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Date: 20070208

Dossier : T-1390-01

Référence : 2007 CF 148

Toronto (Ontario), le 8 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE 

TIMBERWEST FOREST CORP.

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   Il s’agit d’une action intentée par la demanderesse, TimberWest Forest Corp., en vertu du paragraphe 48(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, pour contester la validité d’un régime fédéral de contrôle des exportations de billes récoltées sur des terres privées situées en Colombie-Britannique (C.‑B.). La demanderesse soutient que le régime fédéral d’exportation adopté en vertu de l’énoncé de politique, Avis aux exportateurs, nde série 102 (Avis no 102), n’est pas autorisé par la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E‑19 (la LLEI), et qu’il est de plus inconstitutionnel du fait qu’il s’agit d’une tentative du gouvernement fédéral de réglementer un domaine de compétence provinciale.

 

[2]   La demanderesse sollicite :

(1)   un jugement déclarant que l’Avis no 102 est ultra vires et inopérant;

(2)   un jugement déclarant que la LLEI n’autorise pas l’établissement d’un régime législatif et administratif particulier applicable à l’exportation de billes récoltées sur des terres privées situées en Colombie-Britannique qui soit distinct et différent de celui qui prévaut à l’égard de l’exportation de billes récoltées sur d’autres terres privés situées dans une autre province ou un territoire au Canada;

(3)   les dépens dans l’action.

 

[3]   La défenderesse demande le rejet de la présente action avec dépens.

 

[4]   De plus, dans la déclaration modifiée, la demanderesse réclame à l’alinéa 1(c) [traduction] « un montant de 250 millions de dollars en dommages-intérêts pour les pertes subies par la demanderesse en raison de l’Avis » et, à l’alinéa 18(g), elle invoque des pertes de 250 millions de dollars depuis la publication de l’Avis no 102. Cependant, conformément à l’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance, le juge O’Reilly, datée du 13 avril 2005, cette affaire est allée à procès sans que les parties ne soient tenues d’y présenter de preuve sur quelque question de fait que ce soit se rapportant exclusivement à ces allégations de dommages-intérêts et de pertes (les questions soumises à instruction distincte). Si, après le procès, il appert que l’une ou l’autre des questions soumises à instruction distincte doit être tranchée, une audience selon les Règles 107 et (ou) 153 sera tenue pour la décider, y compris la communication de documents et de l’interrogatoire préalable oral. Le juge du procès décidera la question de savoir si une telle audience procédera par la voie d’un autre procès ou d’un renvoi, ainsi que la procédure à appliquer à l’égard d’une telle instance.

 

Contexte

[5]   TimberWest est la plus importante propriétaire de terrains forestiers exploitables en C.‑B. Elle vend des billes récoltées sur ses terres sur le marché de la C.‑B., ainsi qu’à des acheteurs de la région Nord-Ouest du Pacifique des États-Unis, du Japon, de la Corée, de Taiwan et de la Chine. Les billes se vendent plus cher sur les marchés internationaux que sur le marché intérieur. TimberWest et d’autres producteurs de billes ont par conséquent un important intérêt financier dans l’exportation de billes.

 

[6]   Le coût de transport terrestre des billes entre la C.‑B. et d’autres provinces est extrêmement élevé en raison des chaînes de montagnes en C.‑B. Les billes de C.‑B. sont donc rarement expédiées vers d’autres provinces. Par ailleurs, la proximité de ports de mer et les frais d’expédition moins élevés du transport maritime facilitent l’accès de la C.‑B. aux marché internationaux, plus particulièrement la région Nord-Ouest du Pacifique des États-Unis et l’Asie. La C.‑B. est le plus important exportateur provincial de billes, selon le volume et le nombre d’expéditions. Les exportations de billes de C.‑B. ont rapporté des recettes de 527 millions de dollars en 2005. L’Ontario, le deuxième exportateur provincial de billes en importance, affichait des recettes de 55 millions de dollars pour ses exportations de billes en 2005.

 

[7]   Cela dit, seulement un faible pourcentage de grumes est réellement exporté à l’extérieur du Canada. Pour 2003, Statistique Canada estime que 6,2 % et 1,2 % des billes récoltées en C.‑B. et en Ontario respectivement ont été exportées. (Au procès, David Gyton, un forestier-conseil, a souligné que cette estimation n’est pas fiable parce que Statistique Canada s’appuie sur des données obtenues auprès des Douanes américaines. Ces données constituent néanmoins la meilleure information disponible.) Les billes qui ne sont pas exportées sont utilisées par les entreprises provinciales de traitement des billes. Elles sont transformées en produits de bois, tels que le bois d’œuvre de résineux et le bois d’œuvre de feuillus, les produits des pâtes et papiers, les panneaux et les produits à valeur ajoutée, par exemple, les moulures et les meubles. La C.‑B. est le plus important exportateur provincial de produits de bois. Les exportations de produits de bois ont rapporté à la C.‑B. des recettes de 6,4 milliards de dollars en 2005, soit douze fois plus que les recettes tirées de ses exportation de billes.

 

[8]   La présente affaire porte sur les contrôles à l’exportation de billes, et non à celle de produits de bois. En vertu de la loi fédérale, l’exportation de billes est interdite, à moins qu’une licence d’exportation ne soit délivrée par le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international (le ministre). Cette exigence en matière de permis est prévue aux articles 7 et 13 de la LLEI et à l’article 5101 de la Liste des marchandises d’exportation contrôlée, D.O.R.S./89-202, (la Liste des marchandises d’exportation contrôlée).

 

[9]   La question des contrôles à l’exportation de billes est depuis longtemps un enjeu politique, social et environnemental délicat en C.‑B. Les entreprises de traitement des billes appuient l’interdiction des exportations de billes, puisque le traitement des billes dans la province crée des emplois et ajoute de la valeur aux entreprises provinciales. Les environnementalistes appuient également l’interdiction des exportations de billes, soutenant que la croissance des exportations entraîne une plus grande déforestation et une destruction inutile de l’environnement. En revanche, les producteurs de billes, qui tirent avantage des prix plus élevés sur le marché international, s’opposent aux contrôles à l’exportation de billes.

 

[10]           Le gouvernement fédéral et le gouvernement de la C.‑B. ont collaboré dans le domaine des contrôles à l’exportation de billes de C.‑B., en adoptant une politique restrictive en matière d’exportation de billes pour assurer un approvisionnement de billes en quantité suffisante pour les entreprises de traitement des billes en C.‑B. En règle générale, les billes destinées à l’exportation doivent tout d’abord être offertes en vente aux entreprises provinciales de traitement des billes au moyen d’une annonce sur une liste bimensuelle. Si aucune offre équitable n’est reçue en réponse à l’annonce, les billes sont considérées comme excédentaires par rapport aux besoins provinciaux, et le ministre délivre une licence d’exportation. À l’inverse, si des offres équitables sont reçues, les billes ne sont pas considérées comme étant excédentaires, et la licence d’exportation est habituellement refusée.

 

[11]           Ce régime d’exportation a pour effet d’opposer les producteurs de billes et les entreprises de traitement des billes dans un jeu de stratégie où des marchés sont conclus pour empêcher que les exportations de billes proposées ne soient bloquées. Les producteurs de billes sont d’avis que les entreprises de traitement des billes devraient toujours communiquer directement avec les producteurs de billes pour acheter des billes, plutôt que de présenter des offres à l’égard de billes qui sont annoncées dans la liste bimensuelle. Selon les producteurs de billes, toute offre présentée à l’égard des billes dont l’exportation est proposée sont des offres de « blocage » parce qu’elles empêchent les exportations de billes d’atteindre le client prévu dans le marché international. Pour leur part, les entreprises de traitement des billes considèrent le processus de présentation d’offres d’achat à l’égard des billes annoncées sur la liste bimensuelle comme simplement un moyen de s’approvisionner en billes lorsque le producteur de billes ne veut pas leur fournir des billes. La stratégie de TimberWest en vue de réduire le nombre d’offres de blocage consiste à négocier des ententes d’approvisionnement en billes avec les scieries qui s’engagent en retour à ne pas bloquer les exportations de billes. Plusieurs autres producteurs de billes de la C.‑B. ont adopté cette stratégie, notamment Darkwoods Forestry, Merrill & Ring et Island Timberlands.

 

[12]           TimberWest et d’autres producteurs de billes allèguent que le régime d’exportation en C.‑B. favorise le secteur du traitement des billes au détriment du secteur de la production de billes. Ils allèguent que le régime a pour effet de réduire artificiellement le prix des billes sur le marché intérieur parce que les producteurs de billes sont assurés d’un approvisionnement suffisant en billes peu coûteuses. De plus, les acheteurs internationaux proposent des prix plus bas que les prix qu’ils sont disposés à payer pour un lot de billes compte tenu que les expéditions de billes ne sont pas garanties, puisqu’une offre d’un acheteur canadien peut bloquer l’exportation de billes.

[13]           Les restrictions provinciales à l’exportation de billes sont énoncées dans la Partie 10 de la B.C. Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157 (la B.C. Forest Act). L’article 127 prévoit que le bois récolté sur des terres domaniales ou des terres privées concédées par la Couronne après le 12 mars 1906 doit être utilisé ou transformé dans la province. Des exemptions peuvent être accordées dans les cas suivants : a) le bois récolté dépasse les besoins des installations de traitement du bois en Colombie-Britannique, b) le bois récolté ne peut être traité économiquement, c) l’exemption empêcherait le gaspillage des arbres abattus ou en améliorerait l'utilisation (voir l’article 128 de la B.C. Forest Act).

 

[14]           Le premier motif d’exemption est connu comme étant le critère de l’excédent. Il permet aux entreprises de traitement des billes de C.‑B. de présenter des offres à l’égard de billes dont l’exportation est proposée. Si des offres sont reçues, le Comité consultatif des exportations de bois de la province (CCEB) examine les offres et décide si elles sont raisonnables. En l’absence d’offres raisonnables, les billes sont réputées excédentaires par rapport aux besoins provinciaux, et la province exempte les billes de l’application de l’article 127 de la B.C. Forest Act. Lorsque les billes font l’objet d’une autorisation d’expédition hors de la C.‑B., le gouvernement provincial impose une « redevance tenant lieu de droit de fabrication » destinée à refléter les revenus que perd la province lorsque les billes quittent la province pour être traitées ailleurs.

 

[15]           Une fois que la province approuve l’exportation conformément au processus du CCEB, il est toutefois nécessaire d’obtenir une licence fédérale d’exportation pour exporter les billes. Selon la pratique habituelle, l’octroi d’une telle licence fait suite à l’autorisation provinciale d’exporter.

 

[16]           Les restrictions à l’exportation prévues à la Partie 10 de la B.C. Forest Act ne s’appliquent pas au bois provenant des terres privées concédées par la Couronne avant le 12 mars 1906 (date à laquelle la province a adopté une loi limitant l’exportation de billes à l’échelle de la province). Pour combler cette lacune, le gouvernement fédéral a adopté une politique qui applique le critère de l’excédent aux exportations proposées des billes récoltées sur les terres en C.‑B. qui ne sont pas assujetties au contrôle de la Partie 10 de la B.C. Forest Act. C’est cette politique fédérale d’exportation que conteste en l’espèce TimberWest. La grande majorité des terrains forestiers exploitables privés de TimberWest lui ont été concédés à l’origine par la Couronne avant le 12 mars 1906, et ces terrains sont par conséquent assujettis à la politique fédérale.

 

[17]           Pour mettre les restrictions à l’exportation en contexte, il faut souligner qu’en C.‑B. les terres de la Couronne provinciale comprennent 95 % des avoirs fonciers, les terres de la Couronne fédérale représentent 1 % et les terres privées représentent les 4 % restants. Près des deux tiers des exportations de bois d’œuvre de résineux de C.‑B. en 2005 provenaient des terres privées. TimberWest et Island Timberlands détiennent ensemble 75 % des terres privées sur la côte de la C.‑B.

 

[18]           La politique d’exportation fédérale a été établie parce que le gouvernement de la C.‑B. avait demandé au gouvernement fédéral de l’aider à gérer l’industrie forestière de la province et à protéger les emplois et l’industrie de la région en limitant l’exportation de billes de C.‑B. Pour officialiser la collaboration dans le domaine des contrôles à l’exportation visant les billes, les deux gouvernements ont signé un protocole d’entente (PE) le 30 mars 1998. Le PE énonce que son objet vise à [traduction] « reconnaître l’importance des contrôles à l’exportation pour assurer un approvisionnement de billes en quantité suffisante pour la fabrication intérieure ». M. Don Ruhl, l’actuel président du CCEB et longtemps secrétaire, a expliqué au procès que pour lui la mention de « fabrication intérieure » désignait « la fabrication dans la province » parce qu’il considérait l’expression dans le contexte des contrôles à l’exportation provinciaux.

