Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20070116

Dossier : IMM-2481-06

Référence : 2007 CF 34

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2007

En présence de l’honorable Johanne Gauthier

 

ENTRE :

SABA ASAAD HADDAD

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Haddad demande à la Cour d’annuler la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) rejetant sa demande d’asile parce qu’elle a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de croire qu’il a participé (complice par association) à des crimes contre l’humanité commis par les Forces libanaises (article 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés), et qu’il est donc exclu aux termes de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs suivants, je suis satisfaite que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

Les faits pertinents

[3]               Monsieur Haddad est un citoyen du Liban, arrivé au Canada le 16 avril 2004, date à laquelle il a indiqué son intention de revendiquer le statut de réfugié.

 

[4]               Le demandeur affirme avoir une crainte bien fondée de persécution au Liban en raison des opinions politiques qui lui sont imputées. Plus précisément, lors de sa première audience devant la SPR, le demandeur a indiqué qu’il a travaillé pour les services secrets de l’Armée du Liban Sud (ALS) de 1977 à 1987 et que, depuis 1999, il est menacé par les partisans du Hezbollah qui lui reprochent d’avoir collaborer avec les Forces libanaises et/ou l’ALS. À ce moment là, il avait aussi indiqué que son travail consistait à obtenir de l’information d’amis, et par téléphone, quant aux activités du Hezbollah, particulièrement «où ils ont des centres ou des postes … qu’est-ce qu’ils font, où est-ce qu’ils vont …» (p. 422 du dossier certifié).

 

[5]               Lors d’audiences subséquentes, le demandeur a modifié son histoire. Il a indiqué qu’il travaillait plutôt pour les Forces libanaises, une autre milice chrétienne opérant dans le sud du Liban. De 1977 à 1984, son travail consistait à naviguer sur un petit traversier (20 à 25 passagers) appartenant aux Forces libanaises qui faisait la navette entre Beyrouth et Israël. Selon lui, il aurait accepté ce travail parce qu’il ne voulait pas combattre pour les Forces libanaises et parce qu’il savait nager et pouvait donc agir comme sauveteur en cas d’urgence. Il devait aussi recueillir toute information utile échangée par les passagers. Bien que le traversier ait cessé de naviguer en 1984, le demandeur aurait continué à être payé par les Forces libanaises jusqu’en 1987, et ce, même si selon lui, il leur a jamais effectivement fourni aucune information provenant des passagers de 1977 à 1984 et aucune autre prestation après 1984.

 

[6]               Pour expliquer son premier témoignage, le demandeur a dit que ce sont les Forces libanaises qui lui avait demandé de transmettre à l’ALS quelque information utile qu’il entendrait. Toutefois, ici encore, il a indiqué que dans les faits, il n’a jamais fourni d’information à l’ALS.

 

[7]               C’est dans ce contexte que l’ALS ou les Forces libanaises l’aurait prévenu en 1990 qu’il était listé comme « collaborateur » dans les dossiers de l’Hezbollah et qu’il ne devrait pas aller à Tyr où on le recherchait.

 

[8]               Dans sa décision, la SPR note que le fardeau de preuve repose sur le Ministre qui demande l’exclusion en vertu de l’article 98 de la Loi. Elle rappelle que le Ministre a le devoir d’établir qu’il y a « des raisons sérieuses de penser qu’un individu a commis un crime contre l’humanité ». En s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Ramirez c. Canada (M.C.I.), [1992] 2 C.F. 306 (QL), la SPR note que cette norme de preuve est moins exigeante que celle de la prépondérance des probabilités. Elle examine ensuite la jurisprudence sur la question de la participation à un tel crime par complicité (y inclus toutes les autorités citées par le demandeur à l’audience devant moi).

 

[9]               La SPR conclut ensuite après avoir examiné la preuve documentaire devant elle que les Forces libanaises et l’ALS ont effectivement commis plusieurs crimes contre l’humanité, et ce, tout au long de la longue période durant laquelle le demandeur a travaillé pour les Forces libanaises. Cette conclusion n’est pas contestée par le demandeur. La Cour note d’ailleurs que cette Cour et la Cour d’appel fédérale ont confirmé plusieurs décisions contenant des conclusions similaires quant à ces deux milices (Harb c. Canada (MCI), 2003 FCA 39, [2003] A.C.F. no 108 (C.A.) (QL); El Hayek c. Canada (MCI), 2005 CF 835, [2005] A.C.F. no 1045 (QL); Sleiman c. Canada (MCI), 2005 CF 285, [2005] A.C.F. no 344 (QL); Alwan c. Canada (MCI), 2004 CF 807, [2004] A.C.F. no 982 (QL); El-Kachi c. Canada (MCI), 2002 CFPI 403, [2002] A.C.F. no 554 (QL); Srour c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 133 (QL)).

 

[10]           La SPR a aussi conclu que le demandeur avait connaissance des crimes commis par les Forces libanaises et que malgré cela, il n’a jamais tenté de mettre fin à ses activités principalement parce que son employeur le payait bien.

 

[11]           Il est évident que la SPR a donné du poids au témoignage du demandeur lors de la première audience (voir page 6 de la décision, paragraphe 3) alors qu’elle a conclu que pendant les audiences subséquentes, le demandeur a simplement tenté de minimiser sa collaboration avec les Forces libanaises (page 7, 1er paragraphe). Elle note aussi que ce travail d’informateur présumément sur un traversier n’est pas mentionné dans le formulaire de renseignements personnels du demandeur. La Cour note que dans son formulaire, le demandeur devait lister ses activités professionnelles pendant cette période et qu’à cet égard, il a seulement indiqué qu’il travaillait dans son usine d’aluminium alors que selon son témoignage, il n’avait pas vraiment de commande pendant cette période. Son implication avec les Forces libanaises n’est pas non plus mentionnée dans son récit bien qu’elle soit, selon son témoignage, la cause même de ses problèmes avec les partisans du Hezbollah.

