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Date :  20070125

Dossier :  IMM-2513-06

Référence :  2007 CF 62

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

PRITAM SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est d’avis que la Commission peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité, et peut rejeter un témoignage s’il ne concorde pas avec les probabilités de l’ensemble de l’affaire. (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); Alizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (QL); Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (QL))

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 19 avril 2006 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) concluant que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention (article 96 de la Loi) ni de personne à protéger (article 97 de la Loi).

 

FAITS

[3]               Le demandeur, monsieur Pritam Singh est citoyen de l’Inde. Il est de religion Sikh Jatt. Ce dernier allègue avoir une crainte de persécution de la part de la police indienne. Selon son récit, la police indienne le persécute parce qu’elle le soupçonne d’héberger des terroristes. Ces soupçons proviennent de la disparition soudaine d’un employé du demandeur connu sous le nom de Riaz Ali, qui prétendument vit sur la ferme du demandeur entre le mois de décembre 2002 au mois de mars 2003.

 

[4]               Selon M. Singh, le 3 mars 2003, les polices indiennes lui reprochent d’approvisionner les militants Sikhs de munitions ou d’armes à feu. Ils le détiennent et le torturent pendant deux jours. Le 5 mars 2003, ils le libèrent sous condition qu’il coopère avec la police dans la recherche de M. Ali.

 

[5]               Le 12 août 2003, M. Singh embauche un autre individu pour travailler sur sa ferme. Le lendemain, les polices viennent à sa demeure pour le questionner. Quelques jours plus tard, ils arrêtent celui-ci et l’accusent de complot ou de tentative de causer une explosion le Jour d’indépendance à Moga le 15 août 2003. Ils le libèrent le 16 août 2003 en échange d’un pot-de-vin et sous condition que M. Singh coopère, une fois de plus, avec la police dans la recherche de M. Ali. Aussi, ils lui demandent de reporter toute information recueillie sur M. Ali au plus tard le 1 octobre 2003.

 

[6]               Suite à cet incident, M. Singh vit clandestinement chez son oncle au Nouveau Delhi. Entre-temps, il rencontre un agent qui fait les préparatifs pour son départ de l’Inde. Le 21 mai 2004,

M. Singh quitte l’Inde pour le Canada en passant par les Royaume-Unis. Il entre au Canada à la même date.

 

[7]               Une fois arrivée au Canada, il quitte Toronto pour l’Alberta où il travaille comme cuisinier dans un restaurant. Le 27 mai 2005, M. Singh revendique le statut de réfugié à Montréal, suite à l’expiration de son visa de travailleur.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[8]               Le 19 avril 2006, la Commission conclue que M. Singh n’a pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni de « personne à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi après avoir jugée son témoignage non-crédible. Cette conclusion repose sur les nombreuses incohérences, invraisemblances et contradictions ressortant du témoignage de M. Singh ainsi que sur son comportement avant son arrivée au Canada.

 

 

 

QUESTION EN LITIGE

[9]               La Commission a-t-elle commise une erreur manifestement déraisonnable en décidant que M. Singh n’est pas crédible?

 

NORME DE CONTRÔLE

[10]           L’évaluation de la crédibilité des témoins et de l’appréciation de la preuve relève de la compétence de la Commission. Cette dernière a une expertise bien établie pour trancher des questions de fait et, plus particulièrement, pour évaluer la crédibilité ainsi que la crainte subjective de persécution d’un demandeur d’asile. (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 14)

 

[11]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire portant sur des questions de crédibilité, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour doit faire preuve d’une grande retenue puisqu’il appartient à la Commission d’apprécier le témoignage du demandeur et d’évaluer sa crédibilité. Si les conclusions de la Commission sont raisonnables, il n’y a pas lieu d’intervenir. Toutefois, la décision de la Commission doit s’appuyer sur la preuve; elle ne doit pas être prise arbitrairement en se fondant sur des conclusions de faits erronées ou en ignorant des éléments de preuve présentés. (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, [2005] A.C.S. no 39 (QL), au paragraphe 38; Aguebor, ci-dessus, au paragraphe 4)

 

 

 

ANALYSE

La conclusion de la Commission sur la crédibilité de M. Singh n’est pas manifestement déraisonnable

 

 

[12]           À la suite de l’examen de la preuve documentaire et du procès-verbal, la Cour est d’avis que la décision de la Commission s’appuie raisonnablement sur l’ensemble de la preuve. La Commission motive sa décision en donnant des explications détaillées et en adressant le nœud de la revendication du demandeur.