 

[19]           Le PE a été suivi par l’Avis no 102, publié le 1er avril 1998 par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI). L’Avis no 102 est un énoncé qui explique la politique et la pratique administrative que le ministre suivra habituellement lorsqu’il exercera son pouvoir discrétionnaire à l’égard de la délivrance de licences d’exportation visant des billes récoltées sur des terres situées en C.‑B. qui ne sont pas assujetties au contrôle de la Partie 10 de la B.C. Forest Act. Voici la pratique énoncée dans l’Avis no 102 à l’égard de ces billes :

(1)   Un exportateur qui désire exporter des billes récoltées sur des terres privées situées en C.‑B. doit d’abord présenter une demande à la Direction des contrôles à l’exportation (DCE) du MAECI pour annoncer que les billes sont en vente au pays. Une copie de la demande doit être acheminée au Bureau régional du ministère des Forêts de la C.‑B. (MFCB), où les billes seront annoncées. (Voir le paragraphe 2.1 de l’Avis no 102.)

(2)   À la réception de la demande d’annonce, la DCE/MAECI demande au MFCB d’avertir les acheteurs canadiens éventuels que des billes sont disponibles pour vente au pays et qu’ils peuvent faire une offre d’achat écrite, habituellement dans les 14 jours suivant la date de la notification. (Voir le paragraphe 2.2 de l’Avis no 102.)

(3)   Lorsque des offres sont faites dans les délais impartis, ces dernières sont envoyées par la DCE/MAECI et (ou) le MFCB au Comité consultatif fédéral des exportations de bois (CCFEB). (Voir le paragraphe 2.4 de l’Avis no 102.) Le CCFEB détermine si les offres sont équitables et fait une recommandation à la DCE/MAECI, qui examine la recommandation du CCFEB et tout autre facteur pertinent afin de déterminer si l’approvisionnement en billes est suffisant. Le ministre décide ensuite s’il y a lieu de délivrer une licence. Lorsqu’il prend sa décision, le ministre examine la question de savoir si les billes sont excédentaires. (Voir le paragraphe 4.4 de l’Avis no 102.)

(4)   Si aucune offre n’est reçue dans le délai prescrit, la DCE/MAECI tient compte de cet état de fait et de tout autre facteur pour décider si les billes sont considérées comme excédentaires par rapport aux besoins nationaux. Si les billes sont jugées excédentaires, l’exportateur doit soumettre un formulaire de demande de licence d’exportation, et la DCE/MAECI amorce le traitement de la demande. (Voir le paragraphe 3.0 de l’Avis no 102.)

 

[20]           Au procès, on a montré la façon dont les licences d’exportation visant les billes de la C.‑B. sont délivrées dans la pratique. Les lots de billes dont l’exportation est proposée sont annoncés pour la vente au pays sur une liste bimensuelle, qui est accessible sur un site Web du gouvernement de la C.‑B., non sur un site Web du gouvernement fédéral. Chaque page de la liste bimensuelle porte en en-tête les mots « Ministry of Forests, Province of British Columbia » (ministère des Forêts, province de la Colombie-Britannique). Les annonces de billes régies par la Partie 10 de la B.C. Forest Act sont énumérées sous le titre « provincial timber » (bois provincial). Les annonces de billes non régies par la Partie 10 sont énumérées sous le titre « federal timber » (bois fédéral). Les annonces de bois fédéral et de bois provincial figurent toutes deux sur la même liste bimensuelle et sont présentées par région.

 

[21]           Dans la majorité des cas, aucune offre n’est reçue en réponse aux annonces dans la liste bimensuelle. En règle générale, le ministre délivre des licences d’exportation pour les demandes fédérales lorsque aucune offre n’a été reçue.

 

[22]           Dans les quelques cas où des offres sont reçues, celles-ci sont examinées pas deux comités, le CCEB et le CCFEB, pour décider s’il s’agit d’offres équitables, en d’autres termes pour décider si les offres reflètent la juste valeur marchande sur le marché canadien. Le même critère de l’excédent est appliqué aux annonces de bois provincial et de bois fédéral. Si aucune offre équitable n’a été reçue, le bois est jugé excédentaire par rapport aux besoins de la C.‑B.

 

[23]           Le CCFEB recommande alors au ministre de délivrer ou non une licence d’exportation à l’égard d’une demande d’exportation de bois fédéral. Si l’offre à l’égard des billes dont l’exportation est proposée est équitable, le CCFEB recommande habituellement que le ministre refuse de délivrer une licence. Si l’offre n’est pas équitable, le CCFEB recommande généralement que le ministre délivre une licence. Le ministre suit les recommandations dans la plupart des cas.

 

[24]           Toutefois, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre tient compte d’autres considérations, notamment les remarques soulevées par les producteurs de billes dans leurs observations adressées au ministre. Parmi les types d’observations présentées par les producteurs de billes, mentionnons les suivantes :

a)       l’offre n’est pas valide parce que présentée par une entreprise ayant exporté des billes au cours de la période précédente de 90 jours (alinéa 4.3a) de l’Avis no 102);

b)      l’offre n’est pas valide parce que présentée par une entreprise qui n’est pas une entreprise de traitement des billes (alinéa 4.3c) de l’Avis no 102);

c)       l’offre devrait être rejetée parce qu’elle ne reflète pas la juste valeur marchande;

d)      l’offre devrait être rejetée parce que le lot de billes visé par l’offre est le seul de cette essence à avoir reçu des offres et, ainsi, ces billes ne sont pas rares (voir, à titre d’exemple, la pièce D‑1 du procès, une lettre de Merrill & Ring à M. Jones datée du 23 décembre 2002).

 

[25]           Dans son témoignage, Thomas Jones, le représentant du gouvernement fédéral au CCFEB de 1998 à 2004, a indiqué qu’il a invité les producteurs de billes à soumettre des observations concernant la validité des offres ou leur reflet de la juste valeur marchande. Dans plusieurs cas, il a acheminé leurs observations au ministre pour examen. Des éléments de preuve ont démontré que Merrill & Ring avaient fait des observations orales et écrites au MAECI à propos de certaines offres, et le ministre avait répondu en rejetant l’offre et en délivrant une licence d’exportation dans ces cas.

 

[26]           La preuve a également démontré que le ministre n’applique pas toujours le critère de l’excédent aux billes dont l’exportation est proposée. Le cabinet provincial adopte des décrets pour exempter les billes du contrôle provincial en vertu de la Partie 10 de la B.C. Forest Act. Parfois, ces décrets sont adoptés sans qu’on ait appliqué le critère de l’excédent et suivi le processus du CCEB. Par exemple, les décrets provinciaux sont souvent adoptés en vertu du critère économique énoncé à l’alinéa 128(3)b) de la B.C. Forest Act. Dans ces cas, une licence d’exportation fédérale est habituellement délivrée autorisant ces billes à quitter le Canada, sans égard au critère de l’excédent. De plus, des licences d’exportation fédérales sont parfois accordées à l’égard de bois récolté sur des terres privées voisines de terres visées par un décret et qui ne sont pas assujetties au contrôle provincial en vertu de la Partie 10 de la B.C. Forest Act. Cela se fait sans l’application de l’habituel critère de l’excédent, afin d’assurer un traitement égal à l’égard des billes situées dans des endroits similaires.

 

[27]           La composition et les pratiques du CCEB et du CCFEB indiquent que le gouvernement fédéral dépend du gouvernement provincial pour l’administration de la politique d’exportation des billes. Le CCFEB est composé de membres du CCEB, outre un représentant du gouvernement fédéral. À l’exception du représentant fédéral qui est nommé par le gouvernement fédéral, tous les membres du comité (il y actuellement huit membres plus un secrétaire) sont nommés par le ministre des Forêts de la C.‑B. Le gouvernement fédéral est consulté à propos de ces nominations, mais il ne s’est jamais opposé à une nomination.

 

[28]           La rémunération des membres des comités, sous forme d’un taux quotidien d’honoraires plus les frais, est payée par le gouvernement de la C.‑B. Le gouvernement fédéral paie les frais de déplacement du représentant fédéral. Le CCEB et CCFEB n’ont jamais tenu de réunion à l’extérieur de la C.‑B. et se réunissent souvent dans un bureau du gouvernement de la C.‑B.

 

[29]           Un seul ordre du jour est établi pour les réunions combinées du CCEB/CCFEB, et un seul procès-verbal est rédigé. Les demandes d’exportation de bois provincial et de bois fédéral sont examinées à l’occasion de ces réunions.

 

[30]           Les procédures écrites concernant le fonctionnement du CCEB et du CCFEB sont des procédures provinciales, puisqu’il n’existe aucune procédure fédérale. Les données de toutes les demandes examinées par le CCEB et le CCFEB sont traitées par un système informatique du gouvernement provincial et ne sont pas accessibles dans un système informatique fédéral, malgré des efforts en vue de faire migrer les données fédérales vers un système informatique fédéral.

 

[31]           Depuis le 1er avril 1998, date à laquelle l’Avis no 102 a été publié, deux personnes ont agi à titre de représentant fédéral au CCFEB, soit Thomas Jones (de 1998 à 2004) et Judy Korecky (depuis 2005). Ils résident tous deux à Ottawa et ne possèdent pas d’autre expérience pratique personnelle de l’industrie forestière de la C.‑B. que leur appartenance au comité. M. Jones et Mme Korecky s’appuient sur l’expertise des autres membres des comités pour la partie concernant l’examen du marché et l’évaluation du caractère équitable des offres reçues à l’égard des billes dont l’exportation est proposée. Les autres membres des comité ont des liens avec l’industrie du traitement des billes de la C.‑B. et ont une très grande expérience des marchés forestiers.

 

[32]           Même si M. Jones et Mme Korecky se sont rendus en C.‑B. pour assister à des réunions du CCEB et du CCFEB, ils ont surtout participé aux réunions par téléconférence. Le CCEB et le CCFEB ont souvent tenu des réunions sans la présence du représentant fédéral ou sans qu’il y participe de quelque manière. Par exemple, M. Jones a été absent des réunions pendant près de deux années consécutives entre 2000 et 2002. Il a expliqué que sa responsabilité principale consistait à s’occuper des exportations de marchandises et de matériel militaires et d’intérêt stratégique et que ces fonctions l’appelaient à l’extérieur du pays pendant de longues périodes.

 

[33]           Une contestation antérieure de la politique d’exportation fédérale visant les billes de C.‑B. a été instituée dans le jugement K.F. Evans Ltd. cCanada (Ministre des Affaires étrangères) (1996), [1997] 1 C.F. 405 (1re inst.), appel rejeté au motif qu’il était théorique (1998) 223 N.R. 212 (C.A.F.). Le jugement K.F. Evans visait le contrôle judiciaire du refus du ministre de délivrer des licences d’exportation à l’égard de billes récoltées sur des terres privées non assujetties à la loi provinciale sur les forêts. La requérante a soutenu que le pouvoir discrétionnaire du ministre avait été entravé en vertu de la politique énoncée dans l’Avis no 23 (avis qui a précédé l’Avis no 102). La Cour a statué que le ministre avait indûment entravé son pouvoir discrétionnaire parce qu’il avait adopté une politique de refuser la délivrance de licences à moins que les exportations ne soient recommandées par le CCEB. En conséquence, les décisions attaquées ont été renvoyées au ministre pour un nouvel examen.

 

[34]           Dans la présente affaire, la contestation de l’Avis no 102 est structurée différemment de la contestation de l’avis qui l’a précédé dans le jugement K.F. Evans. En l’espèce, la question est de savoir si la pratique en vertu de l’Avis no 102 tombe sous le coup de la LLEI et si elle relève du pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral.

 

[35]           La demanderesse allègue qu’on n’a pas remédié à la lacune principale de l’ancien régime que la Cour a critiquée dans le jugement K.F. Evans (à savoir que le gouvernement abdique, dans une seule province, le pouvoir de réglementer les exportations de ressources que lui accorde la LLEI, en faveur du régime de réglementation provincial). La demanderesse soutient qu’il est temps pour la Cour de se prononcer de façon définitive et de déclarer que tout régime comportant les caractéristiques de base de l’Avis no 102 est illégal et inconstitutionnel.

 

[36]           Il est utile de souligner que, à une exception près, les billes représentent le seul produit au Canada à l’égard duquel un avis aux exportateurs a été émis et qui traite des marchandises différemment selon la province d’origine. Cette exception est le hareng rogué, qui nécessite une licence d’exportation uniquement lorsqu’il est pêché le long des côtes de la C.‑B. La demanderesse indique que le hareng rogué relève nettement de la compétence fédérale parce que le gouvernement fédéral est responsable des océans et des pêches.

 

Points litigieux

[37]           La demanderesse a structuré comme suit les points litigieux :

  1. La demanderesse a-t-elle qualité pour contester l’Avis no 102, et l’Avis no 102 peut-il être déclaré invalide par la Cour, même s’il n’est ni une loi, ni un règlement?
  2. L’Avis no 102 est-il invalide parce qu’il n’est pas autorisé par la Loi sur les licences d’exportation et d’importation?
  3. L’Avis no 102 est-il invalide parce qu’il constitue une tentative du gouvernement fédéral de réglementer un domaine de compétence provinciale?

 

[38]           La défenderesse a structuré comme suit les points litigieux :

  1. L’Avis no 102 est-il assujetti à un contrôle restreint en tant que texte non réglementaire?
  2. L’Avis no 102 est-il compatible avec la Loi sur les licences d’exportation et d’importation?
  3. L’Avis no 102 est-il compatible avec la compétence fédérale en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5?

 

Prétentions et moyens de la demanderesse

I. TimberWest a qualité pour contester l’Avis no 102, et l’Avis no 102 peut être déclaré invalide même s’il n’est ni une loi, ni un règlement.

