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Date : 20070205

Dossier : T‑898‑05

Référence : 2007 CF 120

Ottawa (Ontario), le 5 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

HYUNDAI AUTO CANADA,

division de HYUNDAI MOTOR AMERICA

 

demanderesse

 

et

 

 

CROSS CANADA AUTO BODY SUPPLY (WEST) LIMITED,

CROSS CANADA AUTO BODY SUPPLY (WINDSOR) LIMITED

et AT PAC WEST AUTO PARTS ENTERPRISE LTD.

 

défenderesses

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Pour qui a un marteau, tout ressemble à un clou. Cet aphorisme s'avère pertinent à l'égard de la requête dont la Cour est saisie en ce que cette dernière ne devrait exercer son pouvoir de sanctionner les outrages ni prématurément ni à des fins parallèles.

 

[2]        Les faits de la présente espèce ne sont pas contestés. La demanderesse a intenté une action contre les défenderesses au motif qu'elles importent et vendent au Canada des pièces d'automobile qui portent ses marques de commerce mais ne proviennent pas d'elle. Les défenderesses affirment opérer sur un [TRADUCTION] « marché gris » et se procurer leurs pièces auprès des mêmes fabricants que la demanderesse. Par conséquent, font-elles valoir, elles ne peuvent être accusées de contrefaçon ou de commercialisation trompeuse, puisqu'elles ne mentent pas sur l'origine des pièces en question.

 

[3]        Les défenderesses ont signifié leurs affidavits de documents. La demanderesse, comme l'y autorise le paragraphe 228(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, a demandé des copies des documents énumérés à l'annexe 1 de l'affidavit de documents des défenderesses. Celles‑ci ont communiqué les copies réclamées à la demanderesse le 28 février 2006, mais en en retranchant le nom de l'entreprise qui lui fournit les pièces en question. Dans l'intervalle, soit le 27 février 2006, les défenderesses ont présenté une requête en dispense de l'obligation de produire des documents révélant l'identité du fournisseur des pièces, au motif de la non-pertinence de ce renseignement. Subsidiairement, les défenderesses demandaient une ordonnance désignant l'identité de ce fournisseur comme confidentielle et accordant [TRADUCTION] « aux seuls avocats » le droit d'en prendre connaissance.

 

[4]        Par ordonnance en date du 6 mars 2006, la protonotaire Milczynski a rejeté la requête des défenderesses, ayant conclu à la pertinence de l'identité du fournisseur des pièces et constaté l'impossibilité de fonder juridiquement l'ordonnance de confidentialité demandée par les défenderesses.

 

[5]        Le recours exercé contre cette ordonnance a été rejeté par Monsieur le juge Phelan, par ordonnance en date du 20 septembre 2006.

 

[6]        Les défenderesses ont déposé le 29 septembre 2006 un appel de l'ordonnance du juge Phelan devant la Cour d'appel fédérale. Le 9 janvier 2007, Monsieur le juge Malone de la Cour d'appel fédérale a rejeté la requête des défenderesses en suspension de ladite ordonnance. Le juge Malone estimait que la preuve produite par les défenderesses n'établissait pas le préjudice irréparable.

 

[7]        Entre-temps, deux choses dignes de mention ne se sont pas produites. Premièrement, les défenderesses n'ont pas communiqué de copies non expurgées des documents en question. Deuxièmement, la demanderesse n'en a pas réclamé la communication. L'avocat de la demanderesse a plutôt écrit à l'avocate des défenderesses une lettre en date du 1er décembre 2006, où il déclarait ce qui suit :

                        [TRADUCTION]

Nous vous avisons par la présente que nous déposerons contre vos clients une requête en ordonnance pour outrage au tribunal, au motif qu'ils ont désobéi à l'ordonnance du juge Phelan en date du 20 septembre 2006 en ne communiquant pas l'identité du fournisseur dont ils ont obtenu les pièces portant la marque de commerce de la demanderesse. Cette requête doit être présentée le lundi 11 décembre 2006.

 

Nous vous avisons en outre de notre intention d'informer le juge qui entendra notre requête en injonction interlocutoire que vos clients ne se sont pas conformés à l'ordonnance du juge Phelan. Nous lui demanderons de tirer une inférence défavorable de l'inobservation de ladite ordonnance par vos clients et de prendre cette inobservation en compte aux fins d'établir une ordonnance équitable.

 

[8]        La requête susdite en injonction a été entendue le 5 décembre 2006 et rejetée sur le fondement d'un exposé de motifs en date du 18 décembre 2006.

