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Date : 20070129

Dossier : T-587-06

Référence : 2007 CF 95

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE  MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

FAIRMONT HOTELS INC.

et FAIRMONT HOTELS & RESORTS INC.

demanderesses

et

 

DIRECTEUR DE CORPORATIONS CANADA

et FAIRMONT RESORT PROPERTIES LTD.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La défenderesse Fairmont Resort Properties Inc. (FRP) a présenté une demande en vertu de l’article 12 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C­‑44 (dont les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe) par laquelle elle demande au directeur de Corporations Canada d’ordonner aux demanderesses, Fairmont Hotels Inc. et Fairmont Hotels and Resorts Inc. (collectivement FH) de modifier leurs dénominations sociales en raison du risque de confusion. Comme des litiges de marque de commerce sont en cours entre les parties devant la Cour fédérale et devant la Commission des oppositions des marques de commerce, FH a demandé au directeur la suspension de la demande de FRP dans l’attente de l’issue des autres procédures. Le directeur a refusé.

[2]               FH demande le contrôle judiciaire de la décision de refus de la suspension rendue par le directeur. Elle s’adresse à la Cour pour obtenir l’annulation de la décision du directeur et une ordonnance lui enjoignant de ne prendre aucune autre mesure avant que les différends de marque de commerce entre les parties soient réglés. Le directeur de Corporations Canada, défendeur en l’espèce, a choisi de ne pas comparaître et de ne pas présenter d’observations.

 

[3]               À mon avis, FH cherche à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire en l’absence de circonstances spéciales qui justifieraient l’intervention de la Cour. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire.

I. Les questions soulevées

1. La décision de refus de la suspension de la procédure rendue par le directeur peut-elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire?

2. Si elle le peut, quelle est la norme de contrôle applicable?

[4]               Étant donné ma conclusion que la décision du directeur ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, je n’ai pas à examiner la seconde question.

 

II.     L’analyse

 

a) Les faits

[5]               Les parties sont des entités totalement distinctes, ayant des antécédents différents et exerçant leur activité dans des sphères différentes (les demanderesses possèdent et exploitent une chaîne d’hôtels alors que la défenderesse exploite une entreprise d’immobilier à temps partagé). Elles ont toutefois des liens communs avec les Fairmont Hot Springs, en Colombie-Britannique, précisément avec le Fairmont Hot Springs Resort (FHSR). Outre ses marques de commerce « Fairmont », FH a acquis les marques de commerce de FHSR en 2000 puis les a remises sous licence à FHSR. FRP exploitait auparavant l’entreprise d’immobilier à temps partagé de FHSR, mais n’est plus associée à cette dernière. Cependant, FRP a obtenu l’autorisation de FHSR d’employer le mot « Fairmont » dans sa dénomination sociale en 1985.

 

[6]               FRP a intenté contre FH trois procédures distinctes en matière de marque de commerce. En 2000 et 2001, FRP a attaqué deux des marques que FH avait acquises de FHSR (devant la Commission des oppositions des marques de commerce). En juin 2005, elle a intenté une poursuite devant la Cour fédérale, en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, à l’encontre des marques verbales et dessins-marques de FH relatifs à « Fairmont ». Ces procédures sont en cours actuellement.

 

[7]               En juillet 2005, FRP a engagé la procédure visée en l’espèce, en vertu de l’article 12 de la LCSA. Elle a demandé au directeur de Corporations Canada d’ordonner à FH de modifier sa dénomination sociale au motif de la confusion. Par la suite, en septembre 2005, le directeur a demandé à FH de fournir une réponse, en lui expliquant qu’elle devait traiter de questions particulières ayant trait aux activités et aux antécédents de la société et en précisant qu’elle devait présenter ses éléments de preuve sous forme d’affidavit ou de déclaration solennelle.

 

[8]               En novembre 2005, FH a demandé au directeur de suspendre la procédure en vertu de la LCSA. Elle a fait valoir que la suspension était indiquée étant donné qu’elle était la propriétaire inscrite de la marque de commerce « Fairmont », source alléguée de la confusion, et que son droit à la marque était contesté dans des procédures de marque de commerce. En outre, a-t-elle fait valoir, des procédures menées en parallèle pouvaient donner lieu à des décisions contradictoires ou avoir des conséquences absurdes, qui causeraient à FH un préjudice irréparable. En mars 2006, la demande de suspension de FH a été rejetée, décision dont elle demande maintenant le contrôle judiciaire.