 

a)      L’Avis no 102 est assujetti au contrôle judiciaire.

 

[39]           La demanderesse allègue que l’Avis no 102 n’échappe pas au contrôle judiciaire. Elle soutient que tous les textes non réglementaires (directives, politiques, programmes publics) peuvent être contestés parce qu’ils sont illégaux pour des motifs de droit administratif ou parce qu’ils sont inconstitutionnels. La demanderesse cite l’arrêt Ainsley Financial Corporation c. Ontario Securities Commission (1994), 21 O.R. (3d) 104 (C.A.), un arrêt-clé de la Cour d’appel de l’Ontario dans lequel la cour a reconnu, à la page 109, trois situations dans lesquelles un texte non réglementaire sera invalidé : i) lorsqu’il contredit une disposition législative ou un règlement; ii) lorsqu’il empêche l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un organisme de réglementation dans un cas donné; iii) lorsqu’il impose des exigences obligatoires et prévoit que leur non-respect entraîne des sanctions; c’est-à-dire que l’organisme de réglementation adopte des directives qui sont en réalité des règles de droit de facto. La demanderesse allègue que les trois situations sont en cause en l’espèce.

 

[40]           La demanderesse cite également la décision Independent Contractors and Business Association of British Columbia c. British Columbia, [1995] 7 W.W.R. 159 (C.S.C.‑B.). Dans cette décision, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que la politique intitulée « Fair Wage and Skills Development », adoptée par la Colombie-Britannique, allait au-delà de la simple formulation d’une politique publique, mais qu’elle était [traduction] « le moyen par lequel la décision du Cabinet concernant la politique a été mise en œuvre ». La politique a été déclarée nulle parce qu’elle était incompatible avec la Wages (Public Construction) Act, qui interdisait l’adoption et la mise en œuvre d’une politique visant à réglementer les salaires dans un domaine déjà réglementé par cette loi. La demanderesse allègue que, à l’instar de la politique intitulée « Fair Wage and Skills Development », l’Avis no 102 transforme une directive politique en un texte exécutoire et coercitif et qu’il se prête à un contrôle judiciaire.

 

[41]           La demanderesse soutient que, dans le contexte de la LLEI, des avis aux exportateurs ont été contestés à deux occasions, dans les arrêts Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.) et Maple Lodge Farms Ltd. cCanada, [1982] 2 R.C.S. 2. Elle soutient de plus que dans le jugement K.F. Evans, précité, la Cour a longuement commenté le bien-fondé de l’Avis no 23, tout en n’ayant pas à trancher ce point en bout de ligne parce que l’affaire ne portait pas sur la contestation de la politique elle-même, mais était une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise en vertu de la politique.

 

b)      TimberWest a qualité pour contester l’Avis no 102.

 

[42]           La demanderesse allègue que la preuve présentée au procès démontre largement qu’elle a un intérêt direct dans l’Avis no 102, y compris, entre autres, un important intérêt financier lié à la question de savoir si le régime survit ou meurt. À ce titre, la demanderesse prétend qu’elle a qualité pour agir dans l’intérêt privé afin de contester l’Avis no 102. De plus, s’il était nécessaire de l’invoquer, la demanderesse allègue qu’elle répondrait aisément au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public (voir Canada (Ministre de la Justice) c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575, à la page 598).

 

II. L’Avis no 102 n’est pas autorisé par la LLEI.

[43]           La demanderesse soutient que l’Avis no 102 s’appuie expressément sur le paragraphe 3e) de la LLEI comme fondement de sa publication. Le paragraphe 2 de l’Avis no 102 énonce ce qui suit :

Bien que toutes les billes exportées du Canada doivent faire l'objet d'une licence d'exportation de marchandises pour toutes les destinations, le présent avis donne des précisions au sujet des exportations de billes de Colombie-Britannique. Les exportations de billes sont sujettes à un contrôle aux fins du paragraphe 3e) de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, qui se lit ainsi :

 

« 3e) s'assurer d'un approvisionnement et d'une distribution de cet article en quantité suffisante pour répondre aux besoins canadiens, notamment en matière de défense».

 

[44]           La demanderesse allègue qu’une politique qui prétend s’appuyer sur une disposition législative précise devrait pouvoir trouver sa justification dans cette même disposition et qu’elle devrait être invalidée si ce n’est pas le cas. La demanderesse soutient que le gouvernement ne devrait pas pouvoir chercher un autre fondement législatif après le fait (à savoir, d’autres parties de l’article 3) pour justifier l’Avis no 102. En conséquence, elle allègue que l’Avis no 102 n’est valide que s’il est compatible avec l’alinéa 3e).

 

[45]           À l’appui de ces prétentions, la demanderesse cite de la jurisprudence, notamment l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Assoc. canadienne des importateurs réglementés, précité, qui a statué qu’une décision stratégique ne peut être fondée principalement ou entièrement sur des facteurs non pertinents ou étrangers à l’objet de la loi.

 

[46]           La demanderesse soutient que le point de départ pour déterminer si l’Avis no 102 est compatible avec l’alinéa 3e) de la LLEI se trouve dans le jugement K.F. Evans, dans lequel madame la juge Reed a effectué une analyse approfondie de la compatibilité ou non‑compatibilité de l’Avis no 23 avec cette disposition. La demanderesse prétend que l’analyse de la juge Reed, même si elle est techniquement une remarque incidente, est très instructive. Tout comme l’Avis no 102, l’Avis no 23 énonçait à sa face même qu’il se fondait sur l’alinéa 3e) de la LLEI. Le ministre a soutenu qu’il pouvait tenir compte d’autres facteurs énumérés dans l’article 3 de la LLEI, notamment les alinéas 3b), 3c.1) (maintenant abrogé) et 3d). La juge Reed a statué que les alinéas 3b) et 3c.1) étaient non pertinents parce qu’ils ont été ajoutés à la LLEI après l’inclusion des billes dans la Liste des marchandises d’exportation contrôlée. Elle a aussi rejeté l’application de l’alinéa 3d) au motif de l’absence d’arrangement ou de protocole d’entente intergouvernemental. Elle s’est ensuite penchée sur l’alinéa 3e). Après avoir souligné que la Cour d’appel fédérale avait déclaré dans l’arrêt Teal Cedar Products (1977) Ltd. cCanada (1988), [1989] 2 C.F. 158 (C.A.) que les termes « other needs » de la version anglaise de l’alinéa 3e) [« autres » ou « notamment » dans la version française] pouvaient désigner des besoins autres que ceux qui concernaient la défense, la juge Reed a écrit ce qui suit à la page 425 :

[. . .] La Cour a jugé que les « besoins canadiens » pouvaient s'entendre des besoins autres que ceux qui concernaient la défense. Bien que ce soit de toute évidence le cas, des expressions comme « pour répondre aux besoins canadiens », lorsqu'elles sont employées comme elles le sont à l'alinéa 3e), doivent être interprétées conformément au principe d'interprétation « ejusdem generis ». L'expression « pour répondre aux besoins canadiens » n'est pas synonyme de l'expression « pour répondre à tout autre besoin ». Suivant mon interprétation du libellé de l'alinéa 3e), les « besoins canadiens » en question doivent à tout le moins avoir une nature nationale ou fédérale, et il doit y avoir un « besoin ». J'ai du mal à accepter que l'existence d'une politique provinciale soit, sans plus de précision, visée par les mots « besoins canadiens, notamment en matière de défense ». De toute façon, je n'ai pas à me prononcer sur cette question.

 

La demanderesse soutient qu’il s’agit d’un exercice d’interprétation parfaitement réalisé. Elle prétend que les termes « other needs » de la version anglaise doivent recevoir une interprétation restrictive. Les interpréter de manière à signifier « pour toute autre fin » rendrait le reste de l’article 3 superflu.

 

[47]           La demanderesse allègue que la preuve présentée au procès ne révèle aucun objet fédéral lié à l’Avis no 102, puisqu’il ne vise pas l’approvisionnement de billes en quantité suffisante au Canada. L’objet de l’Avis no 102 vise à assurer un approvisionnement suffisant en billes pour les entreprises de traitement des billes de la C.‑B., mais il ne prévoit rien pour assurer un approvisionnement suffisant ailleurs au Canada, comme en Alberta, en Ontario et au Québec, où dans la pratique les scieries sont aux prises avec des pénuries de billes. La demanderesse allègue que l’Avis no 102 exige que l’exercice du pouvoir discrétionnaire soit fondé sur des facteurs qui sont étrangers, non pertinents et accessoires à l’objet de la loi et au but de la LLEI. Ainsi, la demanderesse allègue que l’Avis no 102 n’est pas autorisé par la LLEI et qu’il devrait être déclaré invalide.

 

 

III. L’Avis no 102 est inconstitutionnel au motif qu’il est un régime provincial sous déguisement fédéral.

a) La question constitutionnelle à trancher

 

[48]           La demanderesse allègue qu’il est nécessaire d’identifier l’objectif principal d’un régime administratif afin de déterminer sa validité constitutionnelle. La question constitutionnelle à trancher est de savoir si, essentiellement, le régime de réglementation créé par l’Avis no 102 relève de la compétence fédérale ou provinciale. Plus précisément, relève-t-il du pouvoir fédéral énuméré dans le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 (« La réglementation du trafic et du commerce ») ou relève-t-il d’un pouvoir provincial énuméré aux paragraphes 92(13) ou (16) (« La propriété et les droits civils dans la province » et « Généralement toutes les matière d’une nature purement locale ou privée dans la province »)?

 

b) La tentative de l’Avis no 102 de réglementer un commerce local dans une province est fatale du point de vue constitutionnel.

 

[49]           La demanderesse allègue que le régime de réglementation en vertu de l’Avis no 102 ne relève pas de la compétence fédérale, mais qu’il représente une tentative inconstitutionnelle du gouvernement fédéral de réglementer l’industrie forestière de la C.‑B.

 

[50]           La demanderesse soutient qu’une jurisprudence remontant à l’arrêt Citizens Insurance Co. of Canada c. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (C.P.) établit que le pouvoir fédéral sur le trafic et le commerce ne s’étend pas à la réglementation d’une entreprise ou d’un commerce en particulier dans une province.

 

Plus particulièrement, la demanderesse cite le passage suivant de l’arrêt Parsons à la page 113 :

[TRADUCTION] Par conséquent, si l'on interprète les mots « réglementation des échanges et du commerce » en s'aidant des divers moyens mentionnés plus haut, on voit qu'ils devraient inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des échanges dans les matières d'intérêt interprovincial. Il se pourrait qu'ils comprennent la réglementation générale des échanges s'appliquant à tout le Dominion. Leurs Seigneuries s’abstiennent à ce moment-ci de tenter de définir les limites du pouvoir du Parlement du Dominion en ce sens. Pour la décision en l’espèce, il suffit de dire qu’à leur avis le pouvoir de légiférer en vue de réglementer les échanges et le commerce n’englobe pas le pouvoir de réglementer au moyen d’une loi les contrats d’un commerce en particulier, comme le commerce de l’assurance-incendie dans une seule province. Par conséquent, en l’espèce, son pouvoir législatif n’entre pas en conflit ou en opposition avec le pouvoir conféré à la législature de l’Ontario par le paragraphe 13 de l’article 92 concernant la propriété et les droits civils.

 

La demanderesse soutient que l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd. (1976), [1977] 2 R.C.S. 134, à la page 160, a affirmé que l’arrêt Parsons continuait d’être valable en droit.

 

[51]           La demanderesse examine plusieurs arrêts dans lesquels la législation fédérale a été déclarée inconstitutionnelle au motif qu’elle visait principalement la réglementation du commerce dans une province : Canada c. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434, Reference re Natural Products Marketing Act, 1934, [1937] A.C. 377 (C.P.), Reference as to the Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act (1950), [1951] A.C. 179 (C.P.) et Renvoi relatif à la Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198. La demanderesse cite également l’arrêt Carnation Co. c. Quebec (Agricultural Marketing Board), [1968] R.C.S. 238, dans lequel la contestation d’une loi provinciale a été rejetée.

 

[52]           Dans l’arrêt Canada c. Eastern Terminal Elevator, la Cour suprême du Canada a invalidé la Loi sur les grains du Canada, qui a été déclarée une tentative inconstitutionnelle de réglementer des emplois particuliers (négociants en grains et exploitants de silos) et des travaux et entreprises de nature locale (silos), qui sont des matières attribuées exclusivement aux législatures provinciales. Malgré le fait que la très grande partie des grains récoltés était exportée du Canada, le Canada ne pouvait pas les réglementer au niveau local.

 

[53]           Dans l’arrêt Reference re Natural Products Marketing Act, 1934, le Conseil privé a invalidé une loi fédérale qui créait une commission de commercialisation pour réglementer la quantité, la qualité, la catégorie, la classification, la vente et la distribution des produits laitiers. La loi visait des opérations effectuées dans la province, sans aucun lien avec le commerce interprovincial ou l’exportation. Ainsi, la loi prétendait toucher la propriété et les droits civils dans la province, une matière qui excède la compétence du Parlement. L’appui des provinces envers le régime fédéral n’était pas suffisant pour garantir sa constitutionnalité.