 

[13]           D’emblée, la Commission note que M. Singh hésite lors de sa déposition. Ce dernier ne répond pas de façon directe ou précise lorsqu’on lui demande des questions spécifiques. En d’autres termes, le demandeur n’est pas spontané dans son témoignage :

Testimony for this claimant was somewhat laborious. He had difficulty answering what would normally be considered clear and concise questions addressed by both the tribunal and his own counsel. The problem of alcohol and drug abuse was identified by counsel as perhaps being the cause for his lack of spontaneity. This tribunal cannot confirm nor deny that such abuse could contribute to his less than accurate testimony.

 

(Motifs de la décision de la Commission, à la page 3)

 

 

[14]           La jurisprudence de la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale confirme que la Commission peut évaluer la crédibilité de la preuve en appréciant le comportement général du témoin pendant sa déposition. (Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (F.C.A.), [1993] A.C.F. no 685 (QL); Wen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 907 (QL); Singh (Re), [1994] A.C.F. no 1140 (QL))

 

 

[15]           Il est important de noter que, contrairement à ce qu’affirme M. Singh, tel qu’il appert des motifs de la Commission, cette dernière n’a pas abordé les problèmes d’alcool et de drogues de M. Singh en l’absence de ce dernier. Au contraire, c’est l’avocate de M. Singh qui a soulevé ces problèmes lors de la conférence préliminaire. (Dossier du tribunal, à la page 256).

 

[16]           De plus, la Commission a tenu compte des problèmes d’alcool de M. Singh pour expliquer son manque de spontanéité même si aucune preuve médicale n’a été présentée pour corroborer cette allégation. Le fardeau d’établir le bien-fondé de sa revendication appartient au demandeur. La Commission n’est pas tenue d’enquêter davantage sur les problèmes d’alcool de M. Singh afin de permettre la manifestation du bien fondé de sa demande. Au contraire, il revient au demandeur de prouver l’existence d’un problème d’alcool pouvant affecter son témoignage. (El Jarjouhi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 466 (QL), au paragraphe 6)

 

[17]           En tout état de cause, les problèmes d’alcool ou de drogues de M. Singh ne peuvent expliquer l’invraisemblance de son récit, l’incapacité de M. Singh de présenter des preuves corroborant son témoignage et l’absence de toute crainte subjective. Or, la quasi-totalité des conclusions négatives tirées par la Commission concernent l’invraisemblance du récit de M. Singh, son incapacité de corroborer le témoignage ou sa crainte subjective.

 

[18]           À ce titre, M. Singh témoigne à l’effet que lors de sa détention du 3 mars 2003, la police lui reproche d’approvisionner les militants Sikhs de munition ou d’armes à feu. Aussi, M. Singh ajoute que les policiers le libèrent deux jours plus tard sous condition qu’il coopère avec ceux-ci dans la recherche de M. Ali. Or, la Commission trouve invraisemblable que la police libère M. Singh si elle croyait vraiment que ce dernier approvisionnait les militants Sikhs.

 

[19]           En outre, M. Singh affirme à l’audience qu’aussitôt remis en liberté suite à sa détention du 3 mars 2003, il collabore avec la police dans la recherche de M. Ali. Toutefois, cinq mois plus tard, lorsque M. Singh tente d’embaucher un nouvel employé pour travailler sur sa ferme, la police l’arrête et l’accuse de nouveau de complot ou de tentative de causer une explosion le Jour d’indépendance.

 

[20]           Une fois de plus, la Commission est d’avis qu’un tel scénario est invraisemblable. En effet, cette dernière ne voit aucune raison pour laquelle la police accuse M. Singh d’une tentative de causer une explosion, surtout lorsque M. Singh allègue avoir collaboré avec les policiers depuis sa mise en liberté. De surcroît, M. Singh ne donne pas d’explication raisonnable sur ce point lorsque la Commission lui demande de justifier cette incohérence.