 

b) Le contrôle judiciaire des décisions interlocutoires

 

[9]               En règle générale, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel ou de contrôle judiciaire. Les tribunaux sont soucieux de ne pas autoriser les parties à retarder ou fragmenter indûment les procédures ou encore à hausser inutilement les frais des procès. De plus, ils sont naturellement peu enclins à se prononcer sur des questions procédurales ou administratives qui peuvent se révéler superflues ou insignifiantes au moment où le différend est tranché au fond, ou dans les cas où il existe d’autres recours adéquats à ce stade : Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 934 (C.A.) (QL); Zundel c. Citron, [2000] A.C.F. n° 678 (C.A.F.) (QL); Prince Rupert Grain Ltd. c. Grain Workers’ Union, Section locale 333, 2005 CAF 401, [2005] A.C.F. n° 2055 (C.A.) (QL); Sherman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 715, [2006] A.C.F. n° 912 (C.F.) (QL).

[10]           Par ailleurs, les tribunaux ont aussi reconnu qu’il existe des circonstances spéciales qui justifient l’intervention précoce d’une cour d’appel ou de révision. Il serait injuste, par exemple, de refuser d’intervenir dans le cas où une décision sous-jacente prive une partie du droit à un procès équitable, établit des motifs de risque de partialité ou porte atteinte aux droits fondamentaux d’une partie : Canada (La Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada 3000 Airlines Ltd. (re Nijjar), [1999] A.C.F. n° 725 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15; Zundel, précité, au paragraphe 15. De la même manière, dans le cas où un tribunal a excédé ou mal circonscrit sa compétence ou encore a refusé de l’exercer, une intervention judiciaire précoce peut être indiquée, quoique, même dans ce domaine, les tribunaux doivent faire preuve de prudence : Prince Rupert Grain Ltd., précité.

 

c) Existe-t-il en l’espèce des circonstances spéciales?

[11]           FH soutient qu’il existe des circonstances spéciales en l’espèce qui justifient l’intervention précoce de la Cour. FH fait valoir en particulier que la décision du directeur de refuser la suspension entraîne les conséquences suivantes :

 

·          La décision du directeur de traiter la demande de FRP pendant que les procédures de marque de commerce sont en cours indique que le directeur prévoit rendre une décision sans prendre en compte la propriété de FH sur les marques de commerce « Fairmont ».

·          En l’absence de la prise en compte des marques de commerce de FH, le seul autre facteur que pourrait apprécier le directeur serait celui des dates respectives de constitution des parties en sociétés par actions. FRP ayant été constituée en société par actions avant les demanderesses, le directeur accueillera incontestablement la demande de FRP.

·          Quoi qu’il en soit, la question de la confusion ne peut être réglée dans le cadre de la demande de FRP du fait que la confusion alléguée provient essentiellement de l’emploi du mot « Fairmont » sur lequel FH détient une marque de commerce déposée. Il ne peut être statué sur le droit de FH à l’usage de cette marque que dans le cadre des procédures de marque ce commerce, non dans le cadre d’une demande en vertu de la LCSA. Par conséquent, le directeur n’est absolument pas en position de rendre une décision sur la demande de FRP.

·          Si le directeur accueille la demande de FRP, FH se retrouvera dans la situation étrange d’être forcée à supprimer le mot « Fairmont » de sa dénomination sociale tout en ayant le droit d’employer la marque de commerce « Fairmont ». Pareille situation causera un préjudice irréparable à FH et, à vrai dire, intensifiera la confusion chez les membres du public.

 

[12]           J’estime que la position de FH a un caractère spéculatif. Aux termes de la LCSA, le directeur peut ordonner à une société de modifier sa dénomination sociale si cette dénomination est prohibée. Selon l’article 25 du Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral (2001), DORS/2001-512, une dénomination sociale est prohibée si elle prête à confusion, compte tenu de toutes les circonstances , notamment les suivantes : le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce, la durée d’emploi de la marque de commerce, la nature du commerce associé à la marque de commerce, la ressemblance entre la dénomination sociale et la marque de commerce et la région dans laquelle la dénomination sociale et la marque de commerce sont employées.

