert à régler la présente affaire car il fait clairement relever les relations de travail en l'espèce de la compétence provinciale.

 

 

 

            Le 31 mars 2006                                                          « Schneider & Gaggino »         

                  (Date)                                                        Schneider & Gaggino G.P.

                                                                                    375, chemin Bord-du-Lac Lakeshore

                                                                                    Dorval (Québec)

                                                                                    H9S 2A5

 

                                                                                                Dan Goldstein

                                                                                                (514) 631-8787 (téléphone)

                                                                                                (514) 631-0220 (télécopieur)

 

                                                                                                Avocats de la demanderesse

 

 

 

Destinataires :   Le procureur général du Canada

                        Le procureur général de l'Alberta

                        Le procureur général de la Colombie‑Britannique

                        Le procureur général du Manitoba

                        Le procureur général du Nouveau‑Brunswick

                        Le procureur général de Terre‑Neuve

                        Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse

                        Le procureur général de l'Ontario

                        Le procureur général de l'île‑du‑Prince‑Édouard

                        Le procureur général du Québec

                        Le procureur général de la Saskatchewan

 

 

 

 

           


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          T-1411-04

 

INTITULÉ :                                                         SPORTS INTERACTION 

                                                                              c.

TREVOR JACOBS

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 12 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 19 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan Goldstein                                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

Chantal Poirier                                                                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Schneider & Gaggino                                              POUR LA DEMANDERESSE

Dorval (Québec)

 

Brodeur Matteau Poirier                                         POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

 

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