 

[21]           Deuxièmement, la Cour est d’avis que la Commission peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité, et peut rejeter un témoignage s’il ne concorde pas avec les probabilités de l’ensemble de l’affaire. (Aguebor, ci-dessus; Alizadeh, ci-dessus; Shahamati, ci-dessus)

 

[22]           À cet effet, M. Singh déclare qu’il est prêt à retourner en Inde sans aucune crainte si la police retrouve et détient M. Ali. La Commission note que cette déclaration contredit directement le récit de M. Singh où ce dernier allègue que la police le soupçonne d’approvisionner des militants Sikh et d’aider ou d’héberger des terroristes. La Commission affirme ce qui suit :

…His testimony to the effect that he would not hesitate to return to India if Riaz ALI was captured by police further shows that his fear is not based on the alleged accusations that he helped militants, nor that he supplied food, shelter, and weapons to terrorists…

 

(Motifs de la décision de la Commission, à la page 4)

 

[23]           Troisièmement, le comportement de M. Singh affecte sa crédibilité. M. Singh entre au Canada en mai 2004 et revendique le statut de réfugié en mai 2005.

 

[24]           Il existe un principe bien établi selon lequel toute personne ayant une crainte réelle d’être persécutée devrait demander l’asile au Canada dès son arrivée au pays si telle est son intention. Sur ce point, la Cour d’appel fédérale a déjà conclu que le retard à présenter une revendication du statut de réfugié est un facteur important dont la Commission peut tenir compte dans son analyse. Par ailleurs, ce délai laisse croire en l’absence de crainte subjective d’être persécuté puisqu’il existe une présomption qu’une personne ayant une crainte véritable de persécution revendique le statut de réfugié à la première occasion. Par conséquent, la Commission est en droit de tenir compte dans son examen du fait que le requérant tarde à revendiquer le statut de réfugié. (Thomas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 241 (QL), au paragraphe 4; Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 271 (QL); Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, [2003] A.C.F. no 1680 (QL), au paragraphe 16)

 

[25]           M. Singh prétend que la conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable puisque cette dernière tire une conclusion défavorable quant à sa crédibilité sur la base du retard à revendiquer, malgré le fait qu’il a résidé au Canada sous un statut légal jusqu’en mai 2005. La Cour estime, avec égards, que cet argument ne tient pas toujours. Par exemple, dans l’affaire Correira c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1060, [2005] A.C.F. no 1310 (QL) :

[15]      Les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait qu'ils avaient un statut juridique en tant que visiteurs pour une période de six mois quand ils ont demandé l'asile au Canada et qu'ils ne pouvaient donc pas être renvoyés du Canada à ce moment.

[...]

[18]      Le défendeur soutient que le fait qu'il s'écoule un délai avant la présentation d'une demande d'asile est pertinent lors de l'appréciation de l'existence d'une crainte subjective. Inversement, la possession d'un visa de visiteur n'a pas habituellement pour effet de renverser la présomption selon laquelle un réfugié véritable demanderait l'asile à la première occasion.

[...]

[29]      Un examen de la décision de la Commission révèle que la Commission a effectivement tenu compte du délai; cependant, ce délai ne semble pas avoir été déterminant dans la décision de la Commission. La Commission a pris connaissance de l'explication présentée par le demandeur principal, mais elle a jugé que cette explication était inacceptable. Je suis d'avis que la Commission n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard.

 

[26]           De même, dans l’arrêt Niyonkuru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 174, [2005] A.C.F. no 210 (QL), la Cour statut comme suit :

[22]      La Commission a accordé beaucoup d'importance au fait que le demandeur avait mis un mois avant de revendiquer le statut de réfugié. Manifestement, il s'agissait là d'un élément pertinent dont le tribunal pouvait tenir compte pour apprécier la crédibilité du demandeur, même s'il ne pouvait s'agir d'un facteur déterminant en soi (Huerta c. M.C.I., (1993) 157 N.R. 225, [1993] A.C.F. no 271 (C.A.F.) (QL); Rahim c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 56 (QL)).

 

[23]      Il est vrai que le demandeur avait un visa qui lui permettait de séjourner au Canada jusqu'au mois de janvier 2003. Il n'en demeure pas moins que son comportement n'est pas celui de quelqu'un qui craint vraiment pour sa vie s'il devait retourner chez lui. Non seulement les raisons qu'il invoque pour attendre la fin de son stage avant de se présenter au bureau d'Immigration Canada sont-elles peu convaincantes, mais il ressort au surplus des transcriptions qu'il avait le temps de voyager durant les fins de semaine.