 

[13]           Il me semble que le directeur doit prendre en considération toutes les circonstances pertinentes, notamment les marques de commerce de FH et ses droits exclusifs à l’emploi de ces marques en liaison avec son entreprise (selon l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce). En outre, le directeur peut tenir compte de tous les autres facteurs et effets potentiels qui préoccupent FH ainsi que les antécédents et activités des deux parties. Je ne puis conclure de la décision du directeur de refuser la suspension de la demande de FRP qu’elle entraînera inévitablement une conclusion défavorable à FH. Par conséquent, je ne suis pas persuadé qu’il existe des circonstances spéciales qui justifieraient la Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision interlocutoire du directeur. Je partage l’approche du juge Walsh dans des circonstances semblables : Brick Warehouse Corp. c. Brick Fine Furniture Ltd., [1992] A.C.F. n° 272 (1re inst.) (QL).

 

III. Dispositif

 

[14]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Annexe

Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R., 1985, ch. C-44

 

Dénominations sociales prohibées

12. (1) La société ne peut être constituée, être prorogée, exercer une activité commerciale ni s’identifier sous une dénomination sociale :

a) soit prohibée ou trompeuse au sens des règlements;

b) soit réservée conformément à l’article 11.

 

 

 

Loi sur les marques de commerce, L.R. 1985, ch. T-13

 

 

Droits conférés par l’enregistrement

 

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

 

 

Juridiction exclusive de la Cour fédérale

 

57.(1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

Restriction

 

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

 

Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral (2001), DORS/2001-512

 

25. Pour l’application de l’alinéa 12(1)a) de la Loi, une dénomination sociale est prohibée si elle prête à confusion, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les suivantes :

a) le caractère distinctif inhérent à tout ou partie des éléments d’une marque de commerce, d’une marque officielle ou d’une dénomination commerciale et la mesure dans laquelle la marque ou la dénomination est connue;

b) la durée d’emploi de la marque de commerce, de la marque officielle ou de la dénomination commerciale;

c) la nature des biens ou des services à l’égard desquels une marque de commerce ou une marque officielle est employée ou encore, le genre d’activités commerciales exercées sous une dénomination commerciale ou relativement à cette dénomination, y compris la probabilité d’une concurrence entre des entreprises utilisant une telle marque de commerce, marque officielle ou dénomination commerciale;

d) la nature du commerce à l’égard duquel est employée une marque de commerce, une marque officielle ou une dénomination commerciale, y compris la nature des biens ou services et les moyens grâce auxquels ils sont distribués ou offerts;

e) le degré de ressemblance visuelle ou phonétique entre la dénomination sociale proposée et toute marque de commerce, marque officielle ou dénomination commerciale, ou le degré de ressemblance des idées qu’elles suggèrent;

f) la région du Canada dans laquelle la dénomination sociale proposée ou une dénomination commerciale existante est susceptible d’être employée.

 

Canadian Business Corporations Act, R.S.C. 1985, c. C-44

 

Prohibited names

12. (1) A corporation shall not be incorporated or continued as a corporation under this Act with, have, carry on business under or identify itself by a name

(a) that is, as prescribed, prohibited or deceptively misdescriptive; or

(b) that is reserved for another corporation or intended corporation under section 11.

 

Trade-marks Act, R.S.C. 1985, c. T-13

 

Rights conferred by registration

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

Exclusive jurisdiction of Federal Court

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

Restriction

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

 

Canada Business Corporations Regulations 2001, SOR/2001-512

25. For the purpose of paragraph 12(1)(a) of the Act, a corporate name is prohibited if it is confusing, having regard to all the circumstances, including

(a) the inherent distinctiveness of the whole or any elements of any trade-mark, official mark or trade-name and the extent to which it has become known;

(b) the length of time the trade-mark, official mark or trade-name has been in use;

(c) the nature of the goods or services associated with a trade-mark or an official mark, or the nature of the business carried on under or associated with a trade-name, including the likelihood of any competition among businesses using such a trade-mark, official mark or trade-name;

(d) the nature of the trade with which a trade-mark, an official mark or a trade-name is associated, including the nature of the products or services and the means by which they are offered or distributed;

(e) the degree of resemblance between the proposed corporate name and a trade-mark, an official mark or a trade-name in appearance or sound or in the ideas suggested by them; and

(f) the territorial area in Canada in which the proposed corporate name or an existing trade-name is likely to be used.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-587-06

                                                           

 

INTITULÉ :                                       FAIRMONT HOTELS INC, ET AL. c. DIRECTEUR DE CORPORATIONS CANADA, ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 29 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John T. Porter

Patrick E. Kierans

POUR LES DEMANDERESSES

 

Michel Bourque

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OGILVY RENAULT LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

BURNET, DUCKWORTH & PALMER LLP

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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