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Date :  20070202

Dossier :  IMM-72-07

Référence :  2007 CF 111

Montréal (Québec), le 2 février 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

Édouard AOUTLEV

Partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Même si le demandeur doit quitter le pays avant que sa Demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire (DACJ), à l’encontre de la décision de la demande d’Examen des risques avant renvoi (ÉRAR) ou CH (considérations d’ordre humanitaire) ne soit tranchée, cette Cour a maintenu que cela ne constitue pas un préjudice irréparable. En fait, il est purement spéculatif de dire que ceci rendrait inefficace son recours.

[2]               La Cour d'appel fédérale a rejeté un tel argument dans deux arrêts récents portant sur des demandes de sursis d'une ordonnance de renvoi en attendant l'audition d'un appel d'un contrôle judiciaire attaquant une décision d'ÉRAR. Notamment, dans Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, [2004] A.C.F. no 1200 (QL), les demandeurs avaient fait valoir que le renvoi allait rendre leur appel illusoire. La Cour d'appel a dit :

[20]      Puisque l'appel pourra être habilement plaidé par une avocate d'expérience, en l'absence des appelants, et puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l'État, je ne puis souscrire à l'idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d'appel.

 

(Également : El Ouardi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, [2005] A.C.F. no 189 (QL), au paragraphe 8.)

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[3]               Il s’agit d’une requête demandant le sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi émise contre le demandeur pour la Russie, le 5 février 2007. Cette requête est greffée à une demande d’autorisation à l’encontre d’une décision refusant au demandeur une dispense de l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent à l’extérieur du Canada en raison de l’existence de CH. Cette décision a été rendue le 29 novembre 2006.

 

[4]               Le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui est responsable de l’exécution des mesures de renvoi, est rajouté à titre de partie intimée à cette requête, le tout conformément à la Loi sur le ministère de la sécurité publique et de la protection civile (L.C. 2005, ch. 10) et le décret émis le 4 avril 2005 (C.P. 2005-0482).

 

FAITS

[5]               Pour l’historique des faits, le défendeur réfère la Cour aux pages 2 et 3 de la décision CH, ainsi qu’aux pièces déposées à l’affidavit de M. Jean Bellavance. (Dossier du demandeur, pp. 8-14.)

 

[6]               Le demandeur conteste non seulement la décision CH mais également la décision ÉRAR, ainsi que la décision de l’agent de renvoi. Par conséquent, le défendeur traite également des points soulevés par le demandeur à son dossier en rapport avec ces deux décisions. (Dossier du demandeur, p. 107, par. 135.)

 

ANALYSE

[7]               La demande d’autorisation sous-jacente à la présente requête soulève-t-elle une question sérieuse?; le renvoi du demandeur présente-t-il un risque de préjudice irréparable et la balance des inconvénients favorise-t-elle l’émission d’une ordonnance judiciaire de sursis au renvoi au sens des arrêts Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL) et R.J.R. - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 ?

 

[8]               Les trois critères doivent être rencontrés pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d’entre eux n’est pas rencontré, cette Cour ne peut pas accorder le sursis demandé. Les allégations du demandeur ne satisfont pas aux trois critères énoncés dans les arrêts Toth et R.J.R. -MacDonald, ci-dessus, et que la requête en sursis au renvoi doit être rejetée.

 

A.        QUESTION SÉRIEUSE

[9]               Le demandeur invoque que cette décision est mal fondée au motif que l’agent aurait rendu une décision déraisonnable et qu’il aurait manqué aux principes de l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de fournir des détails supplémentaires, soit lors d’une audition ou par écrit. (Dossier du demandeur p. 102, par. 98 et 99; p. 103, par. 106; p. 105, par. 123; p. 108, par. 137.)

 

[10]           D’abord, la Cour a conclu qu’une entrevue n'est pas une exigence gérale dans le cas de décisions relatives aux demandes fondées sur des considérations humanitaires et que la possibilité offerte aux demandeurs de faire leurs représentations par écrit satisfait aux exigences de l’équité procédurale. (Étienne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1314, [2003] A.C.F. no 1659 (QL), au par. 6 (juge Yvon Pinard); Bouaraoudj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1530, [2006] A.C.F. n o 1918 (QL), aux par. 17 à 21, juge Conrad von Finckenstein.)

