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Date : 20070201

Dossier : T-600-06

Référence : 2007 CF 113

Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

 

ENTRE :

VERNA HAUSER

demanderesse

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La demanderesse a omis de payer les impôts sur le revenu qu’elle devait pour les années d’imposition 1995, 1996, 1998 et 1999 dans les délais impartis, ce qui a donné lieu à des intérêts débiteurs.

 

[2]               En 2003, la demanderesse a demandé au ministre des Finances (le ministre), en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), de renoncer aux intérêts et aux pénalités qu’elle devait payer relativement à la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2002, et ce, pour les trois motifs suivants : (i) renonciation aux pénalités; (ii) renonciation aux intérêts en raison de circonstances extraordinaires; et (iii) renonciation aux intérêts en raison de difficultés financières. Plus précisément, la demande de la demanderesse était fondée sur des problèmes de santé émotionnelle et sur des difficultés financières continues.

 

[3]               Chacun des motifs mentionnés ci-dessus et faisant partie de la demande initiale de la demanderesse visant l’obtention d’une renonciation du ministre aux intérêts et aux pénalités (la demande fondée sur les dispositions d’équité) a été examiné par un fonctionnaire distinct de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).

 

[4]               Le 7 octobre 2003, le ministre a décidé de renoncer aux pénalités pour production tardive en ce qui a trait aux années d’imposition 1998 et 1999.

 

[5]               Un fonctionnaire de l’ARC a examiné la demande de la demanderesse visant la renonciation aux intérêts fondée sur l’existence de circonstances extraordinaires. Il a conclu qu’il n’existait aucune circonstance pouvant justifier la renonciation aux intérêts, que le stress qu’elle prétendait avoir subi dans sa vie personnelle n’avait pas empêché la demanderesse de continuer à toucher un revenu régulier et un revenu d’entreprise durant la période de temps en cause, et que la demanderesse aurait dû être en mesure de respecter ses obligations fiscales.

 

[6]               Un autre fonctionnaire de l’ARC a examiné la demande de renonciation aux intérêts fondée sur les difficultés financières de la demanderesse. Il a indiqué qu’il avait conclu qu’il n’existait pas de difficultés financières pouvant justifier la renonciation aux intérêts.

 

[7]               Le 21 juin 2004, le ministre a avisé la demanderesse de sa décision de ne pas faire droit à sa demande de renonciation aux intérêts fondée sur (i) les circonstances extraordinaires, ou (ii) les difficultés financières, et ce, pour les années d’imposition 1995, 1996, 1998 et 1999. En réponse à cette décision, la demanderesse a fourni des renseignements additionnels au ministre pour examen. Le ministre a assimilé ces renseignements additionnels à une nouvelle demande fondée sur les dispositions d’équité de premier niveau visant l’obtention d’une renonciation aux intérêts en raison de circonstances extraordinaires et de difficultés financières.

 

[8]               Un autre fonctionnaire de l’ARC a examiné la demande fondée sur les dispositions d’équité de premier niveau en question, et a conclu, après avoir étudié les renseignements additionnels, qu’il n’existait aucun motif justifiant la renonciation aux intérêts. Cette décision a été confirmée par un chef d’équipe de l’ARC, et la demanderesse en a été informée le 12 avril 2005.

 

[9]               Le 27 décembre 2005, la demanderesse a envoyé une lettre au ministre lui demandant de poursuivre l’étude de sa demande. Le ministre a traité cette lettre comme étant une demande d’examen de deuxième niveau. La demanderesse a fourni une lettre de son psychiatre faisant état du fait qu’elle suivait des traitements, depuis le 31 mai 2005, pour des troubles d'anxiété chronique, et qu’elle était atteinte d’une phobie spécifique reliée aux opérations financières.

 

[10]           L’examen au deuxième niveau a été effectué par un fonctionnaire de l’ARC qui a examiné ces nouveaux renseignements. Le fonctionnaire a examiné tous les renseignements au dossier, a effectué des recherches plus approfondies en ce qui a trait à la situation financière de la demanderesse et a tenu compte des problèmes de santé de cette dernière. Le fonctionnaire a conclu que la lettre du psychiatre ne se rapportait pas à la période de temps visée par la demande fondée sur les dispositions d’équité, et a recommandé que celle-ci soit rejetée. La recommandation du fonctionnaire a été examinée par un gestionnaire de l’ARC et par le directeur adjoint du Recouvrement des recettes, qui ont décidé de rejeter la demande de la demanderesse fondée sur les dispositions d’équité. Dans sa lettre du 28 février 2006 informant la demanderesse de la décision défavorable, le directeur adjoint du Recouvrement des recettes a écrit ce qui suit :

 

[traduction] Nous avons examiné toute la preuve soumise en ce qui a trait à vos problèmes continus d’anxiété et à la chirurgie pour enlever une tumeur à votre poitrine. Même si nous éprouvons de l’empathie quant aux difficultés que vous avez sans aucun doute rencontrées en faisant face à ces épreuves et en les surmontant, nous ne pouvons conclure qu’il existe des éléments de preuve pouvant démontrer que les circonstances étaient si extraordinaires qu’elles vous ont empêchée de payer vos impôts dans le délai imparti. Il ressort de notre examen que vous étiez en mesure de conserver votre emploi et de toucher un revenu additionnel d’activités commerciales durant cette période de temps, ce qui vous a permis de respecter vos engagements envers d’autres créanciers au détriment de vos obligations fiscales.

 

 

[11]           Le 5 avril 2006, la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre.

