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Date: 20070201

Dossier: IMM-2889-06

IMM-3175-06

 

Référence: 2007 CF 108

Ottawa (Ontario), le 1er février 2007

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

BACHAN SINGH SOGI

Demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision refusant la protection au demandeur (M. Sogi), étant donné que celui-ci représente un risque à la sécurité du Canada et que son renvoi ne l’exposerait pas à un risque décrit à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (LIPR), ladite décision ayant été rendue par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), par l’entremise de la déléguée du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Ministre), L.J. Hill (la déléguée), en date du 11 mai 2006.  Le fondement juridique de la décision se trouve aux alinéas112(2)a), 113(d)ii) de la LIPR et à l’alinéa 172(2)b) des Règlements sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS (« RIPR »).

 

[2]               Puisqu’une mesure de renvoi a été exécutée contre le demandeur (« M. Sogi ») le 2 juillet 2006, mesure pour laquelle il y a aussi une demande de contrôle judiciaire (dossier IMM-3175-06), et qu’il a été admis en Inde; la question qui se pose en l’espèce est à savoir si la présente demande est théorique et le cas échant, si elle doit être entendue.  Étant donné que la demande préliminaire relative à l’aspect théorique des deux demandes de contrôle judiciaire (IMM-2889-06 et IMM-3175-06) concerne la même trame factuelle et les redressements demandés et les questions de droit en litiges sont essentiellement les mêmes dans les dossiers, les avocats ont traité de la demande préliminaire dans les deux dossiers.  Par conséquent, la présente décision concerne les deux dossiers avec les ajustements appropriés.  Il est à noter que parfois j’utiliserai le singulier sachant que ceci inclut chacune des demandes de contrôle judiciaire.

 

I.  Les faits

 

[3]               M. Sogi arriva au Canada en mai 2001.  En août 2002, il fut arrêté et détenu par les autorités canadiennes, la raison étant que le gouvernement Canadien avait des motifs de croire que le demandeur était membre de l’organisme terroriste Babbar Khalsa International (« BKI »).

 

 

 

 

[4]               En date du 8 octobre 2002, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), Section de l’immigration, conclut à l’expulsion du demandeur, au motif qu’il était membre du BKI, une organisation pour laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée, se livre ou se livrera à des actes de terrorisme, au sens des alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la LIPR.  Cette décision de la CISR, Section de l’immigration, fut confirmée par la Cour fédérale (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1429 (MacKay J.)) et par la Cour d’appel fédérale (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 212).  Par contre, la demande d’autorisation d’appel de ce dernier jugement a été rejetée par la  Cour suprême (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] S.C.C.A. No. 354).

 

[5]               Étant donné qu’il y avait une mesure de renvoi, M. Sogi a fait une demande de protection auprès du Ministre selon les articles 112 et suivants de la LIPR.

 

[6]               Le 2 décembre 2003, le délégué du Ministre, G.C. Alldridge, refusa la demande de protection faite en vertu des articles 112 et suivants de la LIPR.  Cette décision fut confirmée par un jugement de la Cour fédérale (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 FC 262 (Simpson J.)) mais annulée ensuite par la Cour d’appel fédérale, le motif étant que toute la preuve n’avait pas été consultée et par conséquent le dossier fut retourné à un autre délégué du Ministre pour réexamen.

 

 

 

[7]               Le 11 mai 2006, la déléguée du Ministre refusa la demande de protection de M. Sogi.  Il s’agit de la décision à l’étude dans le dossier IMM-2889-06.

 

[8]               Le 23 juin 2006, notre Cour rejeta avec motifs une demande de suspension de l’exécution de  la mesure de renvoi faite par M. Sogi (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 799 (Blais J.)).  En date du 30 juin 2006, la Cour d’appel fédérale refusa, par directive d’admettre le dépôt de l’avis d’appel relatif à cette dernière décision.

 

[9]               À la suite d’une décision de renvoi en date du 11 juin 2006 (cette décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-3175-06), le 2 juillet 2006 le demandeur fut expulsé du Canada en direction de l’Inde, où il fut accepté.

 

[10]           À titre d’information supplémentaire pour les fins du présent dossier, une décision d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR), en date du 26 juin 2003, a conclu que M. Sogi était exposé à des risques de torture ou de persécution en cas de retour en Inde.  De même, une deuxième évaluation ERAR, en date du 31 août 2005, concluait de la même façon.

 

 

 

 

[11]           Bien qu’elle ait cette information devant elle, la déléguée conclut différemment dans sa décision du 11 mai 2006.  Pour en arriver à cette conclusion, elle a utilisé la plus récente information sur la situation en Inde et elle a étudié le cas d’individus pouvant s’apparenter à M. Sogi pour conclure que, lors d’un retour dans son pays d’origine, le demandeur ne serait pas exposé à des risques de torture.  M. Sogi conteste les conclusions de la déléguée par l’entremise de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[12]           Étant donné que le dossier de M. Sogi contient de l’information qualifiée de renseignement protégé, la déléguée a eu accès à cette information et M. Sogi en a reçu un sommaire de celle-ci.  Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le Ministre, par l’entremise de l’article 87 de la LIPR, demanda de ne pas divulguer l’information protégée.  Après étude et audience, la non-divulgation de celle-ci fut accordée par le soussigné.

