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Date : 20061222

Dossiers : T­‑2185‑06 et T‑2142‑06

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ contre LE NAVIRE MAERSK DEFENDER également connu sous le nom de VOYAGER SEA et

ACTION PERSONNELLE

ENTRE :

MARITIMA DE ECOLOGIA, S.A. de C.V.

demanderesse

et

 

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE MAERSK DEFENDER ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE VOYAGER SEA, I.S. ATLANTIC CORPORATION INC. et SECUNDA MARINE SERVICES LTD.

défendeurs

 

ORDONNANCE

 

 

Les requêtes des défendeurs

            ATTENDU que les demandes de réparations contenues dans les requêtes des défendeurs peuvent être résumées comme suit :

  • I.S. Pacific demande que soient radiées les première et deuxième actions réelles;
  • I.S. Pacific demande que soit accordée une mainlevée de la saisie du navire sans que le dépôt d’un cautionnement soit exigé;
  • Secunda Marine demande que soient radiées les première et deuxième actions personnelles engagées contre elle;
  • I.S. Pacific demande que soit radiée la deuxième action personnelle engagée contre elle;
  • I.S. Atlantic demande que soient radiées les première et deuxième actions engagées contre elle ou, subsidiairement, qu’elles soient suspendues afin qu’il soit procédé à un arbitrage à Londres.

 

Le contexte des procédures intentées devant la Cour fédérale :

            ATTENDU que ce qui suit constitue l’historique des procédures intentées devant la Cour fédérale :

  • L’action T‑2142 a été déposée le 4 décembre 2006. Cette action est censée être une action réelle et une action personnelle contre I.S. Atlantic et Secunda Marine Services Ltd. et contre le navire qui, le 14 décembre 2006, était la propriété de Maersk. Il sera fait référence à cette action sous le nom de « la première action ».
  • La demanderesse a déposé la première action trois jours plus tard; elle a nommé un arbitre, enclenchant l’arbitrage à Londres.
  • Le paragraphe 13 de la première action énonce que l’action est présentée à la seule fin d’obtenir des ordonnances conservatoires provisoires, notamment des injonctions et des garanties, relativement à un arbitrage à Londres; cependant, la déclaration dans la première action, au paragraphe 1, énonce que la demanderesse demande ce qui suit : 1) des injonctions provisoires et interlocutoires prévoyant l’exécution intégrale de la charte‑partie ou subsidiairement des dommages-intérêts au lieu et place de l’exécution intégrale; 2) des dommages‑intérêts; 3) des intérêts; 4) la confiscation du navire et 5) des dépens.
  • Le 8 décembre 2006, la demanderesse a présenté dans la première action, sans donner quelque avis à l’un ou l’autre des défendeurs, une requête ex parte par laquelle elle demandait l’exécution intégrale de la charte‑partie et une gamme d’injonctions et d’ordonnances mandatoires, lesquelles ont toutes été refusées.
  • L’action T‑2185 a été déposée le 12 décembre 2006 (la deuxième action). On demande dans la deuxième action les mêmes réparations que celles demandées dans la première action, mais I.S. Pacific, la propriétaire actuelle du navire y est nommée à titre de défenderesse additionnelle.
  • Comme dans la première action, la deuxième action énonce au paragraphe 14 que l’action est présentée à la seule fin d’obtenir des ordonnances conservatoires provisoires, notamment des injonctions et des garanties, relativement à l’arbitrage à Londres.
  • Comme dans la première action, la déclaration énonce que la demanderesse demande ce qui suit : 1) des injonctions provisoires et interlocutoires prévoyant l’exécution intégrale de la charte‑partie ou subsidiairement des dommages‑intérêts au lieu et place de l’exécution intégrale; 2) des dommages‑intérêts; 3) des intérêts; 4) la confiscation du navire et 5) des dépens.
  • Le 12 décembre 2006, la demanderesse a obtenu un mandat de saisie du navire dans la deuxième action. Dans l’affidavit produit pour l’obtention du mandat, l’avocat de la demanderesse affirme solennellement que ce sont les réclamations suivantes qu’il vise par la saisie du navire : 1) une ordonnance d’exécution intégrale; 2) des dommages‑intérêts pour inexécution de la charte-partie; et 3) une ordonnance de possession du navire. L’affidavit produit pour l’obtention du mandat ne mentionne pas l’arbitrage à Londres.
  • Au moment où le navire a été saisi, il était la propriété de I.S. Pacific, qui l’avait acheté de Maersk le même jour.