 

Questions en litige

 

[12]           Le demandeur a convenu à l’audience que la SPR a appliqué le bon test et qu’elle comprenait bien le droit applicable pour déterminer si une personne a commis ou participé à la commission d’un crime par complicité. Selon lui, c’est dans l’application du droit aux faits de l’espèce que la SPR a erré.

 

[13]           Elle aurait aussi dû accepter son témoignage à l’effet qu’il n’a jamais combattu ni participé activement à quelque activité liée aux crimes commis par les Forces libanaises ou l’ALS et qu’il devait travailler pour les Forces libanaises pour subsister. Selon lui, il n’avait pas le choix s’il voulait faire vivre sa famille.

 

[14]           Finalement, selon le demandeur, compte tenu de la nature de son implication et la preuve devant la SPR, celle-ci ne pouvait conclure qu’il avait été complice des crimes commis par les Forces libanaises.

 

 

 

Analyse

[15]           Il est de jurisprudence constante que la norme applicable au contrôle judiciaire d’une décision de la SPR varie selon la nature de la conclusion attaquée : pour une question de droit, la norme est celle de la décision correcte; pour une question de fait et à l’égard de conclusions portant sur la crédibilité d’un témoignage et la valeur probante d’une preuve, c’est celle de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique. Finalement pour une question mixte de fait et de droit, c’est celle de la décision raisonnable. Cette approche a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c. Canada (MCI), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100 (QL). (voir aussi Harb, ci-dessus).

 

[16]           La question de savoir s’il y a des raisons sérieuses de croire que le demandeur était complice des crimes commis par les Forces libanaises est une question mixte de droit et de fait B laquelle j’appliquerai donc la norme de la décision raisonnable. Quant à savoir si dans les faits, le demandeur a tenté de minimiser ou pas sa collaboration avec ces milices, s’il a tenté de se dissocier des Forces libanaises, et si non pourquoi, ce sont là des questions de fait et d’appréciation de la preuve auxquelles la norme de la décision manifestement déraisonnable s’applique.

 

[17]           La Cour a révisé très attentivement le dossier certifié y inclus la transcription de toutes les audiences devant la SPR et elle est satisfaite que les conclusions de faits de la SPR et son évaluation du témoignage du demandeur ne contiennent aucune erreur révisable. Elles sont toutes supportées par de la preuve et ne sont pas arbitraires, illogiques ou absurdes.

 

[18]           Quant à la complicité du demandeur, après une étude assez poussée du dossier, la Cour est aussi convaincue que la conclusion de la SPR est raisonnable.

 

[19]           Il convient de rappeler à cet égard que dans Harb ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a de nouveau précisé au paragraphe 11  que:

… Ce n’est pas la nature des crimes reprochés à l’appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s’être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l’humanité et que l’appelant rencontre les exigences d’appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence […], l’exclusion s’applique quand bien même les gestes concrets posés par l’appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l’humanité. …

 

[20]           Pour conclure qu’une personne partageait une intention commune avec l’auteur des crimes commis contre l’humanité, la jurisprudence n’a jamais exigé que les activités de cette personne soient directement  reliées à la commission des crimes reprochés ou que ces crimes soient directement attribuables à des omissions ou actes précis d’un demandeur. La participation consciente et personnelle peut être indirecte et ne requiert pas qu’une personne soit un membre combattant d’une milice.

 

[21]           En l’espèce, la SPR pouvait raisonnablement inférer que le demandeur avait une intention commune avec les Forces libanaises des faits suivants : connaissance des crimes commis par cette organisation, sa longue association avec celle-ci, et le fait qu’il n’a pas tenté de s’en dissocier alors que ceci n’aurait pas mis sa vie et sa sécurité en danger.

 

[22]           Le fait que le demandeur nie avoir partagé l’intention ou les buts des Forces libanaises et qu’il dit plutôt qu’il s’en fichait et voulait simplement subvenir aux besoins de sa famille ne suffit pas à nier l’existence d’une telle intention commune. (voir Harb, ci-dessus au para. 27)

 

[23]           Les services secrets et le réseau d’informateurs d’organisations telles que les Forces libanaises sont des fonctions aussi essentielles que le financement et la propagande (voir par exemple Diab c. Canada (MEI), [1994] A.C.F. no  947 (QL); Szekely c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no  1983 (QL) et Zoya c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. no  1884 (QL)). Et comme l’indiquait la Cour d’appel fédérale dans Bazargan c. Canada (MCI), [1996] A.C.F. no  1209 (QL), celui qui met sa propre roue dans l’engrenage des opérations d’une organisation s’expose à l’application de la clause d’exclusion au même titre que celui qui participe directement à l’opération.

 

[24]           Les parties ont convenu à l’audience que cette affaire n’implique aucune question d’intérêt général. La Cour est satisfaite qu’il n’y a aucune question à certifier en l’espèce.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE :

            La demande est rejetée.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2481-06

 

INTITULÉ :                                       Saba Asaad Haddad c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :               10 janvier 2007

 

MOTIFS  :                                         L’HONORABLE JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      16 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serge Khoury

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Isabelle Brochu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Serge Khoury,

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-Procureur Général du Canada

Ottawa, Ontario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.