 

II.  Les redressements demandés

 

[13]           Par sa demande de contrôle judiciaire pour le dossier IMM-2889-06, M. Sogi recherche les redressements ci-après :

-                     casser la décision attaquée et ordonner une nouvelle étude de sa demande de protection par une autre personne autorisée, conformément aux motifs de la Cour et ce, d’une façon compatible avec les motifs de la décision qui sera éventuellement rendue en l’instance;

-                     rendre un jugement déclaratoire portant sur la validité constitutionnelle des articles 87, 112 et 113 de la LIPR et 167 et 172 des RIPR;

-                     arrêter les procédures de renvoi contre le demandeur;

-                     réserver au demandeur tous ses autres recours, conformément aux articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7;

 

[14]           Dans le dossier IMM-3175-06, les redressements sollicités par le demandeur se lisent ainsi :

 

-          décerner une injonction permanente, accompagnée d’un jugement déclaratoire, déclarant que la situation particulière de M. Sogi ne permet pas l’exécution de la mesure de renvoi et ce, à titre de réparation selon l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c.11 (Charte);

-          réserver à la partie demanderesse tous ses autres recours, conformément aux articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale;

 

[15]           Pour les deux dossiers, l’avis de questions constitutionnelles se lit ainsi :

A)         Les articles 87, 112 et 113 de la LIPR, ainsi que les articles 167 à 172 du RIPR violent les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en autorisant l’utilisation de critères impertinents sur la dangerosité pour la demande de protection qui contamine et vicie le processus.

B)          Les articles 112 et 113 de la LIPR en lien avec l’article 87 de la LIPR violent l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits en privant le demandeur d’une audience publique, équitable, impartiale, sans preuve secrète (déposée contre lui) pour la détermination de sa demande de protection et devant un tribunal indépendant pour une audience au mérite de vive voix.

C)          Les articles 112(3) et 113(d) de la LIPR violent les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture) dont est signataire le Canada en permettant le rejet de la demande de protection, malgré la preuve du risque de torture et en exposant le demandeur à une menace perpétuelle de renvoi vers un pays où il y a un risque probable de torture.

 

III.  La position respective des parties

 

[16]           Dès le début de l’audience, l’avocate de M. Sogi demanda de trancher la question préliminaire dans les deux dossiers : La demande de contrôle judiciaire est-elle théorique?  Pourquoi s’embarquer dans un débat contradictoire si la demande de contrôle judiciaire est théorique?  Les avocats des Ministres étaient d’accord sur cette question.  En sus, l’avocate de M. Sogi, tout en constatant que la question constitutionnelle s’apparentait à celle de l’arrêt Charkaoui (Re), 2005 CF 1670 (Charkaoui), suggérait à la Cour que l’audition de l’affaire soit remise, après l’audition de l’appel de cette décision par la Cour d’appel fédérale, prévue pour la mi-février 2007, et ce, dans l’hypothèse où la demande de contrôle judiciaire n’était pas théorique.  Les avocats des Ministres suggéraient la même approche.

 

[17]           La question de l’aspect théorique du dossier était soulevée dans le mémoire de faits et droit des Ministres.  Succinctement, on soumettait à la Cour que, compte tenu de la jurisprudence, la demande de contrôle judiciaire était théorique.  Toutefois, on suggérait que l’affaire soit entendue jusqu’à un certain point, étant donné les questions d’intérêt public en jeu.  Les questions « d’intérêt public » ne furent pas identifiées. 

 

[18]           De plus, il est à noter que lors de la plaidoirie de l’avocat des Ministres, en réponse à une question du soussigné et pour fin de transparence, il fut précisé que les Ministres ne voulaient pas qu’une mesure préliminaire donne l’impression qu’il n’avait pas une bonne position à présenter face aux arguments de fond du demandeur, mais qu’en faits et en droit le dossier de demande de contrôle judiciaire était théorique.

 

[19]           L’avocate de M. Sogi, voulant savoir à quoi s’en tenir quant à cette argumentation écrite et complétée verbalement, demanda dès le début que la Cour tranche la question à savoir, si la demande de contrôle judiciaire était théorique.  L’avocate le fit pour les deux dossiers IMM-2889-06 et IMM-3175-06, et de façon viva-voce.

 

[20]           Brièvement, la position de M. Sogi est que, bien qu’il y ait des éléments pouvant porter à croire que les demandes soient théoriques, le dossier ne l’est pas étant donné que M. Sogi demande à la Cour de lui réserver tous recours disponibles en vertu de la Loi sur les Cours fédérales.  L’avocate de M. Sogi n’a pas présenté d’exemples ou de scénarios permettant d’établir concrètement quelles sont les « autres recours » que pourrait demander M. Sogi.  Elle a ajouté que dans l’hypothèse où la demande était théorique, je devrais exercer ma discrétion et décider d’entendre la demande.

 

[21]           Ayant entendu les parties à ce sujet, j’ai acquiescé à leur demande de trancher la question théorique et de remettre l’audition de l’affaire à une date postérieure à l’audience de la Cour d’appel fédérale, dans la cause Charkaoui et ce, dans l’hypothèse où le résultat de la présente décision ne serait pas que la demande de contrôle judiciaire est théorique.

 

IV.  L’encadrement juridique nécessaire à la détermination à rendre

 

[22]           L’arrêt de base pour permettre l’analyse de la question « Est-ce que la demande de contrôle judiciaire est théorique? »  est l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général) [1989] 1 R.C.S. 342  (Borowski) émanant de la Cour Suprême. J’entends aussi avoir recours à la jurisprudence de notre Cour spécifiquement applicable au domaine de l’immigration, tout en tenant compte des circonstances particulières au présent dossier.

 

[23]           Dans l’arrêt Borowski, le juge Sopinka écrivant pour la Cour, a énoncé qu’un litige est théorique lorsque la décision à être rendue n’aura aucune répercussion tangible sur les droits des parties impliquées.  Dans un tel cas, un tribunal est justifié de refuser de trancher un litige.  Toutefois, un tribunal peut utiliser sa discrétion et décider d’entendre un litige s’il peut expliquer l’objectif visé par la détermination d’un litige de nature théorique. 

