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Date : 20070207

Dossier : IMM-846-06

Référence : 2007 CF 147

Toronto (Ontario), le 7 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

CHRISTIAN AKOJI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Christian Akoji, est un adulte de sexe masculin, citoyen du Nigéria, qui revendique le statut de réfugié au Canada en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La demande a été rejetée dans une décision d’un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 20 janvier 2006. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision et demande qu’elle soit annulée et renvoyée à un commissaire différent de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande doit être rejetée.

 

[2]               Dans les prétentions qu’il a présentées à la Commission, le demandeur a allégué qu’il craignait avec raison d’être persécuté par des agents du parti au pouvoir ou par le gouvernement, le People’s Democratic Party (PDP) (ou le Parti démocratique du peuple, PDP), du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, le All Nigerian People’s Party (ANPP) (ou le Parti du peuple nigérian). Le demandeur a aussi allégué que s’il était renvoyé au Nigéria, il serait exposé au risque de torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture et à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

 

[3]               Je conclus qu’en arrivant à sa décision, la Commission a accepté la preuve du demandeur selon laquelle il était un membre actif d’un parti politique, le All Nigerian People’s Party (ANPP) (ou le Parti du peuple nigérian). Il a été admis que le demandeur a été battu en décembre 2004 et qu’il a porté plainte à la police qui n’a rien fait au sujet de sa plainte jusqu’à ce qu’il retourne le jour suivant en compagnie de deux personnes importantes. De plus, il a été admis qu’en mars 2005, lors d’un deuxième incident, des personnes que le demandeur ne connaissait pas sont entrées dans son appartement, y ont enlevé certains biens et meubles, ont déchiré des affiches du ANPP et lui ont laissé une note par laquelle ils menaçaient de le tuer. Le demandeur n’a pas signalé ce deuxième incident à la police, mais s’est plutôt réfugié chez un ami à Logos, au Nigéria, et est finalement arrivé au Canada où il a revendiqué le statut de réfugié.

 

[4]               En ce qui a trait au premier incident de décembre 2004, la Commission a conclu que la preuve du demandeur n’était pas suffisante pour justifier le fait qu’il n’a effectué de suivi auprès de la police pour lui demander pourquoi il n’y avait pas eu enquête au sujet de sa plainte. La Commission n’a accordé aucun poids au témoignage du demandeur quant à l’identité de ses prétendus attaqueurs et leur mobile au motif qu’il n’était qu’hypothèses et qu’il n’était fondé sur aucune prémisse factuelle.

 

[5]               En ce qui a trait au deuxième incident, l’introduction par effraction de mars 2005, la Commission n’a pas pu en arriver à la conclusion que l’incident était le résultat d’un quelconque parti politique adverse. La Commission a conclu qu’il n’était pas raisonnable pour le demandeur de penser que la police ne pouvait pas l’aider. La Commission a conclu que l’incapacité d’agir de la police afin d’aider le demandeur lors du premier incident était liée au fait que le demandeur n’avait pas été en mesure de lui fournir des renseignements suffisants pour l’engager sur la piste des auteurs de l’effraction.

 

[6]               La Commission s’est penchée sur la question de la protection de l’État. Elle a jugé qu’il existait une présomption selon laquelle l’État du Nigéria est en mesure d’offrir une protection à ses citoyens dans les circonstances, et qu’une telle présomption ne pouvait être réfutée que par une preuve claire et convaincante démontrant le contraire. La Commission a conclu que la police nigériane avait agi dans les limites de ses ressources restreintes afin de protéger ses citoyens et que des efforts sérieux avaient été faits en ce sens. La protection était adéquate, même si elle n’était pas parfaite.

 

[7]               La Commission a conclu que la police avait agi envers le demandeur conformément à ses devoirs et responsabilités lors du règlement d’un crime et que le fait que le demandeur ait cru que la police n’était pas en mesure de l’aider ou disposée à le faire était déraisonnable et contradictoire. Elle a conclu que le comportement du demandeur était contraire à celui auquel il faut s’attendre dans des cas comme l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Elle a conclu qu’il n’existait pas de preuve claire et convaincante d’un manque de protection de l’État. Par conséquent, la revendication du demandeur a été rejetée.

 

[8]               Le demandeur a soulevé un certain nombre de points qui peuvent se résumer en deux questions :

1.                  Les conclusions de fait de la Commission étaient-elles manifestement déraisonnables?

 

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n’examinant pas la question de savoir si le Nigéria protège les membres du groupe social particulier du demandeur plutôt que seulement ses citoyens en général?

