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Date : 20070117

Dossier : IMM-1929-06

Référence : 2007 CF 46

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

YOHANNES MEHARI MIRCHA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision du délégué du ministre qui a conclu que l’avis de danger rendu le 24 mai 1996 [la Cour souligne] restait en vigueur. La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire (2 mars 2006) a été rendue presque 10 ans après le premier avis de danger. Le demandeur est resté au Canada pendant toute cette période, en partie parce qu’il était en prison, mais aussi parce que pendant un certain temps, il était le principal pourvoyeur de soins à deux enfants alors que sa conjointe de fait suivait des traitements pour maladie mentale.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention et il est devenu résident permanent en mai 1989.

 

[3]               En 1995, le demandeur a été déclaré coupable d’agressions sexuelles sur deux adolescentes de 15 ans. L’une de ces agressions avait été filmée. L’alcool avait joué un rôle important dans les deux agressions. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans.

 

[4]               Le défendeur a rendu un avis de danger contre le demandeur en mai 1996 alors que le demandeur était en prison. Une ordonnance d’expulsion a été rendue contre lui et sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

 

[5]               En octobre 1999, le demandeur a été libéré de prison, mais son expulsion a été retardée pendant que le défendeur tentait d’obtenir des documents de voyage du gouvernement de l’Éthiopie. L’expulsion a de nouveau été retardée par une ordonnance de la Cour qui accordait un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion en attendant le résultat de la demande du demandeur qui contestait le refus de réexaminer le premier avis de danger. Le ministre a finalement accepté d’effectuer un nouvel examen, qui a entraîné la tenue du présent contrôle judiciaire.

 

[6]               Dans les documents de réexamen communiqués à l’appelant, les nouveaux faits déterminants suivants étaient énoncés :

·                    Le 6 juin 2004, une dénonciation a été déposée contre le demandeur au nom de son ancienne conjointe de fait, qui craignait qu’il soit violent envers elle du fait d’incidents qui avaient eu lieu par le passé;

·                    le demandeur avait pris des engagements qui, entre autres, lui interdisaient tout contact avec son ancienne conjointe de fait;

·                    le 23 juillet 2004, le demandeur a été accusé de voies de fait et de manquement à son engagement; il a finalement été déclaré coupable seulement pour le manquement à son engagement, soit d’avoir pris contact avec son ancienne conjointe de fait; il a été condamné à un jour de prison, condamnation qui prenait en considération la période qu’il avait déjà passée sous garde, suivi d’une période de probation de neuf mois;

·                    le 28 juin 2004, la sœur de son ancienne conjointe de fait a écrit à des agents de l’immigration; elle soutenait que le demandeur continuait de consommer de l’alcool et qu’il représentait un danger pour sa sœur.

 

[7]               Dans les observations du demandeur présentées au délégué du ministre, l’avocat du demandeur a fait valoir une objection contre la lettre du 28 juin 2004, il a demandé l’autorisation de contre-interroger l’auteure de la lettre et il a présenté l’affidavit de réfutation du demandeur. Dans cet affidavit, le demandeur ne contestait pas l’allégation de sa consommation continue d’alcool.

 

[8]               Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, le délégué du ministre cite des passages de la décision de la juge Mactavish dans Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, dans laquelle elle affirmait qu’un délégué du ministre, lorsqu’il rend un avis de danger, ne devrait pas simplement accepter des allégations quant à de possibles actes criminels possibles et devrait examiner les faits entourant ces allégations.

 

[9]               Le délégué du ministre avait pour motifs de confirmation de l’avis de danger que : a) les accusations et la déclaration de culpabilité récentes démontraient que le demandeur n’avait pas changé son mode de vie et qu’il ne s’était pas réadapté et b) il consommait encore de l’alcool.

 

[10]           Le demandeur conteste cette décision et présente quatre moyens :

1.         Le demandeur n’a manqué qu’une fois, et de façon mineure, aux conditions de sa mise en liberté, mais il a fait la preuve par bonne conduite qu’il s’était suffisamment amendé pour pouvoir prendre soin de ses enfants;

2.         une déclaration de culpabilité ne justifie pas en soi un avis de danger;

3.         sa « belle-sœur » avait écrit une lettre « empoisonnée » pour des raisons personnelles;

4.         il y a eu manquement à la justice naturelle parce que l’avocat du demandeur n’a pas eu l’autorisation d’interroger la « belle-sœur » au sujet de sa lettre.

