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Date : 20070130

Dossier : IMM-3092-06

Référence : 2007 CF 92

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

SARABJIT SINGH NAHAL

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Pinard

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée au nom du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’encontre de la décision d’un commissaire de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI), datée du 8 mai 2006, qui a conclu que l’adoption par M. Sarabjit Singh Nahal de Mlle Tajinder Kaur maintenant âgée de 17 ans était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR), et satisfaisait par conséquent à la définition d’« enfant à charge » pour une demande de résidence permanente au Canada.

* * * * * * * *

 

[2]               Le défendeur, M. Nahal, est né en Inde, a obtenu le statut de résident permanent au Canada en 1987, et a parrainé trois ans plus tard sa femme originaire de l’Inde.

 

[3]               Après un voyage en Inde en décembre 2000, les Nahal ont décidé d’adopter la fille d’amis de la famille, Tajinder Kaur, âgée de presque 12 ans. Ils ont demandé aux parents biologiques s’ils pouvaient l’adopter et après un premier refus, les parents biologiques ont finalement accepté.

 

[4]               Selon le défendeur, la cérémonie d’adoption s’est déroulée le 28 février 2001, mais l’acte d’adoption a été enregistré le 5 mars 2001.

 

[5]               Les Nahal ont également donné une procuration au père de Mme Nahal, Gurmej Singh, pour qu’il prenne soin de Tajinder en l’absence des Nahal.

 

[6]               Au début de 2002, Tajinder a déposé une demande de visa de résidence permanente au Canada, parrainée par M. Nahal.

 

[7]               Le 25 avril 2005, un agent des visas a interrogé Tajinder, ses parents biologiques, son père adoptif et son mandataire. L’agent a conclu que Tajinder n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial au sens de l’article 4 et de l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), parce qu’il a estimé que l’adoption n’était pas authentique ni dans l’intérêt supérieur de Tajinder en vertu des alinéas 117(1)c) et d), et que par conséquent elle ne répondait pas aux exigences de la LIPR. Sa demande a été refusée.

 

[8]               À titre de parrain d’un demandeur refusé appartenant à la catégorie du regroupement familial, M. Nahal a fait appel de la décision de l’agent devant la SAI, en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR. La SAI a entendu l’appel le 2 mai 2006 et renversé la décision initiale de l’agent des visas le 8 mai 2006.

 

[9]               Même si la demande de résidence permanente pertinente a été déposée en vertu de la Loi sur l’immigration antérieure de 1978, l’article 190 de la nouvelle LIPR établit que les demandes en attente immédiatement avant l’entrée en vigueur de la nouvelle LIPR sont régies par la nouvelle LIPR.

 

* * * * * * * *

 

[10]           Voici les parties pertinentes du Règlement :

 3. (2) Pour l’application du présent règlement, il est entendu que le terme « adoption » s’entend du lien de droit qui unit l’enfant à ses parents et qui rompt tout lien de filiation préexistant.

 

 4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

 3. (2) For the purposes of these Regulations, “adoption”, for greater certainty, means an adoption that creates a legal parent-child relationship and severs the pre-existing legal parent-child relationship.

 

 4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

 

* * * * * * * *

 

[11]           Le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur en droit quand elle a conclu que l’adoption était authentique aux termes de l’article 4 du Règlement, en ce sens que la SAI n’a pas appliqué le bon critère juridique. Je suis d’accord.

 

[12]           L’article 4 du Règlement est abordé aux paragraphes 23 et 24 de la décision contestée :

[traduction] [23] En ce qui concerne l’article 4 du Règlement, pour qu’un étranger soit disqualifié, la prépondérance de la preuve fiable doit démontrer que l’adoption n’est pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. Pour avoir gain de cause, il suffit d’établir que l’un des deux volets du critère n’est pas satisfait.

 

[24] J’ai examiné la preuve concernant l’adoption et je suis d’avis que l’adoption de la demanderesse était légale et valide : des éléments de preuve fournis par la demanderesse et la femme de l’appelant montrent qu’il y a eu don et prise en adoption, et j’accepte le témoignage de la femme de l’appelant concernant la date de l’acte d’adoption qui a été enregistré le 5 mars 2001 et qui est conforme à la Hindu Adoptions and Maintenance Act de 1956 (loi hindoue sur l’adoption). Comme l’un des volets du critère de mauvaise foi de l’article 4 est satisfait, j’estime que la demanderesse est un enfant adopté.

