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Date :  20070208

Dossier :  IMM-3269-06

Référence :  2007 CF 138

Ottawa (Ontario), le 8 février 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

AJEMA MOLEBE

LESLIE KAKRA

NAOMI MOTEMONA AMBA

demanderesses

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la Protection des Réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à la suite d’une décision de la Commission de l’Immigration et du Statut de Refugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal), rendue le 16 mai 2006, selon laquelle les demanderesses, une mère et ses deux filles mineures, ne sont pas « des réfugiées au sens de la Convention » ni « des personnes à protéger ».  

 

[2]               Dans un dossier connexe (IMM-3034-06), le Ministre a déposé une demande de contrôle judiciaire visant l’exclusion de la demanderesse principale (la demanderesse), en vertu des alinéas 1F)a) et 1F)c) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 R.T.N.U. 137 (la Convention). Bien que les faits soient les mêmes, les questions en litiges sont différentes. Par conséquent, des motifs de jugement sont rendus séparément.

 

QUESTION EN LITIGE

[3]               Les conclusions du tribunal traitant de la crédibilité de la demanderesse ont-elles été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans avoir tenu compte des éléments dont il disposait?

 

[4]               Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est négative. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

CONTEXTE FACTUEL

[5]               La demanderesse est citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC). Elle est arrivée au Canada, le 15 décembre 2002 avec son enfant Leslie Kakra, alors âgée d’un an et de nationalité américaine. En août 2005, sa fille, Naomi Motemona, alors âgée de douze ans qui avait vécu pendant trois ans avec son père en Belgique est venue rejoindre la demanderesse. Toutes trois ont demandé l’asile au Canada en tant que réfugiées de la RDC, sur la base des articles 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[6]               La demanderesse allègue qu’elle est recherchée pour meurtre pour avoir tué un militaire dans un accident de voiture. Elle prétend qu’elle a été arrêtée et emprisonnée mais grâce à l’intervention du colonel Kapend, elle a été relâchée de prison.

 

[7]               La demanderesse déclare également avoir peur du sort qui lui sera réservé lors d’un retour éventuel dans la RDC, parce que le colonel Eddy Kapend a été accusé et condamné à mort en janvier 2003 pour l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila, survenu le 13 janvier 2001.

 

[8]                En outre, la demanderesse soumet qu’elle est soupçonnée d’avoir aidé des Rwandais à quitter Kinshasa. Enfin, en tant que membre du Mouvement de libération du Congo (MLC), la demanderesse se serait associée à ceux qui combattaient le régime du président Laurent-Désiré Kabila en 1999. De plus, elle allègue avoir transporté des enveloppes scellées alors qu’elle travaillait en tant qu’hôtesse de l’air pour la compagnie Air Zaïre, dans différents pays d’Afrique pour le compte du MLC.

 

[9]               Cependant, le tribunal a rejeté leur demande. Par le présent contrôle judiciaire, elles contestent cette décision.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[10]           Les demandes des enfants mineurs ont été rejetées à cause de leur nationalité (Leslie – américaine et Naomi – congolaise-belge). Ni l’une ni l’autre n’a de crainte de persécution dans leur pays respectif, soit les États-Unis et la Belgique. Pour ce qui est de la demanderesse, elle n’a pas pu démontrer qu’elle avait une crainte bien fondée de persécution ou que sa vie serait en danger en RDC. En fait, la demande de la demanderesse a été rejetée par le tribunal, sur la base de son manque de crédibilité.

 

[11]           Le tribunal a tiré sept conclusions négatives au sujet de la crédibilité de la demanderesse.

a)      Bien que la demanderesse ait prétendu avoir une crainte de persécution pour avoir tué un militaire dans un accident de voiture, la demanderesse a rejeté cette version de son histoire lors de l’audience en expliquant qu’elle avait été mal comprise par l’agent d’immigration. Le tribunal a conclu qu’elle n’avait rien à craindre si elle n’avait pas tué le militaire en question.

b)      La demanderesse s’est contredite en témoignant qu’elle avait peur que les autorités de la RDC rouvrent son dossier, sans donner de précisions sur ce que contient ce dossier. Interrogée de plus près sur le sujet, la demanderesse a prétendu qu’elle a été mal comprise par l’agent d’immigration. Le tribunal n’était pas satisfait d’une telle explication.