 

[11]           Par ailleurs, en matière de demandes CH, récemment, cette Cour a conclu dans Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158, [2006] A.C.F. no 1457 (QL), que l'agent n'avait aucune obligation de communiquer avec le demandeur afin de lui permettre de parfaire sa preuve.

 

[12]           Dans la décision Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, [2003] A.C.F. no 139 (QL), cette Cour a affirmé qu’il incombait au demandeur la responsabilité de porter à l'attention de l'agent toute preuve pertinente relative à des considérations humanitaires. D’ailleurs, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. no 158 (QL), et a réitéré que le fardeau de présenter tous les faits à l’appui de la demande pour des raisons d’ordre humanitaire reposait sur le demandeur.

 

[13]           Dans la décision Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 236, [2005] A.C.F. no 281 (QL), cette Cour s’est fondée sur la décision Owusu de la Cour d’appel fédérale (ci-dessus) pour rejeter l’argument du demandeur qui prétendait, comme en l’espèce, que l’agent avait l’obligation de communiquer avec lui pour obtenir toute l’information nécessaire pour rendre une décision appropriée.

 

[14]           Finalement, dans la décision Irias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1321, [2003] A.C.F. no 1717 (QL), au par. 24, cette Cour a conclu que lorsqu’un demandeur soumet une prétention insuffisante, cela ne transfère pas à l’agent le fardeau d’obtenir des renseignements supplémentaires.

 

[15]           À la lumière de la jurisprudence ci-dessus, il est sans équivoque que l’agent n’avait aucune obligation de communiquer avec le demandeur afin de lui permettre de parfaire sa preuve et qu’il n’avait aucune obligation d’inviter le demandeur en audition pour ce faire. Le demandeur a eu toute l’opportunité voulue de soumettre tous les éléments de preuve qu’il jugeait nécessaires à l’appui de sa demande et ceci, jusqu’à ce qu’une décision sur la demande de motifs humanitaires soit rendue. Il n’y a eu aucun manquement aux principes de l’équité procédurale.

 

[16]           Le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en déclarant que le demandeur n’a pas suffisamment démontré dans ses représentations qu’il souffrirait de difficultés excessives s’il devait être séparé de sa famille restant au Canada.

 

[17]           Concernant les liens familiaux, l’agent a conclu :

Family unification:

The applicant states the he is very close to his immediate family, his sister, in Canada, and that he considered her like his mother and since he had not herd from his father since he was detained by the police in Russia: “We dread to think what could happen to him” (2002). The applicant later, in 2006, mentions that his father is in Canada and indicates that he has applied for permanent residence. But the applicant does not mention that the father made or was accepted as a refugee – he does not mention the quality of his relationship with his father in Canada that would indicate that a separation from him would cause a serious hardship. Although he considers his sister in Canada like a mother, the sister, who has already spoken on the applicant’s behalf, has not expressed this same idea in a way that would show that their separation would cause an excessive hardship. The applicant has not sufficiently shown that his relation with her is one that if the applicant had to leave Canada, this would cause an excessive hardship.

 

(Dossier du demandeur, p. 13, 5e paragraphe.)

 

 

[18]           En l’absence de preuve devant lui que la séparation du demandeur d’avec son père et sa sœur causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, il était raisonnable pour l’agent de conclure comme il l’a fait.

 

[19]           Il importe par ailleurs de souligner que l’agent n’avait aucune preuve que le père du demandeur puisse, de façon certaine, demeurer de façon permanente au Canada. En fait, aucune décision du Ministère de Citoyenneté et Immigration Canada n’a été rendue à cet effet.

 

[20]           La jurisprudence a reconnu que la seule séparation en soi des membres de la famille n’est pas un motif d’ordre humanitaire justifiant une dispense, en l’absence de preuve permettant de conclure que cette séparation entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[21]           Dans la décision Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002  CFPI 107, [2002] A.C.F. no 119 (QL), au paragraphe 19, cette Cour s’est référée à l’une de ces décisions antérieures pour rappeler que le fait qu’une personne qui quitte des membres de sa famille et un emploi ne constituait pas nécessairement un préjudice pour justifier une décision favorable au sujet des raisons humanitaires.