 

Les actions réelles

            ATTENDU que la seule partie devant la Cour qui semble n’avoir jamais eu un droit de propriété sur le navire est I.S. Pacific, une défenderesse dans la deuxième action. I.S. Pacific a acheté le navire le 12 décembre 2006 de Maersk, une entité qui n’est une partie ni dans la première action ni dans la deuxième action.

 

            La première action et la deuxième action, dans la mesure où elles sont censées être des actions réelles, doivent être radiées et la mainlevée de la saisie du navire doit être accordée.

 

Le navire est‑il lui‑même en cause dans l’action?

            ATTENDU que, pour que la Cour exerce sa compétence en matière réelle dans une action portant sur un navire, le navire doit lui‑même être en cause dans l’action. Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, énonce ce qui suit :

(2) Sous réserve du paragraphe (3), elle peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d’autres biens, ou sur le produit de leur vente consigné au tribunal.

 

(2) Subject to subsection (3), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 may be exercised in rem against the ship, aircraft or other property that is the subject of the action, or against any proceeds from its sale that have been paid into court.

 

            Même si les actions nomment un certain nombre de parties, les première et deuxième actions se rapportent à une inexécution anticipée alléguée de la charte‑partie par I.S. Atlantic, une entité qui semble n’avoir jamais été propriétaire du navire.

 

            Le simple fait que le navire soit nommé dans la charte‑partie n’entraîne pas qu’il soit « en cause dans l’action », même s’il était à ce moment la propriété d’I.S. Atlantic. Dans l’arrêt Paramount Enterprises International, Inc. c. Le navire An Xin Jiang, [2000] A.C.F. no 2066 (C.A.) (QL), l’appelante tentait de présenter une action, une action réelle, contre une cargaison qu’elle avait soi‑disant le contrat de transporter. La Cour d’appel a déclaré qu’on ne pouvait pas dire que la cargaison était « en cause dans l’action » et par conséquent la Cour n’avait pas compétence pour entendre une action réelle. Au paragraphe 28 de l’arrêt, la Cour d’appel a fourni les explications suivantes :

L’action in rem de Paramount contre la cargaison de Beston est fondée sur une allégation de nature contractuelle de non‑exécution par Beston d’un contrat de charte‑partie. Il est vrai que ce contrat visait cette cargaison, mais le seul lien qui existe entre l’action et la cargaison est le fait que c’est cette cargaison qui aurait été transportée si le contrat avait été respecté. Or le contrat n’a pas été respecté, le transport n’a jamais été commencé, la cargaison n’est pas grevée d’un privilège maritime et Paramount n’a jamais été en possession de la cargaison. La cargaison en tant que telle n’a causé aucun dommage, elle n’a bénéficié d’aucun avantage et elle n’a été impliquée dans aucun incident qui soit relié à l’action. L’action pour bris de contrat, si elle doit réussir, réussira peu importe que la cargaison ait été par la suite transportée ou non et peu importe, si elle a été transportée, le navire sur lequel elle l’aura été. Permettre la saisie de la cargaison, en l’espèce, serait permettre la saisie de tout bien appartenant à un défendeur quand bien même aucun bien ne serait en cause dans l’action.