 

[9]        La demanderesse a alors engagé une procédure pour outrage. Elle a déposé le 4 décembre 2006 une requête devant être présentée le 11 du même mois, par laquelle elle sollicitait une ordonnance sous le régime du paragraphe 467(1) des Règles. Ce paragraphe porte les dispositions suivantes :

467.(1) Sous réserve de la règle 468, avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

 

 

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

 

b) d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

 

 

c) d’être prête à présenter une défense.

 

467.(1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court's own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

 

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

 

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

 

(c) to be prepared to present any defence that the person may have.

 

[10]      Pour des raisons qui ne sont pas entièrement claires, l'examen de la requête de la demanderesse a été reporté à la première séance générale de la Cour suivant la décision de la Cour d'appel sur la requête en suspension des défenderesses. En fin de compte, la requête en ordonnance visée au paragraphe 467(1) des Règles a été présentée le lundi 15 janvier 2007.

 

[11]      Soit dit en toute déférence, je ne vois pas très bien pourquoi une procédure pour outrage a été engagée dans ces circonstances.

 

[12]      Les gens de loi s'honorent d'une longue tradition de courtoisie et d'étiquette professionnelles. J'accepte l'explication de l'avocat de la demanderesse comme quoi il pensait qu'une telle lettre n'aurait eu aucun effet, mais à tout le moins elle aurait donné à la Cour l'assurance que l'avocate des défenderesses était informé sans ambiguïté que la demanderesse n'était pas disposée à mettre l'affaire en attente pendant que les défenderesses continueraient à essayer d'obtenir une décision favorable pour elles. Cela aurait aussi été, à mon humble avis, conforme à la courtoisie professionnelle.

 

[13]      En outre, si le but de la demanderesse est d'obtenir des copies non expurgées des documents en question, la manière la plus directe, la plus rapide et la moins onéreuse d'y arriver serait de déposer une requête en communication de ces documents où elle solliciterait l'adjudication de dépens importants.

 

[14]      La procédure pour outrage exige, quant à elle, d'abord le dépôt d'une requête en ordonnance sous le régime du paragraphe 467(1) des Règles. Si cette requête est accueillie, suit une deuxième audience, selon toute probabilité dans le cadre d'une séance extraordinaire de la Cour, où le requérant doit établir, par voie de preuve orale (sauf directive contraire de la Cour) et hors de tout doute raisonnable, la présence de tous les éléments constituants de l'outrage au tribunal.

 

[15]      La Cour dispose de pouvoirs considérables en matière d'outrage, ce qui témoigne de la nécessité de préserver le respect de ses procédures et ordonnances. Cela dit, ces pouvoirs sont des outils, et, comme le marteau de notre aphorisme, on ne devrait pas les utiliser à tort et à travers ni les invoquer prématurément ou inutilement.

 

[16]      Quant aux défenderesses, leur position ne semble pas, à mon humble avis, dénoter une conscience juste de leurs obligations. Elles ont répondu à la menace de l'introduction d'une procédure pour outrage en déclarant que la requête n'était pas fondée aux motifs qu'elles avaient elles-mêmes déposé une requête en suspension de l'ordonnance du juge Phelan et qu'il n'existait aucune ordonnance [TRADUCTION] « catégorique » leur enjoignant [TRADUCTION] « de produire les documents en question ou de le faire dans un délai déterminé ». Ces réponses ne me paraissent pas fondées pour les raisons suivantes.

 

[17]      Premièrement, même si elles sont erronées, et je ne dis certainement pas qu'elles le soient en l'occurrence, les ordonnances de notre Cour doivent être exécutées. Il est de droit constant que l'invalidité éventuelle de l'ordonnance ne constitue pas un moyen de défense contre une allégation d'outrage au tribunal; voir par exemple Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, à la page 974.

 

[18]      Deuxièmement, les défenderesses ont négligé les obligations prévues au paragraphe 228(2) des Règles, ainsi libellé :

228(2) La partie qui a signifié son affidavit de documents à une autre partie lui remet des copies de tout document visé au paragraphe (1) si celle-ci lui en fait la demande et paie le coût de reproduction et de livraison des copies.

 

228(2) A party who has served an affidavit of documents on another party shall, at the request of the other party, deliver to the other party a copy of any document referred to in subsection (1), if the other party pays the cost of the copies and of their delivery.