 

[24]           Pour traiter d’un litige de nature théorique, la démarche à suivre est à deux étapes : premièrement, il faut se demander si le litige réel initial existe toujours, et s’il n’est pas académique; et deuxièmement si le litige est de nature théorique le juge doit exercer sa discrétion et décider s’il entendra la cause tenant compte des circonstances du dossier et de l’objectif visé en traitant du litige.  La Cour suprême suggère lors de l’étude du deuxième volet dans l’arrêt Borowski de tenir compte des critères suivants pour déterminer si la discrétion doit être exercée (Borowski aux pages 358-363) :

-                     la capacité des tribunaux de trancher des litiges à sa source dans le système contradictoire;

-                     l’économie des ressources judiciaires;

-                     la fonction véritable de cette Cour dans l’élaboration du droit.  Il peut y avoir d’autres critères à prendre en considération.

 

 

 

 

[25]           On y retrouve dans la jurisprudence de notre Cour, une constante à savoir que le renvoi d’un demandeur rend théorique le contrôle judiciaire d’une décision rejetant une demande de protection lorsque la preuve ne révèle pas l’existence d’un préjudice irréparable. Cette jurisprudence établit que, dans de tel cas, la Cour devrait rejeter une requête demandant la suspension de l’exécution de la mesure de renvoi (voir Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347 (Figurado);  Nalliah c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 759;  Thanotharampillai c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 756).  Tel que mentionné précédemment, le 23 juin 2006, le juge Blais de notre Cour rejeta la demande de suspension de l’exécution de la mesure de renvoi prise contre M. Sogi sur la base du préjudice irréparable.  Il concluait de la façon suivante (voir Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 799 (Blais J.)):

 

38. En regard de la preuve documentaire déposée tant devant l'agent ERAR que devant moi, il est bien évident que le juge doit procéder B une révision de cette preuve et en ce qui me concerne, je considère que je n'ai pas B revenir ou B réexaminer dans le détail toute la preuve qui avait préalablement été soumise B l'agent ERAR. Cependant, j'ai senti le besoin dans les circonstances particulières de ce dossier, de revoir l'ensemble de la preuve documentaire qui avait été déposée ainsi que la nouvelle preuve documentaire déposée par la procureure du demandeur au soutien de sa requête en sursis.

 

39. Comme le rappelle avec exactitude le procureur du Ministre, l'État indien a adopté au début de la période d'insurrection au Punjab dans les années 80, plusieurs lois spéciales qui ont donné lieu B de nombreuses violations des droits de la personne. Lesdites violations ont entraîné de nombreux reproches aux autorités indiennes par les organismes internationaux. Cependant, force est d'admettre que plus récemment, la situation s'est beaucoup améliorée en Inde mLme s'il existe encore plusieurs foyers de violence notamment dans les régions du Jammu et du Cachemire et dans certaines autres régions plus au sud. Cependant, la situation qui a existée au Punjab qui est la région d'origine du demandeur a beaucoup évoluée et s'est grandement améliorée depuis le milieu des années 90. Les nouveaux éléments de preuve qui ont été déposés depuis la décision du 11 mai 2006, ne peuvent en aucun cas m'amener B conclure que les conclusions auxquelles en est arrivé l'agent ERAR puissent être considérées comme était déraisonnables.

 

 

 

 

[...]

 

52. J'ai examiné personnellement les documents qui font partie de la volumineuse preuve documentaire déposée tant devant l'agent ERAR que devant moi et je n'ai d'autre choix que de conclure que le demandeur n'a pas réussi B me convaincre qu'il puisse être victime de torture ou de traitement cruel ou inusité s'il devait être déporté en Inde

 

[Je souligne]

 

[26]           Toutefois, dans la décision Figurado, le juge Martineau a suggéré lors de l’étude d’un sursis d’exécution, de nuancer l’approche basée uniquement sur le préjudice irréparable, car il se pourrait que la perte de l’opportunité de faire demande d’un contrôle judiciaire puisse être, en soi, un préjudice irréparable.  Ainsi, le juge Martineau a proposé en obiter, que lorsqu’il y a une question sérieuse à trancher relative à une décision ERAR négative qui exposera un demandeur à un risque de persécution ou de torture, et qu’un sursis est demandé en attendant la décision sur la demande de contrôle judiciaire du demandeur relative à la décision ERAR, il s’ensuivra qu’un préjudice irréparable existe et qu’en générale, la prépondérance des inconvénients sera en faveur du demandeur.  Toutefois, il ajoute que si le juge des requêtes considère que la demande de sursis de renvoi ne démontre pas de question sérieuse, il ne devrait pas y avoir de sursis d’exécution.  Le juge Martineau écrit ce qui suit au paragraphe 45 de Figurado :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

45.           Lorsqu’il y a une question sérieuse à trancher concernant une décision ERAR négative qui exposera le demandeur au risque d’être persécuté ou qui l’exposera personnellement à un danger de torture ou de menace à sa vie ou à un traitement ou peine cruel ou inusité, et qu’un sursis est demandé en attendant la décision relative à la demande principale de contrôle judiciaire, il s’ensuivra nécessairement un préjudice irréparable et, en règle générale, la prépondérance des inconvénients favorisera le demandeur.  Donc, la Cour devrait normalement accorder le sursis dans ces circonstances mis à part la question de savoir si la demande principale de contrôle judiciaire sera sans objet si le demandeur est renvoyé.  Par contre, suivant une décision ERAR négative, lorsque le juge des requêtes estime que la demande de sursis ne soulève aucune question sérieuse, il n’y a aucune raison logique de différer la mesure de renvoi en attendant la décision relative au contrôle judiciaire d’une décision ERAR qui en soi, si elle est positive, entraîne un sursis.  Si le demandeur est renvoyé et la demande de contrôle judiciaire est rendue inutile puisque le sursis a été refusé pour absence de question sérieuse à trancher, habituellement, le juge rejette la demande d’autorisation (puisqu’il sera difficile, dans ces circonstances, de prétendre que la cause est plaidable).  Toutefois, cette hypothèse de base ne s’est pas appliquée en l’espèce et la Cour est aujourd’hui saisie de l’affaire.  Cet élément précis a pour effet, très certainement, de rendre la présente affaire exceptionnelle. 