 

[22]           Pareillement, le fait que le demandeur ait progressé dans son adaptation au sein de la société canadienne, qu’il travaille et qu’il est devenu autonome financièrement ne pouvait permettre à l’agent de conclure automatiquement à la présence de motifs d’ordre humanitaire. Comme l’a décidé cette Cour dans la décision Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 373 (QL), l'autonomie seule ne garantit pas qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire soit accueillie en l’absence d’autres facteurs permettant de conclure que le rejet de la demande CH entraînerait des difficultés inhabituelles ou excessives.

 

[23]           La position du demandeur est avant tout l’expression d’un désaccord avec l’appréciation des divers éléments de preuve dont l’agent d’immigration disposait pour rendre sa décision et une invitation lancée à la Cour à substituer à la décision une nouvelle pondération de ces éléments. Ceci ne satisfait pas aux normes du contrôle judiciaire.

 

[24]           D’abord, il est bien établi qu’il appartenait à l’agent d’examiner les documents déposés en preuve et d’en évaluer leur force probante Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, [2002] A.C.F. no 1250 (QL), au paragraphe 20 (juge Eleanor Dawson). C’est ce que l’agent a fait, en donnant des motifs précis et complets pour appuyer sa conclusion. De même, l’agent a énuméré toutes les sources documentaires consultées. (Également : Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937, [2002] A.C.F. no 1222 (QL).)

[25]           En ce qui a trait à la demande d’asile de sa sœur, l’agent conclut :

The applicant submits a notice of a positive refugee decision for the applicant’s sister, her husband and son. However, there are no details as to the reason for the positive decision or to the reasons for the initial refugee claim of the sister to the IRB. The applicant states that he and his sister sought refuge in Canada for the same reasons, due to persecution and that she was accepted in Canada as a refugee. The applicant, however, does not give details as to what precisely his and his sister’s refugee claims had in common. Therefore, it is not sufficient information to give probative value to the fact that his sister was accepted as a refugee. The applicant has not submitted sufficient evidence to show how one could reasonably conclude that his sister was accepted for the same reasons invoked by the applicant.

 

(Dossier du demandeur, p. 12, 2e paragraphe.)

 

 

[26]           La jurisprudence de cette Cour a établi, dans de très nombreuses décisions, qu’un tribunal n'est pas lié par le résultat obtenu dans une autre revendication et ce, même lorsqu'il s'agit d'un parent, puisque la détermination du statut de réfugié se fait cas par cas et qu'il est aussi possible que l'autre décision soit erronée. Bakary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, [2006] A.C.F. no 1418 (QL) (juge Pinard); Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (QL) (juge Marc Nadon).)

 

[27]           Dans une autre décision, la Cour conclut :

[7]        Par ailleurs, le principe de stare decisis, invoqué par les requérants, ne saurait ici recevoir d'application, tous les faits de l'autre revendication devant la Section du statut n'ayant pas été mis en preuve (voir Handal et al. c. M.E.I. (10 juin 1993), [1993] A.C.F. No. 570, 92-A-6875).

(Ostafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1683 (QL).)

 

[28]           L’agent a pris en considération toutes les preuves qui lui ont été soumises et a évalué tous les facteurs pertinents en regard des motifs d’ordre humanitaire.

 

[29]           Le demandeur n’a pas fait ressortir d’éléments qui auraient pu permettre à cette Cour de conclure que la décision rendue est déraisonnable et il n’y a rien qui justifie l’intervention de la Cour dans la décision de l’agent.

 

[30]           Ainsi, si la décision de l’agent n’a rien de déraisonnable, il n’y a pas de question sérieuse. Pour ces motifs, puisque le demandeur n’a pas démontré qu’il avait une question sérieuse à faire valoir, les trois critères établis dans l’arrêt Toth, ci-dessus, étant cumulatifs, cette requête devrait être rejetée.