 

[19]      Comme le juge Phelan le faisait observer au paragraphe 5 de son exposé de motifs, publié sous la référence 2006 CF 1127, « [l]a règle régissant la production de documents veut qu'ils soient produits dans leur totalité ». Les défenderesses étaient tenues de communiquer les documents en question dès le moment où la demanderesse leur en a demandé communication, et le fait qu'elles n'aient pas réussi à se faire dispenser de cette obligation ne change rien.

 

[20]      Au moment des plaidoiries, j'ai demandé aux avocats pourquoi ne devrait pas être rendue une ordonnance enjoignant aux défenderesses de communiquer des copies non expurgées des documents en question dans un délai déterminé, à défaut de quoi une ordonnance de justifier serait prononcée. L'avocate des défenderesses n'était pas prête à me répondre à ce sujet. Comme j'avais déjà rejeté la requête en ajournement présentée par les défenderesses au motif que leur avocate principale était occupée à autre chose, j'ai pensé qu'il serait juste de donner aux défenderesses un bref délai pour établir des conclusions écrites sur ce point. Soit dit entre parenthèses, j'ai rejeté la requête en ajournement parce que l'affaire avait déjà été ajournée une fois, qu'un nouveau report aurait fort bien pu porter préjudice à la demanderesse, que les questions de fait et de droit soulevées ne sont pas difficiles à mon sens, et que le fait que l'avocate principale soit occupée à autre chose ne me paraissait pas, vu les circonstances, justifier un ajournement.

 

[21]      Dans leurs conclusions écrites supplémentaires déposées plus tard, les défenderesses soutiennent que l'ordonnance évoquée plus haut ne devrait pas être rendue aux motifs suivants :

 

1.         [TRADUCTION] « [Il] ne serait pas dans l'intérêt de la justice d'obliger [les défenderesses] à produire des renseignements confidentiels et commercialement sensibles, et de le faire alors que de tels renseignements pourraient en fin de compte ne pas se révéler pertinents, étant donné surtout qu'il en résulterait [pour elles] un tort grave et un préjudice irréparable. »

 

2.         Il serait [TRADUCTION] « inapproprié » d'accueillir la requête en communication avant qu'on ait statué sur l'appel de l'ordonnance du juge Phelan.

 

3.         La révélation de l'identité du fournisseur des pièces constitue [TRADUCTION] « l'objet même de l'appel. Si la Cour fait droit à la requête en communication à la présente étape, l'autorité [des] Cour[s] fédérale[s] s'en trouvera usurpée » et l'appel [TRADUCTION] « sera décidé avant que la Cour d'appel fédérale ne l'examine au fond ».

 

4.         La procédure d'appel [TRADUCTION] « tire à sa fin » et la demanderesse ne subira aucun préjudice si la question de la communication des documents est examinée après la décision de l'appel, étant donné qu'elle [TRADUCTION] « a montré par ses propres actes que cette question n'est pas urgente ».

 

[22]      Soit dit en toute déférence, ces arguments ne sont pas nouveaux. Ce sont les mêmes moyens qui ont été diversement rejetés par la protonotaire Milczynski, le juge Phelan et le juge Malone. Par conséquent, il sera rendu une ordonnance enjoignant aux défenderesses de communiquer les documents en question dans un délai déterminé. En cas d'inobservation avérée de cette ordonnance, il en sera rendu une sous le régime du paragraphe 467(1) des Règles.

 

[23]      Vu les motifs exposés plus haut, j'estime que chacune des parties doit supporter ses propres frais.


 

ORDONNANCE

 

EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE :

 

1.         Les défenderesses communiqueront à l'avocat de la demanderesse, au plus tard le 12 février 2007, des copies non expurgées des documents énumérés à l'annexe 1 de leur affidavit de documents.

 

2.         S'il est prouvé par affidavit que les défenderesses ne se sont pas conformées à cette disposition, une ordonnance sera rendue sous le régime du paragraphe 467(1) des Règles, relativement à l'inobservation de l'ordonnance du juge Phelan et de la présente ordonnance.

 

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑898‑05

 

INTITULÉ :                                       HYUNDAI AUTO CANADA, division de HYUNDAI MOTOR AMERICA, demanderesse

 

                                                            CROSS CANADA AUTO BODY SUPPLY (WEST) LIMITED, CROSS CANADA AUTO BODY SUPPLY (WINDSOR) LIMITED et AT PAC WEST AUTO PARTS ENTERPRISE LTD., défenderesses

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 15 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Brown                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

Abigail Browne                                                                         POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Theall Group LLP                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

Sim, Lowman, Ashton & MacKay LLP                                    POUR LES DÉFENDERESSES

Avocats

Toronto (Ontario)

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