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Date : 20070209

Dossier : T-844-06

Référence : 2007 CF 155

 

 

 

Ottawa (Ontario), le 9 février  2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE Heneghan

 

ENTRE :

WAI KWONG YU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Introduction

[1]               M. Wai Kwong Yu (le demandeur) interjette appel d’une décision de la juge de la citoyenneté Brenda Brown. Dans sa décision, datée du 17 mars 2006, la juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté canadienne du demandeur au motif qu’il n’avait pas répondu aux exigences de résidence de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

 

II. faits

 

[2]               Le demandeur est né à Hong Kong et est devenu un résident permanent du Canada le 5 novembre 1998. À son arrivée au Canada, il était accompagné de son épouse et de ses deux jeunes fils. Le 3 octobre 2002, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne pour lui-même, ainsi que pour son épouse et ses enfants. La demande de son épouse et de ses enfants a été par la suite séparée de celle du demandeur, et la citoyenneté a été accordée à l’épouse et aux enfants.

 

[3]               La période pertinente aux fins d’évaluation de la demande de citoyenneté du demandeur est la période qui s’étend du 5 novembre 1998 au 3 octobre 2002, une période de 1 428 jours. La juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur avait réellement physiquement résidé au Canada 740 jours de moins que l’exigence de résidence de 1 095 jours prévue par la Loi.

 

[4]               Elle a ensuite entrepris de déterminer si le demandeur avait centralisé son mode d’existence au Canada et a par la suite analysé les six facteurs identifiés dans la décision Koo (Re) (1992), 59 F.T.R. 27, qui portait sur la question de la centralisation de la vie au Canada. La juge de la citoyenneté a analysé chacun des facteurs suivants :

 

i)                    La personne était‑elle physiquement présente au Canada pendant une période prolongée avant sa première absence? La plupart des absences sont‑elles récentes et ont‑elles eu lieu immédiatement avant la demande de citoyenneté?

ii)                   Où résident la famille proche et les personnes à charge du demandeur (ainsi que la famille étendue)?

iii)                 La forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

iv)                 Quelle est l’étendue des absences physiques?

v)                  L’absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire?

vi)                 Quelle est la qualité des attaches du demandeur avec le Canada : sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

[5]               Après avoir examiné la preuve devant elle, y compris certains documents qui lui avaient été présentés par la représentante du demandeur, Mme Bertha Mok de la société de notaires Alexander Ng, la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. Elle a conclu que ses absences du Canada, aux fins de collaboration à l’exploitation de l’entreprise de son père à Hong Kong, constituaient plus qu’une situation temporaire. Elle a également conclu que les attaches du demandeur avec le Canada n’étaient pas plus importantes que celles qu’il avait avec Hong Kong.

 

[6]               Après son appréciation de la preuve, la juge de la citoyenneté a rejeté la demande du demandeur.

 

[7]               Elle a ensuite examiné l’exercice positif du pouvoir discrétionnaire, en vertu des paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi, comme moyen de recommander l’attribution de la citoyenneté au demandeur. La juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur avait omis de présenter quelque élément de preuve que ce soit pour justifier l’exercice positif du pouvoir discrétionnaire à cet égard et a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Après avoir examiné attentivement toutes les circonstances de la situation du demandeur, j’ai décidé qu’il n’existe aucune raison de faire une recommandation favorable à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, puisque rien dans la preuve n’indique l’existence d’une maladie ou d’une situation particulière ou spéciale de détresse, ou la nécessité de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.

 

III. Résumé des arguments

A. Le demandeur

 

[8]               Dans le présent appel, le demandeur soulève deux questions. Premièrement, il allègue que le dossier du tribunal qui était devant la juge de la citoyenneté était incomplet. Il dit qu’il avait présenté deux déclarations assermentées, datées du 12 janvier 2004, au bureau de la Citoyenneté et de l’Immigration à Vancouver. Dans son affidavit, déposé dans le dossier pour le présent appel, le demandeur a déclaré que, à un certain moment auparavant, les deux déclarations assermentées étaient dans le dossier. Ces deux déclarations assermentées ont été faites le 12 janvier 2004, dont une faite par le demandeur et l’autre par son épouse. Le demandeur soutient maintenant que, vu l’absence de ces documents dans le dossier du tribunal, il faut présumer que cet élément de preuve n’a pas été présenté à la juge de la citoyenneté lorsqu’elle a pris sa décision.