 

Décision ÉRAR

[31]           Le demandeur invoque également que l’agent, dans le cadre de l’ÉRAR, aurait manqué aux principes de l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de fournir des détails supplémentaires, soit à une audition ou par écrit. (Dossier du demandeur, p. 108, par. 138 à 141.)

 

[32]           D’abord, dans Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101 (QL), au paragraphe 33, la Cour a conclu que le fardeau de preuve repose toujours sur les épaules du demandeur.

 

[33]           Ensuite, dans Kaba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1113, [2006] A.C.F. no 1420 (QL), au paragraphe 25 (juge Pinard), la Cour a réitéré qu’aucune audience n'est tenue dans le contexte d'un ÉRAR, sauf dans des circonstances exceptionnelles, lorsque toutes les conditions mentionnées à l'article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), sont remplies.

 

[34]           En l’espèce, le demandeur ne rencontrait pas les conditions prévues à l’article 167 du Règlement et par conséquent, l’agent ÉRAR n’avait pas à le convoquer en entrevue.

 

[35]           Contrairement à ce que soumet le demandeur au paragraphe 137, cette Cour, dans Younis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 266, [2004] A.C.F. no 339 (QL), aux paragraphes 4 à 6 (juge Pinard), et dans d’autres décisions subséquentes, avait conclu que le droit à une audience n’est pas un droit absolu et qu’un processus d’examen d’une demande qui ne comporte pas de rencontre entre le décideur et le justiciable est néanmoins conforme aux principes de justice fondamentale énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) (Charte), s’il permet au demandeur de présenter tous ses arguments. Dans Iboude c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1316, [2005] A.C.F. no 1595 (QL), le juge Yves de Montigny dit :

[11]      S'agissant de l'obligation de tenir une audition, les demandeurs prétendent que la demanderesse aurait dû être entendue par l'agente ERAR puisque sa crédibilité était en cause. Une audition lui aurait permis de dissiper les doutes formulés par l'agente eu égard à la validité de certains documents.

[12]      La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, à son article 113, établit clairement que le Ministre ou son délégué n'est pas tenu d'accorder une audience ou entrevue. La Cour suprême a reconnu dans l'arrêt Suresh c. Canada (M.C.I.), [2002] 1 R.C.S. 3, qu'une audition n'était pas requise dans tous les cas, et que la procédure prévue à l'article 113 était conforme aux principes de justice fondamentale énoncés dans la Charte canadienne; dans la très grande majorité des cas, il suffira que le demandeur ait eu l'occasion de faire valoir ses arguments par écrit. [La Cour souligne.]

 

[36]           Contrairement à ce que soutient le demandeur au paragraphe 135, on ne peut prétendre que ce dernier n’a pas bénéficié d’une évaluation des risques avant renvoi. À trois reprises, les autorités d’immigration canadiennes ont évalué les risques, advenant un retour dans son pays d’origine.

 

[37]           Il est clairement établi dans la jurisprudence que le renvoi d’une personne du Canada n’est pas contraire aux principes de justice fondamentale et que l’exécution d’un renvoi de déportation ne va pas à l’encontre des articles 7 et 12 de la Charte. (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, aux pp.733-735; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539 au para. 46; Isomi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1394, [2006] A.C.F. no 1753 (QL), au par. 32 (juge Simon Noël).)

 

[38]           Contrairement à ce que soutient le demandeur au paragraphe 139 de son mémoire, le fait que le demandeur bénéficie d’une audition ou pas devant la SPR sur le motif de l’article 97 n’est pas déterminant sur le droit à une entrevue. (Iboude, ci-dessus, aux par. 3 et 12; Demirovi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 1284, [2005] A.C.F. no 1560 (QL), aux par. 1 et 7 (juge Dawson).)

 

[39]           Contrairement à ce qui est allégué au paragraphe 140 du dossier du demandeur, la Cour a conclu que l’agent ERAR n’avait pas l’obligation d’envoyer une ébauche de la décision. (Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 583, [2005] A.C.F. no 711 (QL), au par. 21; Vasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 91, [2005] A.C.F. no 96 (QL), aux par. 16 à 28 (juge Michael Kelen).)