 

 

            Les deux actions sont des actions pour inexécution de la charte‑partie par I.S. Atlantic. La charte‑partie n’a pas été respectée, il n’existe aucun privilège maritime et I.S. Atlantic n’a jamais été propriétaire du navire. Si les actions pour inexécution de la charte‑partie doivent réussir, elles réussiront peu importe qui est le propriétaire du navire ou qui l’exploite. Par conséquent, on ne peut pas dire que le navire est « en cause dans l’action » au sens du paragraphe 43(2) de la Loi sur les Cours fédérales. En outre, même si I.S. Atlantic était effectivement propriétaire du navire, on ne peut pas dire que le navire est « en cause dans l’action ».

 

            Plus récemment, dans l’arrêt Kremikovtzi Trade c. Phoenix Bulk Carriers Ltd., 2006 CAF 1, [2006] A.C.F. no 9 (C.A.) (QL), la Cour d’appel a mis en doute ce qui avait été décidé dans l’arrêt Paramount, mais elle a appliqué l’analyse qui y était faite comme une analyse qui lie la Cour. L’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada a été accordée, mais l’affaire n’a pas encore été entendue. Par conséquent, l’arrêt Paramount lie la Cour et les faits des présentes actions ne peuvent être différenciés.

 

            La Loi sur les Cours fédérales prévoit également qu’une action réelle ne peut être déposée que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire est le même qu’au moment du fait générateur de l’action. Le paragraphe 43(3) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit ce qui suit :

 

      (3) Malgré le paragraphe (2), elle ne peut exercer la compétence en matière réelle prévue à l’article 22, dans le cas des demandes visées aux alinéas 22(2) e), f), g), h), i), k), m), n), p) ou r), que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l’aéronef ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur.

 

      (3) Despite subsection (2), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 shall not be exercised in rem with respect to a claim mentioned in paragraph 22(2)(e), (f), (g), (h), (i), (k), (m), (n), (p) or (r) unless, at the time of the commencement of the action, the ship, aircraft or other property that is the subject of the action is beneficially owned by the person who was the beneficial owner at the time when the cause of action arose.

 

            La demanderesse a engagé l’arbitrage à Londres contre I.S. Atlantic le 1er décembre 2006. Par conséquent, c’est cette date, au plus tard, qui est la date du fait générateur. Le 1er décembre 2006  et au moment où la première action a été intentée, le 4 décembre 2006, le navire était la propriété de Maersk. Finalement, au moment où la deuxième action a été intentée le 12 décembre 2006, il semble que c’est I.S. Pacific qui était la propriétaire du navire.

 

            Les réclamations de la demanderesse résultaient toutes des allégations selon lesquelles I.S. Atlantic n’avait pas respecté la charte‑partie. I.S. Atlantic ne semblait pas être la propriétaire du navire au moment de ce fait générateur et ne semblait pas être la propriétaire du navire au moment où l’une et l’autre des actions ont été intentées. Comme la Cour d’appel a expliqué dans Mount Royal/Walsh Inc. c. Le Jensen Star, [1990] 1 C.F. 199, [1989] A.C.F. no 450 (C.A.) (QL), l’expression « véritable propriétaire » ne peut que signifier la partie qui détient le titre de propriété du navire. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence à l’égard d’une action réelle portant sur le navire.

 

            À l’égard d’I.S. Pacific et du navire, les première et deuxième actions, dans la mesure où elles sont censées être des actions réelles, sont radiées.

 

            Par suite de la radiation de la deuxième action réelle (l’action dans le cadre de laquelle le navire a été saisi), la Cour ordonne la mainlevée de la saisie du navire sans exiger le dépôt d’un cautionnement conformément au paragraphe 488(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, qui prévoit ce qui suit :

 

488.      (1) La Cour peut, sur requête, ordonner la mainlevée de la saisie de biens à tout moment.

 

488.      (1) On motion, the Court may, at any time, order the release of arrested property.