 

I.   Question en litige

[12]           Le ministre s’est‑il acquitté de son devoir d’agir équitablement dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi de refuser la demande fondée sur les dispositions d’équité présentée par la demanderesse?

 

II.   Norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle applicable à une décision du ministre rendue en vertu des dispositions d’équité a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153, aux paragraphes 6 et 7. Dans cette affaire, la Cour a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle et a décidé que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter. Je vais adopter la norme de la décision raisonnable simpliciter en examinant la décision du ministre en l’espèce.

 

III.   Analyse

[14]           Le ministre s’est‑il acquitté de son devoir d’agir équitablement dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi de refuser la demande fondée sur les dispositions d’équité présentée par la demanderesse?

 

[15]           La demanderesse soutient que son état de santé n’a pas été pris en considération dans la décision du ministre. Selon la demanderesse, dans la décision, l’ARC met l’accent sur les finances et n’aborde pas de façon adéquate la question de sa santé physique et émotionnelle. Elle prétend qu’elle a clairement dit dans ses lettres qu’elle était incapable de travailler comme aide‑comptable pour le compte de l’entreprise de son mari et que, par conséquent, elle était incapable de produire des déclarations de revenus en temps opportun.

 

[16]           Elle prétend aussi qu’elle ne croit pas que les fonctionnaires qui ont examiné son dossier ont tenu compte des troubles émotionnels dont sa famille et elle ont souffert. La demanderesse allègue que les fonctionnaires de l’ARC n’ont pas les qualifications requises pour donner une opinion quant à la santé physique et émotionnelle d’une personne et ne peuvent donc pas tirer une conclusion raisonnable quant à son incapacité à payer ses impôts. La demanderesse soutient que le ministre aurait dû consulter un professionnel de la santé au sujet de sa situation. Elle prétend qu’un professionnel de la santé aurait été capable d’expliquer que, contrairement à la conclusion de l’ARC, il est possible qu’une personne soit en mesure de respecter certaines obligations et non d’autres en temps de stress.

 

[17]           Sur ce point, je suis d'accord avec la défenderesse. Le ministre n’a pas l’obligation de consulter un professionnel de la santé lorsqu’il rend une décision en vertu des dispositions d’équité. Il était raisonnable de la part du ministre de conclure que la lettre contestée du 27 décembre 2005 envoyée par le psychiatre de la demanderesse ne se rapportait pas à la période de temps en cause. En l’espèce, le ministre a agi équitablement et en conformité avec les règles de l’équité procédurale élaborées en droit administratif.

 

[18]           La demanderesse invoque trois décisions à l’appui de sa demande : Ross c. Canada (ADRC), 2006 CF 294; Dick c. Canada (ADRC), 2005 CF 560; et Bilida c. Agence du revenu du Canada, 51 D.T.C. 5041, 124 F.T.R. 172. Dans ces trois affaires, la décision du ministre par laquelle il a refusé de renoncer aux pénalités et aux intérêts a été annulée par la Cour fédérale. J’ai examiné ces décisions et je conclus que des distinctions peuvent être établies entre elles et les faits en l’espèce.

 

[19]           Dans Ross, le ministre a grandement exagéré l’excédent annuel du revenu du contribuable et la Cour a donc jugé que les conclusions du ministre quant à la capacité de rembourser les impôts étaient déraisonnables. Dans Dick, le ministre n’a pas tenu compte du fait que le contribuable était un alcoolique chronique âgé de 72 ans et que son revenu de retraite ne lui permettrait jamais de rembourser les montants dus. De plus, le passif du contribuable était égal à son actif, et les pénalités et intérêts qu’il devait payer dépassaient de loin les impôts dus. Dans Bilida, la contribuable était une veuve âgée de 76 ans, vivant d’une pension de vieillesse, qui était incapable de payer les impôt dus. La Cour a statué que le retard de Revenu Canada dans l’établissement des cotisations relativement aux déclarations d'impôt de la contribuable avait contribué aux arriérés et aux pénalités.

 

[20]           La situation dans laquelle se trouvaient les contribuables dans les affaires mentionnées ci‑dessus ne ressemble certainement pas à celle de la demanderesse. La demanderesse a été en mesure de conserver un emploi et de tirer un revenu additionnel de ses activités commerciales, ce qui lui a permis de respecter ses engagements envers d’autres créanciers. Il n’était pas déraisonnable de la part du ministre de conclure, dans les circonstances, que la demanderesse avait tout simplement favorisé les autres créanciers au détriment de l’ARC. De plus, la preuve démontre que l’avoir net de la demanderesse qu’elle partage avec son époux est estimé à 500 000 $, montant qu’elle ne conteste pas. Par rapport à l’avoir net de la demanderesse, la somme de 12 632,63 $ représentant les intérêts impayés est relativement petite.

 

[21]           À la lumière du dossier dont je suis saisi, je conclus que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle. J’estime que le ministre a apprécié correctement les éléments de preuve dont il disposait, et que la décision n’était pas fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi (Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 8).

 

[22]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre rendue en vertu des dispositions d’équité le 28 février 2006 sera rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre rendue en vertu des dispositions d’équité le 28 février 2006 soit rejetée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                     T-600-06

 

INTITULÉ :                                                                    VERNA HAUSER c.

                                                                                         L’AGENCE DU REVENU DU

                                                                                         CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                             VANCOUVER

                                                                                         (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                            LE 30 JANVIER 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                   LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 1ER FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Verna Hauser

           POUR SON PROPRE COMPTE

 

Dave Everett

 

                  POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s/o

                  POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                POUR LA DÉFENDERESSE

 

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