 

[Je souligne]

 

[27]           La situation, dans le cas en espèce, est identique à celle décrite par le juge Martineau dans Figurado dans l’extrait cité ci-dessus.  Le juge Blais, en juin 2006, a refusé la demande de sursis d’exécution de renvoi de M. Sogi, et la juge Tremblay-Lamer a autorisé la demande d’autorisation par ordonnance, tel que le veut la coutume et la tradition de cette Cour.  Je ne bénéficie donc pas des motifs à ce sujet.  Par ailleurs, dans ses motifs dans Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 799, le juge Blais, traitant des dossiers IMM-2889-06 (décision refusant la demande de protection) et IMM-3175-06 (la décision de l’exécution de la mesure de renvoi), étudia et analysa la décision du 11 mai 2006 de la déléguée du Ministre, ainsi que la décision d’exécuter la mesure de renvoi, afin d’évaluer la question sérieuse attribuable à chacun des dossiers.  J’entends référer à une partie des motifs du juge Blais, non pas pour indiquer que son évaluation du dossier est pareille à la mienne, mais plutôt pour faire le suivi avec les propos du juge Martineau dans Figurado cités au paragraphe précédent.  Je reproduis le passage suivant de la décision du juge Blais (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 799 (Blais J.)) :

11. Pour déterminer si le demandeur a soulevé une question sérieuse B débattre dans sa demande de sursis, nous devons examiner deux demandes de contrôle judiciaire qui sont B la base de la présente demande de sursis. En fait, le 31 mai dernier, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision lui refusant sa demande de protection suite B l'examen des risques avant renvoi (ERAR) émise par Citoyenneté et Immigration Canada, représenté par la déléguée du Ministre, L.J. Hill, datée du 15 mai 2006.

 

12. Par ailleurs, le demandeur a également demandé le contrôle judiciaire de l'exécution de la mesure de renvoi contre le demandeur et ce, en date du 11 juin 2006.

 

13. Le demandeur a déposé une seule demande de sursis laquelle est en rapport avec les deux demandes de contrôle judiciaire.

 

14. Le juge qui entend une demande de sursis n'a pas comme responsabilité de réexaminer les conclusions auxquelles en est arrivé l'agent responsable d'émettre un avis quant au risque appréhendé si la personne devait être déportée dans son pays d'origine.

 

15. Le contrôle judiciaire de la décision de l'agent ERAR sera décidé B une étape ultérieure; d'abord, un juge devra examiner si l'autorisation doit être accordée et, ensuite, advenant que l'autorisation soit accordée, un juge examinera au fond, le caractère raisonnable de la décision suivant les critères établis par la loi et la jurisprudence.

 

16. Il est de mon devoir B l'étape du sursis d'examiner si, B première vue, la décision a respecté les dispositions légales prévues et si le décideur a examiné la preuve au dossier incluant la preuve secrète et particulièrement le rapport de renseignements de sécurité (SIR) et les documents auxquels ledit rapport réfère. Jusqu'B nouvel ordre, la décision est légale, et je me dois d'en tenir compte B la lumière de la nouvelle preuve, s'il en est, déposée au dossier.

 

17. Il apparaît clair B la lecture de la décision ERAR, dont j'ai pris connaissance, que l'agent a fait une révision complète, détaillée, systématique, de la situation de M. Sogi. Entre autres, après avoir vu sa requête pour être reconnu réfugié au Royaume-Uni refusée, il est entré au Canada sous une fausse identité alors que les autorités britanniques s'apprêtaient B le déporter. À cet effet, les raisons mentionnées par les autorités britanniques étaient les mLmes que les autorités canadiennes soit que sa présence n'était plus autorisée sur le sol britannique parce qu'il représentait une menace B la sécurité nationale due B son implication dans des activités terroristes B l'échelle internationale.

 

18. Bien qu'il ait reconnu au cours de ses nombreuses auditions en matière d'immigration qu'il avait utilisé plusieurs fausses identités tant sur le sol britannique que sur le sol canadien, et dans ses voyages en Inde et au Pakistan, M. Sogi refuse toujours d'admettre qu'il est un terroriste membre du groupe terroriste international "Babbar Khalsa international organization" (BKI).

 

19. L'agent ERAR a examiné et pris en considération la volumineuse preuve documentaire soumise de part et d'autre dans le dossier.

 

20. A la page 16 de sa décision, l'agent ERAR discute d'un rapport préparé par a Danish fact-finding mission to Punjab, "Danish Immigration Services, May 2000" :

 

It continued by saying "that several people who had previously been militants and who had served their sentences for terrorist activities now lived a normal life in Punjab." For example, a politician who had been accused of involvement in the assassination of Indira Gandhi in 1984 was now a Member of Parliament. The fact-finding mission consulted NGOs and independent lawyers and most of them believed that currently there was no militant movement in Punjab. Most active members were now either inactive or living abroad.

 

 

21. Plus loin dans son analyse B la page 19, l'agent ERAR discute de la révocation de la Loi sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism Act)(POTA) :

 

Alternatively, because of the repeal of POTA, and the protections offered by the new legislation, in the event that he was so very well-known, I am still not convinced that he couldn't return to any part of India without facing such risks.

 

 

 

There is evidence of BK militants having been arrested in the last year or so. They were arrested in relation to specific terrorist actions. I have seen nothing persuasive in the evidence that even those active militants who have been arrested have been subjected to harsh treatment.

 

 

 

There is nothing convincing in the evidence that would lead me to conclude that Mr. Sogi would be subjected to torture or a risk to his life or cruel and unusual treatment or punishment if he were to be arrested because of his membership in the BK(I). I note the letter of Amnesty International dated August 6, 2003 to Lorne Waldman indicating that a person believed to belong to an organization such as BKI could be charged underPOTA, the provisions of which were believed by AI to violate international human rights standards.

