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Date : 20070119

Dossier : IMM-6782-06

Référence : 2007 CF 56

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

 

ENTRE :

SANDRA JACKSON (alias SANDRA BEVERLY JACKSON);

TANYA ABERDEEN (alias TANYA AVIANNE ABERDEEN)

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE RELATIVE AUX DÉPENS

[1]               Selon la règle générale énoncée aux articles 400 et suivants des Règles des Cours fédérales, la Cour a le pouvoir discrétionnaire absolu en matière d’adjudication des dépens. L’un des facteurs à prendre en compte est de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection.

 

[2]               Cependant, dans les litiges en matière d’immigration la règle est bien différente. L’article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d'immigration et de protection des réfugiés énonce que, sauf ordonnance contraire rendue pour des « raisons spéciales », les demandes ne donnent pas lieu à des dépens. Le ministre soutient que les circonstances de la présente affaire justifient une adjudication des dépens à l’encontre des demanderesses pour les coûts engagés inutilement relativement à une requête dont l’audition a été ajournée. Je suis d’accord avec lui.

 

[3]               Les demanderesses, une mère et sa fille, sont citoyennes de Trinité‑et‑Tobago. Elles se trouvent actuellement au pays sans statut d’immigrant mais ont toutefois fait une demande en vue d’obtenir l’autorisation de rester au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire. Aucune décision n’a été rendue à cet égard. Entre-temps, le 27 décembre 2006, elles ont reçu signification d’une convocation leur enjoignant de se présenter le samedi 20 janvier 2007 au Centre d’immigration Canada de l’aéroport international Pearson à Toronto aux fins de leur renvoi du Canada. La convocation indiquait également que l’omission de s’y conformer exposerait les demanderesses à des mesures d’exécution forcée, notamment un mandat d’arrestation pancanadien.

 

[4]               Le matin du 29 décembre, par l’entremise de leur avocat, elles ont demandé à l’agent d’exécution de différer leur renvoi. À la fin de la lettre, il était mentionné : [traduction] « [L’]absence d’une réponse avant minuit le vendredi 29 décembre 2006 sera considérée comme une réponse négative ». Je tiens à souligner que cet ultimatum, qui avait pour but de contraindre l’agent à rendre une décision en quelques heures, était tout à fait inapproprié.

 

[5]               Quoi qu'il en soit, plus tard dans la journée du 29 décembre 2006, les demanderesses ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de ce qu’elles ont appelé :

[traduction] La décision toujours en vigueur d’un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada prise le 29 décembre 2006 de procéder au renvoi des demanderesses, et qui leur été communiquée le même jour.

 

[6]               Elles ont du même coup déposé une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à cette demande. La requête devait être présentée à l’origine le 8 janvier 2007 à Toronto à la séance générale de la Cour mais, pour des raisons que j’ai nul besoin d’exposer, elle a été entendue par téléconférence (Toronto-Ottawa) lors d’une audience spéciale tenue il y a deux jours.

 

[7]               Le ministre a contesté la pertinence de la procédure engagée par les demanderesses. Dans une lettre envoyée par télécopieur le 3 janvier 2007 au Greffe de la Cour fédérale, avec copie à l’avocat des demanderesses, l’avocate du ministre a souligné qu’aucune décision de surseoir ou non au renvoi n’avait encore été prise et que la requête était donc prématurée, conformément à la jurisprudence de la Cour qui a abordé la question dans des décisions comme Tharmaratnam c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), IMM-3208-06 et Luchka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration et Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), IMM-4144-06.

 

[8]               La Cour a vérifié d’elle-même si une décision de surseoir ou non au renvoi avait été rendue et, la veille de la date prévue de l’audience, l’avocate du ministre l’a informée qu’aucune décision n’avait encore été rendue mais qu’il semblait qu’elle était sur le point de l’être.

 

[9]               Or, une décision défavorable a été rendue par écrit et transmise aux parties, ainsi qu’à la Cour, moins d’une heure avant l’audience. Vu les circonstances, l’avocat des demanderesses a sollicité un ajournement en vue d’examiner la décision, lequel lui a été accordé. Les motifs de la présente décision n’ont pas la moindre incidence sur le bien-fondé d’une quelconque requête en sursis. Cependant, je dois souligner que les notes au dossier de l’agent d’exécution indiquaient que des observations supplémentaires avaient été reçues le 5 janvier 2007 et que, même si la demande de différer le renvoi avait été refusée, comme les demanderesses avaient choisi d’acheter leurs propres billets d’avion, le renvoi avait été reporté au 28 février 2007 pour tenir compte du nouvel itinéraire. Ces observations supplémentaires m’ont été fournies seulement lors de l’audience portant sur l’ajournement.

 

[10]           Le ministre allègue que la procédure engagée jusqu’à maintenant a été inutile. Pour obtenir un sursis jusqu’à ce qu’il soit statué sur une demande d’autorisation et de contrôle d’une décision d’un office fédéral, il faut manifestement qu’une décision ait été rendue. En l’espèce, une décision n’a été rendue que 19 jours après le dépôt de la procédure. Le refus ou l’incapacité de répondre à la demande des demanderesses en quelques heures comme elles l’exigeaient ne constituait pas une décision défavorable. Les demanderesses ont reçu un avis ce sens et la jurisprudence pertinente deux semaines à l’avance, mais ont quand même poursuivi leur démarche. Ensuite, elles ont dû inévitablement demander un ajournement étant donné que les motifs de refus de leur demande de sursis ne leur ont été transmis que quelques minutes avant l’audience prévue. Quoi qu’il en soit, un sursis d’environ six semaines leur a été accordé de sorte que la requête n’était plus à ce point urgente qu’elle exigeait la tenue d’une audience spéciale.