 

III.       ANALYSE

[11]           La Cour suprême du Canada a déterminé, dans l’arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72, au paragraphe 16, que la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle applicable aux avis de danger. Cette norme de contrôle ne s’applique pas au manquement à la justice naturelle, qui doit être examiné en fonction de la décision correcte.

 

[12]           Par conséquent, la question réelle soulevée par les trois premiers moyens est de savoir s’il était manifestement déraisonnable pour le délégué du ministre de conclure que le demandeur ne s’était pas suffisamment réadapté pour pouvoir raisonnablement faire radier le premier avis de danger.

 

[13]           Il existe, certainement, des facteurs qui vont à l’encontre de la conclusion du délégué du ministre, par exemple, la récente déclaration de culpabilité portait sur une infraction mineure qui venait du désir du demandeur de voir son enfant à l’anniversaire de celui-ci, la « belle-sœur » avait des motifs personnels derrière son allégation de danger et le demandeur avait l’appui de son psychologue et du travailleur social quant à sa capacité à s’occuper de ses enfants et à composer avec la maladie mentale de sa conjointe.

 

[14]           Compte tenu de la norme de contrôle applicable, je ne peux pas conclure que la décision du délégué du ministre était manifestement déraisonnable. Il existait des preuves raisonnables à l’appui de la conclusion.

 

[15]           Le demandeur a des antécédents de violence liée à l’alcool. Un rapport de psychologue (dossier certifié du tribunal, pages 71 à 73) confirmait que l’alcool avait joué un rôle dans les actes criminels du demandeur. Le demandeur présentait un risque en raison de la relation entre sa consommation d’alcool et sa tendance à la violence.

 

[16]           Le demandeur a eu la possibilité de réfuter, dans un affidavit, l’allégation de sa « belle‑sœur » selon laquelle il consommait de l’alcool. Il est particulièrement révélateur que le demandeur n’ait pas nié cette allégation – allégation qui est au cœur de ce qui le rend dangereux envers autrui.

 

[17]           Compte tenu du passé du demandeur, il existait un fondement pour la conclusion du délégué du ministre. La consommation d’alcool du demandeur constituait un fondement suffisant pour la conclusion que ce fait et d’autres faits liés à sa mauvaise conduite l’emportaient sur la preuve favorable.

 

[18]           En ce qui a trait au manquement à la justice naturelle, je ne peux pas souscrire à l’idée selon laquelle, dans le cadre du réexamen d’un avis de danger pour lequel il y a eu une audience publique lors du premier avis, l’obligation d’équité lors du réexamen est faible. Je ne crois pas que l’on puisse faire valoir que, selon la décision McLaren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 373, il s’agisse d’une règle universelle. Comme la Cour d’appel l’a déclaré dans l’arrêt Bhangwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, la procédure de l’avis de danger est contradictoire et entraîne des conséquences importantes. Ni la nature contradictoire ni l’importance des conséquences ne changent simplement parce que la procédure est le réexamen d’un avis de danger.

 

[19]           Le dossier du demandeur aurait été plus solide à ce sujet s’il avait nié les allégations de consommation d’alcool qui avaient été présentées contre lui. Ces allégations sont fondamentales en l’espèce. Il n’a même pas nié qu’elles étaient vraies. Il peut donc difficilement se plaindre de ne pas pouvoir affronter son accusateur sur une question importante qu’il n’a pas niée ou contestée.

 

IV.       CONCLUSION

[20]           Par conséquent, pour ces motifs, le contrôle judiciaire sera rejeté. Aucune question ne sera énoncée pour la certification.

 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1929-06

 

INTITULÉ :                                       YOHANNES MEHARI MIRCHA

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Fiona Begg

 

POUR LE DEMANDEUR

Sandra Weafer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

FIONA BEGG

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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