Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20070209

Dossier : IMM-1570-06

Référence : 2007 CF 151

Ottawa (Ontario), le 9 février 2007

en présence de madame la juge Dawson

 

entre :

 

GANG LIU

 

 

demandeur

 

et

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT et jugement

 

[1]        M. Gang Liu déclare qu’il est un citoyen de la République populaire de Chine et qu’il est un adepte du Falun Gong. Sa demande d’asile a été entendue et rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que M. Liu n’a pas réussi à établir son identité. La Commission a conclu que même si elle avait accepté l’identité de M. Liu, il n’avait pas réussi à démontrer qu’il avait quitté la Chine parce qu’il craignait d’être persécuté du fait qu’il est un adepte du Falun Gong.

 

[2]        Dans la présente demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la Commission, l’avocate du ministre n’a pas tenté d’alléguer que la conclusion subsidiaire tirée par la Commission justifiait en soi le maintien de la décision de la Commission. Elle a reconnu, en toute honnêteté, que la conclusion subsidiaire tirée par la Commission n’était pas solide. Je suis d’accord avec cette qualification.

 

[3]        L’avocate du ministre a plutôt allégué que la conclusion tirée par la Commission selon laquelle M. Liu n’avait pas établi son identité était déterminante dans la présente demande. Elle a fait ressortir les conclusions qui suivent et que la Commission a expressément tirées quant à l’identité de M. Liu :

 

a)         La Commission a noté que le demandeur avait donné des réponses différentes lorsqu’on lui a demandé comment il avait fait la connaissance de l’intermédiaire qui avait organisé son voyage, (« il a tout d’abord répondu que c’était par l’entremise d’un ami de son frère. Il a ensuite affirmé que c’était par l’intermédiaire de l’ami du frère de son cousin, puis de l’ami d’un camarade d’école, et, enfin, d’un camarade d’école de son cousin »).

 

b)                  Le demandeur a déclaré qu’il n’avait jamais eu le passeport en sa possession, mais il a ensuite déclaré que le passeur lui avait demandé de lui remettre le passeport après le débarquement, à l’aéroport de Toronto. La Commission a conclu que ces déclarations n’étaient pas cohérentes.

 

c)       La Commission a conclu qu’il était invraisemblable que le passeur n’ait pas mis en garde le demandeur de ne pas voyager avec des pièces d’identités à son véritable nom sachant qu’il allait utiliser un faux passeport (portant un nom différent), puisque le passeur, en ayant négligé d’avertir le demandeur, avait risqué d’avoir des problèmes avec les autorités de l’immigration.

 

d)                  La Commission a noté qu’à son arrivée au Canada, le demandeur s’était montré réticent lors de sa première entrevue avec un agent principal d’immigration. Plus précisément, M. Liu  a omis de dire à l’agent qui l’avait aidé pour son voyage au Canada, les voies qu’il avait empruntées pour venir au Canada et les documents qu’il avait utilisés pour faciliter son voyage au Canada. L’agent principal d’immigration a conclu que : [traduction] : « M. Gang Liu n’était pas crédible. Puisqu’il a démontré une aptitude à obtenir et à utiliser des documents d’identité frauduleux, il existe des motifs raisonnables de croire que les documents d’identité qu’il détenait pouvaient également être frauduleux. Lorsqu’on tient compte de son manque de coopération, de son refus de respecter la loi, de ses omissions et que l’on combine tout cela avec tous les autres aspects de son entrée au Canada et si on tient compte des facteurs énoncés aux alinéas 245d), 247(1)a), 247(1)b) et 247(1)c) du Règlement, il existe des motifs raisonnables de croire que M. Gang Liu a omis d’établir son identité et que son identité doit encore être établie ».

 

e)                   Lors de son entrevue au point d’entrée, le demandeur a déclaré qu’il avait déjà été titulaire d’un passeport, que ce passeport était en Chine et qu’il pouvait l’obtenir. Ce passeport n’a pas été présenté en preuve.

 

f)                    La Commission a noté que le hukou du demandeur n’était pas à jour, que l’authenticité de sa carte d’identité de résident était soupçonnée et que des preuves documentaires objectives démontrent qu’il est facile de se procurer des cartes d’identité de résident.

 

[4]        Cependant, n’eût été la question exposée ci‑après, j’aurais témoigné de la déférence à la Commission pour sa conclusion selon laquelle M. Liu n’avait pas établi son identité, pour les motifs donnés par la Commission qui sont tous appuyés par la preuve et dont aucun n’est manifestement déraisonnable.