 

 

 

[13]           Par conséquent, il semble que la SAI a estimé que l’adoption était authentique parce qu’elle a conclu qu’elle avait été légalement officialisée, sans prendre en considération d’autres facteurs pour décider de l’authenticité de l’adoption. Cette interprétation a été rejetée dans la décision Ni c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 241, dans le contexte de l’authenticité d’un mariage : « [...] l’interprétation du mot “ authentique ” comme signifiant “ légal ” rendrait redondant l’article 4 du Règlement. »

 

[14]           Comme l’a affirmé mon collègue le juge Russell dans Frounze c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 331, au paragraphe 32 :

 [...] Partant, à mon avis, lorsque le mot « adopté » se présente dans le contexte du Règlement sur l’immigration, il ne suffit pas de considérer la simple légalité d’une adoption, le décideur devant également se demander si elle établit avec l’adoptant un véritable lien de filiation.

 

 

 

[15]           En l’espèce, dans son examen et son application de l’article 4 du Règlement, la SAI a fait erreur en se penchant sur la validité ou la légalité de l’adoption dans le pays d’origine sans s’intéresser à la création d’un véritable lien affectif parent-enfant. Des facteurs pertinents à considérer en vertu de l’analyse relative à l’article 4, comme les circonstances de l’adoption, les allées et venues des parents biologiques de l’enfant et leurs conditions de vie personnelles, le soutien financier et émotionnel fourni par les parents adoptifs, les raisons de l’adoption, et les pratiques sociales et juridiques dans le pays d’origine, n’ont pas été examinés (Guide opérationnel OP 3, art. 7.8 (« Comment repérer une adoption de complaisance »)).

 

[16]           En vertu de la norme de la décision correcte applicable (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84), je conclus donc que la décision contestée n’est pas correcte et doit être annulée.

 

[17]           Par conséquent, la décision de la SAI est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour réexamen d’une manière conforme aux présents motifs.

 

[18]           De son côté, l’avocat du défendeur propose les questions suivantes pour certification :

1.                  Dans son évaluation de l’intérêt supérieur d’un enfant adopté en vertu des paragraphes 117(2) et 117(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, est-ce que la Section d’appel de l’immigration a l’obligation aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel qu’il existe à la date de l’audience?

 

2.                  Un décideur a-t-il l’obligation d’examiner l’article 4 et le paragraphe 117(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés d’une manière séquentielle, en décidant d’abord si l’adoption est authentique et ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège en vertu de la LIPR, avant d’évaluer le respect des paragraphes 117(2) et 117(3) du Règlement?

 

3.                  Est-ce qu’une conclusion selon laquelle une adoption crée un véritable lien parent-enfant conformément à l’alinéa 117(3)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés signifie qu’il a été conclu que l’adoption est authentique, en vertu de l’article 4 du Règlement?

 

 

 

[19]           La première question ci-dessus ne se pose pas en l’espèce, puisque dans le cas d’un appel relatif à une demande de parrainage au titre du regroupement familial, l’article 65 de la LIPR interdit à la SAI de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant et des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 67 de la LIPR, à moins que la SAI ait auparavant décidé que l’étranger fait bien partie de cette catégorie (Xu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1575, et Yen c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1307).

 

[20]           En ce qui concerne la deuxième question ci-dessus, je suis d’accord avec l’avocat du demandeur que la séquence d’évaluation de l’article 4 et de l’article 117 du Règlement n’est pas pertinente pour la détermination des questions de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente et que la question ne se pose pas en l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, la SAI a clairement commis une erreur en omettant de tirer une conclusion quant à l’authenticité de l’adoption, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

[21]           Enfin, concernant la troisième question ci-dessus, elle ne peut être certifiée pour les mêmes raisons que celles établies plus haut pour le refus de la certification de la deuxième question. Qui plus est, cette troisième question ne se pose pas en l’espèce, puisque j’ai conclu que la SAI avait non seulement omis d’évaluer l’authenticité de l’adoption conformément à l’article 4, mais qu’elle avait également commis une erreur en interprétant et en appliquant de manière incorrecte le critère de l’article 4, en tirant plutôt une conclusion quant à la légalité de l’adoption.

 

[22]           En conséquence, aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 2007

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                IMM-3092-06

 

INTITULÉ :                                               MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION c. SARABJIT SINGH NAHAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       Le 10 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                    Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                             Le 30 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Helen Park                                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Zool K.B. Suleman                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Simms, c.r.                                      POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Zool K.B. Suleman                                      POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

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