 

[54]           Dans l’arrêt Reference as to the Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, le Conseil privé a invalidé une loi fédérale qui interdisait la production, l’offre, la vente ou la possession de margarine. Il a statué que l’objet de la loi visait à protéger et à encourager l’industrie laitière et que le pouvoir fédéral à l’égard de la réglementation des échanges et du commerce n’autorise pas la réglementation des formes individuelles d’échanges et de commerce limitées à la province.

 

[55]           Dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles (aussi appelé le « Renvoi sur les œufs »), les gouvernements fédéral et ontarien ont adopté une loi sur les coopératives en vue de réglementer la commercialisation des œufs dans le commerce intraprovincial, interprovincial et d’exportation. La Cour suprême du Canada a statué que le législateur avait excédé son pouvoir en accordant aux commissions provinciales le pouvoir de fixer les prix, au moyen de prélèvements aux fins d’ajustement, pour le commerce intraprovincial. La Cour suprême a souligné qu’elle examinera tout régime afin d’annuler toute tentative de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement. Il faut examiner le fond du texte législatif et non seulement sa forme.

 

[56]           Dans l’arrêt Carnation Co. c. Quebec (Agricultural Marketing Board), un fabricant de lait évaporé – qui achetait du lait cru des agriculteurs et le transformait en lait évaporé dans son usine – a contesté la constitutionnalité d’une loi provinciale qui contrôlait le prix du lait cru au Québec. Le fabricant soutenait que le régime était une tentative illégitime de réglementer le commerce interprovincial, compte tenu qu’une importante partie du lait évaporé était exportée à l’extérieur du Québec. La Cour suprême du Canada a rejeté cet argument et a maintenu la loi, concluant que le régime ne visait pas la réglementation du commerce interprovincial, mais qu’il touchait le commerce interprovincial de façon accessoire.

 

[57]           La demanderesse allègue que la preuve démontre que le but de l’Avis no 102 est de réglementer l’industrie forestière de la C.‑B. en favorisant les entreprises de traitement des billes de la C.‑B. au détriment des producteurs de billes de la C.‑B., exactement comme le fait le régime parallèle provincial. Elle soutient qu’il s’agit d’une tentative de réglementer le commerce dans la province, une tentative qui échappe à la compétence du gouvernement fédéral.

 

c) L’absence de nature fédérale de l’Avis no 102 est également fatale du point de vue constitutionnel.

 

[58]           La demanderesse renvoie à trois arrêts à l’appui de la proposition selon laquelle le pouvoir fédéral à l’égard de la réglementation du trafic et du commerce est de nature fédérale : MacDonald c. Vapor Canada Ltd. (1976), [1977] 2 R.C.S. 134; Brasserie Labatt du Canada Ltée c. Canada (Procureur général) (1979), [1980] 1 R.C.S. 914; Supermarchés Dominion Ltée c. La Reine (1979), [1980] 1 R.C.S. 844.

 

[59]           Dans l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., la Cour suprême du Canada a invalidé l’alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce, qui prétendait créer une cause d’action à l’égard de pratiques commerciales utilisées « contrairement aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada ». Dans cette affaire, la défenderesse avait censément divulgué et utilisé des secrets commerciaux contrairement à l’alinéa 7e). La Cour suprême du Canada a statué que l’alinéa 7e) était ultra vires parce qu’il prévoyait simplement des causes d’action civile que les tribunaux provinciaux connaissaient et englobait des questions qui relevaient de la compétence législative provinciale. La Cour a déclaré qu’il ne suffisait pas que la loi s’applique dans tout le Canada et a souligné que l’absence d’un régime de réglementation en vertu de l’article 7 montrait l’absence d’une nature nationale.

 

[60]           L’arrêt Brasserie Labatt du Canada Ltée c. Canada (Procureur général) a invalidé un règlement fédéral qui prescrivait le contenu en alcool des liqueurs de malt qui pouvaient être qualifiées de « bière légère ». La Cour suprême a statué que les dispositions contestées ne pouvaient pas se fonder sur le chef de compétence fédérale du trafic et du commerce. Les dispositions contestées ne visaient pas le contrôle ou la réglementation de la distribution extraprovinciale des produits ou de leur mouvement par des voies commerciales. La Cour a plutôt conclu que les dispositions attaquées visaient la réglementation du processus de production d’une seule industrie, à savoir l’industrie de la bière. Cette industrie était essentiellement de nature locale compte tenu des coûts élevés de transport vers des marchés éloignés.

 

[61]           L’arrêt Supermarchés Dominion Ltée c. La Reine a statué qu’une loi fédérale qui contrôle la classification des pommes n’avait aucune validité par rapport aux opérations purement intraprovinciales et a annulé les accusations portées contre les appelants. Les appelants avaient été accusés, en vertu de la loi fédérale attaquée, de vendre des pommes de catégorie « Canada Extra de fantaisie », qui ne répondaient pas aux exigences prescrites de cette catégorie parce qu’elles étaient talées. L’opération en cause a entièrement eu lieu en Ontario. Le gouvernement fédéral a soutenu qu’il avait la compétence pour établir un régime de commercialisation optionnel et que la loi fédérale était optionnelle en ce que les exigences en matière de classification ne s’appliquaient pas, à moins que les produits ne soient mis en vente sous le nom d’une catégorie. La Cour suprême du Canada a toutefois conclu que la loi fédérale était en réalité obligatoire, puisque l’Ontario avait adopté une loi sur les coopératives qui interdisait la vente de denrées non accompagnées d’une affiche indiquant la catégorie des denrées. Les noms de catégorie des pommes en vertu de la loi ontarienne étaient les mêmes que ceux prévus par le règlement fédéral. La Cour suprême a déclaré que l’existence de la loi provinciale n’invalidait pas en soi la loi fédérale, mais qu’elle faisait partie du contexte à examiner pour déterminer la nature véritable (l’essence) de la loi fédérale. La Cour suprême a fait la mise en garde suivante : « [L]e Parlement ne peut pas faire indirectement, avec l’aide provinciale, ce qu’il ne pourrait pas faire directement ».

 

[62]           Selon la demanderesse, l’Avis no 102 a essentiellement pour objet de réglementer le commerce intraprovincial des billes non traitées à l’intérieur de la province de la C.‑B. Le critère de l’excédent appliqué en vertu de l’Avis no 102 réduit le prix des billes non traitées dans les transactions entre les producteurs de billes et les entreprises de traitement des billes en C.‑B. Elle soutient que l’objet de l’Avis no 102 consiste à protéger les emplois dans le secteur du traitement des billes en C.‑B. et qu’il s’agit d’une matière de compétence provinciale plutôt que de compétence fédérale.

 

Prétentions et moyens de la défenderesse

I. L’Avis no 102 est un texte non réglementaire assujetti à un contrôle restreint.

 

[63]           La défenderesse soutient que l’Avis no 102 n’est pas un texte réglementaire. En règle générale, le ministre émet des avis aux exportateurs afin de fournir aux membres du public des renseignements qui les aideront à déterminer s’ils ont besoin ou non d’une licence d’exportation fédérale avant d’exporter certains produits et de leur offrir de l’aide pour demander et obtenir une licence.

 

[64]           La défenderesse soutient que les tribunaux ont considéré les avis aux importateurs ou aux exportateurs comme des lignes directrices stratégiques, par opposition à des textes législatifs contraignants ayant force de loi (voir, par exemple, Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2). L’arrêt Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.) portait sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre d’imposer des quotas de pêche aux détenteurs de permis. La Cour d’appel fédérale a statué que l’attribution de quotas en vertu d’une politique est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Elle a énoncé ce qui suit au paragraphe 28 : « Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions généralement rattachées à la délivrance d’un permis ne sont pas des règlements; elles n’ont pas force de loi non plus ».

 

[65]           La défenderesse soutient qu’il est bien établi que les tribunaux font preuve d’une très grande retenue envers les décisions stratégiques ministérielles du genre de celle contestée par TimberWest. Dans l’arrêt K.F. Evans, la Cour d’appel fédérale a appliqué le critère du caractère théorique à trois volets élaboré dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, pour décider si la cour devrait entendre l’appel. Dans le contexte de l’application du troisième critère dégagé de l’arrêt Borowski (c.-à-d. à savoir si, en l'absence d'un véritable litige à résoudre entre les parties, la cour devrait s'ingérer dans la sphère de compétence d'autres branches du gouvernement), la Cour d’appel fédérale a énoncé ce qui suit au paragraphe 13 : « Quant à savoir si et dans quelle mesure l'exercice des pouvoirs fédéraux doit être lié aux préférences politiques des provinces, c'est là une question qu'il est préférable de laisser à la discrétion du pouvoir politique ».

 

[66]           La défenderesse allègue que la norme de contrôle applicable aux décisions stratégiques ministérielles est celle exprimée dans l’arrêt Maple Lodge Farms, précité, aux pages 7 et 8 :

[. . .] C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[. . .]

 

 

[67]           La défenderesse soutient que, bien que la demanderesse ait contesté l’Avis no 102 au moyen d’une action plutôt que par le contrôle judiciaire d’une décision en particulier, l’arrêt récent Grenier cCanada, [2006] 2 R.C.F. 287, 2005 CAF 348, au paragraphe 62, indique que les principes applicables à la révision d'une décision administrative s'appliquent, que la révision de cette décision se fasse par demande de contrôle judiciaire, par appel ou par une procédure indirecte de contestation telle une action en dommages-intérêts. En conséquence, la défenderesse soutient que les principes du contrôle judiciaire des décisions administratives s’appliquent à la présente action dans la mesure où la Cour adopte la norme de la décision manifestement raisonnable qui appelle le plus haut degré de retenue pour examiner la politique contestée.

 

[68]           La défenderesse allègue de plus que des arguments de constitutionnalité ne s’appliquent pas à des documents stratégiques tels que l’Avis no 102. Dans l’arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 SCC 69, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 85 :

[. . .] Il est tout simplement impossible aux tribunaux de contrôler la conformité à la Charte de la multitude de guides et manuels internes préparés par la fonction publique pour assister les fonctionnaires dans leur travail. Les tribunaux s’attachent à la légalité des décisions et non à la qualité des guides, bien que le sort de l’un ne soit évidemment pas indépendant du sort de l’autre.

 

II. L’Avis no 102 est compatible avec la LLEI et la Liste des marchandises d’exportation contrôlée.

 

[69]           La défenderesse souligne que le régime législatif fédéral qui interdit l’exportation de billes sans une licence ne précise aucune des fins énumérées dans l’article 3 de la LLEI pour lesquelles les exportations de billes sont contrôlées. La réglementation s’applique plutôt aux billes pour les nombreuses fins énoncées à l’article 3 de la LLEI. Par ailleurs, l’alinéa 1.2 a) de l’Avis no 102 énonce que l’exportation de billes de Colombie-Britannique est contrôlée pour les fins prévues dans l’alinéa 3e) de la LLEI. La défenderesse allègue que cette déclaration n’a pas d’incidence, ni ne peut avoir d’incidence, sur le libellé général du régime de réglementation.

 

[70]           La défenderesse allègue que les commentaires de madame la juge Reed dans la décision de première instance de K.F. Evans à l’égard de l’alinéa 3e) de la LLEI constituaient une opinion incidente et que par conséquent la Cour n’est pas tenue de les suivre. En appel de cette décision, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’appel avait un caractère théorique et a souligné que la juge de première instance avait fondé son ordonnance sur l’entrave au pouvoir discrétionnaire du ministre. La Cour d’appel a rejeté la position voulant que la décision ait des répercussions beaucoup plus vastes en empêchant le ministre d’obtenir des conseils de l’extérieur comme ceux du CCEB.

 

[71]           La défenderesse allègue que dans la version anglaise de l’alinéa 3e), les termes « other needs » ne sont pas limités par le mot « defence ». Elle soutient que si le législateur avait voulu que les termes « other needs » aient une nature fédérale ou nationale, il aurait pu aisément le dire. Elle allègue de plus que rien dans le libellé de l’article 3 n’indique que la Liste des marchandises d’exportation contrôlée visait à appuyer exclusivement des sujets de nature fédérale ou nationale. Par exemple, l’alinéa 3c) autorise le contrôle de l’exportation des matières premières ou transformées d’origine canadienne en période de surproduction et de chute des cours. L’alinéa 3d) permet l’ajout d’articles à la Liste des marchandises d’exportation contrôlée pour mettre en œuvre un accord ou un engagement intergouvernemental. La défenderesse allègue que, selon leur nature, ces accords doivent tenir compte des sujets de nature fédérale ou nationale, ainsi que de ceux de nature provinciale. La défenderesse soutient que le ministre peut tenir compte des préoccupations provinciales en matière d’approvisionnement pour décider s’il délivre ou non une licence d’exportation.

 

[72]           La défenderesse allègue que le fait que l’Avis no 102 est censé être fondé sur l’alinéa 3e) n’est pas pertinent aux fins des arguments de constitutionnalité, car l’Avis no 102 est un simple énoncé de politique sur la manière générale dont le ministre se propose d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour la délivrance de licences d’exportation. La défenderesse soutient que cet énoncé de politique ne peut pas non plus être considéré comme limitant le pouvoir discrétionnaire plus vaste conféré par le régime législatif pour examiner non seulement la fin énoncée dans l’alinéa 3e) lors de la prise de décisions concernant les licences d’exportation, mais également les fins énoncées dans les alinéas 3b) et d). La défenderesse allègue que, même s’il est vrai que les billes ont été incluses à l’origine dans la Liste des marchandises d’exportation contrôlée durant la Deuxième guerre mondiale pour assurer un approvisionnement suffisant pouvant satisfaire aux besoins canadiens, notamment en matière de défense, les billes peuvent continuer de figurer dans la liste pour d’autres raisons qui changent au fil du temps, dont celle d’assurer un approvisionnement suffisant de matières premières pour leur traitement au Canada.