 

[5]        Toutefois, un examen de la transcription de la procédure à la Commission révèle ce qui suit :

 

1.                  Au début de l’audience, la Commission a émis l’avis suivant :

[traduction] Maintenant, l’identité des demandeurs d’asile constitue également un enjeu dans toutes les demandes à la Commission. En premier lieu, je vais attendre avant de rendre une décision sur votre identité parce que je vous poserai des questions sur vos documents d’identité. En deuxième lieu, je vais demander aux autorités de l’immigration votre carte d’identité de résident, et comme je le dis, nous avons déjà des traductions et je peux vous interroger sur les traductions de ces documents. Mais, je vais obtenir une analyse judiciaire de la carte d’identité de résident, ce que nous avons demandé au début. Vous avez mentionné que vous vouliez que nous commencions et nous allons le faire de façon juste. S’il y a quoique ce soit dans la vérification de la carte d’identité de résident, j’en informerai votre avocate. Il y a une possibilité de continuer l’audience quelle que soit l’évaluation. Votre identité en tant qu’adepte du mouvement Falun Gong devra être prouvée lors de l’audience puisque cette appartenance est au centre de votre demande et que nous n’avons aucun document devant nous qui nous indique que vous êtes membre du Falun Gong.                       [Non souligné dans l’original.]

 

2.                  À la fin du témoignage de M. Liu, la Commission a déclaré ce qui suit :

[traduction] Présidente de l’Audience :         Bien. D’accord. Madame l’avocate avez-vous d’autres observations? Je vais demander une analyse judiciaire de la carte d’identité de résident. Voulez-vous attendre jusqu’à ce que nous recevions les résultats de l’analyse ou voulez-vous faire des observations maintenant et puis ‑ 

 

avocate :   Je peux faire des observations sur tout, sauf sur cela pour le moment et s’il y a quelque chose de plus à ajouter, je peux certainement ---                     [Non souligné dans l’original.]

 

3.         Après que la Commission a entendu les observations de l’avocate, l’audience s’est terminée ainsi :

[traduction] Présidente de l’Audience :        D’accord, Madame l’avocate, comme je l’ai dit, je vais demander l’analyse de la carte d’identité de résident originale. À ce moment‑là, je rendrai ma décision. À ce moment‑là, je vais commencer à examiner toute la preuve et je rendrai une décision. Si c’est nécessaire de revenir et de parler du rapport, je vous en informerai.

 

Donc maintenant, Monsieur, nous allons ajourner l’audience dans l’attente de l’analyse judiciaire de votre carte d’identité de résident. Les observations ont été déposées et le présent tribunal a terminé l’examen de votre dossier. Toutefois, Monsieur, si cela s’avère nécessaire que vous reveniez, je vous en informerai. D’accord?

 [Non souligné dans l’original.]

 

[6]        Ni le dossier du tribunal, ni les motifs de la décision de la Commission n’ont apporté d’éclairage supplémentaire sur la question de savoir si une analyse judiciaire a eu lieu et, s’il n’y en a pas eu, pourquoi la Commission a choisi de rendre sa décision environ neuf mois après sans qu’elle ait reçu les résultats de l’analyse judiciaire qui semblait être si importante pour la Commission lors de l’audience.

 

[7]        Dans ces circonstances très inhabituelles, je suis d’avis que la conclusion tirée par la Commission sur l’identité ne concorde pas, de toute évidence, avec ses motifs. Autrement dit, compte tenu des déclarations de la Commission exposées ci‑dessus, aucune déférence judiciaire ne peut justifier le maintien de la conclusion tirée par la Commission sur l’identité. Par conséquent, cette conclusion est manifestement déraisonnable. Voir l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 au paragraphe 52.

 

[8]        Pour ce motif, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats n’ont formulé aucune question à certifier et je suis d’accord que le présent dossier n’en soulève aucune.

 

JUGEMENT

 

la cour statue que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés du 3 mars 2006 est annulée.

 

2.         L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOssier :                                                IMM-1570-06

 

INTITULÉ :                                               GANG LIU

                                                                    c.

                                                                    le miinistre de la citoyenneté

                                                                    et de l’immigration

 

lieu de l’audience :                        TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 30 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

et jugement :                                     la juge DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                             le 9 février 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard H. Borenstein                                pour le demandeur

 

Aviva Basman                                             pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Leonard H. Borenstein                                 pour le demandeur

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                         pour le défendeur

Sous‑procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.