 

[9]               Le demandeur allègue que cet élément de preuve est pertinent à l’appréciation de la mesure dans laquelle il avait centralisé sa vie au Canada parce que les déclarations assermentées offrent une explication à propos de ses absences temporaires du Canada et montrent de plus ses liens affectifs solides avec son foyer au Canada.

 

[10]           S’appuyant sur la décision de la Cour dans Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 180, le demandeur soutient que le dossier incomplet donne lieu à un manquement à la justice naturelle. Il allègue que la décision devrait être annulée pour ce seul motif.

 

[11]           Le demandeur prétend ensuite que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en indiquant la mauvaise période de temps pertinente aux fins d’appréciation de la preuve devant elle. Il souligne qu’elle a défini la période pertinente comme étant du 5 novembre 1998 au 3 octobre 2002, soit la période qui commence lorsque le demandeur a acquis le statut de résident permanent au Canada jusqu’au moment où il a demandé la citoyenneté canadienne.

 

[12]           Le demandeur allègue alors que la juge de la citoyenneté a mentionné des faits qui se sont produits en dehors de cette période pertinente. Plus particulièrement, il indique que la juge de la citoyenneté a examiné des faits qui correspondent à la période postérieure à août 2004 jusqu’au moment de sa décision. À cet égard, le demandeur renvoie aux mentions de la juge de la citoyenneté concernant le lieu de résidence actuel de sa famille et des personnes à sa charge, ainsi que le fait qu’il vit actuellement à Hong Kong afin de seconder son père dans l’exploitation de son entreprise.

 

B. Le défendeur

 

[13]           Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) traite de trois questions dans ses arguments. Premièrement, il allègue que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable simpliciter, au motif que le fait de déterminer si une personne a répondu aux exigences de la Loi comporte une question mixte de fait et de droit. À cet égard, le défendeur s’appuie sur Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85, et Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688.

 

[14]           Ensuite, le défendeur allègue que la juge de la citoyenneté n’a violé aucun principe de justice naturelle. Bien qu’il reconnaisse que les deux déclarations assermentées en cause n’ont pas été présentées à la juge de la citoyenneté au moment de sa décision, le décideur disposait des renseignements que contenaient ces déclarations. Le défendeur dit que les deux déclarations assermentées portaient sur les raisons des déplacements du demandeur à l’extérieur du Canada, à savoir la mauvaise santé de ses parents et son obligation de collaborer à l’entreprise familiale à Hong Kong.

 

[15]           Le défendeur soutient que tous ces éléments de preuve étaient devant la juge de la citoyenneté, nonobstant l’absence des deux déclarations assermentées du dossier du tribunal. De plus, le demandeur a comparu devant la juge de la citoyenneté et a eu la possibilité de présenter tous les renseignements nécessaires pour que sa demande de citoyenneté soit accueillie.

 

[16]           Enfin, le défendeur soutient que les prétentions du demandeur au sujet de la présumée mauvaise appréciation de la période pertinente sont sans fondement. Il allègue que, dans sa décision, la juge de la citoyenneté mentionne constamment la période de quatre ans qui précède immédiatement la demande de citoyenneté du demandeur comme étant la période pertinente. Le défendeur prétend que cet argument n’a aucun fondement.

 

IV. ANALYSE ET DÉCISION

 

[17]           J’aborderai tout d’abord la norme de contrôle pertinente. Essentiellement, le mandat d’un juge de la citoyenneté est d’apprécier la preuve présentée à l’appui d’une demande de citoyenneté, à la lumière des exigences prévues par la loi. Je suis d’accord avec les prétentions du défendeur voulant que la norme de contrôle applicable en l’espèce soit la norme de la décision raisonnable simpliciter, puisque la juge de la citoyenneté est tenue d’examiner une question mixte de fait et de droit.

 

[18]           J’examinerai en premier lieu l’argument présenté par le demandeur concernant le prétendu manquement à la justice naturelle découlant de l’absence des deux déclarations assermentées du dossier du tribunal.