 

[73]           La défenderesse soutient qu’il est évident que l’objectif de l’Avis no 102 consiste à gérer et à identifier une pratique et une procédure pour les demandes de licence d’exportation de billes. Elle allègue que la politique ne contredit aucune disposition de la LLEI ou de la Liste des marchandises d’exportation contrôlée; elle n’empêche pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans un cas particulier; et elle n’impose pas d’exigences obligatoires qui soient exécutoires sous peine de sanctions, faisant en sorte que le ministre adopte des directives qui sont en réalité des règles de droit de facto.

 

[74]           La défenderesse allègue que la preuve montre que la nature de l’industrie forestière de la C.‑B. présente des défis exceptionnels en ce qui a trait à l’administration des contrôles à l’exportation de billes. Le simple volume des demandes d’exportation de billes en C.‑B. illustre la nécessité pour le ministre de faire un examen plus approfondi lorsqu’il doit déterminer si l’exportation a des répercussions sur l’approvisionnement et la distribution de billes au Canada (qui comprend la province de la C.‑B.) conformément à l’alinéa 3e) de la LLEI. En 2005, TimberWest avait 2 317 demandes de permis de coupe à l’égard desquelles le ministre a accordé la permission de présenter une demande de licence d’exportation. Même si TimberWest n’a finalement demandé que 1 318 licences, ce nombre est de loin supérieur au nombre de licences d’exportation de billes délivrées dans d’autres provinces. Selon le témoignage de Mme Korecky, au cours d’une année, 4 000 licences sont délivrées en C.‑B., 70 licences au Québec et 50 ou 60 licences en Ontario. Dans les autres provinces, un nombre encore moins grand de licences a été délivré.

 

[75]           La défenderesse allègue que la nécessité d’un examen approfondi est également évidente dans le régime provincial de réglementation en C.‑B. Cette province limite les expéditions de billes hors de la province en se fondant sur trois critères, dont un critère de l’excédent, l’évaluation des questions économiques générales et le gaspillage. Il n’y a pas de preuve de l’existence d’un tel régime dans une autre province.

 

[76]           La défenderesse allègue que la demanderesse a présenté sa preuve en dehors du contexte de toute décision particulière prise par le ministre. La défenderesse soutient qu’il n’y a pas de preuve que le ministre ait refusé à la demanderesse la possibilité d’exporter ses billes et qu’il n’y a pas de preuve que la partie contestée de l’Avis no 102, plus précisément le processus de recommandation du CCFEB, ait empêché l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans un cas particulier. La preuve indique que, nonobstant les recommandations du CCFEB à l’égard du caractère équitable des offres pour les billes, le ministre a examiné d’autres facteurs pertinents soulevés par ses délégués ou dans des observations reçues de producteurs de billes, et, dans certains cas, le ministre n’a pas suivi la recommandation du CCFEB.

 

[77]           La défenderesse allègue que l’Avis no 102 n’exige pas que le ministre s’appuie sur des facteurs non pertinents ou étrangers à l’objet de la loi décrit dans la LLEI. Le ministre évalue le caractère suffisant de l’approvisionnement et de la distribution de billes au Canada en fonction de la demande de billes exprimée dans les offres d’achat des exportations proposées annoncées dans la liste bimensuelle fédérale. Dans les circonstances exceptionnelles où des offres sont reçues, le ministre demande conseil à un organisme consultatif, le CCFEB. La défenderesse allègue que, même s’il est possible de soutenir que l’Avis no 102 indique que le ministre tient compte de certains facteurs non pertinents, cela ne met pas en péril sa validité (voir l’arrêt Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général) [1994] 2 C.F. 247, à la page 260 (C.A.)).

 

III. Compétence fédérale en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867

 

[78]           La défenderesse allègue que toute revendication constitutionnelle ou de répartition des compétences doit être faite en rapport avec un texte réglementaire, non une politique. Elle soutient que la preuve n’appuie pas la qualification donnée par Timber West à l’Avis no 102 selon laquelle il crée un « régime de réglementation » ou un « régime de commercialisation » pour l’industrie forestière de la C.‑B.

 

[79]           La défenderesse allègue que, dans la mesure où la procédure prévue dans l’Avis no 102 favorise les entreprises de traitement des billes au détriment des producteurs de billes, il s’agit d’un effet prévisible de l’application de l’alinéa 3e) de la LLEI. Elle allègue qu’assurer un approvisionnement et une distribution de billes en quantité suffisante au Canada favorise naturellement les entreprises de traitement des billes provinciales et que cet effet ne rend pas l’Avis no 102 inconstitutionnel. La défenderesse soutient que le gouvernement fédéral n’a aucunement l’obligation d’assurer que les producteurs de billes maximisent leurs bénéfices.

 

[80]           La défenderesse allègue qu’il n’existe pas d’obstacle constitutionnel pour empêcher le gouvernement fédéral, alors qu’il exerce sa compétence en matière de commerce international, de tenir compte d’une politique provinciale existante et d’harmoniser la politique fédérale sur les exportations avec la politique provinciale. La défenderesse soutient que, dans les cas où le gouvernement fédéral a établi une réglementation pour créer des régimes de commercialisation de concert avec les gouvernements provinciaux, les tribunaux ont maintenu ces régimes, dans l’arrêt Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, [2005] 1 R.C.S. 292, 2005 SCC 20; Allan cOntario (Attorney General) (2005), 76 O.R. (3d) 616 (C. div. Ont.); Chicken Farmers of Ontario cDrost (2005), 258 D.L.R. (4th) 177, 204 O.A.C. 17 (C. div. Ont..).

 

[81]           La défenderesse soutient que la présente affaire constitue un exemple où le gouvernement fédéral légifère dans le cadre de sa compétence constitutionnelle en matière de trafic et de commerce et où l’administration de la LLEI et de ses règlements ont des effets accessoires ou des répercussions sur le marché local ou provincial en C.‑B.

 

[82]           La défenderesse allègue que l’intérêt du gouvernement fédéral à assurer un approvisionnement et une distribution de billes en quantité suffisante au Canada recoupe et complète la politique législative de la province de la C.‑B. L’économie et le développement économique ne relèvent pas du domaine exclusif ni ne sont la responsabilité exclusive de l’un ou l’autre ordre de gouvernement. Sur le plan constitutionnel, rien n’empêche le gouvernement fédéral de poursuivre le même objectif que celui d’un gouvernement provincial ou un objectif similaire, à la condition qu’il agisse exclusivement dans le cadre de sa propre compétence législative.

 

[83]           La défenderesse allègue que l’approche qu’utilise le ministre pour évaluer une demande de licence n’est pas calquée sur le régime de réglementation de la C.‑B. L’Avis no 102 vise l’exportation de toutes les qualités et de toutes les essences de billes, alors que ce n’est pas le cas du régime provincial. Le régime provincial exige de tous les exportateurs de billes relevant de sa compétence qu’ils paient une contribution représentant la perte de la valeur économique pour la province résultant de l’expédition des billes visées hors de la province sans qu’elles soient traitées. Par contraste, le régime fédéral exige de l’exportateur le paiement de droits minimes pour le traitement de sa demande.

 

[84]           La défenderesse soutient de plus que l’Avis no 102 se préoccupe de l’approvisionnement et de la distribution de billes au Canada plutôt que seulement en C.‑B. Bien que les offres d’achat de billes présentées par des acheteurs d’autres provinces que la C.‑B. soient peu nombreuses, s’il en est, il demeure possible que n’importe lequel parmi eux puisse présenter une offre et que le ministre examine cette offre conformément à la politique.

 

[85]           La défenderesse allègue que, en raison du caractère exceptionnel de l’industrie forestière de la C.‑B. (elle intervient pour la majorité des exportations canadiennes de billes en ce qui a trait au volume et au nombre de demandes de licence), il est important que le ministre reçoive et tienne compte des conseils de personnes qui connaissent mieux les marchés de la C.‑B. avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire. La défenderesse soutient que le ministre peut obtenir des conseils de l’extérieur, pourvu que la consultation n’entrave pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ni ne porte atteinte à son obligation d’équité. Le fait que le ministre des Forêts de la C.‑B. fournit un soutien administratif au comité, que la plupart des membres du CCFEB sont nommés par le gouvernement provincial et que ce dernier leur verse des honoraires modestes et que le CCFEB ne sépare pas de façon rigide ses activités à titre d’organisme fédéral de celles entreprises à titre de membre d’un organisme provincial n’a pas de pertinence au regard des questions constitutionnelles ou de droit administratif en l’espèce. La défenderesse soutient que ce qui importe est que le ministre se préoccupe de la question de l’approvisionnement et de la distribution au Canada et que les recommandations du CCFEB ne soient qu’un des facteurs que le ministre examine lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire.

 

Analyse et décision

 

Norme de contrôle

 

[86]           La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Grenier c. Canada, [2006] 2 R.C.F. 287, au paragraphe 62 :

En appel, au moment de rendre sa décision, la Cour fédérale, tout comme le protonotaire, n'avait pas le bénéfice de la décision de notre Cour dans l'affaire Berhad, où, aux paragraphes 65 et 66, il fut décidé que les principes applicables à la révision d'une décision administrative s'appliquent, que la révision de cette décision se fasse par demande de contrôle judiciaire, par appel ou par une procédure indirecte de contestation telle une action en dommages-intérêts. La Cour fédérale eût-elle appliqué les principes du droit administratif que le protonotaire devait appliquer à la décision du directeur et à celle du comité de réexamen des cas d'isolement qu'elle en serait venue à la conclusion que les décisions administratives d'ordonner et de maintenir l'isolement préventif de l'intimé étaient fondées sur une preuve qui, dans les circonstances, ne permettaient [sic] pas de conclure qu'elles étaient déraisonnables.

 

Il faut toutefois se rappeler qu’en l’espèce la question en jeu n’est pas une décision du ministre concernant la question de savoir s’il doit accorder ou non une licence d’exportation de billes. La demanderesse conteste la validité de la politique établie par le ministre.

 

[87]           Dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. cCanada, [1982] 2 R.C.S. 2, la Cour suprême du Canada a maintenu la décision de la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel fédérale avait déclaré ce qui suit aux pages 513 et 514 (voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1981] 1 C.F. 500 (C.A.) :

Même dans l'hypothèse où c'est là la bonne interprétation de la portée des lignes directrices -- soit que la licence sera normalement délivrée si l'Office ne peut trouver de source d'approvisionnement du produit spécifique pour lequel le requérant demande une licence -- cela ne suffit pas, à mon avis, pour invalider la décision du Ministre en l'espèce au motif qu'elle se fonde sur une considération inappropriée ou étrangère à la question. Conclure autrement mènerait à statuer qu'une fois adoptées, les lignes directrices définissent les seules considérations à prendre en compte pour l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Une telle conclusion serait contraire au principe fondamental selon lequel des lignes directrices, qui ne sont pas des règlements et n'ont pas force de loi, ne peuvent limiter ou assujettir à des conditions un pouvoir discrétionnaire accordé par une loi ni créer un droit à une chose que la loi a établie comme discrétionnaire. Le Ministre est libre d'indiquer le type de considérations qui, de façon générale, le guideront dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne [1978] 2 R.C.S. 141, aux pp. 169 à 171), mais il ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. and Town of Oakville [1965] 1 O.R. 259).

 

[88]           À mon avis, en l’espèce, aucune décision n’a été prise à l’égard de laquelle il est possible d’appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle dictée par la Cour suprême dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick cRyan, [2003] 1 R.C.S. 247.

 

[89]           La question n’est toutefois pas réglée définitivement puisque la Cour d’appel fédérale a statué dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd., précité, que les lignes directrices ministérielles ne sont pas des règlements et n’ont pas force de loi. De même, les Cours ont dit que l’élaboration d’une ligne directrice est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure stratégique ou législative. Cela a été énoncé dans l’arrêt Carpenter Fishing Corp. cCanada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.), au paragraphe 28 :

La mise en œuvre d'une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d'un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d'un permis ne sont pas des règlements; elles n'ont pas force de loi non plus. Il découle de la décision Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada de la Cour suprême du Canada et de la décision Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général) de cette Cour que le ministre est libre d'indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en ce qui a trait aux trois exceptions mentionnées dans l'arrêt Maple Lodge Farms, à savoir la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle dont l'application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi.

 

Cela est la norme de contrôle qui devrait être appliquée à l’examen de l’Avis no 102.

 

[90]           Dans sa plaidoirie, la demanderesse a invoqué deux arguments à l’encontre de la validité de l’Avis no 102. Le premier est un argument de droit administratif selon lequel l’Avis no 102 n’était pas autorisé par sa loi habilitante (la LLEI). Selon le deuxième argument, l’Avis no 102 était inconstitutionnel parce qu’il ne relevait pas de la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais relevait de la compétence provinciale soit en vertu du paragraphe 92(13), la propriété et les droits civils, soit en vertu du paragraphe 92(16), les matières d’une nature purement locale ou privée (Loi constitutionnelle de 1867).

