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Date :  20070123

Dossier :  IMM-3209-06

Référence :  2007 CF 67

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

KULDEEP SINGH

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE l'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée du 26 mai 2006. Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas «un réfugié au sens de la Convention » ou une « personne à protéger » puisqu’il pouvait bénéficier de la  possibilité d’un refuge interne (PRI) en Inde.

 

 

I.          Question en litige

[2]               Est-il manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur disposait de la possibilité d’un refuge interne?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est positive. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

II.        Contexte factuel

[4]               Le demandeur est Sikh, et il est né au Pendjab, en Inde, le 13 avril 1977. Il quitte son pays le 19 août 2005 et revendique le statut de réfugié au Canada, le 23 août 2005.

 

[5]               Il allègue avoir été arrêté et torturé par la police en janvier 2004 parce qu’il avait aidé un militant Sikh. Il subit le même sort à deux reprises en octobre 2004 et en juin 2005. Après chaque arrestation, il a dû payer des sommes de 25,000, 30,000 et  50,000 rupees.

 

[6]               Le demandeur craint les autorités de son pays puisque la police de sa région l’accuse d’avoir des liens avec des terroristes. Il se cache pendant quelques jours à New Delhi. Depuis son départ pour le Canada, il a appris que son père avait été arrêté et torturé et que son épouse avait été violée. Ils se sont tous enfuis et se sont installés dans la province de Haryana.

 

 

 

 

III.      Décision contestée

[7]               Le tribunal a rejeté la demande d’asile parce que le demandeur n’a pas démontré qu’il existait un lien entre la crainte alléguée et l’un des motifs de la Convention, et parce que le demandeur pouvait bénéficier d’une possibilité de refuge interne dans son pays.

 

IV.      Analyse

Norme de contrôle

[8]               La Cour fédérale s’est prononcée à plusieurs reprises au sujet de la norme de contrôle applicable dans des questions de PRI. Dans Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, [2003] A.C.F. no 1263 (C.F.) (QL), la juge Judith Snider a écrit ceci aux paragraphes 9 à 11 :

Quelle norme la Cour a-t-elle appliquée dans des situations semblables? Bien qu'elle n'y ait pas procédé expressément à une analyse pragmatique et fonctionnelle, la présente cour a conclu dans deux décisions récentes que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission relatives à la PRI était celle de la décision manifestement déraisonnable (Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 193, [2001] A.C.F. no 361 (QL); Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 673, [2003] A.C.F. no 878 (QL)).

 

Je constate également que dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (C.F. 1re inst.) (QL), Madame la juge Tremblay-Lamer a effectué une analyse basée sur l'approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer à la décision de la Commission concernant la question de savoir si le demandeur allait être persécuté s'il retournait en Inde. La juge a conclu que la norme de contrôle appropriée était celle du caractère manifestement déraisonnable. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la notion de PRI est inhérente à cette décision.

 

Compte tenu de la jurisprudence et de l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée dans la décision Singh, précitée, je suis d'avis que la norme de contrôle qu'il convient de retenir est celle de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, je souligne que la Commission se doit d'appliquer le critère approprié pour déterminer s'il existe une PRI (voir l'arrêt Thirunavukkarasu, précité), à défaut de quoi elle commet une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

 

[9]               J’adopte cette analyse dans le présent dossier. Je n’interviendrai pas à moins que le demandeur démontre que la décision est entachée d'une erreur manifestement déraisonnable.

 

Était-il manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge interne?

 

[10]           Le demandeur allègue que les sikhs qui ont survécu à des violations des droits de la personne ne peuvent vivre en sécurité nulle part en Inde. Il souligne également que le tribunal a admis que le demandeur courrait un risque dans sa région puisque la police avait certaines raisons de croire qu'il avait comploté avec un terroriste. Il ajoute qu'il est manifestement déraisonnable d’ignorer ce fait important et de conclure que le demandeur bénéficierait d’une possibilité de refuge interne.

 

[11]           De son côté, le défendeur plaide que non seulement le demandeur n’a pas démontré qu’un lien existe entre ses craintes de persécution et l’un des cinq motifs de la Convention, mais qu'il n'est pas recherché par les autorités pour avoir été complice avec un terroriste. Le demandeur n’était qu’une victime de l’extorsion des policiers locaux. Il pouvait donc facilement quitter son village et comme le reste de sa famille, s’installer ailleurs sans risque d’être recherché et persécuté. De plus, le défendeur souligne que « la Constitution de l’Inde garantit la liberté de mouvement de ses citoyens et que seuls les quelques ‘high profile militants’ risquent d’être retracés s’ils s’établissent en Inde ».

 

[12]           Cependant, il est important de noter que la crédibilité du demandeur n'est pas en cause ici. À la page 2 de la décision, à l’item «Credibility » on peut y lire ceci :

[…] Still, despite these doubts and others, we will base our analysis on the facts given by the claimant in his Personal Information Form (PIF) and in his testimony.

 

 

 

[13]           Or, dans son formulaire de renseignements personnel, le demandeur donne les détails de sa crainte d'être retourné dans son pays. En particulier, il explique que la police l'a accusé d'avoir travaillé avec des militants et il a été interrogé au sujet d’un dénommé Hawara. La preuve documentaire déposée par le demandeur confirme que cette personne est un militant et « cheville ouvrière » des BKI, groupe qui a tenté de relancer le terrorisme au Pendjab.

 

[14]           Le tribunal n'a pas suffisamment abordé la question de la crainte du demandeur en rapport aux événements le reliant à Hawara et les conséquences négatives pour lui. Si en effet, l'histoire du demandeur devait être tenue pour être avérée, le tribunal se devait d'examiner la preuve documentaire au sujet de ceux qui complotent avec des militants, ce qui n'a pas été fait. Ces questions sont au cœur même de la revendication du demandeur. Cette erreur justifie l'intervention de la Cour (Jawaid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CPFI 220, [2003] A.C.F. no 305 (QL)).

 

[15]           À l'audience, le demandeur a déclaré par son procureur qu'il n'avait aucune objection à ce que le dossier soit retourné devant le même décideur.

 

[16]           Les parties n’ont soumis aucune question à certifier.

 

                                                                       JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle soit accueillie. Le dossier est retourné au même décideur pour une nouvelle détermination en tenant compte des présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3209-06

 

INTITULÉ :                                       KULDEEP SINGH et

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                                 L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 11 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Michel Le Brun                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

 

Suzon Létourneau                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun                                                             POUR LE DEMANDEUR

Lasalle (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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