 

[40]           Enfin, la preuve au dossier permet de conclure que l’agent ÉRAR a analysé et soigneusement considéré tous les éléments invoqués par le demandeur. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec cette décision, encore faut-il démontrer que la décision soulève une question sérieuse. Tel que mentionné par la Cour dans Ahmed v. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 686, [2004] A.C.F. no  845 (QL), la juge Anne Mactavish dit :

[5]        [...] Les décisions rendues par les agents d'ERAR doivent faire l'objet de beaucoup de retenue judiciaire. Lorsqu'il n'y a rien de déraisonnable dans la décision d'un agent d'ERAR, il n'y aura pas de question sérieuse. En l'espèce, l'agent d'ERAR a clairement pris en considération les observations des demandeurs et la preuve documentaire récente soumise relativement aux violations des droits de la personne au Pakistan. Ce que les demandeurs demandent à la Cour, c'est de réévaluer la preuve présentée à l'agent d'ERAR. Les demandeurs peuvent se montrer en désaccord avec l'agent, mais ils n'ont pas démontré que sa décision avait été rendue de façon apparemment abusive ou de façon manifestement déraisonnable.

 

(Également : Ray c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 731, [2006] A.C.F. no 927 (QL), au par. 29 (juge Max M. Teitelbaum).)

[41]           Avec égards, le demandeur n’a pas démontré qu’il y avait une question sérieuse à faire valoir, les trois critères établis dans l’arrêt Toth étant cumulatifs, cette requête devrait être rejetée.

 

Décision de l’agent de renvoi

[42]           Le demandeur invoque également que la décision de l’agent de renvoi refusant de différer le renvoi est déraisonnable et arbitraire. (Dossier du demandeur, p. 109, par. 144.)

 

[43]           Or, aucune requête de différer le renvoi n’a été soumise à l’agent de renvoi. On ne peut donc pas lui reprocher quoi que ce soit. (Affidavit de l’agent de renvoi, M. Jean Bellavance.)

 

B.        PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[44]           Il convient de rappeler que dans Kerrutt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 53 F.T.R. 93, [1992] A.C.F. no 237 (QL), cette Cour a défini le préjudice irréparable comme étant le renvoi d’une personne vers un pays où il existe un danger pour sa vie et sa sécurité.

 

[45]           Également, dans l’affaire Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1995) 92 F.T.R. 107, [1995] A.C.F. no 237 (QL) la Cour mentionnait « on entend par préjudice irréparable quelque chose de très grave, c'est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ. »

[46]           De plus, pour être qualifié d’irréparable, le préjudice doit comporter des éléments de permanence ou d’irrévocabilité. (Soriano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 414 (QL), au par. 28.)

 

[47]           En l’espèce, le demandeur allègue qu’il subirait un préjudice irréparable du fait (1) que l’exécution de la mesure de renvoi rendrait inefficace le redressement recherché par ses demandes; (2) en raison de l’allégation de risques d’arrestation et de mauvais traitements en cas de renvoi en Russie; (3) en raison de difficultés excessives que le demandeur subirait suite à la séparation d’avec la famille proche au Canada et ce, en l’absence de famille en Russie. (Dossier du demandeur, p. 106, par. 134.)

 

[48]           Même si le demandeur doit quitter le pays avant que sa DACJ, à l’encontre de la décision d’ÉRAR ou CH ne soit tranchée, cette Cour a maintenu que cela ne constitue pas un préjudice irréparable. En fait, il est purement spéculatif de dire que ceci rendrait inefficace son recours.

 

[49]           La Cour d'appel fédérale a rejeté un tel argument dans deux arrêts récents portant sur des demandes de sursis d'une ordonnance de renvoi en attendant l'audition d'un appel d'un contrôle judiciaire attaquant une décision d'ÉRAR. Notamment, dans Selliah, ci-dessus , les demandeurs avaient fait valoir que le renvoi allait rendre leur appel illusoire. La Cour d'appel a dit :

[20]      Puisque l'appel pourra être habilement plaidé par une avocate d'expérience, en l'absence des appelants, et puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l'État, je ne puis souscrire à l'idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d'appel.