 

L’Avis no 102 est-il autorisé par la Loi sur les licences d’exportation et d’importation?

 

[91]           Il faut souligner d’emblée que la demanderesse ne conteste pas la validité des articles 3, 5 ou 7 de la LLEI, ni une décision prise conformément à l’article 7 de la LLEI. La demanderesse attaque la validité de l’Avis no 102 comme n’étant pas autorisé en vertu de la LLEI. Selon le principal fondement de la contestation, les mots « other needs » dans la version anglaise de l’alinéa 3e) de la LLEI doivent désigner des besoins canadiens par opposition à des besoins provinciaux.

 

[92]           La défenderesse alléguait que la validité d’un énoncé de politique peut uniquement être attaquée lorsqu’une décision est prise par suite de l’application de la politique. Cette prétention semble être fondée lorsqu’on se reporte à la jurisprudence existante. Dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd., précité, la Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit aux pages 6 à 8 :

Il est donc manifeste, à mon avis, que l'art. 8 de la Loi accorde un pouvoir discrétionnaire au Ministre. Le fait que le Ministre ait employé dans ses lignes directrices contenues dans l'avis aux importateurs les mots : « Si le produit canadien n'est pas offert au prix du marché, une licence est émise ... » n'entrave pas l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. C'est la Loi qui accorde le pouvoir discrétionnaire et la formulation et l'adoption de lignes directrices générales ne peut le restreindre. Il n'y a rien d'illégal ou d'anormal à ce que le Ministre chargé d'appliquer le plan général établi par la Loi et les règlements formule et publie des conditions générales de délivrance de licences d'importation. Il est utile que les demandeurs de licences connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le Ministre entend suivre. Donner aux lignes directrices la portée que l'appelante allègue qu'elles ont équivaudrait à attribuer un caractère législatif aux directives ministérielles et entraverait l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Le judge [sic] Le Dain a analysé cette question et dit, à la p. 513 :

 

Le Ministre est libre d'indiquer le type de considérations qui, de façon générale, le guideront dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, aux pp. 169 à 171), mais il ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. and Town of Oakville [1965] 1 O.R. 259).

 

De toute façon, les termes employés dans l'art. 8 n'entravent pas nécessairement l'exercice du pouvoir discrétionnaire. L'expression « une licence est émise » n'est absolument pas équivalente à « une licence est nécessairement émise ». Ces termes n'imposent pas de condition à la délivrance d'une licence.

 

En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l'espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. A mon avis, lorsqu'elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c'est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l'intention du législateur appliquée à l'arrangement administratif en cause. C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. [. . .]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[93]           Dans l’arrêt Little Sister’s Book and Art Emporium cCanada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, la Cour suprême a énoncé ce qui suit à la page 1173 :

Le juge de première instance a estimé que l’omission des Douanes de rendre le Mémorandum D9‑1‑1 conforme à l’avis du ministère de la Justice sur la définition de l’obscénité avait porté atteinte aux droits garantis aux appelants par la Charte. Toutefois, je souscris à l’opinion de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique que le juge de première instance a accordé trop d’importance au Mémorandum, qui n’était rien de plus qu’un outil administratif interne à l’intention des inspecteurs des douanes. Il n’avait pas force de loi. Il n’aurait jamais pu être invoqué en cour par les Douanes pour défendre une prohibition contestée. L’omission des Douanes de tenir ce document à jour constitue un exemple de gestion publique déplorable, car l’utilisation du guide lacunaire a entraîné des décisions erronées, qui ont imposé des démarches administratives et des dépenses inutiles tant aux importateurs qu’aux agents des douanes. Dans le cas où l’importateur n’avait pas les moyens de soumettre le différend aux tribunaux, le Mémorandum D9‑1‑1 lacunaire peut avoir directement contribué à la privation de droits constitutionnels. C’est toutefois la décision législative, et non le guide, qui a constitué la privation. Il est tout simplement impossible aux tribunaux de contrôler la conformité à la Charte de la multitude de guides et manuels internes préparés par la fonction publique pour assister les fonctionnaires dans leur travail. Les tribunaux s’attachent à la légalité des décisions et non à la qualité des guides, bien que le sort de l’un ne soit évidemment pas indépendant du sort de l’autre.

 

[94]           La Cour suprême semble indiquer que les tribunaux examineront les décisions et non les lignes directrices elles-mêmes. Cependant, puisque la demanderesse sollicite un jugement déclarant que l’Avis no 102 n’est pas autorisé par la LLEI, j’examinerai cet argument.

 

[95]           La demanderesse a fait valoir que l’interprétation des mots « other needs » dans la version anglaise de l’alinéa 3e) de la LLEI doit désigner d’autres besoins « canadiens » ou. en d’autres termes. des besoins de nature fédérale et non des besoins provinciaux. La demanderesse a fondé cette prétention sur une comparaison des versions française et anglaise de l’article.

 

[96]           Les principes d’interprétation d’une loi bilingue applicables lorsqu’il y a divergence entre les deux versions d’une même disposition ont été énoncés par le juge Bastarache, dans l’arrêt R. cDaoust, [2004] 1 R.C.S. 217, en commençant au paragraphe 26 :

(1) Les principes d’interprétation d’une loi bilingue

 

26.       Cette Cour a discuté à plusieurs reprises de l’interprétation d’une loi bilingue lorsqu’il y a divergence entre les deux versions d’un même texte. Par exemple, dans l’affaire Schreiber c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 269, 2002 CSC 62, le juge LeBel rappelait, au par. 56 :

 

Selon un principe d’interprétation des lois bilingues, lorsqu’une version est ambiguë tandis que l’autre est claire et sans équivoque, il faut privilégier a priori le sens commun aux deux versions : voir Côté, op. cit., p. 413-414; et Tupper c. The Queen, [1967] R.C.S. 589. De plus, lorsqu’une des deux versions possède un sens plus large que l’autre, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité : voir Côté, op. cit., p. 414; R. c. Dubois, [1935] R.C.S. 378; Maurice Pollack Ltée c  Comité paritaire du commerce de détail à Québec, [1946] R.C.S. 343; Pfizer Co. c. Sous‑ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise, [1977] 1 R.C.S. 456, p. 464‑465; et Gravel c. Cité de St‑Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 669.

 

Également, dans R. c. Mac, [2002] 1 R.C.S. 856, 2002 CSC 24, j’énonçais, au par. 5, ce qui suit :

 

Le Code criminel est une loi bilingue dont les versions anglaise et française font pareillement autorité. Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 413‑414, Pierre‑André Côté rappelle que, pour interpréter une loi bilingue, il faut en premier lieu rechercher le sens qui est commun aux deux versions.

 

Je souligne de nouveau la démarche en deux étapes proposée par le professeur Côté dans son ouvrage Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 410, servant à résoudre les antinomies découlant de divergences entre les deux versions d’un texte législatif :

 

. . . sauf disposition légale contraire, toute divergence entre les deux versions officielles d’un texte législatif est résolue en dégageant, si c’est possible, le sens qui est commun aux deux versions. Si cela n’est pas possible, ou si le sens commun ainsi dégagé paraît contraire à l’intention du législateur révélée par recours aux règles ordinaires d’interprétation, on doit entendre le texte dans le sens qu’indiquent ces règles.

 

27.       Il y a donc une démarche précise à suivre pour l’interprétation des lois bilingues.  La première étape consiste à déterminer s’il y a antinomie. Si les deux versions sont absolument et irréductiblement inconciliables, il faut alors s’en remettre aux autres principes d’interprétation : voir Côté, op. cit., p. 413. Rappelons qu’il faut alors favoriser une interprétation téléologique et contextuelle : voir, par exemple, Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 27; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33.

 

28.       Il faut vérifier s’il y a ambiguïté, c’est-à-dire si une ou les deux versions de la loi sont « raisonnablement susceptible[s] de donner lieu à plus d’une interprétation » : Bell ExpressVu, précité, par. 29. S’il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l’autre, il faut tenter de concilier les deux versions, c’est-à-dire chercher le sens qui est commun aux deux versions : Côté, op. cit., p. 413. Le sens commun favorisera la version qui n’est pas ambiguë, la version qui est claire : Côté, op. cit., p. 413-414; voir Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada c. T  Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614; Kwiatkowsky c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 2 R.C.S. 856, p. 863.

 

29.       Si aucune des deux versions n’est ambiguë, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive : Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 669; Pfizer Co. c. Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise, [1977] 1 R.C.S. 456, p. 464‑465. Le professeur Côté illustre ce point comme suit, à la p. 414 :

 

Dans un troisième type de situation, l’une des deux versions a un sens plus large que l’autre, elle renvoie à un concept d’une plus grande extension. Le sens commun aux deux versions est alors celui du texte ayant le sens le plus restreint.

 

30.       La deuxième étape consiste à vérifier si le sens commun ou dominant est conforme à l’intention législative suivant les règles ordinaires d’interprétation : Côté, op. cit., p. 415‑416. Sont pertinents à cette étape les propos du juge Lamer dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1071 :

 

Il faut donc, dans un premier temps, tenter de concilier ces deux versions. Pour ce faire il faut tenter de dégager des textes le sens qui est commun aux deux versions et vérifier si celui‑ci semble conciliable avec l’objet et l’économie générale du Code.

 

31.       Rappelons finalement que certains principes d’interprétation sont seulement applicables en cas d’ambiguïté d’un texte législatif. Comme le précisait le juge Iacobucci dans l’affaire Bell ExpressVu, précitée, par. 28 : « D’autres principes d’interprétation — telles l’interprétation stricte des lois pénales et la présomption de respect des “valeurs de la Charte” — ne s’appliquent que si le sens d’une disposition est ambigu. »

 

Avant d’utiliser cette approche, il est tout d’abord nécessaire d’identifier une divergence entre les deux versions de la loi. À mon avis, il n’y a pas de divergence dans la présente affaire. Les versions anglaise et française renvoient toutes deux à des besoins canadiens. La version anglaise renvoie à « in Canada for defence and other needs », alors que la version française renvoie à des « besoins canadiens », ou des « Canadian needs » lorsque ces mots sont traduits. Dans les deux cas, il s’agit de besoins au Canada. Il n’y a aucune mention de besoins de nature fédérale.

 

[97]           Même si dans K. F. Evans Ltd. cCanada (Ministre des Affaires étrangères) (1996), [1997] 1 C.F. 405 (1re inst.), la juge Reed a dit, dans une opinion incidente, que les mots « besoins canadiens » désignaient des besoins de nature nationale ou fédérale, elle a semblé fonder cette conclusion sur la règle d’interprétation ejusdem generis. Dans l’arrêt Teal Cedar Products (1977) Ltd. cCanada, [1989], 2 C.F. 158 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a énoncé ce qui suit aux pages 167 et 168 :

En ce qui a trait à la question de savoir si l'adoption du décret en conseil était autorisée par l'alinéa c) de la Loi, le juge de première instance, en plus de conclure que le gouverneur en conseil avait peut‑être agi sur le fondement d'informations trompeuses, a exprimé le point de vue que le gouverneur en conseil avait pu interpréter erronément cet alinéa de la Loi et, en conséquence, omettre de former l'opinion requise. Le juge a en effet exprimé l'opinion que le mot « autres » de cet alinéa devait s'interpréter selon la règle « ejusdem generis » comme ne visant que les besoins relatifs à la défense. Comme nous ne nous trouvons pas en état de guerre, et comme le cèdre rouge n'est clairement pas nécessaire à la défense de notre pays, il s'ensuivrait, si je comprends bien les motifs du juge de première instance, que le gouverneur en conseil a agi en se fondant sur une interprétation erronée de la Loi en plus d'agir sur le fondement d'informations trompeuses.

 

Je puis dire immédiatement que cette interprétation de l'alinéa 3c) de la Loi me semble fautive. Les termes « other needs » de la version anglaise de cet alinéa [« autres » ou « notamment » dans la version française] signifient clairement ce qu'ils disent, c'est-à-dire qu'ils désignent des besoins autres que les besoins relatifs à la défense. Je ne vois aucun motif de restreindre la signification ordinaire de ces termes de la manière suggérée. Je suis donc d'avis que l'on ne peut sérieusement soutenir que le gouverneur en conseil, en prenant le décret en conseil visé en l'espèce, a agi en se fondant sur une interprétation erronée de la Loi.

 

 

[98]           Le juge Pitfield a tiré la même conclusion dans la décision K. F. Evans Ltd. cCanada (Attorney General), 2002 BCSC 1709 (C.S.C.‑B.). Le juge Pitfield s’est exprimé comme suit aux paragraphes 37 et 38 :

[traduction] 37.  Il n’était pas nécessaire d’interpréter l’expression « defence or other needs » dans la version anglaise afin d’obliger le ministre à examiner à nouveau la demande de Evans. Tout en indiquant son penchant par rapport à la signification de l’expression, la juge Reed a pris soin de dire qu’elle n’avait pas à trancher sur ce point. Il s’ensuit que je ne suis pas contraint par la décision de la Cour fédérale, première instance, à propos de la signification de l’expression. En toute déférence, je suis d’avis que l’expression ne devrait pas recevoir la signification étroite proposée par la juge Reed.