 

 

Les inférences négatives tirées par la Commission quant à l’absence de preuve d’un certificat médical pour prouver les dires de M. Singh et l’affidavit du Sarpanch déposé en preuve ne sont pas manifestement déraisonnables

 

 

[27]           Premièrement, M. Singh reproche à la Commission de tirer des inférences négatives en ce qui a trait à l’absence de preuve d’un certificat médical pour prouver les dires de ce dernier.

 

[28]            Il est de jurisprudence constante que la Commission peut tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de M. Singh lorsque son récit est invraisemblable et que ce dernier ne présente aucune preuve pour corroborer ces allégations. En effet, dans l’affaire Encinas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 61, [2006] A.C.F. no 85 (QL), le juge Simon Noël écrit ce qui suit   :

[21]      J'ajoute qu'il est évident à la lecture des notes sténographiques de l'audience que les demandeurs n'ont pas assumé leur fardeau de preuve pour amener la SPR à conclure positivement à l'égard de leur demande. En effet, à plusieurs reprises, la SPR les a informé que certains faits auraient dû être mis en preuve (le lien d'emploi en 2003 par exemple...). En conséquence, la SPR, n'ayant pas entre les mains la preuve qu'elle aurait voulu obtenir, a conclu que la version des faits de la demande n'était pas crédible. La SPR pouvait certainement conclure ainsi (Voir Muthiyansa et Ministre de la citoyenneté et de l'immigration, 2001 CFPI 17, [2001] A.C.F. No. 162, au paragraphe 13).

 

 

[29]           Or, dans le présent cas, la Commission note que M. Singh n’apporte aucune preuve corroborant ses allégations. À ce titre, M. Singh allègue que, suite à la torture prétendument subie lors des deux détentions par les policiers, il a reçu des traitements médicaux. Toutefois, il ne présente aucun certificat médical à cet effet.

 

[30]           De même, M. Singh ne présente aucune preuve qui confirme que M. Ali existe et travaille sur sa ferme entre le mois de décembre 2002 au mois de mars 2003. À ce titre, la Commission pouvait demander une preuve corroborant l’existence de M. Ali puisque la crédibilité de M. Singh a déjà été affectée. Or, malgré qu’il soit possible que l’embauche d’une personne pour travailler sur une ferme ne soit pas documentée en Inde, il existe une multitude de façon de démontrer l’existence d’une personne, surtout s’il s’agit d’un terroriste recherché. Or, on ne retrouve aucun article de journaux ou déclaration solennelle d’un voisin confirmant l’existence de M. Ali dans le dossier de M. Singh. Il est important de noter que même la déclaration solennelle du Sarpanch ne fait pas état de M. Ali.

 

[31]           Deuxièmement, M. Singh reproche à la Commission de ne pas accorder de valeur probante à l’affidavit du Sarpanch que, selon lui, devait être tenu pour avéré puisque rien ne contredit les déclarations qui se retrouvent dans celle-ci.

 

[32]           À ce sujet, la Commission énonce ce qui suit :

…Exhibit R-12, paragraph 6, shows that his family left the village of habitual residence to avoid police problems. This does not confirm that his parents and family are harassed in any way. His testimony to the effect that he would be further maltreated by police is unsubstantiated and not believed. He is not a credible witness.

 

(Motifs de la décision de la Commission, à la page 2)

 

 

[33]           La Commission n'a pas à commenter chacun des documents déposés si, à la lumière de la preuve, la logique de la décision se comprend. En effet, le juge Paul Rouleau affirme, dans Songue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1020 (QL) :

[12]      …La Section du Statut n'a pas à mentionner expressément qu'elle rejette un élément de preuve documentaire si elle ne croit pas les circonstances qui auraient donné naissance audit élément de preuve.