 

[19]           Je suis entièrement d’accord avec la prétention du défendeur selon laquelle les renseignements que contenaient ces documents étaient présentés autrement à la juge de la citoyenneté. Le dossier du tribunal contient des documents qui ont été remis au demandeur, lorsqu’il en a fait la demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1. Le dossier du tribunal renvoie à une demande d’accès présentée en avril 2004. Parmi les documents remis à la suite de cette demande se trouve une lettre de Mme Mok, la représentante du demandeur, datée du 12 janvier 2004.

 

[20]           Cette lettre était adressée à Citoyenneté et Immigration Canada, à l’attention de A. Carmichael, agent de citoyenneté, à Vancouver, Colombie-Britannique. Dans sa lettre, Mme Mok mentionne que Citoyenneté et Immigration Canada a demandé qu’on lui présente les relevés des déplacements du demandeur et une copie du passeport du demandeur et de son épouse. En réponse à cette demande, Mme Mok a transmis certains documents, y compris les relevés des déplacements du demandeur et de son épouse ainsi qu’une copie de leur passeport. Elle fait également état, dans sa lettre, d’autres documents dans les termes suivants :

 

[traduction] Vous savez sans doute que les absences calculées en fonction des relevés des déplacements ne correspondent pas à celles de la demande. Les raisons et les explications sont énoncées dans la déclaration assermentée du client jointe aux présentes, et les documents suivants contiennent des renseignements supplémentaires qui doivent être lus de concert avec celle-ci :

 

a)                  deux calculs de présence et d’absence selon les relevés des déplacements;

b)                  un avis de cotisation de M. Yu pour l’année d’imposition de 1999 à 2002;

c)                  un certificat de titre au nom de nos clients à titre de locataires conjoints;

d)                  deux certificats médicaux concernant l’état de santé des parents de M. Yu.

 

[21]           Tous ces documents, soit les documents a) à d), sont inclus dans les documents remis à la suite de la demande d’accès à l’information présentée par le demandeur. Les deux déclarations assermentées mentionnées dans la lettre de Mme Mok ne figurent pas dans le dossier du tribunal présenté conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et leurs modifications (les Règles). Cependant, selon l’affidavit du demandeur, ces déclarations assermentées ont été fournies à Mme Mok lorsqu’elle a reçu une réponse à la demande d’accès à l’information. Le paragraphe 23 de cet affidavit est rédigé comme suit :

[traduction] De plus, Mme Bertha Mok m’informe que le bureau de la citoyenneté a reçu ces déclarations parce que des copies de celles‑ci lui ont été fournies en réponse à une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information qu’elle a présentée le 14 avril 2004 demandant des copies des dossiers de citoyenneté de mon épouse et moi. Les copies de la pièce « A » proviennent de la réponse à cette demande en vertu de la Loi sur l’accès à information.

 

 

[22]           Malgré l’absence des déclarations assermentées dans le dossier du tribunal, je suis convaincue que la juge de la citoyenneté disposait autrement des renseignements que contenaient les déclarations assermentées du demandeur et de son épouse. Elle a examiné à fond les raisons des absences du demandeur du Canada, c’est‑à‑dire pour prendre soin de ses parents malades à Hong Kong et diriger l’entreprise familiale à Hong Kong, afin de produire un revenu pour sa famille proche et sa famille étendue.

 

[23]           Dans ces circonstances, l’absence des déclarations assermentées du dossier du tribunal n’a eu aucun effet important. Il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle. De toute manière, tout manquement à la justice naturelle ne donne pas lieu à réparation; voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994]1 R.C.S. 202. Les prétentions du demandeur à cet égard semblent privilégier la forme au détriment du fond. La juge de la citoyenneté disposait de la preuve pertinente et elle l’a dûment examinée.

 

[24]           Enfin, j’examine les prétentions du demandeur concernant le prétendu mauvais calcul de la période par la juge de la citoyenneté. Je suis d’accord avec le défendeur que cet argument n’a aucun fondement. La juge de la citoyenneté a défini avec exactitude les périodes pertinentes, soit la période de quatre ans qui précède immédiatement la demande de citoyenneté canadienne du demandeur. Elle n’a pas commis d’erreur à cet égard.

 

[25]           Il s’ensuit que l’appel du demandeur est rejeté. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 


 

ORDONNANCE

 

            L’appel est rejeté. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                      T-844-06

 

INTITULÉ :                                                    Wai Kwong Yu

                                                                         c.

                                                                         Le ministre de la citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 30 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Douglas Cannon

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Liliane Bantourakis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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