 

38.       À mon avis, dans la version anglaise, l’emploi du mot « defence » avec les mots « other needs » ne prête pas facilement à l’application de la règle d’interprétation ejusdem generis. Le juge LaForest a décrit la règle d’interprétation dans l’arrêt Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris (1990), 74 D.L.R. (4th) 197 (C.S.C.) à la page 203 :

 

Quel que soit le document particulier qui est interprété, lorsque l'on trouve une clause qui énonce une liste de termes précis suivie d'un terme général, il conviendra normalement de limiter le terme général au genre de l'énumération restreinte qui le précède.

 

Le juge Pitfield a également énoncé ce qui suit aux paragraphes 41 à 50 :

[traduction] 41.  Le mot « defence » est employé seul. Il ne fait pas partie d’une liste. Il n’est pas décrit comme étant de nature fédérale ou nationale, même si c’est le cas. À mon avis, il n’y a pas lieu de s’appuyer sur la doctrine ejusdem generis pour dire que l’expression « other needs » peut uniquement désigner les besoins qui possèdent un attribut d’un mot unique et par conséquent doit désigner des besoins de nature fédérale ou nationale. La signification de l’expression « other needs » n’est aucunement limitée par sa juxtaposition disjonctive au mot « defence ». Si le législateur avait voulu qu’un besoin soit de nature fédérale ou nationale, il aurait pu aisément le dire.

 

42.       De plus, rien dans le texte de l’article 3 n’indique qu’on a élaboré la Liste des marchandises d’exportation contrôlée pour appuyer les questions de nature fédérale ou nationale sans tenir compte des besoins provinciaux.

 

43.       L’alinéa 3a) vise un sujet d’intérêt fédéral, savoir les armes, les munitions, le matériel et les armements de guerre. Le paragraphe b) vise les mesures prises pour favoriser la transformation au Canada d’une ressource naturelle d’origine canadienne. Cette phrase englobe les besoins ou les fins provinciales.

 

44.       L’alinéa 3c) porte sur les exportations de matières premières ou transformées d’origine canadienne, en période de surproduction et de chute des cours. Rien n’indique qu’un besoin fédéral ou national, par opposition à un besoin provincial, est primordial dans ce contexte.

 

45.       L’alinéa 3c.1) visait l’appui ou l’exécution de la Loi sur le droit à l’exportation des produits du bois d’œuvre. Même s’il s’agit d’une loi fédérale qui se préoccupe de commerce international, elle n’existe pas à des fins fédérales ou nationales, mais dans le but de parer aux lacunes dans les politiques provinciales.

 

46.       L’alinéa 3d) porte sur l’ajout d’articles à la Liste des marchandises d’exportation contrôlée aux fins de la mise en œuvre d’un accord ou d’un engagement intergouvernemental. En vertu de leur nature même, ces accords doivent tenir compte des sujets de nature fédérale ou nationale ainsi que de ceux de nature provinciale.

 

47.       En toute déférence, rien dans l’alinéa 3e) n’incite à ajouter un article à la Liste des marchandises d’exportation contrôlée, ni à limiter l’exercice du pouvoir discrétionnaire, en fonction de sujets d’importance nationale ou fédérale par opposition à des sujets d’importance provinciale.

 

48.       Il appartient au ministre de décider s’il est nécessaire ou non de limiter les exportations d’un article afin d’assurer un approvisionnement et une distribution de cet article en quantité suffisante au Canada. Pourvu que l’approvisionnement et la distribution en quantité suffisante soient les fondements de la préoccupation, la cause de la préoccupation, qu’elle soit de nature provinciale, nationale ou fédérale, n’a aucune importance. En bref, dans la version anglaise, la restriction des mots « other needs » à un besoin de nature nationale ou fédérale aurait pour effet de modifier la loi.

 

49.       À mon avis, l’allégation d’abus dans l’exercice d’une charge publique ne doit pas être accueillie. Les mots « other needs » ayant une portée suffisamment large pour englober une préoccupation provinciale quant à l’approvisionnement et à la distribution d’un article, le ministre n’a pas agi illégalement en tenant compte de ce besoin. On ne peut pas reprocher au ministre d’avoir agi avec une malice dirigée contre Evans, pas plus qu’on ne peut lui reprocher d’avoir fait preuve d’insouciance en agissant comme il l’a fait, compte tenu de la nature du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré. Un élément essentiel du délit n’a pas été prouvé selon la prépondérance des probabilités.

 

50.       Si une opinion contraire devait prévaloir en ce qui a trait à l’interprétation de l’alinéa 3e) de manière à ne pas englober les besoins provinciaux, rien n’aurait empêché le ministre de recourir à l’alinéa 3b) dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Un besoin provincial est pertinent dans ce contexte. Dans ces conditions, on ne peut dire que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire avec malice ou sans se soucier de la nature et de l’étendue de son pouvoir discrétionnaire.

 

 

[99]           J’adopterais le raisonnement du juge Pitfield dans la présente affaire.

 

[100]       En conclusion, je suis d’avis que l’Avis no 102 est autorisé par la LLEI.

 

Le régime de l’Avis no 102 est-il constitutionnel en vertu du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 (trafic et commerce) ou inconstitutionnel parce qu’il a été établi en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 (propriété et droits civils) ou en vertu du paragraphe 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867 (matières d’une nature purement locale ou privée?

 

[101]       La défenderesse alléguait qu’un argument constitutionnel ne s’applique pas aux documents stratégiques tels que l’Avis no 102 et a cité l’arrêt Little Sister’s Book and Art Emporium de la Cour suprême du Canada, précité. Par souci de commodité, je reproduis le paragraphe 85 :

Le juge de première instance a estimé que l’omission des Douanes de rendre le Mémorandum D9‑1‑1 conforme à l’avis du ministère de la Justice sur la définition de l’obscénité avait porté atteinte aux droits garantis aux appelants par la Charte. Toutefois, je souscris à l’opinion de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique que le juge de première instance a accordé trop d’importance au Mémorandum, qui n’était rien de plus qu’un outil administratif interne à l’intention des inspecteurs des douanes. Il n’avait pas force de loi. Il n’aurait jamais pu être invoqué en cour par les Douanes pour défendre une prohibition contestée. L’omission des Douanes de tenir ce document à jour constitue un exemple de gestion publique déplorable, car l’utilisation du guide lacunaire a entraîné des décisions erronées, qui ont imposé des démarches administratives et des dépenses inutiles tant aux importateurs qu’aux agents des douanes. Dans le cas où l’importateur n’avait pas les moyens de soumettre le différend aux tribunaux, le Mémorandum D9‑1‑1 lacunaire peut avoir directement contribué à la privation de droits constitutionnels. C’est toutefois la décision législative, et non le guide, qui a constitué la privation. Il est tout simplement impossible aux tribunaux de contrôler la conformité à la Charte de la multitude de guides et manuels internes préparés par la fonction publique pour assister les fonctionnaires dans leur travail. Les tribunaux s’attachent à la légalité des décisions et non à la qualité des guides, bien que le sort de l’un ne soit évidemment pas indépendant du sort de l’autre.

 

 

[102]       Dans notre système constitutionnel, les lois sont considérées inconstitutionnelles pour une raison ou une autre, non les politiques. La demanderesse n’a pas attaqué les dispositions législatives portant sur la délivrance des licences d’exportation.

 

[103]       Dans l’éventualité où j’aurais tiré des conclusions erronées, je vais maintenant trancher la question de savoir si l’Avis no 102 est valide en vertu du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. La demanderesse a allégué que l’Avis no 102 est essentiellement une tentative du gouvernement fédéral de légiférer dans la sphère de compétence provinciale. Je tiens à rappeler que l’Avis no 102 n’est pas une loi. Il s’agit d’une politique établie par le ministre. La demanderesse a soutenu qu’il est nécessaire d’effectuer une analyse du caractère véritable pour décider si la politique est constitutionnelle en vertu du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[104]       Dans l’arrêt Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, [2005] 1 R.C.S. 292, la Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit au paragraphe 20 :

 

20.       Le juge LeBel a récemment examiné la méthode d’analyse à adopter, dans l’arrêt Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture) [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31, par. 53‑54, lequel porte sur des dispositions de la Heritage Conservation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 187 :

 

L’analyse du caractère véritable porte à la fois (1) sur l’objet de la législation et (2) sur ses effets. Premièrement, pour déterminer l’objet de la législation, la Cour peut examiner tant la preuve intrinsèque, telles les dispositions énonçant les objectifs généraux, que la preuve extrinsèque, tels le Hansard ou les comptes rendus des comités parlementaires.

 

Deuxièmement, dans son analyse de l’effet de la législation, la Cour peut examiner à la fois son effet juridique et son effet pratique. Autrement dit, elle examine tout d’abord les effets directs des dispositions de la loi elle‑même, puis les effets « secondaires » de son application : voir R. c. Morgentaler, [1993]  3 R.C.S. 463, p. 482‑483. Le juge Iacobucci donne quelques exemples de cette démarche dans Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, par. 23 :

 

Les effets de la mesure législative peuvent également être pertinents pour déterminer si elle est valide, dans la mesure où ils en révèlent le caractère véritable. Par exemple, dans l’arrêt Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, la Cour a invalidé un règlement municipal qui interdisait la distribution de tracts, pour le motif qu’il avait été appliqué de façon à supprimer les opinions religieuses des Témoins de Jéhovah. De même, dans Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, [1939] A.C. 117, le Conseil privé a invalidé une loi qui imposait une taxe aux banques, pour le motif que les effets de cette taxe étaient si graves que l’objet véritable de la loi ne pouvait qu’être lié aux opérations bancaires et non à la taxation. Cependant, de simples effets accessoires ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires. [Je souligne.]

 

(Voir aussi P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, § 15.5(d))

 

[105]       La demanderesse a allégué qu’en émettant l’Avis no 102 le gouvernement fédéral tentait de réglementer l’industrie forestière en Colombie-Britannique. La demanderesse a indiqué que l’Avis no 102 créait dans les faits un régime réglementaire pour l’industrie forestière de la Colombie-Britannique.

 

[106]       L’article 7 de la LLEI traite de la nécessité d’obtenir une licence afin d’exporter des billes du Canada et de la délivrance de ces licences. Il ne vise pas l’expédition de billes d’une province vers une autre. La procédure que doivent suivre les producteurs de billes de la C.‑B. est résumée ci‑dessus aux paragraphes 13 à 19 de la décision.

 

[107]       Thomas Jones, directeur adjoint, Technologie, Direction des contrôles à l’exportation du MAECI, a dit ceci dans son témoignage au procès :

[traduction] Q.   Penchons-nous un moment sur les décisions ministérielles faisant suite aux recommandations du Comité consultatif fédéral des exportations de bois. Pendant la période où l’Avis aux exportateurs no 102 était en vigueur, le ministre a-t-il déjà rejeté la recommandation du Comité consultatif fédéral des exportations de bois?

 

R.         Oui.

 

Q.        Et le ministre a-t-il déjà rejeté la recommandation du Comité consultatif fédéral des exportations de bois concernant les billes de TimberWest?

 

R.         Oui.

 

Q.        Pouvez-vous nous décrire les circonstances dans lesquelles cela s’est produit, selon ce dont vous sous souvenez?

 

R.         Je crois que c’était en 1998. J’ai reçu une lettre de TimberWest ---

 

            J’avais reçu quelques lettres au fil des ans.

           

            Je crois qu’elle provenait de John Kelvin – j’ai mentionné son nom plus tôt – qui soulignait différents facteurs dont nous devrions tenir compte.

 

            Je ne peux me souvenir des facteurs de façon précise, mais je sais que nous avons consulté le ministre.

 

            Dès l’entrée en vigueur de la nouvelle politique, nous devons tout d’abord obtenir une idée de la position du ministre.

 

            Même s’il établit la politique et que nous l’administrons, nous voulons nous assurer que nous l’administrons de la manière qu’il a prévue.

 

            Alors, pendant la première année ou la première année et demie, nous allions voir le ministre pour le consulter sur la question de savoir si nous devions écarter une recommandation du CCFEB ou l’accepter.

 

            Alors . . .

           

            Mon dieu, vous mettez ma mémoire à l’épreuve.

 

            Je sais que TimberWest en faisait partie.

 

            Je crois qu’il y avait également une autre compagnie.

 

            Nous n’allions pas le voir avec seulement un cas; nous allions le voir avec deux ou trois cas similaires.

 

            Et si ma mémoire est bonne, à cette occasion, à l’occasion précédente ---

 

            Au moins dans l’un des cas précédents, il s’agissait d’un cas de discrimination, si vous voulez, un cas où une compagnie faisait une offre sur les billes de TimberWest ou de Merrill & Ring; mais pour les billes ici, qui étaient similaires du point de vue de la qualité, de l’essence, les compagnies ne faisaient pas d’offres du tout.