c)      Malgré ses allégations d’avoir servi de porteuse de courrier pour les membres du MLC, la demanderesse a été incapable de donner une réponse consistante et claire du nombre de fois qu’elle se serait livrée à cette tâche. Elle a dit tantôt toutes les semaines; tantôt six ou sept fois; tantôt trois fois. Le tribunal était concerné du fait qu’elle n’a pas pu donner une réponse raisonnable à ce sujet.

d)      La demanderesse a allégué qu’elle craignait d’être arrêtée et condamnée à son tour, pour complicité dans l’assassinat du président Laurent Kabila, en raison de sa liaison amoureuse avec le colonel Kapend. Or, la preuve documentaire démontre que toutes les personnes inculpées dans cet assassinat ont déjà subi leur procès à Kinshasa. La preuve devant le tribunal révèle que le nom de la demanderesse ne figurait nulle part sur les listes des accusés ou des recherchés.

e)      Prétendant être recherchée pour meurtre depuis 1998, la demanderesse n’a quitté la RDC qu’en 2001. L’explication de ce délai n’a pas su convaincre le tribunal.

f)        La preuve documentaire démontre que la demanderesse s’est rendue à Brazzaville à deux reprises durant la période où elle aurait été recherchée par les autorités, sans être interpelée. Elle a indiqué qu’elle était retournée en toute liberté et volontairement dans son pays parce qu’elle avait laissé ses enfants chez elle. Le tribunal en a tiré une inférence négative.

g)      Quant à la crainte de la demanderesse concernant sa sécurité à l’égard de l’aide qu’elle allègue avoir donné aux Rwandais à Kinshasa, le tribunal trouve invraisemblable qu'elle nourrisse encore une crainte en 2006, deux ans et neuf mois après la mise en place des institutions de la transition en juin 2003 où tous les belligérants ont été réunis. Ce changement de circonstances n'appuie aucunement la prétention de la demanderesse. Le tribunal mentionne que le régime actuel au pouvoir dans la RDC est le Rassemblement Congolais pour la démocratie (RCD), la majorité des membres sont des Congolais d’origine rwandaise.

 

[12]           Quant au rapport psychologique déposé par la demanderesse, le tribunal a décidé que ce document ne peut appuyer un témoignage jugé non crédible.

 

[13]           Il a également examiné la possibilité que la demanderesse soit en danger si elle était renvoyée dans son pays, en vertu du paragraphe 97(1) de la Loi mais a considéré qu’aucun élément de crédibilité n'a pu être identifié pour en arriver à une décision positive.

 

Analyse

Norme de contrôle

[14]                  Lorsqu’il s’agit d’une question portant sur la crédibilité d’un demandeur d’asile, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour  d’appel fédérale dans Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), s’est prononcée ainsi aux paragraphes 2 à 4 :

Le procureur de l'appelant s'est appuyé, dans son mémoire, sur l'arrêt rendu par cette Cour dans Giron c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration pour soutenir que la cour saisie d'une demande de contrôle judiciaire peut plus facilement intervenir lorsqu'il s'agit d'une conclusion d'implausibilité. Comme l'arrêt Giron est de plus en plus souvent utilisé par les procureurs, il nous a semblé utile de le replacer dans une juste perspective.

 

Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de "plausibilité" ou de "crédibilité".

 

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

 

 

Manque de crédibilité

[15]                  Le tribunal a soulevé plusieurs doutes quant à la crédibilité de la demanderesse et a donné l’occasion à cette dernière de s’expliquer à ce sujet. Les réponses étaient souvent contradictoires voire invraisemblables. 

 

Absence de raisons sur des éléments importants

[16]                  Le représentant de la demanderesse soumet que le tribunal a omis de faire référence dans ses motifs à certains éléments de preuve importants et pertinents pouvant justifier  la demande d’asile. Il cite Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1ère inst.) (QL).

 

[17]                  L’examen attentif du dossier ne soutient pas cette thèse.

 

[18]                  La Cour considère qu'il n'y a pas matière à intervention ici.

 

[19]                  Les parties n'ont pas soulevé de question à certifier et ce dossier n'en contient aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-3269-06 soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 « Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3269-06

 

INTITULÉ :                                       AJEMA MOLEBE

                                                            LESLIE KAKRA

                                                            NAOMI MOTEMONA AMBA c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 8 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Luc R. Desmarais                                                         POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Annie van der Meerscen                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc R. Desmarais

Montréal (Québec)                                                       POUR LES DEMANDERESSES

 

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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