 

[13]      Madame le juge Tremblay-Lamer s'est exprimée ainsi sur le sujet:

 

As to the Board's credibility finding about the male applicant's political activities in the United States, the applicants' main argument seems to be that the Board provided no explanation for assigning "no probative value" to a letter issued by the DUP in the U.S. regarding the male applicant's political activities. Considering the Board's finding that it was implausible that the male applicant would continue high profile activities against the government of Sudan while living illegally in the U.S. and while his wife was still in Sudan, the Board was entitled to give no weight to that letter. The fact that he is a member of the DUP does not indicate that he has high profile activities against the government. [Voir Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 558, IMM-2402-95, 25 avril 1996 (C.F. 1re inst.) à la page 7]

 

 

[34]           De surcroît, tel que l’affirme la Cour fédérale dans l’arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238, [1990] A.C.F. no 604 (QL), la conclusion d’absence de crédibilité du témoignage du revendicateur, tel qu’est le cas en l’espèce, peut s’étendre à tous les éléments de preuve liés à ce témoignage :

 

…la perception du tribunal que le demandeur n’est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu’il n’existe aucune élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second pallier d’audience pour faire droit à la demande.

 

Bien que cette décision repose sur l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, elle est toujours valide. En effet, dans le cadre législatif de la présente loi, « la perception par un tribunal qu’un revendicateur n’est pas crédible sur un point important de sa revendication peut équivaloir à la conclusion qu’il n’y a pas de preuve crédible qui pourrait supporter la revendication. » (Chavez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 962, [2005] A.C.F. no 1211 (QL), au paragraphe 7; Touré c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 964, [2005] A.C.F no 1213 (QL), au paragraphe 10; Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89,  [2002] A.C.F. no 302 (QL), aux paragraphes 29-30.)

 

[35]           En outre, dans l’affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1543, [2005] A.C.F. no 1908 (QL), juge Noël dit ce qui suit :

[13]      La Commission conclut que l'affidavit signé par le sarpanch est soit un document de complaisance, soit un faux document. Le demandeur allègue qu'une telle conclusion est arbitraire et injuste, surtout si l'on considère qu'aucune vérification ou expertise indépendante n'a été faite sur l'affidavit en question. Dans l'affaire Al-Shaibie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1131, la Cour d'appel fédérale a repris les propos du juge Nadon dans l'affaire Hamid c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1293, au paragraphe 21, concernant l'utilisation de documents après une conclusion défavorable quant à la crédibilité :

 

Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques. En l'espèce, la preuve du requérant n'a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n'est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

 

[14]      Dans la présente affaire, on n'a accordé aucune valeur probante à l'affidavit du sarpanch parce que la Commission a considéré que le demandeur n'était pas crédible. Par conséquent, je considère que la décision de la Commission de rejeter l'affidavit du sarpanch n'était ni arbitraire ni injuste.

[36]           Certes, il appartient à la Commission de juger la crédibilité des éléments de preuve résiduels. Par conséquent, il n’est pas manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que le manque de crédibilité de M. Singh affecte la valeur des autres éléments de preuve déposés, comme ceux-ci reposent en grande partie sur la fiabilité du témoignage de ce dernier. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée sur ce point.

 

Le fardeau de preuve

[37]           M. Singh prétend que la Commission lui impose un fardeau excessivement lourd. Il soumet qu’au lieu d’évaluer la preuve selon la prépondérance des probabilités, la Commission s’attend à ce que celui-ci la convainque. Cette allégation de M. Singh se base sur un seul mot employé dans les motifs de la décision. Il s’agit de la phrase suivante :

Based on several above factors, where the claimant has failed in his quest to convince this tribunal of his previous persecution…

 

(Motifs de la décision de la Commission, à la page 4)

 

 

[38]           Selon M. Singh, l’utilisation de ce terme suffit pour conclure que la Commission a erré quant au fardeau de preuve requis. Monsieur Singh s’appuie à tort sur la décision Naredo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] A.C.F. no 1130, C.A.F. (QL). Cette ancienne décision impliquait une question complètement différente de celle soulevée par M. Singh dans la présente cause. Dans Naredo, la Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission avait erré en exigeant que le demandeur démontre qu’il était persécuté alors que la définition légale du statut de réfugié exigeait seulement une crainte bien fondée de persécution.

 

[39]           Monsieur Singh n’explique pas en quoi l’emploi du verbe « convince » alourdit son fardeau. On peut convaincre un décideur selon la prépondérance des preuves tout comme on peut le convaincre hors de tout doute raisonnable. Ce n’est pas le verbe employé qui change le seuil ou le fardeau requis.