 

            (2) Lorsqu’un navire autre que celui contre lequel l’action est intentée a été saisi en vertu du paragraphe 43(8) de la Loi, le propriétaire ou toute autre personne qui a un droit sur le navire peut présenter une requête à la Cour en vue d’obtenir la mainlevée de la saisie du navire. Si la Cour constate que ce navire n’appartient pas au véritable propriétaire du navire en cause dans l’action, elle ordonne la mainlevée de la saisie du navire sans exiger le dépôt d’un cautionnement.

 

            (2) Where, pursuant to subsection 43(8) of the Act, a ship that is not the subject of an action has been arrested, any owner or other person interested in the ship may bring a motion to the Court for the release of the ship, and if it is found that the ship is not beneficially owned by the person who is the owner of the ship that is the subject of the action, the Court shall order its release without the taking of bail.

 

            (3) À la suite d’une requête présentée aux termes du paragraphe (2), la Cour peut ordonner la mainlevée de la saisie du navire sans exiger le dépôt d’un cautionnement si elle est convaincue que l’action dans le cadre de laquelle le navire a été saisi est d’un type visé à l’un des alinéas 22(2)a) à c) de la Loi.

            (3) Where on a motion under subsection (2) the Court is satisfied that the action in which the ship has been arrested is for a claim referred to in any of paragraphs 22(2)(a) to (c) of the Act, the Court may order the release of the ship without the taking of bail.

 

 

            LA COUR ORDONNE :

      Le navire n’est pas en cause dans une action réelle appropriée et par conséquent la mainlevée de la saisie du navire doit être accordée sans que le dépôt d’un cautionnement soit exigé.

 

La cause de l’action personnelle

      ATTENDU que la première action est une action personnelle contre I.S. Atlantic et Secunda Marine. La deuxième action est une action personnelle contre I.S. Atlantic, I.S. Pacific et Secunda Marine. Les deux actions sont identiques et visent à obtenir des réparations identiques sauf que la deuxième action nomme I.S. Pacific.

 

      Il peut y avoir une cause d’action relativement à la charte‑partie, mais il s’agit là d’une autre question.

 

La suspension des procédures

      ATTENDU que, par suite d’un examen à l’égard d’une suspension des procédures, les première et deuxième actions personnelles ne sont pas radiées, elles devraient toutes deux être suspendues afin qu’il soit procédé à l’arbitrage à Londres[1].

 

      L’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour peut suspendre les procédures dans toute affaire au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal. (Fibreco Pulp Inc. c. Star Shipping A/S (2000), 257 N.R. 291, 2000 CarswellNat 1231 (C.A.F.). M. le protonotaire John Hargrave a exercé son pouvoir discrétionnaire afin qu’il soit procédé à l’arbitrage à Londres dans une situation où l’omission de le faire résulterait en un partage de l’affaire entre plusieurs tribunaux.)

 

      La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450 (QL), a déclaré que les cours doivent donner effet aux clauses d’arbitrage contractuelles et refuser d’exercer leur compétence lorsque de telles clauses existent.

 

      La demanderesse a invoqué la procédure d’arbitrage prévue à la charte‑partie et les parties ont nommé des arbitres. La demanderesse a clairement dit qu’elle demande à ce que la question de savoir si I.S. Atlantic a contrevenu à la charte‑partie soit tranchée lors d’un arbitrage à Londres et non devant la Cour.

 

      LA COUR ORDONNE que soient suspendues les deux actions personnelles.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.

 

 



[1] En ce qui a trait aux demanderesses, ce qui, en fait, a été enclenché au Mexique à l’égard de quelque éventuelle préparation quant à l’exécution de la charte‑partie demeure nébuleux, et devra être déterminé par l’arbitrage à Londres lorsqu’il sera traité du bien-fondé de l’affaire.

En ce qui a trait aux défendeurs, à l’égard de la véritable propriété ou propriété actuelle et de quelque garantie ou responsabilité précise, cela demeure également nébuleux et sera démêlé par l’arbitrage à Londres lorsqu’il sera traité du bien-fondé de l’affaire.

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