 

(Également : El Ouardi, ci-dessus, au paragraphe 8.)

 

 

[50]           La Cour a suivi ces arrêts dans plusieurs affaires récentes. Rien ne justifie que des principes similaires ne s'appliquent pas aux circonstances de l'espèce. Kaur c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 16, [2005] A.C.F. no 36 (QL), au par. 6; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 159, [2005] A.C.F. no 140 (QL), aux par. 39 et 40.)

 

[51]           En l’espèce, il est hypothétique de dire que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur perdra sa raison d'être et deviendra inefficace. La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire et a récemment exercé ce pouvoir afin de connaître des contrôles judiciaires attaquant des décisions ÉRAR, après que des demandes de sursis eurent été rejetées.

 

[52]           En effet, cette Cour a précisé de nombreuses fois que le préjudice irréparable ne doit pas relever de la pure spéculation. (Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 86 (QL); Atakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993) 68 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.), [1993] A.C.F. no 826 (QL).)

 

[53]           Le demandeur réitère les mêmes allégations déjà invoquées lors de sa revendication du statut de réfugié devant la SPR et lors de ses demandes ÉRAR et CH.

 

[54]           Il convient de noter que la SPR a rejeté son récit comme non crédible. La Cour fédérale a refusé d’intervenir en rejetant la demande d’autorisation. (Pièce « B » Affidavit de Jean Bellavance.)

 

[55]           La jurisprudence de cette Cour est à l’effet que ce « récit » ne peut servir de base à une allégation de préjudice irréparable. (Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, [2003] A.C.F. no 1182 (QL); Kane c. Canada (Solliciteur général), IMM-6321-04, 5 août 2004 (juge Johanne Gauthier); Harjinder Singh Sohal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-1005-05, 7 mars 2005 (juge Michel Beaudry); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 145, [2005] A.C.F. no 199 (QL), au par. 16 (juge de Montigny).)

 

[56]           Avec égards, cette allégation ne répond pas à la notion de préjudice irréparable tel que définie dans la jurisprudence de cette Cour. Le juge Sean Harrington dans Pancharatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 FC 867, [2004] A.C.F. no 1057 (QL), a bien réitéré ce qu’est un préjudice irréparable :

[23]      [...] Toutefois, comme l'a affirmé le juge Pelletier, maintenant à la Cour d'appel fédérale, dans la décision Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39, au paragraphe 21,

 

[...] pour que l'expression "préjudice irréparable" conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés. [...] [La Cour souligne.)

(Également: Pao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 941, [2005] A.C.F. no 1173 (juge Pinard).)

 

[57]           À la lumière de la jurisprudence applicable, les allégations du demandeur sont nettement insuffisantes afin de démontrer que son retour en Russie lui causerait un tort irréparable; les trois critères établis dans l’arrêt Toth étant cumulatifs, cette requête devrait être rejetée.

 

C.        BALANCE DES INCONVÉNIENTS

[58]           Le paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, impose au défendeur de procéder au renvoi du demandeur « dès que les circonstances le permettent ».

 

[59]           Bien que le demandeur n'ait pas de dossier criminel, qu'il soit pourvu d'un emploi rémunéré et qu'il a fait des efforts pour s'intégrer socialement et financièrement au Canada, ceci ne veut pas dire que la prépondérance des inconvénients le favorise.

[11]      [...] Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

(Dhotar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 35, [2006] A.C.F. no 67 (juge von Finckenstein.)

 

[60]           En l’espèce, le demandeur n’a pas établi l’existence d’un préjudice irréparable ni d’une question sérieuse; compte tenu de la nature des « inconvénients » allégués et de l’obligation imposée au défendeur par la Loi, l’intérêt public doit en l’espèce primer sur l’intérêt individuel du demandeur.

 

CONCLUSION

[61]           Pour l’ensemble de ces motifs, la requête en sursis du demandeur est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que cette demande de sursis soit rejetée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-72-07

 

INTITULÉ :                                         Édouard AOUTLEV c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 29 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 2 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Miroslaw Jankowski

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Lynne Lazaroff

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MIROSLAW JANKOWSKI

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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