 

[40]           Par conséquent, M. Singh prétend que l’emploi du verbe « convince » constitue une erreur quant au fardeau applicable.

 

[41]           La Cour est d’avis qu’il ne faut pas lire le mot « convince » isolément. Il faut plutôt lire comme faisant partie de l’expression « in his quest to convince ». Par là, la Commission laisse entendre que M. Singh s’est fixé un objectif de convaincre la Cour, toutefois, cette tentative échoue.

 

[42]           En outre, il est important de noter qu’il ne faut pas examiner chaque mot contenu dans les motifs de la décision au microscope afin de trouver une erreur. Il faut plutôt examiner la décision dans son ensemble :

For purposes of judicial review, however, it is my view that a Refugee Board decision must be interpreted as a whole. One might approach it with a pathologist's scalpel, subject it to a microscopic examination or perform a kind of semantic autopsy on particular statements found in the decision. But mostly, in my view, the decision must be analyzed in the context of the evidence itself. I believe it is an effective way to decide if the conclusions reached were reasonable or patently unreasonable.

 

(Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 437)

 

 

[43]           Dans la même veine d’idées, cette Cour a déjà décidé que le simple fait d’utiliser des termes comme « convince » ou « persuade » ne suffit pas pour conclure que le décideur a imposé un lourd fardeau.

            L’interprétation

 

[44]           Monsieur Singh allègue beaucoup trop tardivement qu’il y a eu des problèmes de traduction lors de l’audience.

 

[45]           Cependant, le défendeur constate qu’au début de l’audience, M. Singh a confirmé qu’il comprenait très bien l’interprète et qu’il n’y avait aucun problème de communication :

Membre audiencier :       Est-ce que vous, Monsieur, vous comprenez monsieur Mouladad lorsqu’il vous parle en penjabi?

 

Demandeur :  Oui

 

Membre audiencier : Il y a des problèmes de communication?

 

Demandeur :  Non.

 

[46]           De surcroît, dans son affidavit daté du 7 janvier 2006, M. Singh n’a pas indiqué qu’il y avait eu des problèmes de traduction lors de l’audience.

 

[47]           Toutefois, même si on présume, pour les fins de l’argumentation, que la traduction était erronée, M. Singh est forclos de soulever cette question à ce stade-ci. En effet, lors de l’audience, ni M. Singh, ni son avocate, n’ont jamais soulevé une objection quant à la qualité de la traduction. Cette Cour a déjà statué à maintes reprises que le défaut de soulever les problèmes de traduction devant une Commission administrative est déterminant. Par exemple, dans l’arrêt Gajic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 108, [2003] A.C.F. no 154 (QL) :

[11]      ...Aucune objection n'a été soulevée lors de l'audience devant le tribunal quant à une mauvaise interprétation et ce point ne peut donc pas, en la présente instance, être soulevé à ce stade-ci pour renverser la décision du tribunal...

 

[48]           De même, dans l’affaire Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] A.C.F. no 916 (QL), la Cour d’appel fédérale a établit que le défaut de soulever des problèmes de traduction devant une Commission administrative constitue une renonciation à son droit de s’objecter plus tard :

[19]      ...Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n'a pas commis d'erreur en statuant que l'appelant avait renoncé au droit qu'il possédait en vertu de l'article 14 de la Charte du fait qu'il ne s'était pas opposé à la qualité de l'interprétation dès qu'il avait eu la possibilité de le faire au cours de l'audition de sa revendication.

 

 

[49]           L’argument de M. Singh relativement à la qualité de la traduction doit être rejeté pour une autre raison. Les exemples qu’il indique n’ont aucune incidence pour un quelconque aspect de sa demande d’asile.

 

[50]           Si l’interprétation a causé à M. Singh des difficultés réelles, alors, il lui appartient de prouver le préjudice qu’il a subi. Aucune preuve de cette nature n’a été produite. Également, M. Singh n’a pas proposé que les bandes magnétiques soient réentendues par un autre interprète.

 

CONCLUSION

[51]           Compte tenu de tout ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2513-06

 

INTITULÉ :                                       PRITAM SINGH c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET MOTIFS:                                     le 25 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me. Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEL LE BRUN, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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