 

 

 

The evidence establishes that the POTA, Prevention of Terrorism (second) ordinance 2001 has been abolished and the new act, Prevention of Terrorism Act, 2002 has been adopted. This act has been recognized as being a notable improvement over POTA and provides safe guards to an accused person. Section 33 of the Act provides that confessions cannot be compelled or induced and that any complaint of torture is to be investigated by a medical officer. Thus, the concerns raised by the August 6, 2003 letter are not persuasive. I note that Mr. Sogi could be subjected to prosecution for the role he might have played in the aborted bombing but that the new legislation protects against the abuses of the former legislation.

 

 

 

 

 

 

 

22. Il est intéressant de noter dans le rapport de l'agent ERAR, qu'il a examiné avec attention le risque rencontré par d'autres militants originaires du Punjab qui étaient retournés en Inde après plusieurs années B l'extérieur, et je cite B la page 18:

 

In order to better assess the risk that may face Mr. Sogi upon return to India I have looked at the militants who have returned to India. Mr. Wassan Singh Zaffarwal, chief of the Khalistan Commando Force, recently returned to India after 19 years abroad. He was treated to an overwhelming welcome by the people of his region. He has been exonerated on 7 of the 9 criminal charges against him. He was arrested shortly after his return to India for the other charges but was released on bail. In the 'Press Trust of India' dated March 27, 2003, he said "there is no scope for revival terrorism in Punjab."

 

 

 

 

Another former militant, Jagjit Singh Chauhan, returned from England in 2001. During his early years in England, he propagated the cause of Khalistan on a radio station under his stewardship. In addition, Satnam Singh Paonta, an associate of Gajinder Singh, chairman of the Del Khalsa International, a pro-Khalistan movement, also returned to India. As reported in 'The Economic Times' "Chauhan put a price on then Indian prime minister Indira Gandhi's head and yet he is being allowed to roam around freely". There were no reports on file to indicate that either of them has faced torture upon their return.

 

 

 

23. L'agent ERAR a procédé B son analyse B partir des informations et de la preuve dont il disposait, il arrive B des conclusions B l'effet que des militants sikhs extrémistes qui sont retournés en Inde, ont été traités de façon normale pour des personnes qui sont l'objet d'accusations criminelles notamment la possibilité pour eux d’être libérés sous condition et de faire face ultimement B des accusations devant les tribunaux indiens comme n'importe quel autre citoyen.

 

24. C'est après une étude et une analyse en détail des conditions en Inde et de la situation personnelle de M. Sogi, que l'agent ERAR est arrivé B la conclusion que M. Sogi ne serait pas sujet B un risque pour sa vie ou encore B la torture ou B un traitement cruel ou inusité suivant son retour en Inde, et ce, après avoir examiné l'ensemble de la preuve disponible tant celle se rapportant directement B M. Sogi que la preuve documentaire sur la situation en Inde et sur la situation des militants qui sont retournés en Inde après être demeurés B l'extérieur pendant plusieurs années.

 

25. L'agent a également examiné les alternatives proposées B sa déportation. Il les a toutes rejetées d'une part sur la base que M. Sogi, dans le passé, n'était pas crédible et d'autre part vu la preuve quant B son appartenance B un groupe terroriste. Il a aussi conclu que les conditions proposées pour que des amis ou que d'autres personnes puissent Ltre responsables de ses conditions d'engagement advenant sa libération ne contrebalançaient en rien le danger pour le Canada que M. Sogi représente, lequel danger a été reconnu de façon non équivoque dans une décision antérieure.

 

26. Quant B l'appréciation de la preuve documentaire, c'est un fait que l'agent ERAR a accordé plus de poids B certains documents par rapport B d'autres, notamment B un rapport émis par la Commission du statut de réfugié (CSR) plutôt qu'un autre rapport émis par Amnistie Internationale. On peut ou non Ltre d'accord avec les conclusions de l'un ou l'autre de ces documents, il ne me revient pas de refaire une évaluation de tous les documents mais plutôt de déterminer si l'analyse qui en a été faite était déraisonnable.

 

27. Il n'est pas impossible qu'B l'intérieur de volumineux rapports quant B la situation en Inde, il puisse se trouver des contradictions; la question pour la Cour fédérale n'est pas de décider B la place de l'agent d'immigration mais plutôt d'examiner si l'analyse de la preuve documentaire disponible a été faite de façon déraisonnable et si les conclusions auxquelles il en arrive, sont elles-mLmes déraisonnables. Il est de l'essence mLme de l'analyse que certains documents reçoivent plus de poids que d'autres; la suggestion de la part de l'avocate du demandeur B l'effet que les conclusions de l'agent devraient être rejetées parce qu'il a donné plus de poids B un document et en a rejeté un autre, est irrecevable.

 

28. Quant B la demande d'autorisation présentée B l'encontre de la décision d'exécuter la mesure de renvoi du demandeur, (dossier IMM-3175-06), il s'agit des mLmes arguments factuels que dans le dossier attaquant la décision de l'agent ERAR, ajoutant que le demandeur reconnaît que l'agent de renvoi a peu de marge de manoeuvre comparé B l'agent ERAR et que les seuls motifs de droit invoqués sont en regard de la Charte et que cette dernière n'aurait pas été respectée dans l'exécution du renvoi. Évidemment, dans les circonstances actuelles, j'accorde peu de poids B cette argumentation puisque effectivement l'agent de renvoi exécute une décision, examine si les critères sont rencontrés et procPde en fonction de la législation applicable. Les motifs d'ordre constitutionnel trouvent difficilement application dans les circonstances.

 

29. Sans vouloir revenir sur l'ensemble du dossier, je ne crois pas qu'il existe vraiment une question sérieuse soulevée B ce stade-ci quant au dossier IMM-3175-06. Dans les circonstances, ces arguments pourront être évalués par le juge qui aura B déterminer si l'autorisation peut être accordée quant au contrôle judiciaire; mais en ce qui me concerne, j'accorde peu de poids B ces arguments soulevés quant au non respect des dispositions de la Charte des droits et libertés et plus particulièrement, quant B la trame factuelle qui supporte l'argumentation qui est celle des conclusions auxquelles en est arrivé l'autre agent du Ministre soit l'agent ERAR, qui, lui, a fait une analyse des faits pour en conclure qu'il n'existait pas de risque sérieux de torture si M. Sogi devait être déporté dans son pays d'origine.