 

[9]               Pour ce qui est de la première question au sujet des conclusions de fait, il est bien établi qu’il n’appartient pas à la présente Cour, en tant que tribunal de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve présentée. Le rôle de la Cour est de déterminer si les conclusions de fait de la Commission étaient manifestement déraisonnables. Après avoir tenu compte des constatations et des prétentions de l’avocat du demandeur, je ne peux conclure que les conclusions de fait de la Commission étaient manifestement déraisonnables. Ses conclusions quant à l’absence de preuve pour ce qui est de l’identité des agresseurs du demandeur lors du premier incident et l’absence d’un mobile chez les agresseurs lors du deuxième incident ne peuvent faire l’objet de reproche selon cette norme, pas plus que la conclusion selon laquelle le demandeur a agi déraisonnablement en omettant de signaler le deuxième incident à la police. De plus, la conclusion selon laquelle la police nigériane offre une protection suffisante, même si elle n’est pas parfaite, n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[10]           La deuxième question est une question mixte de fait et de droit qui permet donc une retenue moindre à l’égard de la conclusion de la Commission étant donné que la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable.

 

[11]           Il a été reconnu que l’arrêt Ward, précité, a établi que l'incapacité de l'État d'assurer la protection fait partie intégrante de la notion de réfugié au sens de la Convention. Comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné dans Mendivil c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 2021, aux paragraphes 13 et 14 :

13        Il est maintenant établi, à la suite de l'arrêt Canada (procureur général) c. Ward, que l'incapacité de l'État de protéger les citoyens est une partie intégrante de la notion de réfugié au sens de la Convention, particulièrement au regard des mots « [crainte] justifiée ». C'est au demandeur qu'il incombe de prouver cette incapacité. Le juge La Forest a souligné dans Ward qu’« en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur ». Sauf aveu de la part de l'État qu'il ne peut assurer la protection, le demandeur doit « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État » de le protéger. Le juge La Forest a donné des exemples de la manière dont le demandeur peut faire cette preuve :

 

... Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.

 

14        En l'espèce, il n'y a pas eu « effondrement complet de l'appareil étatique ». La question que les membres de la Commission auraient dû se poser en appréciant l'ensemble des éléments de preuve est de savoir si, à la lumière des faits rapportés, on peut toujours présumer que l'État péruvien est en mesure de protéger le demandeur ou si la présomption a été réfutée par celui-ci. Des cas isolés d'attentat terroriste ne suffisent pas pour réfuter cette présomption. Cependant, la preuve d'une situation de troubles graves et d'un manque de protection effective pour le demandeur pourrait servir à la réfuter. Dans pareil cas, pour reprendre la conclusion du juge La Forest, « une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée ».

 

 

[12]           La preuve qui serait considérée « claire et convaincante » serait celle pouvant établir que des personnes qui sont dans une situation semblable n’ont pas été aidées ou que la protection de l’État ne s’est pas concrétisée lors d’incidents personnels antérieurs. Pour citer de nouveau Mendivil au paragraphe 19 :

19        En l'espèce, les preuves produites ne montrent pas qu'il y a eu « effondrement complet de l'appareil étatique ». Il s'ensuit que pour réfuter la présomption que l'État est capable de le protéger, le demandeur était tenu de produite les preuves claires et concluantes, qui confirment l'incapacité de l'État a cet égard. Ces preuves pourraient consister, par exemple, en le témoignage de « personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées » ou en son propre témoignage « au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée ». 

 

 

[13]           La Commission a examiné les éléments de preuve qui lui ont été présentés en l’espèce et a conclu que les expériences personnelles du demandeur n’offraient pas de preuve « claire et convaincante », pas plus que les éléments de preuve en ce qui a trait aux activités plus générales commises à l’encontre des membres de l’ANPP qui n’ont pu offrir une preuve de crainte fondée. L’avocat du demandeur a souligné certaines allégations dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur et dans son témoignage, qui n’ont pas été expressément mentionnées par la Commission, dans lesquelles il a été allégué que certains membres du parti politique du demandeur avaient été attaqués ou tués. Dans ses motifs, la Commission n’est pas obligée de faire état de chaque élément de preuve qui lui est présenté. Les conclusions de la Commission selon lesquelles la police nigériane a agi dans les limites de ses ressources restreintes et a offert une protection suffisante, même si elle n’était pas parfaite, ne sont pas déraisonnables. La Commission n’était pas obligée de mentionner qu’elle avait particulièrement tenu compte du groupe de personnes auquel le demandeur prétendait appartenir, l’ANPP, car il n’existait pas de preuve d’un effondrement complet de l'appareil étatique. La Commission a indiqué que les États nigérians font des efforts sérieux pour protéger leurs citoyens.

 

[14]           Par conséquent, je ne trouve rien qui justifie l’annulation de la décision de la Commission.

 

[15]           Il n’y a aucune question à certifier. Aucun dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS :

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Il n'y a aucune question à certifier.

 

3.                  Aucun dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       IMM-846-06

 

INTITULÉ :                                                      CHRISTIAN AKOJI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                               TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 7 FÉVRIER 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT              

ET JUGEMENT :                                            LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS :                                    LE 7 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Boniface Ahunwan

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Boniface Ahunwan

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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