 

[11]           Selon les demanderesses, il était de loin préférable de déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, accompagnée d’une requête en sursis, le plus tôt possible après la signification de l’avis de convocation. Elles ont cité des cas où la Cour avait refusé d’examiner des demandes de dernière minute. Cependant, il s’agit d’affaires où les demandeurs avaient agi tardivement. Ce n’est certainement pas le cas en l’espèce. La demande était clairement prématurée.

 

[12]           L’avocat des demanderesses souligne également qu’il serait injuste de renvoyer une personne parce qu’un agent d’exécution n’a pas rendu de décision relativement à une demande de sursis. Il ne fait pas de doute qu’il existe des situations de ce genre, où une demande de bref de mandamus et l’octroi d’un sursis jusqu’à ce qu’une décision soit rendue seraient justifiés. Ce n'est pas tout à fait le cas en l'espèce.

 

[13]           L’avocat des demanderesses se fonde sur trois décisions : Uppal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.F. 1133; Iftikhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 49 et Casanova c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 C.F. 232. Aucune de ces décisions ne nous est utile compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire. Dans la décision Uppal, madame la juge Dawson a refusé d’adjuger des dépens contre le ministre même si la Cour a conclu que l'émission d'un bref de mandamus était justifiée. Elle était d’avis que les choses ne s’étaient pas déroulées lentement ou nonchalamment au point de constituer des raisons spéciales. Il n’y avait certes aucune raison spéciale en l’espèce qui justifiait que les demanderesses instituent une procédure quelques heures après avoir de présenté une demande de sursis.

 

[14]           L’affaire Iftikhar est une autre décision dans laquelle les demandeurs ont obtenu gain de cause et sollicité les dépens. M. le juge Phelan a indiqué que la politique à l'origine de la règle selon laquelle les contrôles judiciaires en immigration « ne donnent pas lieu à des dépens » énonce que les dépens ne doivent pas constituer un facteur de dissuasion pour les personnes engagées dans des litiges en immigration. La règle doit s'appliquer tant aux demandeurs qu'aux défendeurs. Dans cette affaire, il a conclu qu’il n’existait aucune preuve que l'agent d'immigration avait agi de mauvaise foi dans sa décision. L'agent avait peut-être commis une erreur, mais ce n'était pas suffisant pour écarter le principe de base selon lequel les contrôles judiciaires en immigration « ne donnent pas lieu à des dépens ». Cependant, la présente requête relative à des coûts engagés inutilement n’a rien à voir avec le bien-fondé de la demande. Même si les demanderesses obtiennent un sursis, il existe des raisons spéciales qui justifient une adjudication des dépens contre elles relativement à la demande dont l’audition a été ajournée.

 

[15]           La décision Casanova fait partie de nombreux jugements où l’on traite des demandes de dernière minute. Bien que la requête du demandeur ait été rejetée, aucuns dépens n’ont été adjugés. Cependant, le juge de Montigny ne précise pas dans ses motifs que des dépens ont effectivement été sollicités.

 

[16]           Dans le cas qui nous occupe, le fait qu’une procédure ait été engagée quelques heures après une demande de sursis, et plus de trois semaines avant la date de départ prévue, constitue des raisons spéciales. L’agent d’exécution n’a aucunement eu l’occasion de répondre à la demande qui lui a été adressée avant le dépôt de la procédure. Non seulement il n’existait aucune décision sous-jacente dont l’exécution était susceptible d’être suspendue, mais le ministre avait expressément attiré l’attention des demanderesses à ce sujet environ deux semaines avant que la requête soit effectivement entendue (quoique son audition a été différée). La requête n’a pas été retirée, obligeant le défendeur à rédiger et à déposer un mémoire en réplique et à se préparer en vue de l’audience qui aurait porté sur le fait qu’aucune décision n’avait été rendue. Qu’il y ait lieu de présenter de nouveau cette requête dans une version modifiée ou d’instituer une nouvelle procédure et de présenter une nouvelle requête, le bien-fondé de la présente requête sera bien différent puisqu’il existe désormais une décision sous-jacente.

 

[17]           En outre, les demanderesses n’ont pas informé la Cour en temps opportun du fait qu’elles étaient toujours en communication avec l’agent d’exécution le 5 janvier 2007, même si elles avaient déjà engagé une procédure en partant de la prémisse qu’une décision avait été rendue.

 

[18]           Selon la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales, les frais relatifs à la préparation et au dépôt des actes écrits et les frais de comparution varient entre 600 $ et 1 200 $. Compte tenu des raisons spéciales, j’accorde au ministre défendeur la somme de 500 $ au titre des dépens qui devra lui être versée quelle que soit l'issue du litige.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

            LA COUR STATUE que, relativement à la requête en sursis ajournée à leur demande, les demanderesses sont tenues de payer au défendeur la somme de 500 $ qui devra être versée quelle que soit l'issue du litige.

 

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6782-06

 

INTITULÉ :                                                   SANDRA JACKSON (ALIAS SANDRA BEVERLY JACKSON); TANY ABERDEEN (ALIAS TANY AVIANNE ABERDEEN) c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              TORONTO ET OTTAWA, PAR TÉLÉCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE RELATIVE

AUX DÉPENS :                                             LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

 

     POUR LES DEMANDERESSES

Anshumala Juyal

 

     POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Etienne Law Office

Avocat

 

     POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

     POUR LE DÉFENDEUR

 

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