 

30. La jurisprudence nous enseigne que le seuil nécessaire pour arriver à la conclusion qu'il existe une question sérieuse B débattre n'est pas trPs élevé.

 

31. Prenant pour acquis pour fins d'analyse sans le décider qu'il existe une question sérieuse dans le dossier IMM-2889-06, je vais examiner maintenant s'il existe un préjudice irréparable.

 

[Je souligne]

 

 

[28]           Bien que le juge Blais ne conclut pas à l’existence d’une question sérieuse, laissant donc cette détermination à un décideur subséquent, il a tout de même formulé des commentaires qui s’apparentent à une conclusion qu’il y a absence de question sérieuse dans le cas de M. Sogi, et ce, dans les deux dossiers (IMM-2889-06 et IMM-3175-06).  Je dois souligner que ces commentaires ne constituent pas le fondement de mes conclusions car je ne suis pas à l’étape de la détermination de la demande de contrôle judiciaire, mais plutôt à une étape préliminaire, soit celle de déterminer si les contrôles judiciaires sont de nature purement théorique.  J’ai cru bon citer une grande partie des motifs du juge Blais, étant donné que le juge Martineau dans Figurado avait précisé qu’il n’y avait aucune raison logique pour accorder un sursis de mesure de renvoi lorsque le juge au dossier constate qu’il est difficile d’identifier une question sérieuse.

 

V.  Questions en litige

 

(1)   Est-ce que la demande de contrôle judiciaire est théorique?

(2)   Si dans l’affirmative la demande de contrôle judiciaire est théorique, dois-je utiliser ma discrétion et entendre l’affaire?

 

VI.  Analyse

 

(1)   Est-ce que la demande de contrôle judiciaire est théorique?

 

[29]           À titre de rappel, je cite les propos du juge Sopinka dans l’arrêt Borowski à la page 353 de la décision: 

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite.  Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties.  Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire.  Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision.  En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique.  Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer.  J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

 

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps.  En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique.  En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. [(...)] 

 

[30]           Comme je l’ai déjà mentionné, les redressements sollicités par le demandeur sont les suivants :

-                     casser la décision de la déléguée du Ministre en date du 11 mai 2006 et ordonner une nouvelle étude de la demande de protection et casser la décision de la mesure de renvoi;

-                     rendre un jugement déclaratoire (et une injonction interdisant le renvoi de M. Sogi) portant sur la validité constitutionnelle des articles 87, 112 et 113 de la LIPR et 167 à 172 des RIPR (voir aussi la question constitutionnelle au paragraphe 14 de la présente décision);

-                     prononcer l’arrêt des procédures de renvoi contre le demandeur;

-                     réserver au demandeur tous ses autres recours, conformément aux articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale;

 

[31]           Pour ce qui est du premier redressement recherché, je peux casser la décision de la déléguée du Ministre, mais je ne peux pas ordonner une nouvelle étude de la demande de protection.  Le but d’une demande de protection, comme celle faite par le demandeur, est de permettre un examen des risques avant renvoi et non après le renvoi.  Il s’agit de la raison pour laquelle l’article 232 des RIPR prévoit qu’un demandeur bénéficie d’un sursis automatique à la mesure de renvoi en attendant une décision sur leur demande d’ERAR.  Ainsi, le législateur voulait que l’ERAR soit déterminé avant que la personne demandant l’ERAR soit renvoyée du Canada, dans le but d’éviter de la placer à risque dans son pays d’origine.  Après tout, si la personne demandant un ERAR est renvoyée du Canada, avant qu’une détermination ne soit faite sur les risques auxquels elle ferait face dans son pays d’origine, l’objectif visé par le régime ERAR ne peut plus être atteint.  Il s’agit de la raison pour laquelle l’article 112 de la LIPR précise qu’un demandeur de protection est une « personne se trouvant au Canada ».

 

[32]           Le troisième redressement recherché, soit celui de prononcer l’arrêt des procédures de renvoi, est évidemment inexécutable.  M. Sogi n’est plus au Canada, ayant été retourné en Inde le 2 juillet 2006.  Nul n’est tenu à l’impossible.  Il en est de même pour le redressement d’injonction permanente de la mesure de renvoi (IMM-3175-06).

 

[33]           Le dernier redressement sollicité, soit la demande en vue d’ordonnance afin de réserver au demandeur ses autres recours conformément aux articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur la Cour fédéral, demeure général.  L’avocate de M. Sogi n’a présenté aucun scénario éventuel démontrant l’utilité pratique d’un tel redressement et n’a pas autrement indiqué en quoi cette réserve pouvait présenter une réparation utile.  Je demeure donc dans l’abstrait face à cette demande de redressement.  J’ajoute, au bénéfice de l’avocate de M. Sogi, qu’il est difficile d’imaginer une réparation concrète applicable aux circonstances du présent dossier.