 

            Alors, l’argument invoqué était le suivant : « C’est injuste. Si ces billes ne sont pas excédentaires, les billes fédérales, celles des terres  fédérales, celles-là ne devraient pas être excédentaires. Mais si celles-là sont excédentaires, alors celles-là devraient être excédentaires . . . »

 

            Et c’était l’argument mis au point et présenté au ministre pour lui expliquer la situation : « Compte tenu des renseignements que nous possédons, devrions-nous accepter la recommandation du CCFEB ou non? Et si nous ne l’acceptons pas, êtes-vous d’accord avec la délivrance d’une licence fédérale? »

 

            Et dans ce cas, selon mon souvenir, voilà exactement ce qui s’est produit : une licence fédérale a été délivrée.

 

M. Jones était membre du CCFEB à titre de représentant du gouvernement fédéral.

 

[108]       La preuve a également démontré que l’objet de l’Avis no 102 consistait à obtenir des renseignements et à présenter par la suite une recommandation au ministre quant à la délivrance d’une licence à l’exportation.

 

[109]       La demanderesse a allégué que l’Avis no 102 reprenait le régime provincial. Je ne suis pas d’accord. L’Avis no 102 vise l’exportation de toutes les qualités et essences de billes de Colombie‑Britannique, alors que le régime provincial interdit l’expédition des billes de qualité supérieure hors de Colombie‑Britannique. L’Avis no 102 n’interdit pas l’expédition de billes de la Colombie‑Britannique vers d’autres provinces, tandis que le régime provincial l’interdit. Les droits et les prélèvements en vertu de l’Avis no 102 et du régime provincial sont différents. Je note aussi que le conseil du CCFEB compte un membre supplémentaire qui est le représentant désigné par le gouvernement fédéral au CCFEB.

 

[110]       Dans l’arrêt K. F. Evans  Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) (1998), 223 N.R. 212, (C.A.F.), le juge Strayer a énoncé ce qui suit au paragraphe 13 :

[. . .] Dans l'arrêt Teal Cedar Products, la Cour a déjà statué que cet alinéa pouvait être invoqué pour appuyer le contrôle des exportations de courtes planchettes de cèdre de la Colombie-Britannique afin de favoriser leur transformation dans la province pour en faire du bardeau ordinaire et du bardeau de fente. Il semble clair que si le ministre exerçait son pouvoir discrétionnaire pour décider s'il devait refuser une licence d'exportation pour des grumes figurant dans une liste établie en vertu de l'alinéa 3b), il pouvait demander l'avis d'un organisme tel que le CCEBG, sans toutefois avoir besoin de son approbation.

 

 

À mon avis, ce raisonnement s’applique encore plus maintenant que le CCFEB existe.

 

[111]       Il est raisonnable que le ministre demande des conseils concernant l’approvisionnement et la distribution de billes en Colombie-Britannique lorsqu’il évalue l’approvisionnement et la distribution de billes au Canada.

 

[112]       En examinant à la fois l’objet de l’Avis no 102 et son effet, je suis d’avis qu’il est essentiellement de nature fédérale et est autorisé en vertu du paragraphe 91(2) (trafic et commerce) de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[113]       Le fait que l’Avis no 102 puisse avoir des effets accessoires sur l’industrie forestière de la Colombie-Britannique ne le rend pas autrement inconstitutionnel.

 

[114]       L’analyse qui précède a été effectuée selon l’hypothèse qu’il était possible d’examiner la constitutionnalité d’une politique.

 

[115]       Je suis d’avis que la demande de la demanderesse ne peut être accueillie. La demande de réparation de la demanderesse est donc rejetée.

 

[116]       Les demandes de la demanderesse sont rejetées.

 

[117]       La défenderesse aura droit à ses dépens dans l’action.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

            1.         Les demandes de la demanderesse sont rejetées.

            2.         La défenderesse aura droit à ses dépens dans l’action.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE

 

 

Législation pertinente

 

 

            Les dispositions pertinentes de chaque loi sont énoncées ci-dessous.

 

La Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E‑19 :

 

 

3. Le gouverneur en conseil peut dresser la liste des marchandises d’exportation contrôlée comprenant les articles dont, à son avis, il est nécessaire de contrôler l’exportation pour l’une des fins suivantes :

 

3. The Governor in Council may establish a list of goods, to be called an Export Control List, including therein any article the export of which the Governor in Council deems it necessary to control for any of the following purposes:

 

a) s’assurer que des armes, des munitions, du matériel ou des armements de guerre, des approvisionnements navals, des approvisionnements de l’armée ou des approvisionnements de l’aviation, ou des articles jugés susceptibles d’être transformés en l’un de ceux-ci ou de pouvoir servir à leur production ou ayant d’autre part une nature ou valeur stratégiques, ne seront pas rendus disponibles à une destination où leur emploi pourrait être préjudiciable à la sécurité du Canada;

 

(a) to ensure that arms, ammunition, implements or munitions of war, naval, army or air stores or any articles deemed capable of being converted thereinto or made useful in the production thereof or otherwise having a strategic nature or value will not be made available to any destination where their use might be detrimental to the security of Canada;

 

b) s’assurer que les mesures prises pour favoriser la transformation au Canada d’une ressource naturelle d’origine canadienne ne deviennent pas inopérantes du fait de son exportation incontrôlée;

 

(b) to ensure that any action taken to promote the further processing in Canada of a natural resource that is produced in Canada is not rendered ineffective by reason of the unrestricted exportation of that natural resource;

 

c) limiter, en période de surproduction et de chute des cours, les exportations de matières premières ou transformées d’origine canadienne, sauf les produits agricoles, ou en conserver le contrôle;

 

(c) to limit or keep under surveillance the export of any raw or processed material that is produced in Canada in circumstances of surplus supply and depressed prices and that is not a produce of agriculture;

 

c.1) [Abrogé, 1999, ch. 31, art. 88]

 

(c.1) [Repealed, 1999, c. 31, s. 88]

 

d) mettre en oeuvre un accord ou un engagement intergouvernemental;

 

(d) to implement an intergovernmental arrangement or commitment;

 

e) s’assurer d’un approvisionnement et d’une distribution de cet article en quantité suffisante pour répondre aux besoins canadiens, notamment en matière de défense;

 

(e) to ensure that there is an adequate supply and distribution of the article in Canada for defence or other needs; or

 

f) assurer la commercialisation ordonnée à l’exportation de toute marchandise soumise à une limitation de la quantité de marchandise pouvant être importée dans un pays ou un territoire douanier qui, au moment de son importation dans ce pays ou territoire douanier dans une période donnée, est susceptible de bénéficier du régime préférentiel prévu dans le cadre de cette limitation.

 

(f) to ensure the orderly export marketing of any goods that are subject to a limitation imposed by any country or customs territory on the quantity of the goods that, on importation into that country or customs territory in any given period, is eligible for the benefit provided for goods imported within that limitation.

 

7.(1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence autorisant, sous réserve des conditions prévues dans la licence ou les règlements, notamment quant à la quantité, à la qualité, aux personnes et aux endroits visés, l’exportation des marchandises inscrites sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée ou destinées à un pays inscrit sur la liste des pays visés.

 

7.(1) Subject to subsection (2), the Minister may issue to any resident of Canada applying therefor a permit to export goods included in an Export Control List or goods to a country included in an Area Control List, in such quantity and of such quality, by such persons, to such places or persons and subject to such other terms and conditions as are described in the permit or in the regulations.

 

13. Il est interdit d’exporter ou de tenter d’exporter des marchandises figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée, ni des marchandises vers un pays dont le nom paraît sur la liste des pays visés si ce n’est sous l’autorité d’une licence d’exportation délivrée en vertu de la présente loi et conformément à une telle licence.

13. No person shall export or attempt to export any goods included in an Export Control List or any goods to any country included in an Area Control List except under the authority of and in accordance with an export permit issued under this Act.

 

 

 

 

La Liste des marchandises d’exportation contrôlée, D.O.R.S./89-202 :

 

5101. Billes de toutes essences de bois. (Toutes destinations)

5101. Logs of all species of wood. (All destinations)

 

 

La Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157 :

 

[traduction] 127. Sauf dans les cas où il en est exempté en vertu de la présente partie, le bois qui est récolté sur des terres domaniales, sur des terres concédées par la Couronne après le 12 mars 1906 ou sur des terres concédées par la Couronne avant le 12 mars 1906 dans une zone de concession de ferme forestière, ainsi que les déchets de bois produits à partir de ce bois, est :

 

a) soit utilisé dans la province;

 

b) soit transformé en Colombie-Britannique en produits de bois dans la mesure du traitement prévu par règlement.

 

128.(1) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut soustraire à l'application de l'article 127

 

a) toute espèce de bois et tout type de déchets de bois et limiter la quantité d'une espèce de bois ou de type de déchets de bois à laquelle l'exemption s'applique pour une période déterminée ou pour des périodes successives;

 

b) toute quantité d'arbres sur pied ou abattus et toute quantité de déchets de bois, sur réception d'une demande présentée selon la formule prescrite par le ministre.

 

(2) Sur réception d'une demande présentée selon la formule qu'il prescrit, le ministre peut soustraire à l'application de l'article 127 toute quantité d'arbres abattus, jusqu'à concurrence de 15 000 m3 par demande.

 

(3) Une exemption ne doit pas être accordée en vertu du présent article que si le lieutenant-gouverneur en conseil ou le ministre, selon le cas, est convaincu :

 

a) que le bois ou les déchets en provenant dépasseront les besoins des installations de traitement du bois de la Colombie-Britannique;

 

b) que le bois ou les déchets en provenant ne peuvent être traités économiquement dans les environs du terrain où ils ont été abattus ou produits et qu'ils ne peuvent être transportés économiquement vers des installations de traitement situées ailleurs en Colombie‑Britannique;

 

c) que l'exemption empêcherait le gaspillage des arbres abattus sur des terres domaniales ou en améliorerait l'utilisation.

 

 

La Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 :

 

18.(1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

18.(1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

 

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

 

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

(2) Elle a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger : bref d’habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.

 

(2) The Federal Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine every application for a writ of habeas corpus ad subjiciendum, writ of certiorari, writ of prohibition or writ of mandamus in relation to any member of the Canadian Forces serving outside Canada.

 

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

 

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

 

48.(1) Pour entamer une procédure contre la Couronne, il faut déposer au greffe de la Cour fédérale l’original et deux copies de l’acte introductif d’instance, qui peut suivre le modèle établi à l’annexe, et acquitter la somme de deux dollars comme droit correspondant.

 

48.(1) A proceeding against the Crown shall be instituted by filing in the Registry of the Federal Court the original and two copies of a document that may be in the form set out in the schedule and by payment of the sum of $2 as a filing fee.

 

(2) Les deux formalités prévues au paragraphe (1) peuvent s’effectuer par courrier recommandé expédié à l’adresse suivante : Greffe de la Cour fédérale, Ottawa, Canada.

 

 

(2) The original and two copies of the originating document may be filed as required by subsection (1) by being forwarded, together with a remittance for the filing fee, by registered mail addressed to "The Registry, The Federal Court, Ottawa, Canada".

 

 

La Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50 :

 

3. En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour :

 

3. The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

 

a) dans la province de Québec :

 

(a) in the Province of Quebec, in respect of

 

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés,

 

(i) the damage caused by the fault of a servant of the Crown, or

 

(ii) le dommage causé par le fait des biens qu’il a sous sa garde ou dont il est propriétaire ou par sa faute à l’un ou l’autre de ces titres;

 

(ii) the damage resulting from the act of a thing in the custody of or owned by the Crown or by the fault of the Crown as custodian or owner; and

 

b) dans les autres provinces :

 

(b) in any other province, in respect of

 

(i) les délits civils commis par ses préposés,

 

(i) a tort committed by a servant of the Crown, or

 

(ii) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde de biens.

10. L’État ne peut être poursuivi, sur le fondement des sous-alinéas 3a)(i) ou b)(i), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu’il y a lieu en l’occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité contre leur auteur, ses représentants personnels ou sa succession.

 

(ii) a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.

10. No proceedings lie against the Crown by virtue of subparagraph 3(a)(i) or (b)(i) in respect of any act or omission of a servant of the Crown unless the act or omission would, apart from the provisions of this Act, have given rise to a cause of action for liability against that servant or the servant’s personal representative or succession.

 

23.(1) Les poursuites visant l’État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada ou, lorsqu’elles visent un organisme mandataire de l’État, contre cet organisme si la législation fédérale le permet.

 

23.(1) Proceedings against the Crown may be taken in the name of the Attorney General of Canada or, in the case of an agency of the Crown against which proceedings are by an Act of Parliament authorized to be taken in the name of the agency, in the name of that agency.

 

(2) Dans les cas visés au paragraphe (1), la signification à l’État de l’acte introductif d’instance est faite au sous‑procureur général du Canada ou au premier dirigeant de l’organisme concerné, selon le cas.

 

(2) Where proceedings are taken against the Crown, the document originating the proceedings shall be served on the Crown by serving it on the Deputy Attorney General of Canada or the chief executive officer of the agency in whose name the proceedings are taken, as the case may be.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                               T-1390-01

 

 

INTITULÉ :                                             TIMBERWEST FOREST CORP.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATES DE L’AUDIENCE :                   LES 29, 30, 31 MAI, LES 2, 5, 6, 7 JUIN ET

                                                                  LE 11 AOÛT 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE O’KEEFE

 

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 8 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geoff R. Hall

Riyaz Dattu

Orlando E. Silva

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brian R. Evernden

Joanna Hill

Tamara Rogers

 

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE (POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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