 

[34]           En dernier lieu, je voulais commenter le deuxième redressement soit la question de la validité constitutionnelle de plusieurs dispositions de la LIPR et des RIPR.  Je suis d’avis, que si accordé, ce redressement n’apportera aucune solution pratique au présent litige.  En effet, même si ce redressement est accordé, il est difficile d’imaginer une réparation sous forme d’ordonnance qui pourrait permettre à M. Sogi de revenir au Canada.  De plus, une ordonnance permettant à M. Sogi de retourner au Canada ne serait pas être imposable au gouvernement de l’Inde.  Ceci dit, le soussigné, dans la décision Charkaoui a traité en grande partie de la question constitutionnelle du présent dossier, comme les procureurs l’en ont informé.  Dans Charkaoui, j’ai écrit ce qui suit au sujet d’une demande visant à invalider certaines dispositions de la LIPR au motif qu’elles violaient entre autres la Charte :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[5]   Deuxièmement, M. Charkaoui attaque la validité constitutionnelle des dispositions de la LIPR régissant les demandes de protection, l'examen des risques avant renvoi, l'application du principe de non refoulement et la sécurité nationale, à savoir les articles, paragraphes et alinéas 95(1)c), 112(3)d), 113b), c) et d) i) et ii) et 115(2), 77(2), 101(1)f) et 104 (les articles 101(1)f) et 104 ne figuraient pas dans l'avis de question constitutionnelle, mais seulement dans le mémoire des faits et du droit de M. Charkaoui, ci-après « mémoire de M. Charkaoui » ) et les articles 167 à 172 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 ( « RIPR » ). Un avis de question constitutionnelle fut signifié au procureur général du Canada et à ceux des provinces, le tout conformément à l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 ( « L.C.F. » ). La question posée à la Cour est formulée ainsi dans l'avis (les erreurs typographiques ne sont pas corrigées) :

 

Est-ce que les dispositions de la LIPR [...] régissant les demandes de protection soit les articles 95(1)c) in fine, 112(3)d), 113b),c) et d) i) et ii) et 115(2) de la LIPR en lien avec les articles 77(2) et les dispositions réglementaires correspondantes, soit les articles 167 à 172 du RIPR violent :

 

i)         La Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, R.T.     Can 1987, No. 36?

ii)       La Convention relative au statut de réfugié; R.T. Can 1969, no 6, préambule, art. 33.?

iii)      Les articles 7, 12, 15 de la Charte canadienne; Loi de 1982 sur le Canada,  Annexe B?

iv)     La Déclaration canadienne des droits; 8-9, Elizabeth II, c. 44, L.R.C. (1985), app. III?

v)       Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. R.T. Can. 1976, no 47?

vi)     La Déclaration universelle des droits de l'homme A.G. Rés. 217 A(III), Doc. A/810 N.U., à la  page 171 (1948)? 

 

[35]           Comme l’ont soumis les procureurs, si l’on compare la question de validité constitutionnelle dont j’ai traité dans Charkaoui avec celle soulevée dans le présent dossier, elles se ressemblent substantiellement. 

 

[36]           Dans l’arrêt Charkaoui je disposais de la question de validité constitutionnelle de certaines dispositions de la LIPR ainsi :

 

 

 

 

 

[88] Ayant étudié en détail la question constitutionnelle posée (voir le point ii) de l’analyse), je réponds que les dispositions de la LIPR régissant les demandes de protection (les alinéas 95(1)c) in fine, 112(3)d), 113b), c) et les sous-alinéas d)(i) et (ii) et le paragraphe 115(2) en lien avec le paragraphe 77(2)) et les articles 167 à 172 du RIPR ne violent pas les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne, ni la DCD, la Convention contre la torture, la Convention relative au statut des réfugiés, le Pacte international ou la Déclaration universelle.  Sommairement, M. Charkaoui n’a pas réussi à convaincre la Cour que le système de demande de protection mis sur pied par la LIPR était inconstitutionnel.  M. Charkaoui n’a pas démontré que la LIPR, son application à son égard ou les décisions prises, équivalaient à un traitement de torture, de traitement inhumain ou de traitement dégradant.  La procédure normale a suivi son cours et sa durée pour le moment est due à sa complexité inhérente et aux décisions légitimes prises par M. Charkaoui, ses représentants, les ministres et leurs représentants. 

 

Il est utile de rappeler que l’appel de cette décision sera entendu par la Cour d’appel fédérale à la mi-février 2007.

 

[37]           Ayant analysé chacun des redressements demandés, je conclus que la demande de contrôle judiciaire est théorique.  Une décision positive sur la demande de contrôle judiciaire sera sans effet tangible, concrète ou pratique selon la preuve aux dossiers.  Il me reste maintenant à déterminer s’il y a lieu d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et d’entendre l’affaire.

 

(2)   Si dans l’affirmative la demande de contrôle judiciaire est théorique, dois-je utiliser ma discrétion et entendre l’affaire?

 

(a) L’exercice du pouvoir discrétionnaire et les critères applicables

 

[38]           Les critères développés dans l’arrêt Borowski, dont il faut tenir compte pour déterminer si le pouvoir discrétionnaire d’entendre un litige de nature théorique, sont :

-                     la capacité des tribunaux de trancher des litiges à sa source dans le système contradictoire;

-                     l’économie des ressources judiciaires;

-                     la Cour doit prendre en considération sa fonction véritable dans l’élaboration du droit.

 

[39]           Le juge Sopinka, avant de formuler les critères à prendre en considération pour déterminer si un tribunal devrait trancher un litige dit théorique, suggérait une façon d’évaluer ces critères pour en arriver à la détermination si oui ou non le pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire sera exercé.  Je cite ce passage (Borowski à la page 358) :

Pour fonder des lignes directrices applicables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire visant à écarter une pratique habituelle, il est utile d’en étudier les assises.  Dans la mesure où une assise donnée de cette pratique est faible ou inexistante, les raisons de l’appliquer diminuent ou disparaissent.

 

[40]           Il se pourrait qu’il y ait d’autres critères à prendre en considération.  Toutefois, pour les fins du présent litige, il ne sera pas nécessaire d’en élaborer d’autres : les critères existants suffisent à la tâche.

(i) La possibilité de trancher le litige de façon contradictoire

 

[41]           Ce critère joue en faveur de l’exercice de la discrétion.  En effet, les dossiers sont complets, les parties ont déposé leurs mémoires de faits et de droit, et ils sont représentés par avocat.  La question peut-être tranchée de façon contradictoire, et ce, dans les deux dossiers.

 

 

(ii) L’économie des ressources judiciaires

 

[42]           À prime à bord, il apparaît évident qu’un litige théorique ne doit pas accaparer les ressources de notre système judiciaire.  Toutefois, il faut prendre en considération d’autres éléments.

 

[43]           Il faut se demander si la solution judiciaire du litige pourrait créer des conséquences concrètes sur les droits des parties, et ce, même si en pratique le problème à l’origine du litige ne serait pas résolu.   Tel que mentionné précédemment, le demandeur n’a pas identifié concrètement les effets sur ses droits dans l’hypothèse où le litige serait tranché en sa faveur.  De plus, le demandeur demande qu’on lui réserve tous ses droits de redressement pour qu’il puisse potentiellement obtenir une réparation de cette Cour.  Ceci n’est pas satisfaisant pour les fins du présent dossier.  On ne peut pas décider d’une question de droit sans connaître, au moment où on prend la décision, ce qui adviendra de celle-ci en pratique.  Le respect de cette exigence est nécessaire pour garantir la prévisibilité de notre système juridique. 

 

[44]           Là ne s’arrête pas l’exercice.  On doit aussi se demander si la question à déterminer, telle que présentée, est d’importance publique et si elle mérite d’être tranchée eu égard à l’intérêt public.  Cependant, on doit aussi faire un exercice de pondération entre l’utilisation des ressources judiciaires et le coût social de l’exercice du droit.  Dans notre cas, cet exercice de pondération est plutôt facile à déterminer.  En grande partie, la question de droit a déjà été tranchée dans l’arrêt Charkaoui, lequel est le sujet d’un appel qui sera entendu à la mi-février 2007 par la Cour d’appel fédérale.  J’ajoute que la Cour suprême du Canada se prononcera en 2007 sur des questions qui pourront jeter une certaine lumière sur la procédure de demande de protection, bien que lesdites questions concernent plus spécifiquement la procédure de certificat de sécurité, prévue aux articles 76 et suivants de la LIPR (Il s’agit, entre autres, de l’appel de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Charkaoui (Re), 2004 CAF 421).

 

[45]           Donc, à l’égard du deuxième critère, je conclus que l’économie des ressources judiciaires ne joue pas en faveur de l’exercice de ma discrétion pour entendre l’affaire.

 

(iii) La fonction de cette Cour dans l’élaboration du droit

 

[46]           La Cour fédérale a la juridiction exclusive d’entendre les revues judiciaires découlant de l’application de la LIPR.  La Cour joue un rôle important dans l’élaboration du droit dans ce domaine.  Ayant dit ceci, j’ai déjà indiqué qu’en grande partie la question de droit constitutionnel à la base du présent dossier a déjà été tranchée dans le dossier Charkaoui, et que la Cour d’appel fédérale entendra l’appel de cette cause à la mi-février 2007.  De plus, lorsque la Cour suprême du Canada rendra sa décision concernant les certificats de sécurité en 2007, elle est susceptible de jeter un certain éclairage quant aux questions soulevées dans les présents dossiers.  Il n’y a donc pas lieu d’élaborer le droit sur ces questions.  Donc, ce troisième critère ne joue pas en faveur de l’exercice de la discrétion pour entendre l’affaire.

 

 

 

 

(b) Conclusion relative à l’exercice du pouvoir de discrétion

 

[47]           Ayant discuté de chacun des trois critères élaborés dans Borowski pour déterminer si le pouvoir de discrétion pour trancher un litige dit théorique devrait être utilisé, je retiens qu’ils ne sont pas en faveur de l’exercice de la discrétion en ce qui concerne les dossiers en l’espèce.  Je m’explique.  Ce n’est pas parce qu’une affaire peut être entendue de façon contradictoire qu’en soi la discrétion devrait être exercée.  Il me semble que ce critère doit être au moins complémenté par l’un des deux autres critères.  Les deux derniers critères élaborés dans Borowski m’apparaissent plus importants compte tenu des circonstances du présent dossier.  Ces critères demandent qu’il y ait un avantage à retirer de l’affaire, notamment ils exigent que la détermination du litige ait un intérêt public et qu’une des parties bénéfice d’un effet concret et tangible par la détermination du litige, même s’il est théorique.   Dans le cas en espèce, il n’y a aucun intérêt public et aucune des parties ne sera affectée de façon concrète et tangible si la Cour poursuit le contrôle judiciaire des deux dossiers.  Par conséquent, je ne vois aucun avantage qui pourrait être retiré de la revue judiciaire dans les deux dossiers et donc à mon avis, il n’y a aucune raison d’exercer ma discrétion et de procéder au contrôle judiciaire des deux dossiers. 

 

 

 

 

 

 

VII.  Conclusion

 

[48]           Ayant décidé que la demande de contrôle judiciaire est théorique, je suis d’avis de refuser d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui m’a été conféré pour entendre l’affaire dans les deux dossiers.  En conséquence, les deux demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers IMM-2889-06 et IMM-3175-06 ne seront pas entendues étant donné qu’elles sont devenues théoriques.

 

VIII.  Question pour fin de certification

 

[49]           Les parties m’ont demandé de réserver leur droit de soumettre une question pour fin de certification.  Ils demandent un certain délai pour en soumettre une, s’il y a lieu.  Étant donné la particularité de la mesure préliminaire déterminée par la présente, je suis d’accord et ils auront cinq (5) jours suite à la réception du jugement pour agir en conséquence.  Si une question est soumise par une partie, l’autre partie aura cinq (5) jours pour la commenter.  Je signerai le jugement après l’expiration du délai de cinq (5) jours ou encore, si une question est soumise après avoir fait la détermination appropriée concernant celle-ci.

 

 

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2889-06

                                                             IMM-3175-06

 

INTITULÉ :                                       Bachan Singh Sogi c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 22 et 23 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            L’Honorable juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Johanne Doyon

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Ian Demers

Me Suzanne Trudel

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associées

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H Sims c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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